Le fondateur et animateur de la chaîne Youtube “Mon Potager Plaisir” vit dans le Cantal rural. Elu local, il travaille autant sur son lieu de vie que sur sa collectivité, et souhaite transmettre une approche pragmatique de la résilience.
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Mon ressenti
Ami lecteur attentif, te souviens-tu que je suis allé au salon de la Maison Ecologique à Paris en mai dernier ? Si, si, j’en avais parlé (un peu) dans une chronique où je m’amusais/inquiétais de la proximité avec les survivalistes purs et durs. Allez, ce n’est pas grave si tu ne t’en souviens pas. Mais il se trouve que j’y avais rencontré, un peu par hasard, Didier Flipo et son collègue Rémi qui donnaient une conférence conjointe sur la maison résiliente. Que j’ai donc suivie avec intérêt, d’autant plus qu’ils représentaient les seuls “pays” du salon (Didier et Rémi sont cantalous).
Je ne reviens pas en détail sur le contenu de la conférence, mais j’ai beaucoup aimé l’approche pragmatique de leur propos, et la logique de “paliers” de résilience – c’est moi qui utilise ce terme, mais il s’agit d’avoir un plan A normal, et des plans B C ou D plus ou moins autonomes des réseaux et activables seulement si besoin. Didier en parlera mieux que moi dans cet entretien, mais il est rare de trouver un interlocuteur très lucide et pratique sur le sujet.
Damien
Les principaux points à retenir
- Didier Flipo travaille à titre personnel sur sa résilience alimentaire et individuelle depuis 2010, et en a fait une activité de formation en 2016. Il s’attendait aux crises énergétiques actuelles, d’origine géopolitique mais, selon lui, empirées par la situation environnementale. C’est le symptôme d’un effondement sur plusieurs niveaux mais qui se passe progressivement, loin d’un “Mad Max”. L’avantage est que cela nous pousse à remettre en cause notre dépendance au système et aux réseaux globalisés, et à nous réinterroger sur nos besoins de base.
- La résilience prônée par Didier consiste en une série de plans B,C,D … qui peuvent être activables en cas de besoin, mais qui ne remplacent pas le “plan A” (vie “normale”, connectée aux réseaux) que nous connaissons aujourd’hui. Selon lui, c’est la différence avec l’autonomie qui anticipe la rupture. L’autre point capital est d’agir en collectif, puisqu’une résilience solo n’est pas possible ni même souhaitable. Pour ce faire, Didier s’est installé dans la campagne cantalienne mais a été élu sur la liste municipale de son village.
- Là, il agit autant au niveau collectif (projets de renaturation d’un étang et de plantation d’un verger) qu’individuel (maraichage sous serre, isolation par l’extérieur de sa maison). Il recommande notamment de faire des stocks pour un hiver, tradition selon lui raisonnable, issue de nos grands parents mais perdue avec la dépendance aux supermarchés. Les deux niveaux – individuel et collectif proche – cohabitent pour être optimisés en s’inspirant des principes de la permaculture.
- La sensibilisation est d’ailleurs le mot-clé de Didier, qui a monté une structure de formation et d’édition, “Mon Potager Plaisir”. Depuis 2016, il diffuse newsletters, vidéos Youtube, contenus gratuits et payants, en parallèle des stages, formations et ouvrages qu’il co-écrit avec Rémi Richart (notamment un livre intitulé “La Maison résiliente”). Internet est, pour lui, un moyen capital de toucher rapidement le plus de monde possible.
L’intervenant : Didier Flipo
Fondateur et animateur de Mon Potager Plaisir ; formateur en maraichage ; auteur de livres sur la résilience ; élu local à Sansac-Veinazès (Cantal)
Né dans le Cantal, Didier a quitté sa terre natale il y a 18 pour mener une carrière dans les jeux vidéo – chez Infogrames – à Paris et en Europe.
Il y a 10 ans, il vit un déclic personnel en constatant l’omniprésence du “professionnel” dans sa vie. Après avoir visionné des vidéos d’Yves Cocher, il réalise la proche fin des énergies abondantes et décide de réorienter sa vie.
Installé à Sansac-Veinazès, dans le sud du Cantal, il adapte peu à peu sa maison en un habitat moins dépendant des réseaux énergétiques, et avec un impact réduit. Il développe également une activité de maraichage avec une serre, et anime stages et formations sur ce sujet – notamment via sa chaîne Youtube “Mon Potager Plaisir”, dont il tire une partie de son revenu.
Didier est également l’auteur, avec Rémi Richart, du livre “La Maison Résiliente : pistes, astuces et partage de savoir-faire pour un habitat autonome” (éditions Terran) dans lequel il détaille notamment la manière dont il a aménagé son propre habitat.
En 2014, il est élu en tant que conseiller municipal à Sansac mais il reconnaît que les thématiques de résilience territoriale ne “prennent” pas encore. Discours différent en 2020 où, réélu, il parvient à convaincre quelques autres élus de le suivre sur les premières initiatives au niveau de la collectivité, comme la reconstitution d’un étang ou la mise en place d’un verger communal.
