Entre la CCI du Puy-de-Dôme et l’Open Lab, Frédéric Denisot s’emploie à relier chercheurs et managers du territoire. Il insiste sur la proximité entre les démarches d’innovation et de transition.
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« Les imaginaires, médiation culturelle de la résilience territoriale »
Notre prochaine table ronde réunira des intervenant.es puydômois.es autour des « imaginaires » et de la manière dont ces représentations culturelles façonnent notre engagement
48ème Rencontre Tikographie, jeudi 10 avril 17-19h (au KAP) – tous publics, accès libre
Les entreprises locales sont-elles incitées à s’engager dans la transition écologique ?
Globalement, cela passe par la politique RSE [Responsabilité Sociétale des Entreprises] de chacune d’elle. Et c’est surtout une affaire de conviction personnelle pour le dirigeant – je parle des TPE et des PME, pas des grands groupes qui sont structurés différemment.
En revanche, ce qui est nouveau, c’est l’impulsion institutionnelle pour aller dans ce sens. Notamment, le prochain programme « Enterprise Europe » Network 2022-2025, dont nous sommes les partenaires à la CCI du Puy-de-Dôme, va permettre de proposer des parcours “à la carte” pour les entreprises accompagnées, avec une forte coloration sur la transition écologique.
La transition écologique en entreprise est surtout une affaire de conviction personnelle pour le dirigeant.
En aval de ce programme européen, la Région Auvergne-Rhône-Alpes a déployé ses propres moyens à travers le dispositif Ambition Région, qui mobilise des consultants dédiés. Il y a donc, aujourd’hui, un vrai réseau régional de compétences pour orienter les entreprises vers la transition écologique.
Et quelle est la politique suivie en “local”, par la CCI du Puy-de-Dôme ?
Nous avons aussi davantage de moyens : un conseiller dédié RSE, ou encore des financements de l’ADEME, nous permettent de proposer beaucoup de choses, comme des diagnostics mobilité, économie circulaire ou encore énergies – nous y évoquons autant l’état des lieux que les enjeux et opportunités de demain.
Pour moi, tous ces dispositifs sont une invitation à “aller vers” la transition écologique pour les entreprises. Sans oublier le chapeau du Green Deal européen qui cherche à faire émerger des champions continentaux en la matière.

As-tu constaté une évolution de la part des chefs d’entreprises sur ce sujet ?
Oui, je constate une évolution des prises de conscience mais toujours fortement liée à la personnalité du dirigeant. La multiplication des catastrophes climatiques et la pandémie actuelle ont probablement pour effet d’accélérer cette prise de conscience…
J’ai l’impression que ce sont plus les jeunes chefs d’entreprises pour qui l’écologie va de soi.
En sortie de confinement, nous avons eu beaucoup de demandes de certification ISO 26000 ou ISO 14000 [les normes relatives à la RSE]. Je l’analyse autant comme une opportunité de changement suscitée par la crise sanitaire qu’une certaine prise de conscience de l’importance de l’environnement et de notre interdépendance.
En outre, j’ai l’impression que ce sont plus les jeunes chefs d’entreprises pour qui l’écologie va de soi. Pour les plus âgés, je n’ai pas vu beaucoup de “révélations” : quand ils s’orientent vers la transition écologique, c’est qu’il y a un intérêt business avant tout, notamment en termes de différenciation.
Comment s’est affirmée la notion de RSE dans la stratégie des entreprises aujourd’hui ?
On peut le voir dans l’évolution des normes réglementaires.
Dans les années 1990, la notion de “qualité” se généralise, et beaucoup entreprises veulent ou doivent – quand leurs clients l’exigent – montrer qu’elles répondent aux normes ISO correspondantes à leurs activités. C’était un peu le principe du “coup de tampon” : certification de la qualité de la production, mais avec une approche très « analytique » au sens « je dis ce que je fais et je fais ce que je dis ».
Vers l’an 2000, on est passé sur une approche plus systémique avec les notions de processus, de satisfaction client et progressivement avec des intentions de performance. Mais on visait encore, dans la plupart des normes, l’assurance d’un résultat final sans exigences d’efficience, excepté notamment dans l’aéronautique et l’agro-alimentaire.
Ce besoin d’économie de moyens commence à apparaître dans les versions 2015 des normes: c’était le « triomphe » du lean management, issu de Toyota, où la performance systémique – sur toute la chaîne de valeur – est prise en compte. Et, aujourd’hui, plusieurs normes ISO sectorielles reprennent cette combinaison résultats/moyens.

