Claire Laignez et Raymond Collet orientent la Plateforme Mobilité vers l’animation de la mobilité solidaire

Par

Damien Caillard

Le

Lancée en 2010, la structure regroupe plusieurs associations agissant pour la mobilité inclusive et solidaire. Mais elle cherche à se développer au-delà d’un modèle institutionnel qui limite son efficacité.


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Ressenti de l’auteur

Je connais Raymond depuis ma période “Epicentre Factory”. Si, si, vous connaissez sûrement ! Ce beau tiers-lieu, premier espace de coworking de Clermont (qui a hélas fermé en 2020) – j’étais membre du C.A. et Raymond y représentait la Métropole, partenaire et soutien du projet. Nous avions longuement échangé et partagé beaucoup de points de vue convergents sur les enjeux de l’économie sociale et solidaire … et sur les difficultés du monde associatif en général.

Raymond m’a ensuite soutenu dans plusieurs initiatives que j’ai montées, ou auxquelles j’ai participé, après Epicentre. Mais je travaillais surtout avec lui sur son volet Métropole – il travaille au sein de l’équipe du développement économique – et, finalement, je ne le connaissais que peu en tant que président d’autres entités.

D’autre part, j’ai été sensibilisé aux problématiques de la mobilité solidaire en rencontrant Sylvie Ohanessian de l’association Détours, lors d’une Rencontre de la Résilience sur le sujet de la mobilité rurale. Je souhaitais “boucler la boucle” en faisant le point avec Raymond – président de la Plateforme Mobilité 63, à laquelle collabore Détours – et avec Claire – directrice de la même Plateforme – sur ces enjeux qui revêtent autant une dimension sociale qu’écologique, et qui sont un sujet capital pour la vie dans les campagnes.

Damien

Sinon sinon sinon … c’est bientôt Noël, donc Tiko fait relâche jusqu’au 2 janvier. Nous vous souhaitons de passer de bonnes fêtes, attention au verglas, aux indigestions, aux virus mutants et aux grèves de train. Prenez soin de vous, “force et honneur”, et à très vite !

Les principaux points à retenir

  1. Tout le monde est confronté aux problématiques de mobilité. En ville, cela peut être lié à la complexité et la densité du réseau, et à l’arrivée de nouveaux habitants. A la campagne, le sujet tourne autour de la rareté des solutions hors voiture et de l’éloignement. Pour Claire et Raymond, dirigeants de la Plateforme Mobilité du Puy-de-Dôme, cela explique le rôle toujours central de la voiture dans les déplacements quotidiens, d’autant plus qu’il s’agit du modèle sociétal par excellence depuis un siècle : l’accès à la voiture est donc un enjeu d’inclusion.
  2. La mission de la Plateforme Mobilité du Puy-de-Dôme est d’accompagner les personnes empêchées dans leur mobilité quotidienne, par des solutions favorisant le partage et la solidarité. C’est clairement un enjeu d’inclusion, pour ses dirigeants. Ils constatent par ailleurs que la majorité des usagers les sollicitent pour l’accès à la voiture, mais qu’il est nécessaire de les sensibiliser à d’autres formes de mobilité compte tenu des limites du “tout-automobile”, écologiquement parlant. Cela sans pour autant confronter les gens à une nouvelle précarité.
  3. La crise environnementale a souvent connu une réponse “technique” pour Raymond, notamment dans la recherche de nouveaux modes de propulsion (électrique, hydrogène). Pour lui, il faut au contraire favoriser des solutions sociétales et même solidaires, qui sont plus pérennes car elles n’impactent pas les ressources et les écosystèmes. En outre, elles peuvent développer l’interconnaissance, que ce soit par de l’auto-stop organisé, de l’autopartage, ou du covoiturage.
  4. L’offre concrète de la Plateforme consiste donc, principalement, à accueillir les personnes en difficulté pour un entretien bilan sur leurs besoins avec un.e conseillèr.e spécialisé.e, et à les orienter vers des solutions pratiques. Les compétences des structures partenaires de la Plateforme – de nombreuses associations travaillant sur l’inclusion et la formation – sont ici capitales. Cela permet d’aider 1200 personnes par an sur le département, à chaque fois avec un projet personnalisé et un travail sur l'”ingénierie de parcours”, insiste Claire.
  5. Néanmoins, la Plateforme souhaite dépasser ce type de prestation, lié aux premiers marchés passés avec les collectivités territoriales. Pour cela, elle travaille au développement de nouveaux dispositifs transverses sur les territoires, qu’il est nécessaire d’animer en lien avec les collectivités et acteurs locaux – comme à travers un test en cours sur Chavanon, Combrailles et Volcans. Mais les financements dont elle dispose (Département, Région, Etat, Pole Emploi + marchés publics) ne sont pas encore orientés en ce sens. Claire appelle ainsi à une réinvention des partenariats publics-privés pour être plus innovants et favoriser l’animation autant que l’accompagnement.
  6. L’autre dimension visée par la Plateforme en 2023 réside dans une évolution structurelle, déjà de son cercle de partenaires avec l’inclusion d’autres associations locales engagées – sur la ruralité ou l’insertion – mais aussi dans sa gouvernance : Claire et Raymond évoquent ainsi des formes de structures coopératives ou de PTCE (Pôle Territorial de Coopération Economique). Ils souhaitent enfin poursuivre l’essaimage dans les départements limitrophes, et la participation aux instances nationales du réseau Mob’In

