Deux retenues de substitution ou méga-bassines sont en projet près de Billom. Nous détaillons les contours du projet en l’état actuel dans ce premier article, avant de donner la parole, successivement, à ses initiateurs, puis au collectif en cours de constitution pour s’y opposer.
Lire aussi les volets 2 et 3 de notre enquête : « Si on pouvait se passer d’irrigation, on le ferait volontiers » et « C’est toute la question du mode de production qui interroge » |
Cliquez sur les intitulés sur fond noir ci-dessous pour en dérouler le contenu. Vous pouvez aussi afficher en grand chaque visuel en cliquant dessus.
Mon ressenti
On nous reprochera peut-être de ne pas prendre parti. Mais à Tikographie, nous estimons que ce n’est pas notre mission : nous sommes là pour informer, le plus précisément possible.
Il nous semble aussi que donner notre avis ne changerait rien aux positions des uns ou des autres. Par contre, donner des faits et donner la parole, peut-être…
Nous sommes là aussi pour poser des questions, et nous faisons confiance à l’intelligence de nos lecteurs pour qu’ils fassent leur propre cheminement et trouvent leurs propres réponses.
Notre conviction est aussi que nous devons tous, sur un même territoire, travailler à une résilience collective face aux crises et chocs qui nous guettent.
Et pour cela, une condition importante est d’apprendre à s’écouter, se comprendre, agir ensemble au-delà des désaccords. En prenant en compte les contraintes, les difficultés et les “attachements” de chacun, comme le prône Alexandre Monnin.
Sainte-Soline, c’est tout sauf de la résilience.
Et si on essayait de faire mieux à Billom ?
Marie-Pierre
Ce qu’il faut retenir
- Deux retenues de substitution sont en projet dans les environs de Billom, portées par l’ASL Les Turlurons qui regroupe 36 agriculteurs. L’une est prévue à Bouzel, près de Vertaizon, sur 15 ha ; l’autre à Saint-Georges-ès-Allier, à l’ouest de Billom, sur 18 ha. Elles seront alimentées par pompage dans l’Allier en période hivernale et doivent desservir 800 ha de terres pour l’instant non irriguées.
- L’irrigation est prévue pour des cultures de céréales principalement, mais aussi d’autres cultures. Le projet revendique de défendre un modèle d’exploitation familiale.
- Le projet doit aussi être complété par l’installation de panneaux photovoltaïques flottants, censés limiter l’évaporation, tout en contribuant à rembourser les emprunts et à produire une énergie renouvelable.
- Le projet devra respecter les limites de prélèvement fixées en vertu du code de l’environnement, ainsi que les règles et procédures fixées par un protocole départemental établi en 2020 sous l’égide de la Préfecture.
- Le projet est aujourd’hui en phase de démarrage des études, tant techniques qu’environnementales.
On a tous encore en mémoire la violence des affrontements de Sainte-Soline dans les Deux-Sèvres fin mars. Les mégabassines semblent nécessaires à certains agriculteurs alors qu’elles sont pour d’autres agriculteurs et pour les défenseurs de l’environnement une aberration.
Le feu des projecteurs s’est concentré sur l’ouest de la France où se situent les plus vastes productions concernées – notamment de maïs, mais notre région n’est pas épargnée par le sujet. Si différentes petites retenues sont déjà en eau, il est maintenant notoire que des bassines bien plus importantes sont en projet dans le bassin de la Limagne.
Elles sont portées par l’ASL (association syndicale libre) Les Turlurons aux alentours de Billom. Quel est précisément le projet ? Où en est-il ? Dans quel climat (au sens propre et au sens figuré) se prépare-t-il ? Nous faisons le point et donnons la parole aux parties en présence.
Pas assez de neige, pas assez d’eau, trop de chaleur… comment les acteurs touristiques locaux s’adaptent-ils aux conséquences du dérèglement climatique ?
Rencontre Tikographie du lundi 2 décembre à 17h (librairie des Volcans) – tous publics, accès libre !
