Le directeur général de Railcoop parie sur le ferroviaire pour renforcer le maillage des territoires, et par là leur résilience. Mais le secteur est très capitalistique, et le travail avec la SNCF n’est pas toujours facile.
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Ressenti de l’auteur
Le projet d’une ligne de train transversale Lyon-Bordeaux, passant par Montluçon, défraye la chronique depuis quelques années. Au point de devenir un serpent de mer (de terre, en l’occurrence) ? Cet échange avec Nicolas Debaisieux, réalisé dans le cadre des journées Orbimob et en lien avec une intervention pour les Alumni Sciences Po Auvergne, met le doigt sur l’écart entre les financements nécessaires et ce qu’une coopérative citoyenne peut obtenir.
Car il s’agit de faire revivre une ancienne ligne transversale, avec une modernisation des services et bien sûr de certains équipements. Or, on voit que Railcoop constitue un vrai puzzle, assemblant tronçons grandes lignes et petites lignes, électrifiés ou non, avec des gares parfois à revisiter de fond en comble. Le tout en partenariat forcé avec la SNCF, elle-même divisée en trois entités – Gares et Connexions, Réseau, matériel roulant. Nicolas reste sobre sur le niveau de coopération, on le comprend : il souligne toutefois la différence fondamentale de vision, sans exclure une convergence mais qui peut prendre du temps.
Ce qui m’a intéressé est la clé d’entrée sur la résilience territoriale, évoquée d’emblée par le directeur de Railcoop. Du maillage à la reliance et à la résilience, il n’y a qu’un pas. Et le rail pourrait, sans doute, tenir la comparaison face à la voiture (ou au car), à condition de prendre en compte l’ensemble de la chaîne de valeur et de s’assurer de l’attractivité globale du service ferroviaire par rapport à la route. Pour de l’inter-urbain, comme entre Lyon et Bordeaux, ça me semble tout à fait se défendre. Pour des liaisons de proximité, intra-départementale, le chemin sera plus long.
Dernière question transverse sur laquelle je vais vous laisser : quel doit être le degré d’ouverture du rail français à la concurrence ? Si Railcoop affiche un projet vertueux socialement et écologiquement, comment se comporteront d’autres acteurs privés au regard de la dimension territoriale ?
Damien
Les principaux points à retenir
- La vision de Railcoop est celle d’un territoire résilient et suffisamment maillé en termes de transports, avec une logique de proximité. Ce maillage ne peut se faire sans le ferroviaire, qui a fait la preuve de son efficacité en termes écologiques (notamment en consommation énergétique). Il peut aussi faciliter l’intermodalité avec les modes de déplacement doux dont le vélo, et enrichir les services territoriaux à travers les gares qui seraient des points relais important. Dans cette approche, Nicolas Debaisieux estime que chaque ville a intérêt à renforcer ses liens de proximité plutôt qu’avec Paris, par exemple.
- Railcoop porte un projet de ligne transversale Lyon-Bordeaux, traversant le Massif Central. Cela implique une forte coopération avec toutes les entités de la SNCF. Le retour de Nicolas est que le dialogue est réel mais pas toujours facile, car les “logiciels de pensée” sont très différents – la SNCF restant organisée en grandes zones “industrielles”, avec une forte centralisation parisienne décourageant la non-radialité. Résultat : une “recomposition” de la ligne transversale agrégeant des petites et grandes lignes, pas toujours électrifiées ; une approche plus complexe sur les gares à revitaliser ; et des négociations sur des rames d’occasion, elles aussi à réaménager.
- L’offre de Railcoop doit être conçue pour rendre le train attractif, notamment face à la voiture. Les prix seront ainsi calés sur le covoiturage (pour les premiers prix) avec une simplification de la grille. Les services à bords permettront notamment le transport de nombreux vélos. Et des espaces seront conçus en particulier pour une clientèle professionnelle.
- Le choix du modèle de coopérative (Railcoop est une SCIC, Société Coopérative d’Intérêt Collectif) est revendiqué par Nicolas. Economiquement, il doit permettre, par l’engagement d’acteurs multiples, de lever de la dette – absolument nécessaire pour un investissement estimé à 40 millions d’euros au total. Si les banques sont encore frileuses car elles connaissent mal ces modèles, Nicolas reste optimiste sur la pérennité économique, en prenant l’exemple des trains de nuit allemands.
