Coop des Dômes : une histoire de solidarité et de résilience

Par

Marie-Pierre Demarty

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Les bénévoles et la salariée au milieu des rayons de la Coop des Dômes
Incendiée il y a un an, la supérette associative des quartiers nord de Clermont se relève en douceur, dans une ambiance chaleureuse et motivée. Rencontre avec quelques bénévoles et l’unique salariée.

Le pourquoi et le comment   [cliquer pour dérouler]

Je ne suis pas sûre d’avoir besoin, pour cet article, d’épiloguer sur le pourquoi et le comment de ce reportage, tellement ça paraît une évidence. On en revient à la question de la résilience : comment affronter les crises, s’en relever et en profiter pour s’adapter.

La Coop des Dômes semble avoir fait tout ça assez naturellement.

On retiendra que dans la recette pour y parvenir, il y a beaucoup de solidarité, de préoccupations sociales, d’ouverture aux autres, et un petit effort de chacun pour donner de son temps.

C’est quand même pas compliqué !

Marie-Pierre

Trois infos express   [cliquer pour dérouler]

  • La Coop des Dômes est une épicerie solidaire et participative, dont les « clients » sont les membres de l’association, tous bénévoles devant contribuer à faire tourner le magasin en donnant au minimum 3 heures de temps chaque mois. Ils peuvent aussi participer aux groupes de travail qui prennent en charge divers aspects de la gestion du projet.
  • Les motivations des membres sont variées et se cumulent : valeurs coopératives, solidarité, produits sains et majoritairement bio, relation très humaine avec les producteurs locaux, prix avantageux, convivialité…
  • Née pendant l’épisode Gilets jaunes, l’association a affronté la crise covid, le reflux du bio, l’inflation, les incivilités au quartier des Vergnes et pour finir, un incendie qui a détruit le local, il y a un an pendant les émeutes. Mais elle s’en relève, vaillamment et sûrement.

S’il est une association que l’on peut qualifier de résiliente, c’est bien la Coop des Dômes. Qu’on en juge : lancée fin 2018 au plus fort de l’épisode des Gilets jaunes, le « magasin coopératif et participatif » de Clermont nord a affronté la crise covid après à peine plus d’un an d’existence. Puis le reflux du bio et la brusque poussée de l’inflation.

Tout juste sortie de ce contexte général tumultueux des débuts, elle se voit entraînée dans une tourmente plus locale : celle des incivilités croissantes du quartier où elle s’est implantée – celui des Vergnes à Clermont-nord. Deux cambriolages, diverses dégradations. « Cela touchait tous les commerçants du quartier ; on voulait clairement faire partir tout le monde », disent les bénévoles. Puis, comme le qualifie une des bénévoles, « la cerise sur le gâteau » : dans la nuit du 30 juin l’an dernier, pendant la flambée de violences qui a touché tant de villes en France, le magasin a été incendié et entièrement détruit.

« L’incendie a été la cerise sur le gâteau. »

Isabelle, bénévole

Un an plus tard, les bénévoles s’activent dans le nouveau local. Il est peu fréquenté en ce milieu d’après-midi, ce qui permet à la plupart des présents de se joindre à notre discussion, autour de la table du coin convivial. Car dans cette épicerie peu ordinaire, il y a la place pour se poser et partager un thé. Ou ce jour-là, un panier de cerises.

Motivations multiples

Ici, c’est d’autant plus naturel que les clients sont aussi les personnes qui encaissent, alimentent les rayons, reçoivent les producteurs… Et inversement, ils repassent tous de l’arrière-boutique au remplissage de leur propre panier. A part Sandrine, la salariée chargée de la coordination du projet, toutes les tâches sont réalisées par les adhérents. Ceux-ci sont tenus d’y consacrer (au moins) trois heures par mois. « C’est plus important que les cotisations, qui sont à prix libre à partir de 5 euros et qui ne nous font pas vivre », souligne Sandrine.

