Clermont est encore à la traîne sur le vélo. Mais elle peut progresser vite grâce à la prise de conscience des acteurs locaux, estime Serge Fabbro, président de Vélo-Cité 63.
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La “ville apaisée” est une des thématiques principales de la nouvelle municipalité clermontoise, et de la Métropole. Je vous propose une série d’articles autour de ce sujet, à commencer par cet entretien avec Serge Fabbro, président de Vélo-Cité 63. Cela permettra de faire le point sur les “mobilités douces” à Clermont et sur le chemin qu’il reste à parcourir dans une ville initialement acquise à la voiture.
A suivre dans les semaines à venir d’autres entretiens sur les nouvelles formes de mobilité ainsi qu’un point sur les solutions pratiques à mettre en place.
Je publie en parallèle un nouveau petit format qui me paraît sympathique : l’audiorama (déambulation sonore en images) réalisé à l’occasion de la “Journée sans voiture” du 20 septembre dernier :
Damien
Serge Fabbro est président de l’association Vélo-Cité 63.
Pour contacter Serge Fabbro par mail : info@velocite63.fr |
Vélo-Cité 63 est une association présentée comme “fortement impliquée dans le renouvellement, la mutation de la ville vers des pratiques urbaines grâce à la mobilité active“, d’après Serge Fabbro, son président.
Elle existe depuis 1996 sur Clermont-Ferrand. Son activité consiste à “promouvoir le vélo comme un mode de déplacement au quotidien“, notamment dans sa dimension utilitaire (comme avec les trajets domicile-travail).
Vélo-Cité 63 propose également des ateliers de vélo réparation animés par des bénévoles, le vendredi après-midi au 30 rue Etienne Dolet, ainsi qu’une Vélo école, en partenariat avec FIT (Formation Insertion Travail).
- Quelle est votre vision de la “ville apaisée” à laquelle participe Vélocité 63 ?
- Vous parlez de répartition différente de l’espace public. Plus précisément ?
- Pourquoi faut-il, selon vous, privilégier le vélo dans la mobilité urbaine ?
- Mais le vélo n’est-il pas relativement dangereux sur la route ?
- Le public est-il prêt à entamer cette évolution ?
- Revenons à l’enjeu urbanistique : comment réussir la mutation vers une ville apaisée ?
- Mais, hormis les moyens et l’organisation, quels sont les principes d’action que vous recommandez ?
- Concrètement, quelles sont les actions à mener à Clermont pour augmenter la place du vélo ?
- Que comptez-vous faire pour le stationnement vélo ?
- Comment comptez-vous sensibiliser le public à ces enjeux ?
- Vous évoquez aussi la notion de “système vélo” …
- Quel peut être l’usage du vélo pour les professionnels de la livraison ?
- Comment se positionnent les grands acteurs locaux face à cet enjeu ?
- 2020 sera-t-elle l’année de la “bascule” ?
Pas assez de neige, pas assez d’eau, trop de chaleur… comment les acteurs touristiques locaux s’adaptent-ils aux conséquences du dérèglement climatique ?
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Quelle est votre vision de la “ville apaisée” à laquelle participe Vélocité 63 ?
Notre objectif est que les cyclistes et les piétons soient à l’aise, ce qui apaisera le fait d’habiter en ville. Cela passe par une meilleure répartition de l’espace public urbain, rare et précieux. On s’en est rendu compte [lors de la première “journée sans voiture” du 20 septembre] : une ville apaisée, c’est moins de danger et de stress pour tout le monde.
Vous parlez de répartition différente de l’espace public. Plus précisément ?
Il s’agit d’opérer un meilleur partage de l’espace au sol, et une modération de la vitesse [automobile]. On croit ainsi beaucoup à la “ville à 30” [km/h] : il faut remettre en cause la sacro-sainte fluidité et vitesse automobile. Selon nous, certains véhicules motorisés n’ont rien à faire dans les centres urbains.
Il s’agit d’opérer un meilleur partage de l’espace au sol, et une modération de la vitesse automobile.
En fait, en diminuant la vitesse limite de référence [30km/h au lieu de 50 km/h], on pourra avoir un réseau plus « capacitif », qui résorbe le même flux en roulant plus régulièrement. Par exemple, il y a aujourd’hui trop de feux tricolores, on ne fait que démarrer et s’arrêter. Peut-être faudra-t-il en supprimer ?
De plus, le stationnement facile encourage l’usage excessif de la voiture. A partir du moment où on réduit le stationnement automobile, cela va entraîner la mutation des pratiques : on se dira que, pour faire ses courses, pourquoi ne pas prendre le vélo ou les transports en commun ?