Contacter Didier par courrier électronique : didier [chez] monpotagerplaisir.com |
Crédit photo : Didier Flipo (DR)
La structure : Mon Potager Plaisir
Structure de sensibilisation, d’édition et de formation aux enjeux de la résilience individuelle et collective et notamment du maraîchage bio
Porté par Didier Flipo qui l’a créée et qui l’anime depuis 2016, Mon Potager Plaisir propose une approche transversale et pragmatique sur la résilience individuelle.
L’offre se décline en une série de formations “Côté potager”, sur la question du maraîchage bio mais hors activité professionnelle : Didier Flipo y propose une newsletter avec des conseils pratiques, des contenus mensuels plus poussés dans le cadre de l’Ecole du Potager Plaisir (sur abonnement), et enfin des stages autour de l’été et des sessions de formation. En complément, il anime une chaîne Youtube avec de nombreux contenus.
L’autre volet de l’activité porte sur la co-écriture – avec Rémi Richart, installateur en panneaux solaires – d’un livre intitulé “La maison résiliente : pistes, astuces et partage de savoir-faire pour un habitat autonome“. L’approche autour de l’habitat principal et des questions d’isolation, de chauffage, d’eau, etc. est complétée également par des formations et des stages.
Accès direct aux questions
- Comment analyses-tu la situation actuelle au niveau des ressources énergétiques ?
- Mais quel est l’avantage de cet “effondrement progressif” ?
- La résilience pratique sur laquelle tu travailles peut-elle se concevoir à l’échelon individuel ?
- Comment pratiques-tu concrètement la résilience ?
- Quelle différence fais-tu entre autonomie et résilience?
- Ton pari est donc de ne pas se “priver” volontairement, en prévision de pénuries…
- Comment parviens-tu à sensibiliser à la résilience, autour de toi ?
Pas assez de neige, pas assez d’eau, trop de chaleur… comment les acteurs touristiques locaux s’adaptent-ils aux conséquences du dérèglement climatique ?
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Comment analyses-tu la situation actuelle au niveau des ressources énergétiques ?
Il n’y a rien de surprenant. La guerre en Ukraine, ça devait arriver, hélas. Plus largement, les conflits sur l’énergie et les ressources minières vont se multiplier, c’est une question matérielle. Nous n’en avons pas assez pour ce que l’humanité veut faire ! Sans parler du dérèglement climatique ou de l’effondrement de la biodiversité qui empirent la situation.
Les conflits sur l’énergie et les ressources minières vont se multiplier, c’est une question matérielle.
On voit que tout arrive en même temps. Pour moi, on est déjà dans l’effondrement – la biodiversité en est la preuve, mais aussi le délitement du lien social, des valeurs… Cependant, il ne s’agira pas de la caricature hollywoodienne qu’on a pu voir : je ne crois pas à Mad Max. Ce qui se passe est bien plus progressif, avec des situations qui se tendent peu à peu, et des pénuries pour l’instant ponctuelles. D’un certain côté, ce n’est pas si mal que ça ne se produise pas d’un coup.
Mais quel est l’avantage de cet “effondrement progressif” ?
Il nous permet de réfléchir plus posément à notre dépendance au système. Les bonnes questions à se poser sont : que me fournissent les réseaux, aujourd’hui ? Et comment faire s’ils ne peuvent plus assurer ce service ? Il faut partir des besoins de base dans la pyramide de Maslow et transposer aux sujets environnementaux et techniques – par exemple, j’ai besoin de dormir, donc il me faut de la sécurité et du chauffage.
La résilience pratique sur laquelle tu travailles peut-elle se concevoir à l’échelon individuel ?
C’était mon hypothèse au départ, quand je visais l’autarcie complète. Mais ça n’a pas de sens : c’est idiot de travailler sa résilience en solo. Car on ne pourra jamais faire tous les stocks, maîtriser toutes les compétences, sans l’aide des autres. Et je ne parle pas du lien social qui nous est indispensable !
C’est idiot de travailler sa résilience en solo.
Aujourd’hui, je suis conseiller municipal de mon village. J’avais déjà été élu en 2014, mais la résilience n’était pas un sujet. J’étais aussi maraîcher bio, et un certain nombre d’agriculteurs du coin ne m’aiment pas trop. Parce que le fait que je travaille en bio leur amène des questionnements sur leur propre utilisation des produits chimiques. Des questionnements qu’ils n’ont pas forcément envie de se poser, et sans que je n’aie rien demandé, ils m’en veulent pour ça. C’est pourquoi j’y suis toujours allé en douceur, sans brusquer, pour donner une impulsion locale et semer des graines.