Parmi les plus grandes
Le projet tout d’abord. Il s’agit de construire deux retenues de substitution – selon la terminologie officielle. L’une est prévue à Bouzel (au nord de Billom) sur une emprise de 15 ha pouvant stocker environ 1 million de m³ d’eau. L’autre est en projet à Lignat, dans la commune de Saint-Georges-ès-Allier (entre Billom et Pérignat). Elle est envisagée sur 18 ha pour un stockage de 1,25 m³ d’eau. Ce qui la porte à la taille des plus grandes bassines existantes en France, la moyenne se situant autour de 8 ha.
Ces deux projets sont portés par une même ASL – structure spécifique à la gestion de l’irrigation mutualisée entre agriculteurs d’un même secteur. L’ASL Les Turlurons, créée en 2016, regroupe sur ce double projet 36 agriculteurs répartis sur quinze communes (principalement du territoire de Billom Communauté), sur un secteur qui n’est pas irrigué pour le moment. Le projet est de pouvoir arroser 800 hectares. L’ASL indique qu’une centaine d’agriculteurs ont été sollicités pour participer.
Qui y participe ? Des exploitations de taille moyenne, dont une grande part de producteurs de céréales alimentant la coopérative Limagrain, mais pas seulement et pas exclusivement. Des producteurs d’ail notamment (la spécialité locale), d’asperges, des éleveurs en polyculture… La communication de l’ASL indique notamment une intention de « redynamiser les cultures historiques comme l’ail rose de Billom, et développer de nouvelles cultures [telles que] les plantes aromatiques et médicinales ainsi que les légumes » et « maintenir un tissu dense d’exploitations familiales ».
Photovoltaïque flottant
Contrairement aux bassines du Marais poitevin, il ne s’agit pas ici de puiser dans une nappe phréatique, mais directement dans l’Allier, sur la période hivernale, très exactement entre le 1er novembre et le 31 mars, et lorsque le débit atteint au moins 47,5 m3/s au pont de Longues. Le pompage ne pourrait en outre pas dépasser une proportion de 1% du débit. Ces limites ont été définies en fonction des règles établies par le code de l’environnement qui contraignent au maintien d’un débit minimal (art. L.214-18).
L’eau serait ensuite acheminée vers les deux bassines par des canalisations, qui seraient à créer pour celle de Lignat. Côté Bouzel, il existe déjà un réseau d’irrigation utilisé en été qui, au dire des porteurs du projet, pourrait desservir la retenue en hiver.
Dernière précision technique : il est envisagé d’installer des panneaux photovoltaïques flottants sur la surface de ces bassins, une technique encore très peu développée en France mais davantage aux Etats-Unis. Ce projet complémentaire aurait pour fonction de limiter l’évaporation, tout en générant un revenu contribuant au financement du projet et en participant à la production d’une énergie renouvelable locale.
Un protocole pour cadrer
Un protocole en date d’octobre 2020, établi sous l’autorité du Préfet en concertation avec les différentes parties prenantes dont l’Agence de l’eau, les Commissions locales de l’eau, les collectivités régionale et départementale, la Chambre d’agriculture et l’Adira (Association pour le développement de l’irrigation en Auvergne), ainsi que l’Office français de la Biodiversité. Il est peut-être utile de mentionner que ces différentes instances signataires déclarent en préambule, notamment, qu’elles « conviennent de la nécessité des retenues d’eau pour la substitution des prélèvements directs et en faveur de l’adaptation de l’activité agricole, […] affirment l’importance d’une politique de gestion globale et concertée pour la mobilisation des ressources en eau, incluant l’utilisation optimisées des retenues existantes et des actions soutenues d’économies d’eau ; décident de se mettre en situation d’assurer le développement de ces ouvrages dans leur contexte territorial, en respectant les exigences fondamentales de respect de l’environnement portées par la règlementation, notamment le maintien du débit minimal et de la préservation des milieux aquatiques et de la biodiversité […]”.