A la caisse de la Coop des Dômes
A la Coop des Dômes, on est tour à tour le client ou le vendeur, en tablier d’épicier des deux côtés du comptoir. Ce mercredi après-midi, c’est Yanis qui tient la caisse.

Alors pourquoi choisir d’aller faire ses courses dans un magasin où il faut en plus donner gratuitement un peu de travail, plutôt qu’à la supérette du coin ? L’échantillon des bénévoles présents donne un bel aperçu de l’étendue des motivations.

Isabelle, par exemple, avait déjà connaissance de projets similaires, notamment La Louve à Paris : « J’ai entendu parler de la Coop des Dômes à la radio et cela correspondait à mes valeurs : la coopération, l’autogestion, le côté non lucratif. »

« Individuellement, je n’ai pas le temps de me renseigner sur la provenance des produits, leur qualité, leurs modes de production. »

Nelly, bénévole

Cécile, qui n’a adhéré qu’en février dernier, y voit l’intérêt pour le lien avec les producteurs locaux : « il y a un vrai respect pour eux ; on les laisse fixer leurs prix sans négociation commerciale. C’est aussi un respect pour le territoire et pour les gens qui travaillent ici. Et la plupart des produits sont bio, sans ça je ne serais pas venue. En fait j’aurais pu venir plus tôt mais j’avais compris qu’il fallait contribuer trois heures par semaine… mais c’est beaucoup moins contraignant ! »

Nelly, qui dit « adhérer à tout ce qui précède », ajoute que les relations avec les producteurs permettent d’acheter en confiance : « individuellement, je n’ai pas le temps de me renseigner sur la provenance des produits, leur qualité, leur mode de production, et de comparer. Mais je sais qu’ici il y a un groupe de travail qui le fait pour moi. Ça a été réfléchi. »

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Une relation particulière

Si on trouve sur les rayons des bananes, du café ou du chocolat commandés auprès de grossistes, le plus possible des 1200 références de marchandises vendues ici proviennent de 70 producteurs locaux. « Le groupe de travail Approvisionnement a rendu visite à chaque producteur pour comprendre comment il fonctionne, comment il produit et pour sélectionner des produits de qualité. Puis après la visite, il y a un compte rendu ; nous faisons un retour motivé à ceux que nous ne retenons pas. Et une fois la relation engagée, nous pouvons être souples. S’il y a un imprévu ou une rupture dans la livraison, on n’est pas désagréables, car on ne vit pas pour le chiffre d’affaires comme un commerce ordinaire », illustre Alain.

« S’il y a un imprévu ou une rupture dans la livraison, on n’est pas désagréables. »

Alain, bénévole

Dès qu’on parle des producteurs, les yeux des bénévoles se mettent à briller et chacun ou chacune a des compléments à apporter : que ce soit pour raconter un moment de rencontre qui les a marqués, pour se réjouir de tout ce qu’ils apprennent dans cet « envers du décor » auquel ils participent, ou pour préciser des choix éthiques, comme celui de favoriser les jeunes agriculteurs qui s’installent.

Aussi la relation avec les fournisseurs est-elle particulière. « Nous nous adaptons à des produits artisanaux qui ne sont pas de qualité constante. Mais à l’inverse, la réception des marchandises par des bénévoles peut parfois être plus lente ou laborieuse que dans un commerce professionnel, souligne Sandrine. Certains n’aiment pas notre façon de faire mais cela permet un écrémage. Ceux qui restent partagent nos valeurs et sont contents de jouer le jeu. »

Pour découvrir une autre expérience d'épicerie participative, lire aussi : « Épicerie associative de Loubeyrat : le plaisir de faire ses courses au village »

Éducation populaire

Outre la relation avec ces producteurs locaux, les adhérents apprécient le questionnement constant qu’implique l’engagement coopératif. « Ça me pousse à m’interroger sur comment je consomme, pour moi ou ma famille, explique Cécile. Un truc qui a fait rire certains : nous proposons des rouleaux de papier toilette à l’unité. Ça évite des emballages et ça permet à ceux qui ont peu de moyens d’en acheter… car tout le monde en a besoin ! » Alain résume : « nous avons un côté éducation populaire. »

« Ça me pousse à m’interroger sur comment je consomme. »

Cécile, bénévole

Ce questionnement constant se traduit aussi par le dialogue entre les adhérents et le groupe de travail – d’ailleurs ouvert – qui décide des approvisionnements : « si un produit n’est pas référencé, on peut le proposer. Et inversement, on peut exprimer l’idée que tel produit n’a pas sa place ici », détaille Sandrine.