Heureusement, depuis les élections de 2020, plusieurs autres conseillers municipaux s’avèrent sensibles à la question de la résilience ! Et il y a des projets concrets, comme la création d’un étang, l’implantation d’un verger communal… Je suis convaincu que, pour atteindre une résilience effective, la bonne échelle va du village à une petite communauté de communes.
Comment pratiques-tu concrètement la résilience ?
Dans mon domicile, je commence par quelques stocks : c’est le premier pas le plus simple à faire. C’est aussi une question de bon sens, celui de nos grands-parents. Ils ont tous trois mois de conserves dans un coin, de quoi tenir un hiver ! Nous, on a externalisé nos stocks vers les supermarchés, c’est idiot. Il faut faire des réserves, mais intelligemment.
J’ai aussi choisi de vivre à la campagne, parce que la densité y est plus faible et que c’est moins tendu, socialement parlant. Aussi parce que le terrain y est plus accessible et plus facile à cultiver qu’en ville, bien sûr. Ici, je dispose de 5000 mètres carrés, je sais que je peux nourrir entre 20 et 30 personnes toute l’année.
Quelle différence fais-tu entre autonomie et résilience?
L’autonomie, pour moi, c’est se couper volontairement des réseaux en vivant sur un plan B, en circuit fermé. La résilience consiste à vivre “normalement” sur un plan A et à prévoir des plans B,C,D activables si besoin. De cette manière, on n’impacte pas notre quotidien, mais on peut réagir rapidement. Surtout on ne sollicite pas les ressources et le matériel pour les plans B,C ou D.
La résilience consiste à vivre “normalement” sur un plan A et à prévoir des plans B,C,D activables si besoin.
Un exemple avec l’eau : le plan A, sur lequel nous vivons à peu près tous aujourd’hui, c’est la commune qui fournit l’eau au robinet. Le plan B serait une cuve de récupération d’eau de pluie avec une pompe 220 volts et un purificateur. Le plan C, même chose avec une pompe de 12 volts et une pression plus faible. Et le plan D : une pompe à main, qui ne coûte pas cher et qui rassure.
Ton pari est donc de ne pas se “priver” volontairement, en prévision de pénuries…
Oui, mais aussi de mettre en place des solutions vertueuses écologiquement et socialement, en lien avec les habitants autour de moi. De cette manière, on peut monter une forme d’autonomie en eau ou en alimentation, facilement activable. Cela nous apporte aussi plus de confort puisque nous savons que nous ne serons pas – ou peu – touchés par les restrictions.
Cela nous apporte aussi plus de confort puisque nous savons que nous ne serons pas – ou peu – touchés par les restrictions.
Mon objectif, c’est d’optimiser ce système local. J’utilise pour cela les techniques et les principes de design de la permaculture, sans m’en revendiquer formellement. Cela m’aide beaucoup dans la réflexion et le travail collaboratif.
Comment parviens-tu à sensibiliser à la résilience, autour de toi ?
Il faut reconnaître que 99% des gens s’en moquent encore, à l’heure actuelle. Malgré tout, la transmission est un enjeu capital. Plus de personnes seront prêtes, plus l’effondrement se passera “en douceur”, si je puis dire.
La transmission est un enjeu capital. Plus de personnes seront prêtes, plus l’effondrement se passera “en douceur”, si je puis dire.
J’essaye donc d’influencer via mon rôle de conseiller municipal, et à travers mon terrain qui accueille des ateliers. Surtout, je me suis lancé sur Youtube avec la chaîne Mon Potager Plaisir. C’est un canal indispensable pour toucher le monde francophone. Sur ma chaîne, j’ai 65 000 inscrits dont 80% de français – certaines vidéos étant montées à plus de 500 000 vues ! J’y propose notamment des live sur la résilience, sans publicités. Au-delà, un abonnement est proposé à l’école du Potager Plaisir pour une formation continue – via un sujet mensuel, traité à fond. Cela représente près de 3000 heures de temps de travail depuis 5 ans !
J’ai aussi co-écrit un livre pratique, “La maison résiliente”, avec mon camarade Rémi Richart, qui est installateur en photovoltaïque et qui partage mon approche. Nous animons ateliers, stages et conférences ensemble. Cela fait 10 ans que nous travaillons sur ce sujet…
Pour conclure, je citerais Arthur Keller qui propose de “remplacer des espoirs à la con par des espoirs lucides”. Je suis très inspiré par cette citation. La question est : quand y parviendrons-nous ?
Aller plus loin (liens proposés par Didier) : Pour comprendre – la chaîne d’interviews vidéo Thinkerview “parce qu’ils prenneent le temps de poser les problèmes et d’aller au fond”, selon Didier Pour agir – “Prendre le temps de réfléchir à ses besoins de base, et mettre en place des petites actions pour être plus résilient.” recommande Didier. “En commençant par le plus basique” |
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Propos recueillis le 20 juillet 2022, mis en forme pour plus de clarté et relu et corrigé par Didier. Crédit photo de Une : Damien Caillard, Tikographie