Ce protocole établit notamment les règles à respecter pour les porteurs de projet et en premier lieu, celle de « s’inscrire en priorité dans un projet de territoire pour la gestion de l’eau visant à anticiper les évolutions futures tant de l’économie agricole que de la ressource en eau, et en prenant en compte l’ensemble des usages, la qualité de l’eau, les économies d’eau réalisables et les marges d’optimisation possibles des ouvrages existants. »
Surtout il établit les procédures à suivre pour le dépôt et l’instruction du dossier ainsi que le rôle des instances signataires dans ces procédures.
Europe et emprunts
Concernant ce financement, il est estimé à 25 millions d’euros pour l’aménagement de l’ensemble du système : pompes, réseau de canalisations et retenues. A l’ASL des Turlurons, on précise cependant que rien n’est encore arrêté. Les informations avancées généralement dans la presse ou par des spécialistes affirment que ces projets, de manière générale, sont subventionnés à 70% environ par des fonds publics. L’ASL indique compter principalement sur les fonds européens. Dans un entretien à Tikographie à paraître samedi, le représentant à Clermont de l’Agence de l’eau Loire-Bretagne confirme qu’un tel projet n’est pas finançable par celle-ci.
Si les opposants s’interrogent sur le rôle de Limagrain, on affirme au service des relations territoriales de la coopérative que celle-ci n’est pas directement partie prenante du projet à Billom et n’a pas prévu de participer à son financement. La part non subventionnée sera financée par des emprunts répartis entre les agriculteurs, au prorata des surfaces à irriguer, indiquent-ils.
L’ASL affiche également dans sa communication le soutien de la Chambre d’agriculture du Puy-de-Dôme et de l’Adira, dont elle s’engage à respecter la charte des bonnes pratiques instaurée en 2021.
Où en est-on ?
Pour Lignat, l’appel d’offres pour les études techniques s’est fait en janvier-février de cette année. Celui de Bouzel, l’an dernier. Autant dire que ces études sont en phase de démarrage, tout comme les études environnementales qui doivent durer une année complète pour observer les impacts potentiels sur un cycle de saisons complet.
Concernant le projet photovoltaïque, l’appel à projets est en cours actuellement.
Les porteurs du projet ont également commencé à informer les élus des communes concernées, notamment lors d’une réunion à Egliseneuve-près-Billom le 2 février dernier.
Sans avoir été invités à entrer dans la salle, une trentaine de personnes s’inquiétant du projet se sont rassemblées spontanément à l’extérieur dans l’intention de recueillir des informations. De ce groupe est né un collectif de vigilance – sinon d’opposition – à l’égard de ce projet (voir nos prochains articles).
Reste la question de l’échéance : l’ASL Les Turlurons a annoncé une perspective de début des travaux dès l’année prochaine et à 2026 pour la fin des travaux et la mise en eau.
Ce qui paraît très court, compte tenu de l’ampleur du projet, qui devra passer non seulement par les phases d’études, mais aussi par des dossiers d’autorisation et de financement, qui ont aussi un calendrier à respecter. Sans compter les éventuels recours de contestation des décisions.
Photo de Une Marie-Pierre Demarty : les Turlurons, les deux collines qui surplombent Billom et ont donné leur nom au collectif porteur du projet.
Tikographie est un média engagé localement, gratuit et sans publicité. Il est porté par l’association loi 1901 Par Ici la Résilience, dont l’objet social est à vocation d’intérêt général.
Pour continuer à vous proposer de l’information indépendante et de qualité sur les conséquences du dérèglement climatique, nous avons besoin de votre soutien : de l’adhésion à l’association à l’achat d’un recueil d’articles, il y a six moyens de participer à notre projet :
Envie de recevoir l’essentiel de Tikographie par mail ?
Vous pouvez vous inscrire gratuitement à notre newsletter en cliquant sur le bouton ci-dessous. Résumé des derniers articles publiés, événements à ne pas manquer, brèves exclusives (même pas publiées sur le site !) et aperçu des contenus à venir… la newsletter est une autre manière de lire Tikographie.