Troisième et dernier volet de notre enquête sur les bonnes attitudes à adopter avec les jeunes générations quand il s’agit de leur parler de l’environnement, des risques et des urgences écologiques. Cinq Puydômois aux parcours divers mais à l’expérience solide croisent leurs regards et nous apportent de belles pistes de réponse.
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Les principaux points à retenir
- Sensibilisation à la nature, compréhension des écosystèmes, explication des enjeux et des risques : allons-y progressivement, mais on peut s’appuyer sur l’intelligence des enfants.
- Des ressorts à faire jouer : démarche scientifique, convocation de l’imaginaire, empathie, émerveillement…
- Prudence sur la façon de dire les choses : les enfants sont sensibles à l’éco-anxiété et on ne prête pas toujours attention à ce qu’ils perçoivent des médias, souvent anxiogènes.
- Trois conseils pour y faire face : les orienter vers des médias adaptés à leur âge, ne pas compter sur eux pour “éduquer” leurs familles, leur montrer qu’on peut agir, même par de petits gestes, pour avoir l’impression de reprendre le contrôle.
- Les adolescents semblent moins sujets à l’éco-anxiété, mais l’Education nationale met en place des programmes d’éducation à l’environnement qui reposent notamment sur des dispositifs de labellisation, laissant une autonomie à chaque lycée ou collège et une part d’initiative aux élèves.
- Des valeurs fondamentales à enseigner à tous âges, notamment autour de la notion de biens communs.
Accès direct aux initiatives
- Qu’est-ce qui manque aux jeunes générations (et même un peu moins jeunes) pour devenir responsables ?
- Y a-t-il un âge pour parler de ces sujets ?
- Que leur apprendre ?
- Comment on les intéresse à ces sujets complexes ?
- Ne risque-t-on pas de les rendre rancuniers à l’égard des générations adultes ?
- Ou de les rendre éco-anxieux ?
- Que faire pour atténuer ou éviter cette éventuelle éco-anxiété ?
- Donc ce n’est peut-être pas une bonne idée, comme on l’entend souvent, d’éduquer les enfants dans l’espoir de toucher les parents et les familles par ricochet ?
- Et quand ils sont un peu plus grands ?
- Peut-être parce que le collège ou le lycée répondent à leurs questionnements ou leur envie d’agir ?
- En fin de compte, quelles valeurs leur enseigner ?
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Lire aussi les deux autres volets de l’enquête : #1 – “Impressions aquatiques” : une immersion dans l’événement Les Cours d’eau d’H2O Sans Frontières, où plus de deux mille enfants viennent apprendre les multiples facettes d’un précieux bien commun #2 – “La fabrique d’une génération responsable” : cinq exemples d’initiatives pour sensibiliser enfants et adolescents |
Pour conclure mon enquête, je donne la parole à une institutrice, une psychologue, un responsable associatif, un inspecteur de l’Education nationale et un artiste. Il ne s’agit pas de clore définitivement le sujet, mais de proposer le regard croisé de quelques personnes d’expérience, et de donner des pistes pour ne pas rester démuni face aux jeunes générations, lorsqu’il s’agit de parler environnement, risques, urgences écologiques… Le tout en onze questions, puisqu’il semble que le chiffre onze soit tendance.
Qu’est-ce qui manque aux jeunes générations (et même un peu moins jeunes) pour devenir responsables ?
Jean-Pierre Wauquier, fondateur et président de l’association H2O Sans Frontières, s’inquiète de la part croissante de jeunes pour qui la nature ne représente pas grand’chose : « Ce qu’on peut constater, c’est une citadinisation croissante, qui aboutit à ce que l’homme ne connaît plus vraiment la nature, surtout dans notre monde occidental. Mais c’est essentiel si on veut la respecter et comprendre les enjeux. Les jeunes générations arrivent à l’âge adulte sans avoir eu l’occasion de trouver un champignon en forêt et mangent un œuf sans pouvoir penser qu’une poule l’a pondu : c’est un objet ; on ne le respecte pas. »
Y a-t-il un âge pour parler de ces sujets ?
Jean-Pierre Wauquier : « Pour les plus jeunes, il est d’abord déterminant de faire en sorte qu’ils s’émerveillent. C’est le premier pas. À partir du CM1, on peut commencer à mettre en place les éléments pour en faire des citoyens responsables, en les amenant à comprendre comment fonctionne le puzzle, à avoir une vision globale. Progressivement, on peut aussi leur faire comprendre les enjeux, tout en leur expliquant que si on s’y met tous, on a les moyens d’en sortir et de faire un paradis sur terre. »
Oui, mais la compréhension n’attend pas le nombre des années, répond Valérie, institutrice en retraite depuis 2020, qui a enseigné dans et autour du Livradois à des niveaux CP et CE1. Pendant plus de trente ans, elle n’a jamais ménagé sa peine et sa passion pour monter des projets pédagogiques ambitieux autour des questions de nature et d’environnement1. « On peut tout leur dire… mais pas n’importe comment, affirme-t-elle. Il m’est arrivé de parler des produits phytosanitaires à des enfants d’agriculteurs, à une époque où le sujet n’était pas vraiment d’actualité. Et à six ans, mes élèves connaissaient déjà le cycle de vie de l’arbre ou le principe de la photosynthèse. »
On néglige trop la capacité de compréhension des enfants.
