Constamment réélu depuis 1997, le maire de Châteldon a déployé une stratégie sur le long terme pour adapter sa ville au dérèglement climatique. Retour sur quatre axes majeurs, de l’abandon du phytosanitaire aux économies d’eau.
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Mon ressenti
J’ai l’impression que tout le monde connaît Tony Bernard, au moins parmi les acteurs publics et dans la société civile. C’est notamment parce qu’il est un des plus anciens maires du Puy-de-Dôme, élu à Châteldon depuis mai 1997 et régulièrement reconduit par ses administrés. C’est aussi parce que, malgré ce palmarès, il n’est “que” dans sa cinquantaine, ce qui fait qu’il avait commencé assez jeune et a probablement vu sous un angle plus dynamique la question du changement climatique. Enfin, c’est sûrement parce qu’il a voulu prendre le problème à bras le corps, et qu’il a pu mettre en place des politiques dédiées à la transition écologique depuis le début des années 2000.
Cela fait de Châteldon, petite ville – ou gros village – de 780 habitants en 2015, un véritable laboratoire sur la résilience territoriale d’un bourg rural. Assez isolé des grands axes, disposant d’un beau patrimoine bâti médiéval et d’un cadre naturel omniprésent, mais aussi de relativement peu de moyens, Châteldon est pourtant remarquable si l’on prend du recul pour analyser ce qui a marché, ou pas, dans la volonté de transition de son maire. En effet, Tony Bernard a pu démultiplier ses efforts en étant également à la communauté de communes Thiers-Dore-Montagne et au Parc Naturel Régional du Livradois-Forez, sans parler d’autres réseaux transverses.
Cet entretien est structuré en cinq parties car il va dans le détail de quatre “trains de mesures”, comme on dirait au gouvernement, pour adapter le territoire châteldonnais au changement climatique : abandon du phytosanitaire, fin de l’éclairage nocturne, bascule de la cantine en alimentation bio et locale, et économies d’eau. Avec une introduction qui m’a semblé importante sur le rôle du maire rural et de l’échelon communal dans la transition écologique du territoire. J’espère pouvoir intégrer différemment, dans les semaines à venir, ces retours d’expérience, notamment en croisant avec des partenaires engagés et d’autres personnes concernées ou impliquées dans leur déroulement.
Damien
Les principaux points à retenir
- Tony Bernard décrit son engagement politique comme axé autour du vivre-ensemble et du bien commun, appliqué au “patrimoine” autant bâti que serviciel ou naturel. Reconnaissant l’extrême urgence environnementale, il cherche à agir d’abord au niveau de sa commune, Châteldon. Les trois leviers pour y parvenir sont la sensibilisation des citoyens, la commande publique et la pratique opérationnelle. Au-delà, il insiste sur la valeur d’exemple, le dialogue social, la notion de “curseurs” et de compromis, et une forme d’expérimentation terrain pour tester des alternatives avant de se décider.
- Il est également un grand promoteur de l’initiative démocratique au sein des petites communes, qu’il estime être plus proches des habitants que les métropoles. De plus, ces communes, faisant face au dérèglement environnemental et à la perte de repères sociaux et civiques, doivent être imaginatives avec des moyens souvent très faibles : cela pousse à favoriser, selon lui, l’intérêt général. Elles peuvent être aidées en cela par des structures plus grandes comme les intercommunalités ou les Parcs Naturels Régionaux, qui permettent de l’optimisation et de l’apport de compétences groupées.
- Tony revient ensuite sur quatre “parcours” qu’il a menés dans sa ville depuis le début des années 2000, en lien avec la transition écologique et la résilience territoriale. Le premier est l’abandon des phytosanitaires : pour commencer, il a travaillé à sensibiliser les agents de la voirie au risque sanitaire encouru, autant qu’aux impacts environnementaux. Il a aussi fait tester différents dispositifs non chimiques, petit à petit sélectionnés selon les retours des agents. Accompagnée par l’association Fredon, la ville de Châteldon a présenté l’initiative d’abord à la foire Humus de 2006, pour sensibiliser les habitants. Au final, c’est le cimetière qui a constitué la dernière pièce du puzzle, en raison de la sensibilité symbolique du lieu : il a fait l’objet d’un surcroît d’explications et d’un entretien mécanique plus poussé qu’ailleurs. Conclusion de Tony : afficher la volonté politique au début, la “tenir” et résister aux chantres de l’abandon simplement parce qu’on est pionnier et donc à la marge.