L’intervenante : Claire Laignez

Directrice de la Plateforme Mobilité du Puy-de-Dôme


Auvergnate d’origine, Claire suit un master en développement international au CERDI, en 2012. Elle entame alors un parcours de chargée de mission en développement économique dans une petite communauté de communes de la Loire, puis travaille à la CRESS sur les PTCE [Pôles Territoriaux de Coopération Economique] du Livradois-Forez et sur le pays de Vichy.

Après un tour du monde en 2015, elle choisit de revenir dans sa région natale. Elle reprend sa carrière en tant que coordonnatrice du développement territoriale de la communauté de communes d’Ebreuil, dans l’Allier, puis devient première salariée de l’Ecopole du Val d’Allier.

En 2020, elle rejoint la Plateforme Mobilité 63 dont elle devient directrice.

Contacter Claire par courrier électronique : c.laignez [chez] pfm63.fr

Crédit photo : Plateforme Mobilité 63 (DR)

L’intervenant : Raymond Collet

Président de la Plateforme Mobilité du Puy-de-Dôme ; chargé de mission développement économique à Clermont Auvergne Métropole


Après 20 ans de travail dans la région roannaise – son pays d’origine – sur la gestion des équipements de quartier, Raymond arrive en 2000 à Clermont dans une association de développement économique basée dans les quartiers Nord.

Il rejoint ensuite la municipalité de Clermont-Ferrand comme directeur du service politique de la ville, vie associative et démocratie participative jusqu’en 2015. Il passe ensuite à la Métropole sur les questions d’ESS [Economie Sociale et Solidaire], et rentre notamment au C.A. d’Epicentre Factory.

Dans le monde associatif, il préside une crèche d’insertion “les Guillemets” de 2016 à 2019, puis devient président de la Plateforme Mobilité du Puy-de-Dôme en 2020.

Il résume ainsi son engagement : “je suis un fonctionnaire militant. C’est possible !”

Crédit photo : Plateforme Mobilité 63 (DR)

La structure : Plateforme Mobilité du Puy-de-Dôme

Association regroupant plusieurs autres associations puydômoises sur la mobilité inclusive et solidaire


Créée en 2010 avec le soutien du Conseil Départemental du Puy-de-Dôme (qui en assure toujours 50% du financement), la Plateforme Mobilité du Puy-de-Dôme est une “association d’associations”, regroupant plusieurs acteurs de la mobilité inclusive et solidaire dans le département.

Son activité principale jusqu’en 2022 a consisté à accompagner des personnes “empêchées” dans leur mobilité, notamment des gens en situation de précarité et en zone rurale mais pas exclusivement. Si les usagers sollicitent la plateforme pour l’accès au permis de conduire et à la voiture, l’enjeu consiste à les sensibiliser à d’autres formes de mobilité et à la question de l’éco-mobilité.

Pour y parvenir, la Plateforme mobilise les compétences et les moyens de ses partenaires FIT (organisme de formation), API, Détours et Mobil’Emploi – pour accueillir les demandeurs par des conseiller.e.s mobilité, évaluer les besoins et trouver des solutions locales. L’approche est résolument solidaire et inclusive, car l’ambition de la Plateforme est de proposer des solutions adaptées à tous et favorisant l’entraide et le partage – covoiturage, autopartage notamment, éventuellement bénévoles ou professionnels missionnés pour un trajet spécifique.

