Nourrir Clermont quand le climat s’emballe : une gageure à relever

Par

Marie-Pierre Demarty

Le

Le cycle "Clermont sous 50°C" des Rencontres Tikographie s'est intéressé à un nouvel angle de la question : la production agricole. Ou comment développer fortement l'autonomie alimentaire du territoire dans un contexte de réchauffement climatique. Difficile équation...

Sommaire

Information sur notre prochain événement

Les intervenants

  • Laurent Rohr, directeur de la ferme urbaine Landestini Clermont Auvergne
  • Richard Randanne, éleveur d’ovins et vice-président de la Chambre d’agriculture
  • Jean-Marie Vallée, vice-président de Clermont Auvergne Métropole en charge de l’agriculture, de l’alimentation, de la biodiversité et des espaces naturels

Le podcast

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La synthèse : ceinture verte ou fin des haricots ?

Forcément, pour parler alimentation au sujet de la métropole clermontoise, on doit un peu élargir la focale. Même si Jean-Marie Vallée a rappelé que le territoire métropolitain compte 22% de surface agricole et 27% de forêt, même si Laurent Rohr est venu témoigner de la présence d’une ferme au cœur de Clermont – quoiqu’à objectif surtout pédagogique – cela ne risque pas d’être suffisant pour nourrir la population urbaine.

Le périmètre peut déjà être un peu plus crédible à l’échelle du Grand Clermont et du parc naturel régional Livradois-Forez, ces deux entités avec leurs spécificités agricoles complémentaires étant engagées ensemble dans un projet alimentaire territorial (PAT) avec l’objectif « très ambitieux » de parvenir à 50% d’autonomie alimentaire d’ici à 2050, alors qu’elle est aujourd’hui de 13%, a rappelé l’élu. Y parvenir, ajoute-t-il, nécessite de créer 2000 ha de maraîchage, de « trouver du foncier agricole qui soit apte à produire des légumes et des fruits, avec une accessibilité à des bâtiments techniques et à l’eau et qui soit compatible avec le zonage du PLUi ».

« Il y a des anomalies chaque année et les problématiques sont exponentielles. »

Laurent Rohr

Objectif d’autant plus ambitieux à atteindre que les cultures devront aussi affronter un climat en plein bouleversement, devenu indiscutable. « Aujourd’hui il n’y a plus de climatosceptique dans le monde agricole ; tous les agriculteurs ressentent le changement », relève Richard Randanne, confirmant les propos de Laurent Rohr qui constate : « c’est une époque délicate. On n’a aucun recul ; on ne sait pas où on va (…). Il y a des anomalies chaque année et les problématiques sont exponentielles. »

Laurent Rohr, directeur de la ferme urbaine de Clermont à Vallières, pour Landestini

La Chambre d’agriculture, témoigne Richard Randanne, s’en préoccupe évidemment. « L’adaptation, il y a de nombreuses années que la profession y pense », dit-il, expliquant les études de modélisation et de projection qui ont été menées, notamment pour l’élevage, pour disposer de « données fiables et fines ».

Il déroule les préconisations, qui peuvent être mises en place saison après saison : éviter le surpâturage de printemps, avoir des stratégies équilibrées de séchage, ensilage, stockage pour la première coupe de fourrage, d’autant plus précieuse que la deuxième coupe d’été, auparavant habituelle, n’est plus possible « trois années sur cinq : c’est très impactant ». Les étés de plus en plus chauds poussent aussi à réintroduire haies et arbres pour le bien-être animal et la protection des prairies ; alors qu’à l’automne, il devient possible et même nécessaire de pâturer le plus tard possible pour préserver les stocks de fourrage pour l’hiver. « Ce sont des changements significatifs », souligne-t-il.

