Hyperconsommation en période de sobriété : est-ce bien raisonnable ? Je ne suis pas Martin Luther King mais je fais un rêve : celui que nous réinventions Noël.
Nouvelle chronique de Marie-Pierre Demarty, qui a rejoint Tikographie depuis la rentrée 2022 |
Avertissement : cette chronique pourrait heurter les personnes sensibles. Surtout celles et ceux qui croient au Père Noël…
Elle commence par une impression bizarre, le sentiment que quelque chose est dissonant dans cette fin d’année. D’un côté, il y a l’impératif de sobriété dont on nous abreuve abondamment depuis septembre. Avec le froid qui arrive enfin, les messages redoublent sur les risques de délestages et coupures de courant. Les factures s’envolent, on baisse le chauffage, on remplit un peu moins son caddy. Les villes et les villages réduisent l’éclairage public.
Et puis voilà qu’arrive le temps de Noël…
Ça a commencé dès la fin novembre par le black friday récemment importé des Etats-Unis, des fois qu’on n’arrive pas à battre tout seuls nos records de dépenses de fin d’année. Une sorte de grand lancement promotionnel de la fête de l’hyperconsommation. Puis une fois le bal ouvert : montagnes de jouets et babioles dans les vitrines, fringues-à-paillettes-portables-une-seule-fois sur les présentoirs, amoncellement d’aliments luxueux ici et de chocolats bas de gamme là, en méga-tête de gondole dans les supermarchés…
Dans les rues, les décorations lumineuses sont de retour, clignotent de partout, transforment les arbres de nos places en fantômes intergalactiques, les candélabres en flocons de neige géants, les avenues en devantures de casinos et même, ici ou là, des pavillons de banlieue en fêtes foraines miniatures.
Nous cheminerons ainsi jusqu’au matin de Noël, avec ses tonnes de papier-cadeau qui n’auront servi que le temps d’être déchirées au pied du sapin-tout-sauf-durable, ses jouets trop nombreux et vite délaissés au fond d’un placard, ses cadeaux inutiles revendus sur internet dès le lendemain.
Bref, cette impression que Noël cumule avec grâce tous les faux-pas écologiques.
Tel le drogué
A ce stade, vous allez penser que je suis la ronchon de service qui veut vous gâcher la fête, priver les enfants du Noël qu’ils attendent, et les commerçants de leur meilleur chiffre d’affaires de l’année. Vous allez même me souffler dans l’oreillette que les décorations de Noël sont maintenant le plus souvent des leds, qui consomment beaucoup moins que les anciennes guirlandes d’ampoules. Et que toute cette féérie, quand même, ça fait du bien après des années comme celles que nous vivons depuis trois ans.
Entendons-nous : ce n’est pas après Noël que j’en ai, j’aime bien Noël.
Mais je fais un rêve : on efface tout et on recommence… en mieux. Un truc plus simple, sans surenchère, sans contribuer à cramer la planète, carburant surtout à la chaleur humaine.
Il ne s’agit pas seulement d’électricité jetée par les fenêtres et de plastique sous le sapin, mais de quelque chose qui est dans l’essence même de l’esprit de Noël : je veux parler de notre capacité à nous émerveiller.
Tout se passe aujourd’hui comme si, tel le drogué qui a besoin de produits de plus en plus forts pour que ça lui fasse de l’effet, nous avions besoin d’effets de plus en plus spéciaux et d’amoncellements toujours plus faramineux pour faire briller nos yeux. Est-ce bien le cas ?
Rudolph municipal
Petite expérience vécue dans mon village aux finances exsangues : les élus ont pris la décision radicale de supprimer quasiment toutes les guirlandes lumineuses (très coûteuses à installer), de distribuer à la population des bougies pour décorer le rebord des fenêtres et surtout (vraiment chapeau à eux !) de créer eux-mêmes les nouvelles décorations de Noël. Je peux vous assurer que le superbe Rudolph grandeur nature (photo de Une), qui trône sur la Grand’Place devant le sapin et la halte-garderie, illumine les yeux des enfants qui se chamaillent pour prendre place dans le traîneau, largement autant que les guirlandes assez kitsch qu’on nous ressortait chaque année de la naphtaline. A part peut-être pour deux-trois coups de tronçonneuse et un peu de peinture, bilan de l’opération : coût climatique 0 – émerveillement 20/20.
Enlever le clinquant et conserver l’émerveillement, ça pourrait aussi se travailler pour les cadeaux : durables, sans plastique, n’ayant besoin d’aucun branchement, made in pas-loin, faits maison, développant l’imaginaire sans mettre le feu à la planète… On a plein de pistes pour faire mieux. D’autant plus qu’il n’est même pas sûr, comme l’explique cet intéressant article lu dans The Conversation, que le trop-plein de cadeaux rende vos enfants heureux.
A considérer encore : des emballages plus créatifs, un repas de fête en produits locaux, un sapin symbolique, des guirlandes DIY…
Upcycling
Tant qu’on y est, (r)ajoutons une pincée de solidarité et de bienveillance, surtout en cette année où le coût de la vie et les factures de chauffage… (vous voyez de quoi je parle).
Voilà donc où je voulais en venir : ne pourrait-on pas faire que Noël soit moins la fête de la surconsommation que la fête de l’émerveillement… ce qui n’est pas exactement la même chose !
Certes, ça ne va pas se régler en un réveillon. Mais on pourrait au moins commencer à y songer, à faire décroître (allez, juste un petit peu !) nos fêtes de fin d’année. A upcycler l’esprit de Noël, avant que celui-ci ne se change en esprit frappeur.
Parce que bon, jusqu’ici, ça va. Mais jusqu’à quand ?