Je pense que Clermont a pris un certain retard dans cette mutation, au regard d’autres métropoles de même importance. Cet enjeu, c’est un sujet d’urbanisme, d’aménagement et de mobilité : on réclame plus d’espace [pour les vélos et aussi pour les autres usagers fragiles], pour attirer plus de nouveaux cyclistes avec plus de sécurité et moins de pollution …
Pourquoi faut-il, selon vous, privilégier le vélo dans la mobilité urbaine ?
Il apparaît, d’abord, l’argument santé. Même avec une activité modérée, – un trajet domicile-travail sur 2 ou 3 km – on fait une activité physique régulière bénéfique. Même la pratique du Vélo à Assistance Électrique [VAE] permet de conserver sa tonicité et sa masse musculaire. On croit beaucoup au développement du VAE : ce n’est pas de la triche !
C’est aussi une question d’efficacité face aux autres moyens de transport, d’économie à l’achat – un VAE peut remplacer la deuxième voiture d’un ménage – ou à l’usage, notamment si l’entreprise l’accompagne par le forfait mobilité durable. Et il y a, bien sûr, l’argument écologique : en vélo, je ne contribue pas à l’effet de serre en polluant beaucoup moins qu’avec un véhicule carboné.
On croit beaucoup au développement du VAE : ce n’est pas de la triche !
Au fond, le vélo répond à un besoin d’autonomie, à une forme de liberté, en lien avec la responsabilité de chacun pour un environnement plus sain.
Mais le vélo n’est-il pas relativement dangereux sur la route ?
En fait, il est plus dangereux de ne pas faire de vélo que de faire du vélo … dans un rapport de 1 jusqu’à 20 selon sa pratique et ses parcours, comme le démontre une étude récente de l’ONAPS ! La part accidentologique est tellement négligeable par rapport aux bienfaits sur la santé : tonicités mentale et musculaire, réduction des maladies du cancer, du cœur, du diabète … Donc, il vaut mieux faire du vélo, en termes de santé personnelle et publique.
Il peut certes y avoir un sentiment d’insécurité en circulation. Je répondrai qu’il faut surtout se méfier de soi-même, surtout en ville – 2/3 des accidents sont issus du cycliste seul (chutes pour évitement et collision avec obstacles, déséquilibre). Ensuite, en ville, la mortalité est inférieure à celle en rase campagne grâce au différentiel de vitesse moins important.
Il est plus dangereux de ne pas faire de vélo que de faire du vélo.
Mes conseils : d’abord, il faut un vélo adapté, bien équipé et entretenu (éventuellement participation à des ateliers d’auto-réparation associatifs) et faire le choix du port du casque, ensuite en circulation n’hésitez pas à vous rendre visible de jour comme de nuit, à prendre votre place sur la chaussée. Vous avez le droit d’être sur la rue ! Enfin , vous faire entendre, vous faire comprendre en signalant clairement vos changements de direction et penser à vous méfier des véhicules de gros gabarit, …
Le public est-il prêt à entamer cette évolution ?
Dans nos échanges récents, nous constatons que les gens ne se posent plus la question du “pourquoi” [je dois prendre le vélo] mais évoluent vers le “comment” [je prends le vélo]. On arrive sur le choix du modèle le plus adapté, sur l’amélioration de la pratique (éventuellement apprentissage en vélo-école pour (re)mise en selle) et sur la question des itinéraires possibles.
On voit que le regard sur le vélo est en train d’évoluer : effet Covid, grèves, crise économique sans doute … et on prend conscience que le vélo peut devenir aussi pratique et efficace que la voiture.
Revenons à l’enjeu urbanistique : comment réussir la mutation vers une ville apaisée ?
Je pense qu’il faut une politique de rupture. On ne peut pas à la fois préserver l’espace automobile et développer les voies cyclables. Il faut avoir ce courage politique, qui est en train d’arriver, pour passer à autre chose, dénommée « transition écologique » par les élus.
On ne peut pas à la fois préserver l’espace automobile et développer les voies cyclables.
Or, cette rupture en faveur des modes actifs comme le vélo venant des politiques ne peut se faire qu’avec l’aide d’équipes renforcées de techniciens pour mettre en œuvre tous les projets ambitieux du Schéma Cyclable Métropolitain. A titre d’exemple, à Grenoble : 5 techniciens sont dédiés à la politique vélo, quand Clermont n’en a qu’un seul ! Il faut donc des moyens humains d’ingénierie au-delà des moyens financiers.