Tu évoques les normes ISO. Peux-tu nous les décrire ?
Il y a principalement deux normes importantes autour des questions environnementales.
Tout d’abord, la norme ISO 14000 : elle est ouverte à toute entreprise dont le comportement vis-à-vis de l’environnement est ou se veut exemplaire. Elle implique de quantifier ses émissions, et d’améliorer son efficacité dans ce domaine – en allant au-delà des normes anti-pollution. Il y a ici une vraie démarche managériale à tenir autour de la prise en compte de l’impact.
La transition écologique peut constituer une source majeure d’inspiration pour innover.
Ensuite, la norme ISO 26000 est plus liée à la RSE, à savoir l’impact sociétal de l’entreprise. Mais il ne s’agit pas que des liens avec les individus ou les groupes d’individus : il faut prendre en compte le rapport à la société dans son ensemble. En d’autres termes, c’est la question des parties prenantes et, plus largement, du “développement durable”.
Ton expertise porte principalement sur l’innovation. Dans quelle mesure est-elle liée à la transition ?
L’innovation, c’est surtout un moyen de se différencier. La transition écologique, comme tout type de transition « désirée », peut constituer une source majeure d’inspiration pour innover. Mais cela implique de penser différemment, de se remettre en question. Entre innovation et transition (dans le sens de “changement de modèle”), il y a les mêmes mécanismes d’agilité mentale et de réorganisation.
Dans ce cadre, quelle est ton action au sein de l’Open Lab, interface entre recherche et management dédiée à ce binôme exploration/exploitation ?
Avec Pascal Lièvre, qui porte le dispositif au sein du laboratoire Clerma [à l’IAE Management], je suis un des co-fondateurs de l’Open Lab Exploration-Innovation. J’y ai un rôle de traduction entre le monde de la recherche et les managers participants. Mais, au-delà, les travaux présentés lors des conférences nourrissent ma réflexion et mon discours auprès des entreprises.

Et comment résumes-tu ce discours, construit avec l’Open Lab ?
Chacune des conférences permet d’offrir un cadre de lecture spécifique et de construire un discours cohérent sur le management de l’innovation à travers les travaux de recherche ayant pour objet « le management en situation extrême ».
Le premier cadre de lecture offert par l’Open Lab est la structuration de l’ensemble des conférences autour de trois registres proposé par Pascal Lièvre. Ils permettent de comprendre les situations managériales “extrêmes”. Ces registres sont :
- la construction du sens, primordiale pour le passage à l’action et l’engagement;
- l’ambidextrie organisationnelle, il s’agit de la capacité à combiner les modes d’exploration et exploitation. Le “mode projet innovant” doit pouvoir combiner les deux, mais on peut aussi l’appliquer au niveau de l’entreprise;
- enfin, l’expansion des connaissances expérientielles et scientifiques. Pas d’innovation possible sans cela ! ni d’agilité car on peut voir l’agilité en partie comme un dispositif d’apprentissage
Un article rédigé par Pascal Lièvre sur la pandémie de Covid-19 à partir de ces trois registres offre une lecture très intéressante de ce que l’on a vécu.
Mais cela pousse-t-il les entreprises à passer à l’action ?
La transformation de ces connaissances scientifiques apportées par l’Open Lab en action concrète n’est pas toujours évidente. C’est ce que je m’efforce d’essayer de faire en créant des supports de formation et des outils de gestion, d’où « mon rôle » de traducteur.
Par ailleurs, nous sommes en train de construire un livre de connaissance qui prendra la forme d’un site internet où nous mettrons en forme et à disposition l’ensemble de nos connaissances construites au cours du cheminement de l’Open Lab.
Face à l’inconnu, on peut cartographier. Face à l’incertain … c’est bien plus difficile.
Il est vrai que l’on vit dans un univers de plus en plus inconnu et incertain. Les entreprises en ont conscience, et elles l’ont pris en pleine face avec la Covid. Que faire, alors ? Face à l’inconnu, on peut cartographier. Face à l’incertain … c’est bien plus difficile.
Néanmoins, je reste convaincu que ces trois registres sont des clés de lecture pour les entreprises, mais aussi des leviers d’action, de manière incrémentale ou plus globale.
Dans quels autres cadres sensibilises-tu les entrepreneurs à ce lien entre innovation et transition ?
En dehors des entreprises que j’accompagne dans le cadre des programmes européen, j’interviens au SquareLab, l’incubateur de l’ESC Clermont ainsi qu’à l’IUT de Montluçon, sur la méthode de créativité ASIT. C’est une approche qui permet de renforcer ses capacités à trouver des solutions innovantes, de transformer un « non créatif » en « Mac Gyver ». Elle est utilisable et utilisée par tout type d’entreprise et tout secteur.
Je donne également des cours à VetAgroSup, depuis plus de trois ans. J’y anime notamment une session de suivi de projet : comment les étudiants peuvent faire émerger un projet de produit innovant (comme une “paille comestible”), qui sera le fil rouge de leur seconde année. A travers ce module, ils verront tous les spécificités du suivi de projet innovant, ainsi que les éléments méthodologiques autour de la créativité.