Avec 7 salariés dans la structure mais 40 personnes mobilisées sur l’ensemble du projet, la Plateforme Mobilité du Puy-de-Dôme est financée principalement par le Conseil Départemental, mais aussi la Région, Pôle Emploi et l’Etat – sur la question de l’insertion. Elle répond aussi à des appels à projets et marchés publics, et peut bénéficier des retombées des certificats d’économie d’énergie.

En 2022, la Plateforme souhaite cependant évoluer en direction de plus d’animation de dispositifs territoriaux, au-delà de l’accompagnement personnalisé. A ce titre, elle lance une expérimentation appelée “Tous mobiles, le réseau solidaire” avec la communauté de communes Chavanon, Combrailles et Volcans.

Enfin, la Plateforme Mobilité du Puy-de-Dôme est à l’initiative d’un réseau national “Mob’in”, réunissant les acteurs de la mobilité inclusive, et essaime à travers des structures similaires dans l’Allier et en Haute-Loire. Elle cherche également à regrouper davantage de partenaires sur les territoires ruraux ou auprès des populations en difficulté. Enfin, elle envisage une évolution structurelle, peut-être sous forme de société coopérative (SCIC) ou de PTCE (Pôle Territorial de Coopération Economique)

Voir le site de la Plateforme Mobilité du Puy-de-Dôme


Pas assez de neige, pas assez d’eau, trop de chaleur… comment les acteurs touristiques locaux s’adaptent-ils aux conséquences du dérèglement climatique ?

Rencontre Tikographie du lundi 2 décembre à 17h (librairie des Volcans) – tous publics, accès libre !

La mobilité en ville et la mobilité à la campagne connaissent-elles des problématiques similaires ?

Claire : en tous cas, on ne peut pas dire qu’il y a d’un côté les villes sans problèmes de déplacement, et les campagnes défavorisées ! Les problématiques de mobilité touchent tout le monde. En revanche, les besoins sont différents : en ville, il faut accueillir les nouveaux arrivants qui ne connaissent pas souvent le territoire, l’offre de mobilité, les tarifs solidaires… et qui peuvent rencontrer des difficultés d’orientation dans une offre dense, au croisement de nombreux flux. La question de la multimodalité est importante.

A l’inverse, la campagne fait face à une problématique de faible densité, voire de désertification dans certains endroits, et de longues distances. Bien souvent, seule la voiture permet de s’y déplacer de manière évidente.

Vous mettez l’accent sur la voiture : est-ce par choix ou par nécessité ?

Claire : Cette analyse territoriale a des limites compte tenu des publics que nous accompagnons – majoritairement des femmes sur des métiers aux horaires décalés. Ainsi, à la campagne comme en ville, la question de la voiture reste centrale. 

Les problématiques de mobilité touchent tout le monde.

Claire Laignez

Raymond : nos sociétés sont organisées autour de la voiture depuis un siècle. En ville, cela commence à évoluer, mais à la campagne, la voiture continuera à être un mode de transport majeur. Par conséquent, l’accès à la voiture – qui devient de plus en plus chère et qui soulève des questions écologiques – est un véritable enjeu d’inclusion. 

Pour Claire et Raymond, la voiture reste le moyen de transport principal sur lequel il est nécessaire de se pencher, en tous cas dans le Puy-de-Dôme / Crédit photo : Plateforme Mobilité 63 (DR)

D’autant plus que peu d’alternatives à la voiture individuelle existent. Le vélo ne peut être une solution que sur des déplacements courts. Les petites lignes de train, elles, ont fermé les unes après les autres, la voiture devenant le moyen de déplacement du plus grand nombre. De même, au milieu du siècle dernier les grandes entreprises organisaient le transport de leurs salariés jusqu’aux lieux de production. La voiture devenant accessible aux salariés, ces dispositifs ont disparu. 

La voiture individuelle est aussi symptomatique du fonctionnement de nos sociétés car elle offre une mobilité confortable et indépendante. Aujourd’hui la voiture c’est la liberté de choisir son lieu d’habitation et de vivre sa vie sans dépendre de contraintes extérieures pour ses déplacements (horaires, météo…). Sortir du modèle de la voiture individuelle est donc une problématique très complexe. 