- Sur l’abandon de l’éclairage nocturne, les raisons étaient d’abord liée à la biodiversité – comme pour le phytosanitaire – et ont fini par porter des fruits en termes d’économies financières. D’un paradigme où l’énergie était à très bon marché et où tout le village était éclairé, à l’extinction de minuit à 6 heures, il a fallu un an. Cette période relativement courte a été présentée aux habitants comme un test, avec un sondage à la clé basé sur une vraie pratique terrain. L’accompagnement d’une association dédiée, l’ANPCEN, a aussi été déterminant. Conclusion de Tony : l’économie de 6000 euros sur l’énergie a été intégralement utilisée dans la baisse des tarifs de la cantine scolaire, pour souligner la compatibilité des causes environnementales et sociales.
- A la cantine scolaire, plus de latitude de mouvement était possible grâce aux économies faites sur l’éclairage. Le nombre de tranches tarifaires a été augmenté, sur la base du quotient familial. C’était, selon Tony, un moyen de mieux coller à la réalité sociale et aux revenus de certaines familles, même s’il fallait parfois gérer une forme de jalousie d’une tranche à une autre. La problématique était plutôt du côté du Code de la commande publique, qui ne facilite pas des opérations comme le passage en 100% bio de la cantine. De même, il a fallu modifier le Plan Local d’Urbanisme pour sanctuariser des parcelles de maraîchage sur Châteldon, qui n’en avait pas suffisamment. Cela s’est fait par de l’achat public, puis un appel à candidature pour un exploitant en location – bail gratuit mais servitude d’utilité publique pour du zéro phyto.
- Enfin, pour rationaliser l’usage de l’eau en prévision à des sécheresses de plus en plus fortes, Tony Bernard appelle à faire évoluer les pratiques agricoles et notamment le choix des cultures (et milite contre les bassines qui aggravent le problème en aval, selon lui). Il souhaite aussi accompagner l’adaptation des forêts par le choix d’espèces plus résistantes. Il se tourne enfin vers les habitants, favorisant l’installation de récupérateurs d’eau de pluie et poussant à certaines actions “micro” sur le paillage ou certains choix de revêtements. Il évoque également la possibilité, coûteuse, d’un réseau séparatif (pour alléger la charge sur les stations de traitement en cas d’orage) et la tarification incitative de l’eau, rendant plus onéreux les “mauvais” usages individuels au-delà du nécessaire quotidien.
L’intervenant : Tony Bernard
Maire de Châteldon depuis 1997 ; président de Thiers-Dore-Montagne ; vice-président du Parc Naturel Régional du Livradois-Forez
De formation juriste en droit des collectivités territoriales, Tony Bernard se définit comme “acteur de la coopération inter-communale”. Il est surtout connu pour être le maire de Châteldon depuis 1997, constamment réélu sous l’étiquette France Insoumise mais principalement engagé dans les problématiques locales (à l’échelle du Livradois-Forez).
Aujourd’hui vice-président du Parc Naturel Régional [PNR] du Livradois-Forez, il était auparavant président d’une société d’économie mixte cherchant à développer l’éolien sur le territoire du PNR. Il est également président de la communauté de communes Thiers-Dore-Montagne.
Au-delà de ses rôles institutionnels et de sa pratique du terrain, Tony Bernard porte une vision assumée de philosophie politique. Se définissant comme “eudémoniste”, il cherche à ce que “la collectivité permette à chacun de réaliser son bonheur individuel, à condition que ce dernier ne nuise pas à autrui et qu’il ne dégrade pas l’écosystème.” Il insiste autant sur la responsabilité individuelle, la conscientisation des risques et des enjeux, que sur la réciprocité.
