Le Master Design de l’Anthropocène questionne le modèle des stations de ski

Par

Damien Caillard

Le

Sur toute l’année scolaire, les étudiants de ce Master clermonto-lyonnais, co-animé par l’ESC Clermont, vont tenter de réinventer le modèle économique du ski, en questionnant sa soutenabilité.

Pas assez de neige, pas assez d’eau, trop de chaleur… comment les acteurs touristiques locaux s’adaptent-ils aux conséquences du dérèglement climatique ?

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C’était fin janvier dernier, il y avait encore beaucoup de neige après un début d’hiver, disons, conforme aux normales saisonnières. Les 26 étudiants de la première promo du Master of Science “Strategy and Design for Anthropocene” ont arpenté les stations de ski du Sancy avec un objectif : découvrir, échanger, comprendre comment le modèle économique basé sur le tourisme du ski n’est plus tenable aujourd’hui.

Des enquêtes sur un mode empathique

C’est à la mode de faire des expéditions d’apprentissage” précise Emmanuel Bonnet, enseignant-chercheur à l’ESC Clermont et animateur du séminaire de découverte. “Ca doit être sympa mais aussi pédagogique”. Car il ne s’agit pas d’un simple exercice, ni d’une mission de conseil étudiant : se rendre sur les lieux de l’étude est bien une enquête, une approche du problème par l’empathie. “On se confronte aux acteurs qui vivent la situation, on fait exprès de placer les étudiants au coeur de situations très problématiques” selon Emmanuel.

Découvrir, échanger, comprendre comment le modèle économique basé sur le tourisme du ski n’est plus tenable aujourd’hui.

Car l’enjeu n’est pas d’apporter une solution à un problème. Toute la première moitié de cette année – dont la thématique du “changement climatique et des modèles économiques des stations de sport d’hiver” est transversale – est dédiée à la compréhension du problème. Mais l’angle est bien économique. “On a rarement posé un modèle économique sur 10 à 30 ans” pour Emmanuel. “On va tenter de re-designer ces modèles, en questionnant des outils classiques comme le Business Model Canvas ou la proposition de valeur” par exemple avec le Flourishing Business Canvas

Les outils et l’approche ont en effet été testées par l’équipe de l’ESC Clermont, notamment lors d’un atelier intitulé “design et mondes soutenables” en janvier 2020 avec 200 alternants. Si la première étape est de démarrer avec des situations empiriques, au contact du terrain, l’aboutissement réside dans le travail de design (au sens de design thinking) : pour les étudiants du Master, il aura lieu en avril, lors des ateliers consacrés aux nouveaux modèles économiques et animés par Marie-Cécile Godwin-Paccard

Marie-Cécile présente la discipline et l’enjeu du design, lors d’un atelier sur la “low-tech” en novembre 2019 à l’ESC Clermont

La clé est bien dans l’abandon d’une logique “problème -> solution” selon Emmanuel Bonnet. “On est sur les concepts d’anthropocène, de vulnérabilité, de limites planétaires” insiste-t-il. “On ne parle ni RSE, ni développement durable. Au contraire ! Il ne faut pas aborder le sujet avec des solutions en tête, mais plutôt s’intéresser à la réaction des acteurs du terrain.”

Vers la fin du tout-ski alpin ?

Car l’écosystème – naturel et socio-économique – de la montagne française est le premier à être touché globalement par le dérèglement climatique. En particulier pour les stations qui vivent aujourd’hui très majoritairement du tourisme lié au ski alpin. Si plusieurs critères comme la localisation, l’altitude, la configuration du domaine peuvent jouer, ces sites dont dans un état de vulnérabilité inquiétant.

L’écosystème de la montagne française est le premier à être touché globalement par le dérèglement climatique

Loïc Giaccone est responsable éditorial du Centre de ressources pour l’adaptation au changement climatique au sein du Cerema (Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement). Il est également expert auprès des acteurs du ski français en matière de transition économique et écologique, et collabore au Master of Science Strategy and Design for Anthropocene. Il alerte notamment sur la situation du Massif Central : “[ce dernier] dispose de stations situées à basse et moyenne altitude, ce qui rend la menace climatique plus prégnante. Si les émissions [de gaz à effet de serre] ne baissent pas, il est probable qu’il n’y ait plus de ski alpin dans la seconde moitié du siècle”.

La station du Super-Lioran, dans le Cantal. Les domaines skiables du Massif Central sont très vulnérables au changement climatique, du fait de leur altitude / Crédit photo : Sophie ML de Pixabay

Il resterait donc moins de 30 ans, au mieux, pour faire évoluer l’intégralité du modèle économique de ces stations de sport d’hiver. Les acteurs locaux en sont-ils conscients ? “Peu d’entre eux le sont” reconnaît Loïc. “On parle de ‘transition’ et de diversification depuis des années, mais presque personne ne semble en mesure de s’y pencher véritablement. On peut même évoquer des blocages dans nombre d’endroits, ou bien du déni, parce qu’ils ne sont pas prêts à remettre en question leur modèle !”. Des amorces de changement sont visibles depuis deux ou trois ans seulement, dans quelques stations … notamment celle de Métabief dans le Jura.

Pour que le monde reste vivable

En Auvergne, “les acteurs des stations sont déjà sensibilisés” reconnaît Emmanuel. La fermeture – ancienne ou récente – ou les problèmes de sites comme Pessade, le Mont-Dore ou le Chambon des Neiges a rendu la menace plus prégnante. Et les espaces restants tentent des diversifications nombreuses. Mais les enseignants du Master constatent néanmoins que les vieilles habitudes ont la vie dure. “Typiquement, par exemple, la neige artificielle …” explique Loïc, “ce n’est qu’une fuite en avant illusoire, des soins palliatifs consommant argent, ressources et énergie”.

Le positionnement de diverses stations touristiques ou de sport d’hiver dans le Puy-de-Dôme, présentées aux étudiants du MSC Anthropocene by Design. La diversification hors ski alpin est largement entamée, mais sera-t-elle suffisante ? / Crédit photo : Emmanuel Bonnet (DR)

La solution, selon les fondateurs du MSc Strategy and Design for Anthropocene, est donc dans une remise en question profonde de nos modes de vie et d’organisation. “Cela revient aussi à savoir ‘qui on est’” précise Emmanuel, donc à mieux connaître la base à partir de laquelle les modèles pourront pivoter, et de diversifier … sans forcément miser sur l’innovation. “Innover toujours plus est remis en question. Par exemple avec les 90 licenciements chez Rossignol”, selon l’enseignant.

Pour laisser les derniers mots à Loïc Giaccone : “Je m’inquiète beaucoup pour les territoires de montagne : tout ce qui m’intéresse, c’est que l’on puisse continuer d’y vivre au cours des prochaines décennies. S’entêter dans la fuite en avant au développement touristique du ski alpin, c’est risquer de se réveiller “au pied du mur”, quand il sera trop tard pour réagir. Car une transition, une diversification, ça ne se fait pas en une saison : on le voit bien cet hiver. L’approche d’Emmanuel et de ses collègues permet d’éviter cela.

Pour aller plus loin :
la présentation du Master of Science “Strategy and Design for the Anthropocene”

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