Mary-Françoise Renard veut sensibiliser à « l’importance fondamentale des biens communs »

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Damien Caillard

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Avec l’Université des Biens Communs de Clermont-Ferrand, l’enseignante-chercheuse en économie du développement organise des conférences grand public sur les biens communs.


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« Les imaginaires, médiation culturelle de la résilience territoriale »

Notre prochaine table ronde réunira des intervenant.es puydômois.es autour des « imaginaires » et de la manière dont ces représentations culturelles façonnent notre engagement

48ème Rencontre Tikographie, jeudi 10 avril 17-19h (au KAP) – tous publics, accès libre

L’Université des Biens Communs de Clermont-Ferrand est dédiée à l’organisation de conférences. Pourquoi avoir choisi cette forme de sensibilisation ?

Cela a commencé dans les années 2000 : en tant qu’enseignante-chercheuse à l’Université Clermont Auvergne [UCA], j’ai souhaité organiser des débats grand public sur l’économie. C’était un exercice de vulgarisation auquel je tenais beaucoup. Avec mon collègue Jean-Marin Serre, hélas décédé en 2020, nous avons animé de nombreux rendez-vous sur des sujets comme la dette, le chômage, l’immigration … toujours du point de vue des sciences économiques, et sur la base de travaux de recherche.

Ces débats se sont arrêtés en 2019 et n’ont pas repris à cause du Covid. Mais aussi parce que c’était difficile pour moi de les organiser seule. Entretemps, j’avais échangé avec des amis engagés sur le territoire autour des travaux d’Elinor Ostrom, première femme à obtenir le prix Nobel d’Economie en 2009 pour ses travaux sur les biens communs. Nous avons décidé de créer une association qui animerait des débats et pourrait organiser des manifestations autour de cette thématique.

En compagnie de Jean-Marin Serre, Mary-Françoise Renard a animé depuis les années 2000 de nombreuses conférences grand public sur les enjeux économiques contemporains / Crédit photo : Mary-Françoise Renard (DR)

Comment formulez-vous la mission de votre association ?

Tout part du constat que les gens sont très peu sensibilisés à l’urgence de la situation environnementale et sociale. Nous sommes convaincus que la clé passe par la sensibilisation à l’importance fondamentale des biens communs. C’est indispensable pour garantir la survie de nos sociétés !

Les gens sont très peu sensibilisés à l’urgence de la situation environnementale et sociale.

C’est pourquoi l’Université des Biens Communs de Clermont-Ferrand souhaite organiser des débats, connaître les acteurs locaux qui défendent l’accès aux biens communs, et les accompagner dans leur développement – “faire” avec eux, ou les aider dans leur relationnel. Nous souhaitons être des passeurs sur ce sujet.

Quels conférences avez-vous organisées ?

L’association est née en décembre 2020. Nous avons présenté sa mission le 16 décembre 2021, avec des prises de parole génériques de ses membres fondateurs sur les biens communs : Christian Amblard sur la biodiversité, Jacky Massy sur l’eau, Philippe Boucheix sur la gouvernance … étaient aussi présents Eliane Auberger du Conservatoire d’Espaces Naturels d’Auvergne et Matthieu Poinot du Grin.

Le second débat a eu lieu la semaine dernière, le mercredi 18 mai, sur la thématique«  liens et apparition de pandémies, et perte de biodiversité ».. Les prochains sont prévus le 29 juin sur la gouvernance de l’eau et le 23 novembre sur l’importance des sols. Nous sommes tous bénévoles mais nous avons une activité professionnelle, ou d’autres engagement associatifs, donc notre problème est souvent le manque de temps.

Lire l’entretien : “En Auvergne, la biodiversité est en régression significative”, analyse Christian Amblard

Enfin, notre structure est encore petite, elle compte une quinzaine d’adhérents dont trois vice-présidents. J’en suis la présidente depuis sa fondation. Nous accueillons bien sûr avec plaisir de nouveaux adhérents qui souhaitent soutenir notre action et insister sur le besoin de protéger les biens communs.

Comment structurez-vous un débat sur les biens communs ?

Nous n’avons pas d’approche philosophique sur le sujet, et nous n’en avons pas les compétences. Nous souhaitons être proches du terrain, mais aussi montrer la diversité des biens communs et leurs interactions. C’est une réflexion systémique que nous proposons à nos participants.