- Enfin, la SCIC renforce la proximité avec les citoyens et les structures des territoires, publiques ou privées : Railcoop dispose de plus de 13000 sociétaires, et la coopérative permet d’aller au-delà d’une simple relation économique. En effet, l’image du train est souvent liée au dynamisme des territoires ruraux. Des secteurs comme l’alimentation (exploré par Railcoop dans le cadre d’une expérimentation en Quercy) ou le tourisme sont concernés. Mais c’est bien l’essence même des territoires et l’envie d’y vivre qui sont en lien avec le ferroviaire.
L’intervenant : Nicolas Debaisieux
Directeur général de la coopérative Railcoop
Nicolas a débuté sa carrière dans le secteur public, en lien avec les enjeux écologiques mais aussi le développement économique des territoires. Chargé de développement économique à la DREAL de l’Eure, à Evreux, de 2005 à 2007, il travaille pour les affaires européennes après du premier ministre en tant qu’adjoint au chef de secteur environnement et climat, jusqu’en 2011. Là, il est en charge de la coordination interministérielle sur les questions climatiques et environnementales.
A partir de 2011, il approfondit son expérience européenne à Bruxelles, en tant qu’expert national détaché auprès de la Commission Européenne sur les marchés du carbone, et sur les problématiques climatiques dans l’aviation et la marine. Après d’autres fonctions internationales mais liées à la France, puis deux ans auprès de l’Union pour la Méditerrannée en tant que conseiller changement climatique, il rejoint la coopérative Railcoop lors de sa création.
Il en est membre de la direction collégiale depuis avril 2019, puis directeur général à temps plein depuis décembre de la même année. Il est basé à Figeac, au siège de la SCIC.
Contacter Nicolas par courrier électronique : contact [chez] railcoop.fr |
Crédit photo : Bernard le Saout (DR)
La structure : Railcoop
Société coopérative d’intérêt collectif (SCIC) dédiée au monde ferroviaire en France, développant une offre de proximité à travers des lignes transversales et rurales.
L’entreprise souhaite développer une offre de transport “innovante et adaptée aux besoins de tous les territoires“. Elle met notamment l’accent sur la ruralité et le lien transversal – sans passer par Paris – entre les grandes villes. L’approche coopérative permet, selon elle, de concrétiser l’ambition de rassembler tous les acteurs engagés, des citoyens aux entreprises en passant par les collectivités, et de “redonner du sens à la mobilité ferroviaire“.
En Auvergne, Railcoop porte ainsi un projet de ligne Bordeaux-Lyon passant par Montluçon. Elle travaille en lien avec la SNCF pour obtenir des itinéraires, des gares ou du matériel roulant. Plus globalement, Railcoop cherche à faire émerger un modèle économique alternatif, porté par les sociétaires mais n’excluant pas les partenariats institutionnels ou les solutions technologiques. Elle est ainsi la première coopérative ferroviaire d’Europe, rendue possible par l’ouverture à la concurrence de ce marché, en 2020.
Crédit visuel : Railcoop (DR)
Accès direct aux questions
- Le projet Railcoop part d’une autre vision de l’aménagement territorial…
- Mais le ferroviaire est-il le moyen le plus évident pour renforcer ce maillage ?
- Le développement de Railcoop implique une collaboration avec la SNCF. Comment cela se passe-t-il ?
- Quelle distinction entre petites et grandes lignes ferroviaires ?
- Aurez-vous un levier d’action sur les gares ?
- Quelle sera l’offre sur la ligne Bordeaux-Lyon, pour un voyageur ?
- Vous avez choisi le modèle SCIC pour Railcoop. Avec le recul, était-ce le bon choix ?
- Vous êtes aussi en expérimentation sur un projet différent, portant sur la résilience alimentaire…
- Selon vous, le développement de Railcoop marque-t-il le retour d’une mobilité de proximité basée sur les “petites lignes” ferroviaires ?