Il invoque ainsi Camus, Marx dans sa lecture des rapports de forces sociétaux, Keynes, Bourdieu ou Montesquieu. En écologie politique, il se réclame de René Dumont : “l’écologie sans le partage des richesses, c’est du jardinage”, estime-t-il. Enfin, il tient Spinoza en haute estime, quand il défend le rôle de la vertu et de l’éducation : “on ne nait pas citoyen, on le devient. C’est en conscientisant la dimension de nos actes qu’on est capable de les réguler.”
Contacter Tony Bernard par courrier électronique : tony.bernard [chez] chateldon.com |
Crédit photo : Ville de Châteldon (DR)
Accès direct aux questions
- Commune et écologie
- Qu’est-ce qui motive ton engagement politique, à Châteldon comme dans le Livradois-Forez ?
- Donc, que peut faire une municipalité comme Châteldon face à la crise environnementale ?
- Tu sembles très attaché à l’exemple que peut porter l’échelon communal dans l’engagement écologique…
- Et comment coopères-tu avec d’autres collectivités “supra” du territoire ?
- Abandon du phytosanitaire
- Déclinons quelques exemples concrets : tu avais commencé par l’abandon du phytosanitaire dans l’espace public. Comment cela s’est-il mis en place ?
- Et côté utilisateurs de l’espace public ?
- Quelle conclusion tires-tu de cet abandon des phytosanitaires ?
- Extinction de l’éclairage nocturne
- Second exemple : l’éclairage nocturne. Il est complètement “optimisé” à Châteldon, ce qui n’a rien à voir avec le passé…
- Comment s’est déroulée cette expérimentation ?
- Là aussi, quelle conclusion en tires-tu ?
- Le passage en bio à la cantine
- Donc, sujet connexe : quelle conséquence sur l’alimentation à la cantine scolaire ?
- Quelle était la marge de manœuvre règlementaire ?
- Ton enseignement principal sur le passage en 100% bio ?
- En lien avec la bascule en bio, tu as souhaité privilégier les producteurs alimentaires locaux…
- Comment le Plan Local d’Urbanisme (PLU) a-t-il été adapté ?
- Favoriser les économies d’eau
- Dernier sujet sur lequel tu as “transitionné” : l’usage de l’eau…
- Peut-on agir sur certaines infrastructures ?
- Quels sont les autres leviers que tu as identifiés concernant les économies d’eau ?
Pas assez de neige, pas assez d’eau, trop de chaleur… comment les acteurs touristiques locaux s’adaptent-ils aux conséquences du dérèglement climatique ?
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Commune et écologie
Qu’est-ce qui motive ton engagement politique, à Châteldon comme dans le Livradois-Forez ?
C’est le vivre-ensemble, avec le bien commun comme élément constitutif. Plus précisément, je pense à la notion de “patrimoine commun” : les services publics, la nature autour de nous, les aménités qu’elle nous apporte… Ce n’est pas la planète qu’il convient de sauver mais l’écosystème qui permet la vie sur terre, et notamment la survie du genre humain. Ça nous situe comme un élément de l’écosystème, avec la notion d’interdépendance.
Je suis très sensible à l’érosion de la biodiversité. Elle est symptomatique de l’urgence climatique. C’est même une question de survie pour l’humanité… la question est : que peut-on faire ? Agir sur ce qu’il se passe au Brésil ou en Australie, c’est impossible quand on est une collectivité territoriale, ou un particulier.
Donc, que peut faire une municipalité comme Châteldon face à la crise environnementale ?
Il y a trois leviers principaux : la sensibilisation des citoyens, la commande publique et la pratique opérationnelle. Pour les citoyens, on peut faire œuvre de pédagogie en expliquant les changements de pratique, et essayer de faire évoluer les points de vue. Par exemple, quand on dit que “les pissenlits sur le trottoir ne sont pas synonymes de saleté et d’abandon mais synonymes de reconquête du vivant” !