Nous souhaitons être proches du terrain, mais aussi montrer la diversité des biens communs et leurs interactions.

Par exemple, le dernier débat sur la biodiversité avait réuni trois chercheurs. C’était passionnant, mais pour le débat à venir sur l’eau, nous souhaitons avoir plus de gens du terrain, comme des élus ou des agents de collectivités locales. Avec, en complément, un juriste qui nous éclaire sur les questions de régies publiques.

La dernière conférence de l’Université des Biens Communs de Clermont s’est tenue le 18 mai. Elle a porté sur la pandémie et la biodiversité – on y voit Mary-Françoise Renard à gauche sur la photo / Crédit photo : Université des Biens Communs de Clermont-Ferrand (DR)

Faites-vous partie d’un réseau plus large d’Universités des Biens Communs ?

Non car, étrangement, un tel réseau n’existe pas. Il y a une Université du Bien Commun (au singulier) à Paris, qui organise depuis plusieurs années des rencontres. Elle a été montée à l’initiative de Riccardo Petrella, et est hébergée actuellement par la fondation Danielle Mitterrand. Mais nous n’avons pas de lien particulier avec cette structure.

Plus largement, il peut y avoir des “universités ” thématiques dans d’autres pays – comme sur l’eau, en Italie. Ou d’autres projets transversaux, similaires au nôtre. Mais ils n’ont pas de visibilité internationale à ce jour.

Lire l’entretien : Pour Riccardo Petrella, “personne ne peut être interdit d’accès aux biens communs”

Pouvez-vous nous donner votre définition des biens communs ?

Ce sont les biens et les services nécessaires à la reproduction de la vie sur terre – humaine, animale, végétale. Bien sûr, on pense à l’air ou à l’eau, mais il faut inclure l’accès à la santé, à l’éducation, à la connaissance … je pense donc que les biens communs ont une définition plus sociétale que strictement environnementale.

Notez que je parle bien d’”accès à” : un bien commun doit être garanti par la société et ses institutions. Or, la santé n’est pas un bien commun dans la mesure où elle ne peut être garantie. Mais on peut, on doit s’assurer que chacun d’entre nous bénéficie d’un accès équitable à la santé. Idem pour l’éducation ou la connaissance.

L’accès aux biens communs n’est donc pas forcément garanti …

Oui, et le risque principal aujourd’hui réside dans l’exclusion. C’est valable pour tous les pays du monde : en France, pays pourtant riche, on constate l’accroissement des déserts médicaux, la difficulté à remplacer des médecins retraités, ou l’allongement des temps de rendez-vous pour un spécialiste. Dans d’autres pays, c’est l’accès aux vaccins qui peut poser problème.

Le risque principal aujourd’hui réside dans l’exclusion.

Globalement, il n’y a pas de développement – au sens large – s’il y a un manque d’accès aux biens communs, notamment à la santé. On commence à le voir clairement à travers certains indicateurs comme aux Etats-Unis, avec l’augmentation alarmante du taux de mortalité infantile : elle est liée à l’exclusion des soins médicaux pour des critères de revenus.

L’accès à l’eau (en illustration, le lac de Servières) est un des « biens communs » les plus facilement identifiables / Crédit photo : Henri Derus, Conseil départemental du Puy-de-Dôme (DR)

Les biens communs sont-ils antinomiques de la propriété privée ?

Au sens strict, oui : pour garantir un accès à tous aux biens communs, il ne peut y avoir de propriété exclusivement privée de ces biens. Pour autant, cela ne veut pas dire qu’il faut une économie collectiviste ! Mais il y a plusieurs systèmes intermédiaires, des “statuts” de biens différents de l’appropriation exclusivement individuelle.

En Auvergne, nous avons ainsi beaucoup de “biens de section” dans les villages, comme les fours, ou certaines parcelles forestières. Le Puy-de-Dôme et le Cantal comptent parmi les départements français disposant du plus grand nombre de biens sectionaux ! Ils font écho aux travaux d’Elinor Ostrom : cette gestion fonctionne pour des petites communautés, avec des règles de fonctionnement claires et des sanctions réelles en cas de non-application.

Lire l’entretien : Guillaume David et les Communes Forestières, pour la valorisation des forêts et de la filière bois locale

Peut-on alors parler de “biens publics” ?