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Le projet Railcoop part d’une autre vision de l’aménagement territorial…
C’est en effet la question centrale : pour nous, la résilience du territoire n’est possible que si ce dernier est suffisamment maillé. Et je parle d’une multitude d’interactions entre des villes petites et moyennes, plutôt qu’une grosse ville au centre et des liaisons radiales.
La résilience du territoire n’est possible que si ce dernier est suffisamment maillé.
Jusqu’à présent, les décideurs avaient une vision classique de l’aménagement du territoire et de son développement économique. Par exemple, cela donne un aéroport à Aurillac pensé pour relier Paris en avion. Chez Railcoop, nous pensons différemment : Aurillac aurait plus intérêt à renforcer ses liens vers Brive et Clermont, toujours pour suivre cet exemple.
Mais le ferroviaire est-il le moyen le plus évident pour renforcer ce maillage ?
Oui, et c’est même le plus efficient – en termes énergétiques. La transition écologique doit se faire maintenant. On ne peut pas parier sur des technologies de rupture qu’il faut inventer et déployer ! Le rail a déjà fait ses preuves. On sait qu’un train qui roule est énergétiquement très efficace : il mobilise six à douze fois moins d’énergie que la route, à masse transportée égale.
On ne peut pas parier sur des technologies de rupture qu’il faut inventer et déployer !
En outre, le réseau ferré permet d’aller très loin, et facilite l’interconnexion avec les mobilités douces. Il émet moins de CO2, selon le type de voie, et les gares peuvent être des pôles d’aménagement territorial de proximité. Tout cela concourt à réduire l’étalement urbain, qui est le corollaire de l’automobile.
Le développement de Railcoop implique une collaboration avec la SNCF. Comment cela se passe-t-il ?
Ca se passe bien … mais ce n’est pas toujours simple. En fait, il n’y a pas de mauvaise volonté, mais leur logiciel de pensée est différent : on leur pose des questions qu’on ne leur avait jamais posé !
Par exemple, le réseau SNCF est principalement centré sur Paris, et cela se voit dans son organisation industrielle. Nous, on vient les voir avec le projet de ligne Bordeaux-Lyon [via le Massif Central, NDLR] qui existait chez eux mais avait été abandonné… parce que la “non-radialité” engendrait trop de contraintes organisationnelles.
Quelle distinction entre petites et grandes lignes ferroviaires ?
C’est une question de tonnage. Pour Bordeaux-Lyon, nous empruntons des lignes de tous types. En sortant de Bordeaux, on utilise la “grande” ligne de Paris, puis des “petites” lignes à partir de Libourne. Le fait de circuler en transversal implique d’utiliser ces petites lignes. Cela représente moins d’investissements, mais c’est plus compliqué à mettre en place.
Aurez-vous un levier d’action sur les gares ?
La situation est plus variable de ce côté, mais ça avance malgré tout. Nous souhaitons ouvrir des espaces dans toutes les gares de la ligne, avec un guichet mais aussi une porte d’entrée pour “nourrir” le service voyageur. Par exemple, on devrait pouvoir proposer de la location de vélo, afin de favoriser l’intermodalité.
Nous souhaitons ouvrir des espaces dans toutes les gares de la ligne.
Quelle sera l’offre sur la ligne Bordeaux-Lyon, pour un voyageur ?
La grille tarifaire sera très simple, beaucoup plus qu’à la SNCF : pas de yeald management [variation des tarifs selon la demande et la disponibilité, NDLR], avec deux prix fixes. Le plus bas sera proche du covoiturage, soit 5 centimes du kilomètre. Cela mettra l’ensemble du trajet, de Bordeaux à Lyon, à 38 euros. Nous souhaitons rendre le train accessible !
Nous travaillons aussi sur de nombreuses places vélo à bord, jusqu’à 26 par train. Egalement, sur des espaces famille et business, avec une confidentialité respectée. Tous ces aménagements sont issus d’enquêtes qualitatives que nous avons réalisées.
Vous avez choisi le modèle SCIC pour Railcoop. Avec le recul, était-ce le bon choix ?