« L’adaptation, il y a de nombreuses années que la profession y pense. »

Richard Randanne

L’adaptation apparaît beaucoup plus difficile pour le maraîchage, les aléas climatiques ayant des conséquences irrattrapables si on a un démarrage trop précoce suivi de gelées tardives, si on ne plante pas les tomates juste dans la bonne fenêtre météo, ou si une canicule prolongée empêche les haricots de fructifier, prévient Laurent Rohr. Il souligne que « c’est une question de température et pas seulement de manque d’eau ». Il tempête du fait que « les mesures auraient dû être prises il y a 40 ans », et constate : « je n’ai pas l’impression que les gens sont terrorisés au niveau de ce qu’ils devraient l’être. »

Tout en reconnaissant que les décisions politiques nationales et internationales ne sont pas à la hauteur de la situation, Jean-Marie Vallée se veut encourageant : « citoyens et collectivités locales peuvent essayer de faire quelque chose. »

Il détaille ce que sa collectivité, en l’occurrence Clermont Métropole, met en place. Celle-ci a opté, explique-t-il, pour la création d’une SCIC Ceinture Verte, en parallèle avec une dizaine d’autres projets similaires dans d’autres métropoles. Son objet est d’investir dans du foncier agricole et dans les équipements nécessaires pour les cultures, pour les mettre à disposition d’un maraîcher, tout en l’accompagnant dans son projet. « Il s’agit de créer un modèle qui permette de faire vivre la personne, avec un revenu décent », souligne-t-il. Et il annonce que « sept projets d’installation sont aujourd’hui finalisés », dont le premier, au Cendre, devrait démarrer son activité à l’automne.

« Pour avancer sur les problèmes d’adaptation, il faut aussi innover. »

Jean-Marie Vallée

« Pour avancer sur les problèmes d’adaptation, il faut aussi innover », ajoute-t-il, annonçant qu’avec quatre autres coopératives Ceinture Verte, la Métropole a répondu à un appel à manifestation d’intérêt pour expérimenter des outils de transformation de type légumerie, « car le problème du maraîchage, c’est qu’on produit le plus au moment où la restauration scolaire ne fonctionne pas. » D’autres projets innovants sont lancés aussi, avec l’entreprise Capillum sur des techniques de paillage, ou avec l’Inrae sur l’achat local pour la restauration collective.

Jean-Marie Vallée, vice-président à Clermont Auvergne Métropole en charge de l’agriculture, de la biodiversité et des espaces naturels

A l’heure où, cite-t-il, 50% des agriculteurs sont proches de la retraite, il s’agit, dit-il, de « redonner du goût pour cette profession ». Et s’il reconnaît qu’« il n’y a pas de solution miracle », il estime qu’il existe un ensemble de pistes pour améliorer l’autonomie alimentaire, même en période de réchauffement climatique. Et cela en travaillant sur la technicité des cultures, la sécurisation du foncier, l’attractivité du métier, mais aussi sur la sensibilisation des consommateurs et l’éducation des plus jeunes.

En cela, il se montre plus optimiste que Laurent Rohr, qui exprime son désarroi : « on n’a pas de vraies solutions ; seulement des petites adaptations à l’échelle des potagers individuels, mais à plus grande échelle on n’a pas d’avancées… sauf pour maintenir les profits », laissant entendre que le modèle de l’agro-industrie ne peut que prolonger la dégradation de la situation.

« On n’a pas de vraies solutions ; seulement des petites adaptations à l’échelle des potagers individuels. »

Laurent Rohr

A peine quatre jours après la randonnée-manifestation contre les projets de mégabassines, le sujet du modèle d’agriculture et de l’adaptation aux sécheresses estivales de plus en plus prégnantes ne pouvait que resurgir, avec des visions opposées qui se sont exprimées de façon parfois tendues. Même si, sur certains points du diagnostic, les trois interlocuteurs ont pu trouver des terrains d’entente. Par exemple sur l’impact délétère de la concurrence internationale et de la politique agricole européenne, sur la rémunération insuffisante des agriculteurs et la nécessité de sensibiliser le consommateur à la nécessité d’accepter des prix plus élevés.