Lire l’entretien : Pour Nicolas Debaisieux, « le rail a déjà fait ses preuves » sur la transition écologique

Quel est donc le sujet central de la Plateforme Mobilité ?

Claire : on peut résumer la problématique de cette manière : comment concilier les enjeux de mobilité pour tous et donc l’accès à la voiture individuelle (facteur indéniable d’inclusion)… tout en ayant conscience que nos mobilités doivent évoluer, et que nous ne devons pas favoriser un modèle qui a atteint ses limites ? 

Il y a cependant un risque, celui de positionner les personnes déjà en situation de précarité dans une nouvelle précarité une fois la voiture obtenue. La mise en place de la ZFE [Zone à Faibles Emissions], l’interdiction de construction de véhicules thermiques, la question de l’épuisement de nos ressources … nous poussent à réinventer nos modèles. 

La mission de la Plateforme Mobilité 63 consiste à répondre aux besoins des “personnes empêchées” dans leur utilisation de la voiture, mais aussi de les accompagner à dépasser la simple obtention d’un véhicule / Crédit photo : Plateforme Mobilité 63 (DR)

Comment le public de la Plateforme Mobilité envisage-t-il l’usage de la voiture ?

Claire : souvent, les gens que nous accompagnons perçoivent la voiture comme un but en soi. Pourtant, on peut se demander si la propriété d’une voiture est toujours indispensable ? De même que le permis de conduire ? 

Peu d’alternatives à la voiture individuelle existent.

Raymond Collet

On a donc cette mission de sensibiliser au “bon usage” de la voiture, en dépassant les paradigmes habituels. Autrement dit, et au-delà de l’accompagnement à acquérir une mobilité autonome, nous devons accompagner les personnes aux changements de pratiques. 

Pouvez-vous nous définir l’approche de la Plateforme Mobilité face à la crise environnementale ?

Raymond : la réponse technologique avec l’électrique ou l’hydrogène ne résoudra pas la problématique d’accessibilité, ni la question de la durabilité de nos modèles – quid des matières premières nécessaires ?

En fait, la réponse à la crise environnementale a trop été technique, sans remettre en cause la manière dont on se déplace. Or, la technologie est souvent chère, impactante, et parfois éphémère si elle fait appel à des matériaux de moins en moins disponibles. Pour nous, la réponse doit être sociétale en faisant appel à la solidarité, au partage et à la coopération sur les territoires. 

Une manière de se poser les bonnes questions, peut-être d’envisager autrement son rapport à la voiture, peut passer par des petits jeux de cartes proposés lors des événements de sensibilisation / Crédit photo : Plateforme Mobilité 63 (DR)

Claire : par exemple, pourquoi ne pas remettre en place des systèmes qui existaient auparavant, comme les lignes de ramassage organisées par les entreprises ? Les solutions seront forcément multiples et la question repose sur les capacités des acteurs à coopérer et travailler ensemble une politique de mobilité solidaire et durable à l’échelle de leur territoire. 

La réponse à la crise environnementale a trop été technique, sans remettre en cause la manière dont on se déplace.

Raymond Collet

Or, à la campagne, on est bien moins anonyme qu’en ville. Le partage, l’entraide y sont, il me semble, facilités. On peut y développer des solutions d’autopartage, de covoiturage, d’auto-stop organisé, qui font sortir de l’usage et de la propriété individuelle de la voiture. Cependant ces modèles ne peuvent être expérimentés sans une vraie animation. Au-delà des besoins en investissements, c’est cela qu’il faut financer. 

Lire l’entretien : Au lancement d’Orbimob 2021, retour sur les enjeux de la mobilité territoriale durable

Quelle est l’offre de la Plateforme Mobilité du Puy-de-Dôme ?

Claire : initialement, notre mission est d’accompagner les personnes en situation de précarité par rapport à leurs besoins de mobilités. Ces personnes en difficulté sont souvent les jeunes, les bénéficiaires du RSA, des demandeurs d’emploi ou des personnes qui doivent faire face à des déplacements importants pour trouver du travail. 

L’ensemble de nos publics [1200 personnes par an, NDLR] sont orientés par des référents socioprofessionnels, qui accueillent les personnes et réalisent un bilan des besoins et des compétences de manière individuelle. Cela permet de poser une situation de départ et un projet personnalisé. Il est capital d’adapter la réponse à chaque individu ! C’est pourquoi nous travaillons une “ingénierie de parcours”, sans jamais stigmatiser.