“Il y a trois leviers principaux : la sensibilisation des citoyens, la commande publique et la pratique opérationnelle.”
Mais il faut surtout avoir valeur d’exemple et changer nos propres pratiques. C’est là que les deux autres leviers – commande publique et processus terrain – sont indispensables. Il faut sensibiliser les agents, autant sur l’environnement que sur le social ou le sanitaire, qui peut les impacter directement comme dans le cas des phytosanitaires.
Enfin, il faut être dans le dialogue social, savoir où mettre les curseurs (on continue à désherber, mais moins qu’avant). Et expérimenter, innover parfois. Montrer que des alternatives fonctionnent.
Tu sembles très attaché à l’exemple que peut porter l’échelon communal dans l’engagement écologique…
Je citerai Tocqueville, qui nous dit que “la commune est la force des peuples libres”. Autrement dit, “les communes sont à la démocratie ce que les écoles sont à la science : elles la mettent à la portée du peuple”.
J’en veux pour preuve la question de l’intérêt général : on a 36 000 communes en France, et 500 000 élus locaux – dont 95% non rétribués ! Ces citoyens élus se demandent constamment ce qui est bon pour l’intérêt général de leur territoire. Dans les faits, pour la grande majorité des communes, il y a plus de besoins que de moyens. Cela veut dire que, durant un mandat de six ans, on hiérarchise constamment les besoins en fonction de leur contenu en intérêt général. La nécessité du compromis nous y pousse toujours.
“On hiérarchise constamment les besoins en fonction de leur contenu en intérêt général”
Enfin, il faut comprendre que la démocratie est très vivante dans les petites communes ! Simplement parce que le ratio élus/habitants y est plus élevé. Ici, à Châteldon, nous avons 800 habitants et 15 élus. A Clermont, il y a 55 élus (à la ville) … alors qu’il en faudrait 2700 pour avoir le même ratio que chez nous.
Et comment coopères-tu avec d’autres collectivités “supra” du territoire ?
Je suis acteur de la coopération intercommunale depuis plusieurs années – au PNR (Parc Naturel Régional) du Livradois-Forez, à la communauté de communes Thiers-Dore-Montagne… Je sais ce que cette coopération peut apporter à nos communes. L’isolationnisme est une hérésie ! Seule la coopération permet d’être plus fort, et cela doit dépasser les étiquettes politiques.
“L’isolationnisme est une hérésie ! Seule la coopération permet d’être plus fort, et cela doit dépasser les étiquettes politiques.”
Le PNR, par exemple, apporte de l’ingénierie au service d’un projet du territoire. La labellisation Parc Naturel Régional implique un tel projet, ce qu’on appelle la Charte. C’est l’expression d’une volonté de coopération : toutes communes se mettent autour de la table pour y participer. Et le projet qui en résulte doit correspondre aux cinq missions du Code de l’Environnement (articles R333.1 et suivants), qui associent préservation et développement.
Comme le résume l’ambition du PNR : “inventer une autre vie respectueuse des ressources et des patrimoines du Livradois-Forez, où frugalité se conjugue avec épanouissement“. J’aime cette vision d’élu jardinier…
Abandon du phytosanitaire
Déclinons quelques exemples concrets : tu avais commencé par l’abandon du phytosanitaire dans l’espace public. Comment cela s’est-il mis en place ?
Il s’agit d’un exemple-type de changement de pratique. A l’origine, il y a 16 ans, nous souhaitions éviter les produits chimiques, très peu vertueux en production comme en impact à l’usage. Mais, pour que ça marche, il faut que les agents comme les usagers changent de regard.
Au début, on voulait aller vite. Mais il y a un délai pour que le sol élimine naturellement le Roundup… et, surtout, les agents de la ville y étaient indifférents. Pour eux, le principal était que les nouvelles pratiques n’accroissent pas la pénibilité. Quand je dis “indifférents”, cela veut dire ni demandeurs, ni militants, et en tous cas non conscients des risques sanitaires qu’ils encourraient.