Mais, hormis les moyens et l’organisation, quels sont les principes d’action que vous recommandez ?
Pour les aménagements cyclables, nous souhaitons un réseau sécurisé (au maximum en site propre), maillé, continu, lisible, confortable… et même apportant du bien-être ! Cela passe par une prise en compte de tous les détails, par exemple dans les hauteurs des bordures de trottoirs et sur les trajectoires aux intersections. C’est une affaire de vigilance permanente de la part de techniciens lors des réalisations. Seule la qualité globale du réseau convaincra et fera venir de nouveaux cyclistes.
Nous souhaitons un réseau sécurisé, maillé, continu, lisible, confortable… et même apportant du bien-être !
Cependant, il faut accompagner les gens. C’est ce que veut faire par exemple le Challenge mobilité Auvergne Rhône Alpes, organisé par la Région : pendant une journée, les entreprises sont invitées – sous forme de défi – à essayer de rendre plus vertueux les déplacements de leurs salariés. Avec l’aide d’un « ambassadeur vélo » accompagnateur, des aides au trajet à vélo permettent de dépasser l’appréhension initiale en prenant connaissance du meilleur parcours … de plus, le vélo en groupe est stimulant ! Cette pratique peut se généraliser au sein des entreprises ou d’autres communautés.
Concrètement, quelles sont les actions à mener à Clermont pour augmenter la place du vélo ?
Le besoin, déjà évoqué, d’un réseau cyclable sécurisé, continu, maillé, lisible et confortable est une demande qui revient en permanence, de la part des usagers (voir le Baromètre 2019 des villes cyclables) . Le Schéma cyclable, lancé en avril 2018, a prévu des grands axes, mais un peu en mode « plat de spaghetti », pas clair. Vélo-Cité 63 a essayé de le hiérarchiser avec le REV [Réseau Express Vélo] : on a posé des radiales et des voies de liaison, un peu comme un réseau de transport urbain. Et on a indiqué aussi les temps de parcours, à la fois actuels et « rêvés » [quand le REV fonctionnera].
Il y a la volonté de favoriser la rapidité du déplacement vélo.
Dans cette volonté de créer un réseau continu et au maximum en site propre, il y a la volonté de favoriser la rapidité du déplacement vélo. Ainsi, un des axes qui viendra en premier sera Clermont-Cournon, avec beaucoup de voie verte. Le temps de parcours sera tout à fait compétitif pour un trajet pendulaire par rapport à la voiture ou aux transports en commun.
Que comptez-vous faire pour le stationnement vélo ?
Il faudrait aussi développer ce point en apportant de la sécurité contre le vol pour rassurer et attirer de nouveaux usagers. En effet, les VAE, de plus en plus nombreux, ont une valeur marchande importante qui peut favoriser les vols. La Métropole projette de créer du stationnement vélo dans chaque parking souterrain automobile en neutralisant plusieurs places de voitures.
Pour le stationnement de proximité dans chaque quartier, des projets de boxes sécurisés de 5 vélos sont envisagés à la place d’un emplacement pour voiture. Pour favoriser l’intermodalité, le déploiement de parkings sécurisés dans toutes les gares (comme la C.vélo-box de Clermont-Ferrand) est indispensable. Bien sûr, l’installation d’arceaux un peu partout en ville près des commerces et autres lieux attractifs doit se poursuivre.
Comment comptez-vous sensibiliser le public à ces enjeux ?
Il faut aller vers une « culture du vélo ». Pour les adultes, beaucoup de cyclistes qui pratiquent le vélo-loisir en pleine campagne sont désorientés dans la circulation urbaine. Face à cela, la vélo-école ouverte à tou(te)s, proposée par Vélo-Cité 63 en partenariat avec FIT (Formation Insertion Travail)), apprend à se déplacer en confiance et en sécurité.
Mais cette « culture du vélo » doit se développer dès le plus jeune âge. Pour cela, il faut faire entrer le vélo à l’école primaire, pas seulement pour la sécurité routière, mais surtout pour une pratique en autonomie en ville. Nous savons que plus il y aura de cyclistes, plus la ville sera apaisée et sûre.
Vous évoquez aussi la notion de “système vélo” …
Frédéric Héran, économiste des transports et urbaniste spécialisé sur le sujet, met en évidence le fait qu’il faut créer un “système” autour du vélo au même titre qu’un système autour de la voiture a vu le jour au début du vingtième siècle.