Le concept d’espace public est en effet un mode de gouvernance intéressant pour un bien commun. Dans ce cas, les citoyens acceptent d’en déléguer la gestion à l’Etat, ou à un acteur public local. Notez que cela fonctionne aussi dans le cadre privé : les “parties communes” d’un immeuble sont gérées par le syndic mais déléguées par la copropriété. Et cela n’empêche bien sûr pas l’existence de nombreux biens privés !

Il faut une volonté politique : sans cela, on ne peut rien faire.

Historiquement, les biens communs sont d’ailleurs une notion ancienne. Dans La République, Platon parle des “gardiens de la cité” qui ne possèdent rien en propre mais dont l’accès aux biens communs leur est garanti par la communauté.

Quelle solution voyez-vous alors pour rétablir, ou renforcer, l’accès aux biens communs ?

Par déformation professionnelle, je crois à l’éducation, à l’information, à la connaissance. Le mode d’organisation de la société joue aussi beaucoup, ainsi que ses rapports à l’économie. Mais, avant tout, il faut une volonté politique : sans cela, on ne peut rien faire.

Je m’en suis rendu compte en animant une conférence sur les femmes et le développement : j’étais initialement contre les quotas liés à la parité obligatoire, mais j’ai réalisé que c’était le seul moyen d’assurer une forme d’égalité de traitement hommes-femmes.

Lire l’entretien avec Marion Canalès : “Comment Clermont Métropole peut-elle impulser un nouveau modèle ?”

Vous êtes également une grande spécialiste de la Chine. Quelle leçon peut-on tirer de ce pays et de sa gouvernance quant aux biens communs ?

Tout d’abord, gardons-nous de comparer les civilisations chinoise et, disons, occidentale, de manière simpliste. Notre notion d’”intérêt commun” n’est pas comprise dans le même sens à l’autre bout de l’Asie. Cependant, en Chine, il est vrai que l’individu a longtemps été dévalorisé, même si chaque être humain se soucie de son bien-être et de sa santé.

Je dirais donc que la Chine montre que la prise de conscience des populations peut être un moteur capital de changement. Là-bas, la situation environnementale est souvent catastrophique, et les gens se sont emparés du problème, ont manifesté, pour essayer de faire changer les choses. Malgré le gouvernement autoritaire, cela a un vrai poids.

La prise de conscience des populations peut être un moteur capital de changement.

Enfin, attention à l’accaparement du “collectif” par un parti unique, quel que soit son nom. En Chine, le parti communiste représente officiellement l’intérêt collectif, mais sert d’abord son intérêt particulier …

Mary-Françoise Renard est depuis longtemps passionnée par la Chine. Elle est une des principales expertes de ses problématiques de développement en France. Elle est aussi vice-présidente de l’institut Confucius à Clermont / Crédit photo : Mary-Françoise Renard (DR)

Revenons sur l’Auvergne : l’UCA, au sein de laquelle vous travaillez depuis 1995, est-elle en train de prendre un virage en faveur de la transition écologique ?

Sans aucun doute : je constate une implication progressive vis-à-vis de ces enjeux. Depuis plusieurs années, l’enseignement et la recherche sur les questions environnementales se développent, et un Master Développement Durable a déjà vu le jour. Cela montre une forme d’engagement de l’institution, selon moi.

Je pense que l’Université a comme objectif d’être une partie prenante territoriale engagée sur les préoccupations environnementales.

De plus, l’UCA travaille de plus en plus avec les acteurs locaux, comme lors d’une étude réalisée pour la ville de Clermont sur les particules fines. Je pense donc que l’Université a comme objectif d’être une partie prenante territoriale engagée sur les préoccupations environnementales.

Pour aller plus loin (ressources proposées par Mary-Françoise Renard) :
le Dictionnaire des Biens Communs de Marie Cornu, publié aux PUF ; mais aussi les travaux de Benjamin Coriat, économiste

« Les imaginaires, médiation culturelle de la résilience territoriale »

Notre prochaine table ronde réunira des intervenant.es puydômois.es autour des « imaginaires » et de la manière dont ces représentations culturelles façonnent notre engagement

48ème Rencontre Tikographie, jeudi 10 avril 17-19h (au KAP) – tous publics, accès libre

Propos recueillis le 24 mai 2022, mis en forme pour plus de clarté et relu et corrigé par Mary-Françoise Renard. Crédit photo de Une : Damien Caillard, Tikographie