C’est ainsi que les pinces à linge en plastique, après recherche de la meilleure option, ont été remplacées par des articles en inox, plus chers mais plus durables. Les bouteilles d’eau en plastique ont été retirées des étagères. Mais on a conservé les bananes et les avocats. « C’est un compromis, parce que tout le monde n’est pas au même stade de la démarche », explique Sandrine. « Après, on est libre d’en acheter ou pas », ajoute Alain.

Un lieu de solidarité

L’association prévoit aussi d’accompagner cette démarche par des animations, qui s’enchaînaient jusqu’à l’an dernier, mais ont été provisoirement suspendues depuis l’incendie : conférences, projections de films, rencontre avec des chercheurs ou des nutritionnistes, ateliers de partage de savoirs… « Il faut qu’on remette aussi en route la grainothèque, le troc de plants… On voit surtout le magasin, mais nous sommes aussi un lieu de vie », poursuit la salariée.

« On voit surtout le magasin, mais nous sommes aussi un lieu de vie. »

Sandrine, salariée

Nelly, Isabelle et Cécile complètent avec l’aspect solidaire de la Coop des Dômes, qui a son importance dans l’environnement des quartiers nord où les difficultés et la précarité ne sont pas une denrée rare. Aux paniers suspendus, qu’on peut payer pour qu’ils bénéficient à d’autres, et aux dons de nourriture proche de la date de péremption, s’ajoute le prix modeste pour des produits bio et de qualité.

« Nous prenons juste la marge nécessaire pour nos charges, mais il n’y a pas de bénéfices. Et nous tournons avec une seule salariée. Sur certains produits, nous avons les prix les moins chers de Clermont », précise Sandrine.

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Un modèle d’intégration

Il faudrait encore parler de la convivialité, ou de l’accueil des nouveaux adhérents, de leur parcours d’intégration à faire pâlir d’envie les meilleurs DRH de grandes entreprises. Parcours qui prévoit par exemple la possibilité d’une « contribution bleue » où l’on vient en simple assistant des plus aguerris. « Et c’est toi qui décides quand tu veux en sortir, quand tu te sens en confiance pour faire plus ! », s’extasie Cécile. Alors que Nelly explique la possibilité de choisir différents rôles, de participer ou non aux groupes de travail…

Bénévoles et salariée devant le rayon des fruits et légumes
Alain au premier plan, puis de gauche à droite, Isabelle, Sandrine et Nelly. Dans l’association, le sens de l’accueil et de l’intégration contribue à une belle convivialité.

Les uns et les autres veulent aussi souligner « la chance d’avoir Sandrine », la salariée bienveillante et compréhensive, ou Alain toujours disponible en cas d’imprévu, d’autant qu’il habite tout près, ou encore Jean-Louis, un autre bénévole absent ce jour-là, solide connaisseur des pratiques du métier et de l’agriculture.

Autant de belles motivations qui expliquent la pérennité de cette épicerie peu commune, malgré les coups durs. Et qui éclairent la façon dont elle se relève, après l’arrêt brutal d’activité qu’a provoqué l’incendie, pour près de six mois.

Se relever

Curieusement, il faut insister pour que le groupe reconnaisse avoir eu des moments de doute. « C’est vrai qu’il y a eu une période où on s’est interrogés pour savoir si nous avions l’énergie pour poursuivre », finit par reconnaître Alain.