Pour que ce “système” fonctionne, les principales composantes en sont : un réseau d’aménagements cyclables réfléchi, une réglementation de la circulation facilitant les déplacements à vélo, des stationnements au domicile comme à destination, des ateliers privés ou associatifs pour l’entretien de son vélo, la mise à disposition de vélo facile, une formation des plus jeunes et des adultes au savoir rouler, une communication publique présentant les avantages du vélo, etc…
Il faut créer un “système” autour du vélo, au même titre qu’il y a eu un “système” autour de la voiture au XXème siècle.
Elles doivent se compléter et s’intégrer bien sûr dans le système global de mobilité urbaine pour piétons, automobiles et transports en commun. Ainsi, dans ce “système”, beaucoup de maillons devront progresser dans les années à venir. Les associations cyclistes Tous Deux Roues et Vélo-Cité 63 apporteront leur expertise d’usage auprès des institutions.
Quel peut être l’usage du vélo pour les professionnels de la livraison ?
A Clermont, ce sont Urby, les Colis Verts et quelques livreurs indépendants qui développent cette activité. Il faut travailler ce « dernier kilomètre ». Il est choquant de voir des fourgons imposants à moitié vide encombrer les rues et être obligés de circuler sur les voies de tram.
Nous constatons aussi que les livreurs [de repas] n’ont pas d’éducation pratique à la circulation urbaine. On devrait aller vers eux pour les (in)former … Mais leur logique d’urgence est difficilement compatible avec leur sécurité.
Il faut que le vélo devienne une solution évidente de mobilité en ville.
Pourtant, de nombreuses solutions de transport à vélo sont disponibles ! Par exemple, pour des artisans qui veulent travailler en centre-ville mais qui veulent éviter les véhicules motorisés encombrants, des vélos-cargos avec remorques existent. On peut tout à fait transporter des charges lourdes ainsi ! Dans ce cadre, un vrai créneau logistique et économique pour désencombrer et décarboner la ville et la pacifier peut se développer.
Comment se positionnent les grands acteurs locaux face à cet enjeu ?
La Métropole a fait beaucoup d’effort pour que le vélo devienne accessible à tous, notamment via le Vélo en Libre Service C.Vélo gratuit. En 2013, pour rappel, quand l’initiative a été lancée par le SMTC, c’était les villes qui géraient la voirie et le réseau cyclable. Il a fallu attendre l’arrivée de la Métropole avec son Schéma Cyclable en 2018 pour avoir une cohérence sur la mobilité vélo.
Mais la mutation vers une ville cyclable et apaisée doit aussi passer par des gestes forts venant d’acteurs emblématiques. Les collectivités territoriales et les grandes entreprises comme Michelin doivent montrer l’exemple dans leur organisation et dans des initiatives en faveur de leurs employés ou des citoyens, comme par un plan de mobilité avec forfait mobilité durable ou prime à l’achat/entretien.
2020 sera-t-elle l’année de la “bascule” ?
Il faut que le vélo devienne une solution évidente de mobilité en ville. L’envie citoyenne est là, il faut qu’elle se concrétise. C’est un sujet d’abord politique, mais aussi associatif, économique, environnemental, sociétal …
Les incitations gouvernementales sont nombreuses, avec des financements à la clé : le Plan Vélo et le « savoir rouler à l’école » de 2018, la loi d’orientation pour les mobilités de 2019, le « coup de pouce vélo » de 2020… Maintenant plus que jamais, il faut que les actions concrètes viennent des élus locaux ! Des villes comme Strasbourg et Grenoble, par exemple, ont pris les devants depuis longtemps.
2020 à Clermont est peut-être l’année pivot vers une meilleure cyclabilité
Pour moi, 2020 à Clermont est peut-être l’année pivot vers une meilleure cyclabilité. Olivier Bianchi, installé en tant que président de la Métropole nous promet une accélération des réalisations cyclables lors du mandat en cours.
Nous avons confiance en l’avenir pour que Clermont Auvergne Métropole devienne dans les 10 prochaines années un territoire vraiment accueillant pour l’ensemble des mobilités actives et en particulier pour le vélo. Il faut que la pratique du vélo efficace, confortable et sûre soit possible pour que chacun quelle que soit sa condition puisse choisir de devenir un cycliste clermontois.
Pour aller plus loin (lien proposé par Serge Fabbro) : Lire la description du “système vélo” par Frédéric Héran |
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Propos recueillis le 21 septembre 2020, mis en forme pour plus de clarté puis relus et corrigés par Serge Fabbro. Crédit photo de Une : éditeur