“La clé est que les agents acceptent de travailler autrement, parce qu’ils sont convaincus des bienfaits.”
On a donc commencé par expérimenter, avec des processus non chimiques. Les désherbeurs thermiques que l’on a testé donnaient mal à la tête aux agents. Le rotofil fonctionnait, la brosse métallique et la binette encore mieux ! Au final, nous avons été accompagnés par la Fredon Auvergne, une association qui a pour rôle d’accompagner les collectivités dans les alternatives à la chimie. Ce type de structure sont très utiles pour les petites collectivités …
La clé est que les agents acceptent de travailler autrement, parce qu’ils sont convaincus des bienfaits. Je pense ainsi qu’on a emporté l’adhésion aussi parce qu’ils ont pris conscience des risques sanitaires que posaient les produits chimiques.
Et côté utilisateurs de l’espace public ?
Nous avions commencé à en parler pendant la foire écobiologique Humus – le premier week-end de mai, un an sur deux. Depuis 2006, ce sont entre 5 000 et 10 000 personnes qui sont venues à cet événement !
Le point le plus délicat, avec les usagers, a été les cimetières. C’est le dernier endroit qu’on a arrêté de traiter en phyto, parce que les gens pouvaient y voir un manque de respect pour les morts. Finalement, on l’a fait, mais en expliquant encore plus, via des affiches dans le cimetière. Il fallait distinguer la pousse naturelle d’herbe et l’abandon de sépulture, et insister sur la protection de l’environnement. On y est arrivé en tondant plus régulièrement, et en remplaçant la terre battue des allées par de l’herbe rase.
Quelle conclusion tires-tu de cet abandon des phytosanitaires ?
La clé a été la volonté politique forte en amont : cela répondait à la question d’urgence. On a agi, on a démontré en testant, et on a fini par convaincre. Mais on était conscients de la résistance potentielle, sans pour autant en avoir peur : la preuve, on avait souvent initié des changements avant les élections.
“On a agi, on a démontré en testant, et on a fini par convaincre.”
L’autre point est d’avoir été pionniers sur l’abandon des phyto. Nous l’avons décidé en 2006, 10 ans avant que la loi ne le généralise. Or, pendant ces dix années, peu de communes nous avaient emboîté le pas. Cela veut dire que des gens pas convaincus, dont certains des habitants de Châteldon, pourraient conclure à une “lubie” du conseil municipal… simplement parce que ça ne se fait pas ailleurs ! Le réfractaire a toujours l’argument du “on devrait faire comme tout le monde”.
Extinction de l’éclairage nocturne
Second exemple : l’éclairage nocturne. Il est complètement “optimisé” à Châteldon, ce qui n’a rien à voir avec le passé…
Avant, on éclairait tous les coins sombres de la ville. Tous ! Un habitant un peu râleur dans un hameau, on lui mettait un éclairage public sans se poser la question – c’était subventionné, et de toute façon le coût de l’énergie était tellement bas… on avait l’impression de faire plaisir aux habitants à bon compte ! On voulait aussi mettre en valeur le parc, les monuments historiques, y compris la nuit.
“Le réfractaire a toujours l’argument du “on devrait faire comme tout le monde”.”
Quand tu prends conscience que c’est une aberration écologique (par rapport à la biodiversité notamment) et énergétique, tu veux agir vite – comme pour les phytosanitaires, en somme. Mais, là aussi, il faut des dispositifs pratiques pour avancer. On a été accompagné par l’ANPCEN avec qui nous avons organisé des réunions. Et on a envoyé un courrier explicatif à tous les habitants, insistant sur le côté expérimental.
Comment s’est déroulée cette expérimentation ?
Pendant un an, nous avons donc testé l’extinction de 23 heures à 6 heures, sur tout Châteldon sauf la place principale (pourvue d’une pharmacie et d’un médecin de garde). Notre promesse aux habitants : à la fin de cette année, on fait le bilan. En fait, on partait du principe qu’il fallait vivre l’expérience pour avoir une opinion.