« On n’était pas seuls… mais personne n’est préparé à ça. »

Sandrine, salariée

Mais ce sont plutôt les bons côtés qu’ils mettent spontanément en avant. A commencer par le formidable élan de solidarité, les aides de la Métropole et de la Mairie, les coups de main des producteurs, les messages de soutien… « On n’était pas seuls… mais personne n’est préparé à ça », relève Sandrine. Elle retient aussi que l’incendie a mis tout le monde d’accord sur un point qui faisait débat : « certains souhaitaient qu’on quitte les Vergnes en raison des incivilités ; d’autres voulaient rester par solidarité avec les familles qui en avaient besoin. Finalement, c’est devenu une évidence qu’il fallait déplacer le magasin. »

La deuxième moitié de 2023 n’a pas été de tout repos pour le noyau dur qui a dû faire face aux problématiques d’assurance et autres paperasses, organiser les distributions, animer le financement participatif, gérer les fonds… « On a fait un peu plus que nos trois heures mensuelles ! » ironise Cécile.

La devanture de la Coop des Dômes
La devanture du nouveau local, à la sortie de Clermont vers le nord : pas trop loin des Vergnes, mais en dehors du quartier où le premier local a souffert des incivilités.

Il a fallu aussi trouver un nouveau local. Des opportunités en centre-ville ou à Romagnat ont été écartées : pour la difficulté à stationner, ou l’éloignement qui aurait fait perdre des adhérents. Finalement, le collectif a opté pour un local situé en bordure de la Nationale 9, à la sortie nord de Clermont : un peu plus petit que le précédent, un peu trop loin du tram mais assez proche des Vergnes tout en étant à l’extérieur, à proximité du centre d’accueil des demandeurs d’asile, ou du « potentiel » des habitants de Cébazat. « Le local idéal et pas cher n’existe pas », reconnaissent en chœur les bénévoles.

Autre avantage du déménagement : « Nous en avons profité pour améliorer ou simplifier des choses, comme les contenants à vrac en plastique que nous avons remplacés par des contenants en carton. »

Sur les difficultés dans la distribution des produits locaux après-covid, lire aussi : « Les Marchés de Max et Lucie, une épicerie à visage trop humain »

Coopérateurs sans coopérative

L’association, qui a compté sur toute sa durée un total cumulé d’un millier d’adhérents, avait perdu des effectifs à la suite des divers aléas. Mais elle a retrouvé une belle dynamique. « Nous sommes repartis à 150 au moment de la réouverture et nous arrivons à 200 aujourd’hui. Cela augmente au fur et à mesure que le groupe de travail dédié anime des stands, comme au forum des associations ou au festival de la LPO. Ou que les membres communiquent spontanément », détaille le groupe, qui tourne alors ses regards vers Alain, le roi du flyer. « Je viens encore d’en donner un à une dame qui lavait sa voiture », confirme-t-il.

Financièrement, les affaires suivent la même pente. « Nous finissons de rembourser nos premiers emprunts et les subventions nous sont encore nécessaires car même avant l’incendie, nous n’étions pas encore à l’équilibre. Mais nous devrions y parvenir à la fin du prochain exercice. Le but est de devenir autonome », détaille Sandrine.

« Nous devrions parvenir à l’équilibre financier à la fin du prochain exercice. Le but est de devenir autonome. »

Sandrine, salariée

Tandis que l’on poursuit la conversation avec d’autres démarches naturelles ici, comme le paiement en doume, la pratique de la consigne, ou un projet d’installer un compost, quelques coopérateurs sont entrés et s’activent dans les allées du magasin lumineux et impeccablement rangé.

Panier en main, mais équipés du tablier et du badge, on ne sait pas trop s’ils sont clients ou employés. Normal : ici on n’est ni l’un, ni l’autre, mais un peu les deux en même temps. Même si la Coop des Dômes n’a finalement pas opté pour le statut de coopérative malgré son nom, ici tout le monde est simplement coopérateur.

Reportage Marie-Pierre Demarty, réalisé le 19 juin 2024. Photos Marie-Pierre Demarty. A la une : Ambiance joyeuse et conviviale dans le magasin, avec les bénévoles autour de Sandrine, la salariée.

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