Valérie, institutrice
Que leur apprendre ?
Valérie poursuit : « Je leur ai toujours appris à respecter la nature, à l’observer, s’en rapprocher au plus près… Donner envie de dessiner une fourmi plutôt que l’écraser, ou de prendre un arbre dans ses bras plutôt que lui donner des coups de pied. Mais pour cela, il faut prendre du temps et les instituteurs n’en ont pas toujours. Avec mes classes, j’ai travaillé à observer le rythme des saisons, comment l’arbre ou la nature évoluent, d’autant que j’ai eu la chance d’avoir le plus souvent mes élèves pendant deux années. Nous avons mis les bottes pour jardiner, planter, partir en forêt ou au bord de l’eau… Je me souviens par exemple avoir mesuré avec eux le PH de l’eau de nos deux ruisseaux, le Madet et l’Angaud, et comparé leur faune, fait de l’expérimentation la plus scientifique possible. On néglige trop leur capacité de compréhension. »
Tonio Escamez, ancien professeur d’EPS au collège de La Ribeyre à Cournon et musicien, a pris l’habitude d’écrire ses chansons pour enfants en dialoguant avec les classes qui l’invitent pour des ateliers. Conscient des problématiques environnementales depuis plusieurs décennies, il a lui aussi son idée sur la façon de sensibiliser les petits à l’importance de l’environnement : « J’essaie de comprendre quel est leur niveau de connaissance et parfois je suis surpris : ils savent beaucoup de choses. Quand je vois qu’il y a un manque ou un questionnement, je vais dans cette direction. J’essaie d’être ludique et de travailler sur l’empathie. Si je fais quelque chose sur les arbres, je veux qu’ils deviennent un arbre : on choisit de quel arbre il s’agit, on lui donne un nom. Je leur demande de me dire s’il a des amis, ce qu’il redoute, quel message il a à nous apporter. » Davantage encore que l’empathie, Tonio aime leur faire comprendre que nous sommes en interdépendance avec cet environnement : « Par exemple, le dernier texte que j’ai écrit, à propos des incendies de l’été, dit : ‘C’est un peu de nous qui part en fumée’. J’ai envie qu’ils ressentent que nous appartenons à la nature, que quand on touche à la nature, on touche à nous-mêmes. »
Comment on les intéresse à ces sujets complexes ?
Selon Valérie, « il faut savoir les préparer pour qu’ils soient attentifs, puis faire en sorte que ce soit vivant, concret. En mobilisant éventuellement une part d’artistique ou de littéraire, mais en faisant bien la part des choses entre ce qui relève de l’imaginaire et ce qui relève du réel. »
On retient plus facilement un message avec un refrain qui reste dans l’oreille.
Tonio, chanteur
C’est pourquoi Tonio ne se contente pas de parler avec les enfants, il leur chante ses messages. Ses quatre derniers disques pour le jeune public sont principalement consacrés à ces sujets2. « Les chansons apportent une autre façon de parler de ces problèmes. Il y a l’image du troubadour qui attire leur attention, et les refrains qu’on retient facilement, qui restent plus en mémoire avec, j’espère, le message qu’ils véhiculent. ‘Monsieur plastique au placard, avant qu’il ne soit trop tard’, c’est le genre de formules qui restent dans l’oreille. Apporter de la fantaisie, de l’humour, ça aide aussi. »
Ne risque-t-on pas de les rendre rancuniers à l’égard des générations adultes ?
« Il ne s’agit pas de culpabiliser nos générations mais d’expliquer qu’il a fallu du temps pour prendre conscience des problèmes. Dire où on en est, où on va et ce qu’il faut faire est important », souligne Valérie.
Ou de les rendre éco-anxieux ?
Delphine Py, psychologue et psychothérapeute à Clermont, constate : « Je rencontre beaucoup d’éco-anxiété chez les enfants. Cela peut commencer dès le CP ou le CE1, souvent en lien avec l’anxiété des parents. Ils entendent aussi des choses au journal télévisé. Celui-ci peut être très anxiogène et les parents ne se rendent pas forcément compte de son impact ; il est devenu tellement banal dans nos vies qu’on ne prête pas attention à la façon dont il est reçu par les plus jeunes. Ils font l’amalgame de tout cela et ça leur fait très peur. Dans certains cas on peut même ressentir chez eux du désespoir ou de la colère, un sentiment d’impuissance, l’impression que l’avenir est bouché. »
Leur montrer qu’on peut s’engager, faire des petites actions au quotidien qui nous donnent l’impression de contrôler.
Delphine, psychologue
Que faire pour atténuer ou éviter cette éventuelle éco-anxiété ?