Pour conclure, les entreprises sont-elles aujourd’hui prêtes à s’embarquer dans une vraie transition écologique ?
C’est encore difficile. Je fais par exemple référence à Emmanuel Bonnet, ancien doctorant de l’Open Lab et co-fondateur du Master Strategy&Design for the Anthropocene [porté par l’ESC Clermont et l’école Strate] : il a une vision très forte autour de l’anthropocène et de ses conséquences pour le monde économique. Selon lui, les entreprises doivent impérativement s’y préparer. Pour cela, il faut parvenir à “changer de regard”, se décentrer de l’homme pour se recentrer sur la planète, ou le vivant.
« Changer de regard » est un message encore largement inaudible par les dirigeants d’entreprises.
Or, c’est un message encore largement inaudible par les dirigeants d’entreprises. Ils veulent de l’opérationnel, des réponses concrètes à des problèmes identifiés ! Mon rôle, en tant que “traducteur”, est donc de voir le niveau de curiosité des dirigeants sur le sujet, et – le cas échéant – de pousser les sujets de transition, en challengeant leur gestion, leurs processus.
Est-ce un satisfecit pour ce qu’on appelle la “croissance verte” ? Est-elle possible selon toi ?
Je dirais plutôt que l’on peut marier performance managériale et transition écologique. C’est comme pour la démarche d’innovation : elle ne naît pas sans contrainte. Quand on est créatif, c’est en général qu’on a conscience d’un problème ou d’un défi à relever. Il faut donc voir la situation environnementale actuelle comme une “opportunité” de changement.
On peut marier performance managériale et transition écologique.
Autrement dit, il n’y a pas que le “faire mieux” : ça, c’est de l’exploitation, de la performance. Il est nécessaire d’optimiser, mais il faut aussi “faire autrement”, et ne pas être prisonnier de ses processus. La clé est de parvenir à se poser, à prendre du recul, pour voir les choses différemment.
Et comment parviens-tu à embarquer les dirigeants dans cette démarche ?
Je pense que la CCI a un vrai rôle à jouer dans la sensibilisation à la transition écologique, dans l’apport de connaissance, dans cette prise de recul et l’atout d’un regard extérieur. Parce que c’est à la fois une question de personne et de timing : notre relation de confiance avec les dirigeants, nos contacts réguliers, font que nous pouvons plus facilement repérer le “bon moment” pour opérer cette bascule.
Je pense que la CCI a un vrai rôle à jouer dans la sensibilisation à la transition écologique.
C’est comme pour les autres transitions, la transition numérique par exemple, dont on nous rebat les oreilles. Ce n’est pas une fin en soi ! Ça ne sert à rien de “faire du numérique”, ou de “faire de l’écologique”. La question est : pour quoi faire ? Sans conscience d’un besoin, d’une vision à construire, la transition ne reste qu’un moyen, un énoncé vide de sens, qui ne résout rien.
Pour comprendre (liens complémentaires proposés par Frédéric) : Vincent de Gaulejac, psychosociologue qui montre comment les grandes organisations génèrent des paradoxes managériaux qui nous rendent fou ainsi que Serge Marquis, psychiatre canadien qui explique bien le burn-out et ses causes |

« Les imaginaires, médiation culturelle de la résilience territoriale »
Notre prochaine table ronde réunira des intervenant.es puydômois.es autour des « imaginaires » et de la manière dont ces représentations culturelles façonnent notre engagement
48ème Rencontre Tikographie, jeudi 10 avril 17-19h (au KAP) – tous publics, accès libre
Propos recueillis le 22 septembre 2021, mis en forme pour plus de clarté puis relus et corrigé par Frédéric. Crédit photo de Une : éditeur