Le rail est un secteur hautement capitalistique. La SCIC [Société Coopérative d’Intérêt Collectif] Railcoop a levé 8 millions d’euros en trois ans, ce qui est déjà très bien. Mais il en faut 40 au total pour ré-ouvrir Bordeaux-Lyon ! Il nous faudra lever de la dette. Mais les banques ne nous comprennent pas bien, notre structure coopérative leur est étrangère. Pourtant, les SCIC sont plus pérennes que les entreprises normales.
En revanche, c’est un statut extraordinaire pour animer et développer une communauté. Nous avons aujourd’hui plus de 13 000 sociétaires. Les trois premières années de Railcoop se sont faites sur fonds propres, sans aucune aide au démarrage.
Les banques ne nous comprennent pas bien, notre structure coopérative leur est étrangère.
Côté charges, les péages de SNCF Réseau représentent 25% de nos coûts d’exploitation. Ce à quoi il faut ajouter le matériel roulant, les combustibles (moins de 100 kilomètres sont électrifiés sur les 630 de la ligne), le personnel… Pour l’instant, nous sommes sûrs des coûts, moins des recettes. C’est normal, vu notre stade de développement.
Mais nous restons confiants : j’en veux pour preuve l’expérience des trains de nuit en Allemagne. La Deutsche Bahn avait abandonné ce type de service en 2016. Ils ont été repris par l’opérateur OBB, et représentent un tiers de leurs profits aujourd’hui !
Vous êtes aussi en expérimentation sur un projet différent, portant sur la résilience alimentaire…
En effet, nous opérons une ligne de fret, “Ouest Aveyron”. Cela part d’une réflexion sur la manière dont la métropole toulousaine peut s’appuyer sur les exploitants agricoles proches, du Lot et de l’Aveyron, pour renforcer sa sécurité alimentaire. De plus, l’interconnexion territoriale dont je parlais fonctionne bien sur l’alimentation.
L’interconnexion territoriale fonctionne bien sur l’alimentation.
Cette ligne de fret a démarré le 15 novembre 2021. Depuis, nous avons lancé une expérience avec les Paysans Bio du Quercy, dans le cadre d’un PETR (Pôle d’Equilibre Territorial et Rural) : nous réfléchissons ensemble à la structuration des circuits logistiques. Car c’est compliqué – il y a la collecte du dernier kilomètre, le respect de la chaîne du froid, la traçabilité… Heureusement, nous avons un financement du Commissariat du Massif Central pour cette expérimentation.
Selon vous, le développement de Railcoop marque-t-il le retour d’une mobilité de proximité basée sur les “petites lignes” ferroviaires ?
Cela fait partie de notre réflexion. Mais il n’y a pas d’équation économique sur ce point. Le marché n’est pas subventionné, et on cherche le modèle économique. Cela dit, il y a une étude de l’ADEME en cours, sur le territoire du Livradois Forez, pour “étendre le cadre de la valeur économique associée au train”. Autrement dit, le train peut-il dégager de la valeur autre que par la vente de billets ? Il y a les services en gare, le service à bord, le mélange fret-voyageurs…
Au-delà de l’économie, il y a un attachement extrêmement fort avec le train.
Au-delà de l’économie, il y a un attachement extrêmement fort avec le train. Notamment pour nos sociétaires : pour eux, une gare fait partie des éléments constitutifs et structurants d’un territoire. Quand elle ferme, les gens se sentent abandonnés.
C’est pourquoi ne nous limitons pas à l’activité économique uniquement. Le ferroviaire a un véritable impact sur le territoire, et nous travaillons là-dessus avec de nombreuses collectivités territoriales partenaires, tout au long du parcours Bordeaux-Lyon. Il faut que nous soyons porteurs de sens.
Pour aller plus loin (ressources proposées par Nicolas Debaisieux) : Comprendre – le rapport du Shift Project sur la transition écologique Agir – Adhérer à Railcoop ! |
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Propos recueillis le 13 octobre 2022, mis en forme pour plus de clarté et relus et corrigés par Nicolas et son équipe. Merci à François Pelletier pour la mise en relation. Crédit photo de Une : Damien Caillard, Tikographie