« La Ceinture verte est un beau projet, possible grâce à la présence des consommateurs en proximité, explique Richard Randanne. Mais les agriculteurs plus éloignés des centres urbains ont besoin des filières ; celles-ci sont déterminantes. » Et d’ajouter qu’« auparavant la politique agricole commune avait pour objet la compensation de marché ; aujourd’hui elle ajoute le verdissement de l’agriculture mais toujours avec le même budget. Le verdissement fait un break parce qu’on n’a pas résolu le problème de la rémunération des exploitants. »

Richard Randanne, éleveur, participant au dispositif AP3C (Adaptation des Pratiques Culturales au Changement Climatique)

Plus précisément sur les retenues agricoles, il estime que « c’est la bonne solution ; c’est une question de bon sens qu’il ne faut pas reprocher aux paysans », car en l’absence d’un modèle économique plus rémunérateur, ils n’ont « pas eu le choix ». Et il conclut que les solutions face au changement climatique passent par différentes voies : sobriété, changement de pratiques et techno-solutions ; « il faut garder tout le panel », dit-il.

« Les bassines, c’est une question de bon sens qu’il ne faut pas reprocher aux paysans. »

Richard Randanne

Laurent Rohr a une vision différente, tout en reconnaissant que le manque d’eau est compliqué, à la ferme urbaine comme ailleurs : « les années précédentes il n’a pas plu donc on n’a pas pu stocker d’eau ; cette année il pleut abondamment ; on en récupère mais ce ne sera pas suffisant si l’été est à nouveau sec : le stock ne durera pas longtemps. » A l’échelle du projet billomois, il souligne que « la question cruciale n’est pas de stocker l’eau mais de voir à qui elle va. Stockons de l’eau, mais pour une agriculture qui nourrit, pas pour produire des semences fourragères. »

Il sera encore question de replanter des haies, de réduire la consommation de viande, du retour envisageable à un modèle nourricier de polyculture-élevage, de différences générationnelles sur l’horizon délicat de faire diminuer le nombre de bovins…

Rencontre Tikographie du 15 mai 2024 animée par Roxana Triboi

Malgré de fortes divergences sur le choix et le positionnement des curseurs, il apparaît impératif, autant pour atténuer les causes de dérèglement climatique que pour s’adapter à ses conséquences, de retrouver des équilibres qui se sont perdus dans les politiques de remembrement, d’agrandissement des exploitations, de développement de l’agro-industrie et d’artificialisation du paysage… Autant dire qu’il y a du grain à moudre, du pain sur la planche, des manches à relever…

Synthèse par Marie-Pierre Demarty

Le « Tikomité », notre pot informel autour d’un verre, s’est tenu dans la foulée de la Rencontre à la brasserie l’Univers. Toutes les personnes intéressées y sont bienvenues pour rencontrer les membres de l’association Tikographie !

Les vidéos diffusées

Interview introductive sur le contexte climatique à Clermont

Alexandre Letort (prévisionniste météo) et Vincent Cailliez (climatologue)

Le cycle « Clermont sous 50 degrés »

Cette série de Rencontres Tikographie (janvier à juin 2024 inclus) se focalise sur la question de l’adaptation de la métropole clermontoise et de ses acteurs – publics comme privés – aux conséquences du dérèglement climatique et notamment au fort risque d’étés caniculaires à répétition.

A quoi faut-il s’attendre au niveau des bâtiments ? De l’approvisionnement en eau ? Des événements météo extrêmes ? Quelle stratégie adopter à ce moment, et surtout, que peut-on faire aujourd’hui pour s’y préparer ? Ces questions n’éludent pas le besoin d’atténuation en parallèle mais elles le complètent, le dérèglement climatique étant largement enclenché et inéluctable.

Pour en savoir plus (thématiques, dates, modalités), cliquez ici pour accéder au dossier de presse.

Crédits

Merci à la librairie les Volcans d’Auvergne pour son accueil et le partenariat de réalisation des Rencontres Tikographie pour cette saison, et en particulier à Boris, Philippe, Lénaïc, Olivier et Gaëlle.

Merci à nos invités et à l’équipe de l’association Tikographie qui porte et organise les Rencontres.

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