Delphine Py : « Je recommande de leur donner accès à des sources adaptées à leur âge, des journaux télévisés conçus pour eux, avec une présentation moins anxiogène, des mots plus simples, des images moins chocs. Mon deuxième conseil est d’accompagner les enfants : dire déjà qu’il est important de savourer l’instant présent, mais aussi leur montrer qu’on peut s’engager, faire des petites actions au quotidien qui nous donnent l’impression de contrôler et d’avoir notre mot à dire dans ce qui se passe ; par exemple en faisant avec eux le tri sélectif, en participant à un ramassage des plastiques sur un week-end… Cela permet de transformer la peur ou la colère en quelque chose de concret, ce qui permet de le vivre plus facilement. »
C’est aussi l’intention de Tonio Escamez : « Je souhaite éveiller les consciences, mais il ne s’agit pas de rester sur un discours catastrophiste ; j’ai à cœur de protéger la part d’espoir que chacun porte. J’essaie de travailler sur la lucidité de la situation, mais de réfléchir aussi avec eux sur la possibilité de réparer certaines choses, les mettre en mouvement, leur montrer que chacun peut faire sa part. J’insiste beaucoup aussi sur l’émerveillement. »
Donc ce n’est peut-être pas une bonne idée, comme on l’entend souvent, d’éduquer les enfants dans l’espoir de toucher les parents et les familles par ricochet ?
Delphine Py incite à la prudence sur cette intention : « C’est quand même plus adapté quand le message se transmet en sens inverse, de l’adulte à l’enfant. Mettre la responsabilité sur les enfants peut être encore plus anxiogène : c’est comme s’ils portaient la responsabilité familiale. Imaginez que dans les familles, par exemple, on ne pratique pas le tri sélectif, et que l’enfant soit sensibilisé au sujet en classe ; il peut devenir stressé parce que les parents ne font pas ce qu’il faut, c’est une grosse charge à porter. »
Et quand ils sont un peu plus grands ?
Delphine Py constate : « Je vois très peu d’éco-anxiété chez les adolescents ; je n’ai pas non plus trouvé beaucoup d’études sur ces tranches d’âge. Cela revient davantage chez les jeunes adultes, par exemple dans le fait de ne pas vouloir faire d’enfants. »
Peut-être parce que le collège ou le lycée répondent à leurs questionnements ou leur envie d’agir ?
Ce n’est sans doute pas la seule cause, mais l’Education nationale, tout en laissant beaucoup d’autonomie aux établissements, pose peu à peu des jalons sur ces thématiques. Pascal Marsilloux, inspecteur d’académie en Histoire-Géographie et co-chef de mission académique éducation au développement durable pour l’Académie de Clermont, détaille : « Le but, c’est de ne pas faire des éco-anxieux. Ces sujets sont un peu abordés en histoire-géo – on a fait entrer le processus des COP dans le programme de troisième – et en sciences. Cela permet de rationnaliser la vision.”
Le but, c’est de ne pas faire des éco-anxieux.
Pascal, inspecteur d’académie
“Ensuite, poursuit-il, il y a tout ce qui concerne l’éducation au développement durable (EDD). Dans ce domaine, chaque établissement est invité à prendre des initiatives pour être labellisé EDD, avec un cahier des charges à respecter et des niveaux de classement. Cela va se traduire par des projets à l’initiative des professeurs ; les éco-délégués de chaque classe ont aussi un rôle à tenir dans la labellisation de l’établissement : ils peuvent veiller à ce que des actions et sensibilisations soient menées, ou en proposer. Les initiatives seront des actions concrètes, dans lesquelles les élèves peuvent s’impliquer. Par exemple au collège Lucie-Aubrac à Clermont a été installé un poulailler. Il peut y avoir du compostage, une manière de trier les déchets à laquelle tous les élèves peuvent participer, parfois même enlever le goudron de la cour pour replanter, etc. Des initiatives qu’on va systématiser à l’échelle de l’établissement. Enfin, sur le plan pédagogique, il se prépare pour les années à venir des possibilités pour les élèves d’acquérir et de valider des compétences en développement durable, un peu comme cela existe pour le numérique. »
Une notion clef à leur inculquer est la notion de biens communs.
Jean-Pierre, responsable associatif
En fin de compte, quelles valeurs leur enseigner ?
Jean-Pierre Wauquier en a une idée qui fera une belle conclusion à cette enquête : « Une notion clef à leur inculquer est la notion de biens communs. Ma conviction est aussi que ces problématiques doivent se régler de façon interculturelle : on y arrivera mieux si les jeunes du monde entier apprennent à se connaître et à prendre la meilleure part de chacun. On ne le fera pas avec des recettes. Cela passe donc par un effort d’éducation qui concerne non seulement les jeunes mais aussi tous les âges. La bonne nouvelle, c’est qu’énormément de gens sont preneurs. »
1. Je peux en attester, car, en toute transparence, il s’agit de ma sœur.
2. En témoignent leurs titres : « Le Message du colibri », « Les Enfants de la Terre », « La Vie a des trésors » et « Je suis une goutte d’eau ».
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Enquête Marie-Pierre Demarty – Photo de une : Izzy Park / Unsplash