Résultat à la fin du test : 60% de gens complètement d’accord, 20% d’accord mais partiellement – des gens qui préfèreraient éteindre à minuit – et 20% contre. Pour une centaine de réponses sur 400 foyers. On a donc programmé l’extinction à minuit… c’était il y a 9 ans, et plus personne n’évoque le sujet aujourd’hui.
Là aussi, quelle conclusion en tires-tu ?
Ce qui nous a motivés, c’est surtout la biodiversité, mais aussi l’économie d’énergie et l’économie financière. Cela représentait 6000 euros par an en éclairage ! On a décidé de redonner cette somme aux gens, avec une baisse des tarifs de la cantine scolaire. Principalement, pour ne pas opposer les problématiques environnementales et les problématiques sociales.
Le passage en bio à la cantine
Donc, sujet connexe : quelle conséquence sur l’alimentation à la cantine scolaire ?
Cette baisse des tarifs a suivi le passage à une alimentation 100% bio, là aussi pour des raisons autant sanitaires qu’environnementales. Nous avons augmenté le nombre de tranches tarifaires : elles sont passées de trois à sept, calculées sur la base du quotient familial. La tranche 1 est même devenue gratuite, ce qui a pu provoquer de la jalousie…
Quelle était la marge de manœuvre règlementaire ?
Elle n’était pas évidente. Quand tu abandonnes le phytosanitaire, c’est facile puisque tu supprimes une dépense. Quand tu bascules en bio sur la cantine, tu exclus a priori 80% des fournisseurs (à l’époque, vers 2013) de la commande publique. Or, le Code de la Commande Publique rend compliqué le fait de privilégier le bio.
Notre avantage, c’était notre taille. Châteldon est une petite commune rurale, ce qui nous permet de “passer entre les mailles du filet” ! En tous cas, nous n’avons pas eu de lobbying des fournisseurs non bio. Là aussi, la volonté politique affichée en amont a évité des aller-retours et a facilité les choses en aval – pour les habitants notamment. Cela confirme, selon moi, la valeur pédagogique de l’exemple.
Ton enseignement principal sur le passage en 100% bio ?
En faisant à la fois du social et de l’environnemental, nous essayions de démontrer qu’il n’y a pas de hiérarchisation des causes. Souvent, on entend des gens aux revenus modestes qui disent “l’environnement, ça suffit, on veut manger”. Notre volonté est de montrer qu’en étant vertueux sur l’environnement, on peut aussi améliorer le pouvoir d’achat, le sanitaire, etc.
“En faisant à la fois du social et de l’environnemental, nous essayions de démontrer qu’il n’y a pas de hiérarchisation des causes.”
Je veux bien parler du coût d’une mesure comme la bascule en 100% bio à condition d’évaluer de la même manière les effets induits sur la population – baisse du risque de mortalité, économies sur la Sécu… Le plus important est de ne pas toujours avoir une logique comptable. Les conséquences sont qualitatives, et sur du très long terme !
En lien avec la bascule en bio, tu as souhaité privilégier les producteurs alimentaires locaux…
Je parlais de cohérence dans la démarche. Notre postulat de base, à l’époque comme aujourd’hui, était que l’on manque de surfaces agricoles bio en France, notamment en maraîchage. Or, des petites parcelles suffisent pour cela – un hectare – car il y a beaucoup de valeur ajoutée, peu de mécanisation … et un actif suffit à l’exploiter).
Nous avons donc cherché à installer des maraîchers bio dans Châteldon. La clé était alors de leur faciliter l’accès au foncier. Cela est passé par la propriété publique, et la mise en commun. La mairie a acquis une parcelle de 1,2 hectare, en centre-bourg, partiellement ombragée, avec la rivière à côté et une source en bout de terrain. Le défrichage s’est terminé en 2019.
Le but est de garder la maîtrise de ce foncier. Pour cela, on fonctionne par des appels à candidature afin d’installer un exploitant, moyennant un bail gratuit, mais avec une servitude d’utilité publique : zéro phyto. Attention, on ne vend pas ! On loue, avec une clause contractuelle.
Comment le Plan Local d’Urbanisme (PLU) a-t-il été adapté ?
Cet hectare, on l’a consacré en droit de l’urbanisme : en révisant le PLU, on a déclassé une zone constructible artisanale – une activité économique – vers un statut de “zone de jardin” – catégorisé “UJ”, Urbain Jardin – dans le périmètre du centre-bourg. Cela dans le cadre d’une circulaire du 29 juillet 2019 visant à arrêter l’artificialisation nette des terres.
“Je suis convaincu que toutes les communes peuvent consacrer un hectare pour un maraîcher.”
Ce sont des sujets que l’on partage dans le cadre du Projet Alimentaire Territoriale [PAT] Grand Clermont / PNR Livradois-Forez. On y a évoqué l’accès au foncier, et je suis convaincu que toutes les communes peuvent consacrer un hectare pour un maraîcher. Le gain marginal – l’acquisition d’un second hectare – est alors facilité. Et on a des maires qui nous suivent, comme Jean-Pierre Buche, le maire de Pérignat-sur-Allier, engagé dans le PAT.
Favoriser les économies d’eau
Dernier sujet sur lequel tu as “transitionné” : l’usage de l’eau…
Concernant la ressource en eau, Châteldon avait connu, sur une partie du bourg, des coupures au robinet plusieurs étés de suite. Je ne reviendrai pas sur ce qui s’est passé, mais plutôt sur la manière de réagir. Selon moi, il faut surtout réfléchir sur les pratiques et consommer moins.
Pour les pratiques, le premier volet est dans l’agriculture : il faut bannir certaines cultures. Ensuite, se pose la question des forêts. Comment favoriser les espèces mieux adaptées au changement climatique ?
“Selon moi, il faut surtout réfléchir sur les pratiques et consommer moins.”
Enfin, pour la consommation des habitants, je suis plus favorable aux réservoirs individuels d’eau de pluie provenant des toitures, qui retiennent une eau qui va dans la rivière quand elle est déjà à son débit maximal. Alors que l’eau des collines a vocation à aller dans les sols, ce qui me rend méfiant vis-à-vis des “bassines” : cela ne fait qu’aggraver le problème en aval, en laissant perdre beaucoup d’eau par évaporation.
Peut-on agir sur certaines infrastructures ?
On peut déjà séparer les flux. C’est le principe des réseaux séparatifs : ainsi, l’eau de pluie finit dans la rivière, mais pas dans le tout-à-l’égout. Et la station d’épuration ne récupère que les eaux vraiment souillées, c’est bien plus efficace pour le traitement. A l’inverse, le réseau unitaire capte toutes les eaux de pluie, ce qui gonfle les volumes. C’est peu utile, d’autant plus que l’eau de pluie est à 99% propre, sauf la pluie qui est tombée sur le bitume. Mais c’est une question d’investissement.
Quels sont les autres leviers que tu as identifiés concernant les économies d’eau ?
Il y a des actions plus “micro”, qui relèvent de choix techniques ou de changements de pratiques. Par exemple, on peut diviser par deux la consommation d’eau d’une piscine en changeant le revêtement – le carrelage nécessite deux vidanges par an contre une seule pour l’inox. Même logique pour le paillage des arbres, qui divise la consommation par deux ou trois. Je dirais donc qu’il faut éco-concevoir. Et cette dimension liée à l’eau doit être intégrée partout.
“Il faut éco-concevoir. Et cette dimension liée à l’eau doit être intégrée partout. “
Enfin, il y a la dimension tarifaire, qui doit être progressive. On doit faire prendre conscience que si l’eau est rare, tous ses “mauvais” usages de l’eau individuels – au-delà de la boisson, de la toilette, du nettoyage quotidien – doivent coûter davantage.
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Propos recueillis le 30 juin 2022 et complétés par des entretiens de 2020 et 2021, mis en forme pour plus de clarté et relu et corrigé par Tony Bernard. Merci à Patricia Chataing et à Prisca Dauphin pour leur aide. Crédit photo de Une : Damien Caillard, Tikographie