Notre mission est d’accompagner les personnes en situation de précarité par rapport à leurs besoins de mobilités.

Claire Laignez

Cela dit, nous le faisons dans une logique de compétence globale, par exemple en liant l’évaluation de la maîtrise du vélo aux capacités de la personne à passer le permis de conduire. C’est un moyen d’aller au-delà des besoins de la personne – souvent limités à la voiture – et de la faire changer de paradigme sur la mobilité. 

Par exemple, le fait de faire monter une personne pour la première fois sur un vélo est une réussite en soi. Certains peuvent ainsi trouver une solution concrète à leurs besoins de déplacement, après une phase de formation adaptée. 

Le vélo est-il une solution de mobilité à la campagne ? La Plateforme Mobilité ne l’exclut pas, dans certaines conditions et sous réserve d’une sensibilisation – voire d’une formation – suffisantes / Crédit photo : Plateforme Mobilité 63 (DR)

Pouvez-vous nous décrire votre modèle économique ?

Raymond : la Plateforme a une vraie expérience d’accompagnement en insertion socio-professionnelle. Elle a construit cela depuis 2010 avec ses associations partenaires grâce au soutien du Conseil Départemental du Puy-de-Dôme qui a été pionnier sur le sujet.

Claire : ce marché avec le Conseil Départemental du Puy-de-Dôme [CD63] représente environ 50% de notre financement. Le Département a conservé  la compétence de “mobilité solidaire” et reste très dynamique sur cette politique. La Région a la compétence de mobilité globale et nous finance également, à ce titre.

Nous sommes également titulaires du marché MBI de Pôle Emploi (bilan de compétences et accompagnement mobilité), et les soutiens de la part de l’Etat sont importants par ailleurs, notamment pour l’accompagnement des salariés des chantiers d’insertion.

Nous souhaitons accompagner le changement de paradigme sur les mobilités

Raymond Collet

Raymond : aujourd’hui, nous sommes clairement reconnus pour cette compétence, et nous répondons à de nombreux appels à projets ou  marchés publics : Agence Nationale de la Cohésion des Territoires, Commissariat du Massif Central, MSA… Nous pouvons également être financés par des certificats d’économie d’énergie notamment sur la question de l’écomobilité.

On en vient à une forme de “croisée des chemins” qui se concrétise ces jours-ci. Quelle direction souhaitez-vous prendre ?

Raymond : nous souhaitons accompagner le changement de paradigme sur les mobilités, d’une façon générale. Et le faire en animant des dispositifs dédiés, transverses et solidaires. Dans les années 2010, les politiques publiques sont passées d’une logique de “transports en commun” à une logique de mobilité : c’est une très bonne chose, car tout le monde doit pouvoir être mobile.

Le problème est que chaque acteur institutionnel reste dans son domaine : le CD63 pour l’inclusion, la Région pour la mobilité générale, les communautés de communes pour les schémas et les infrastructures, les communes pour les bourses au permis… Pourtant, la Loi d’Orientation des Mobilités de 2021 a posé le principe des mobilités solidaires. Mais il n’y a pas d’acteur transverse permettant de mettre tout le monde autour de la table, comme l’ARS dans le domaine de la santé par exemple.

Séance de travail sur les réseaux de transports en commun clermontois à la Plateforme Mobilité. Les problématiques de déplacement diffèrent de la ville à la campagne, mais elles sont toujours présentes / Crédit photo : Plateforme Mobilité 63 (DR)

Claire : j’ajouterais que notre logique de fonctionnement par marchés publics a plus de 10 ans maintenant. Et qu’elle nous maintient dans des “cases” prédéfinies, utiles mais figées. Et nous sommes trop souvent dans une logique de marché public sur des prestations, ce qui ne prend pas en compte les besoins d’animations. 

C’est pourquoi ces partenariats public-privé doivent se réinventer afin d’être davantage innovants et de faire face aux enjeux dont nous avons parlé. Notre ambition pour demain est donc de devenir un acteur fort de la mobilité solidaire sur les territoires.

Justement, vous avez lancé une initiative intéressante dans les Combrailles…

Raymond : oui, nous avons souhaité partir de cette nouvelle approche “ni techno, ni infras”, qui favorise les dispositifs de partage solidaire et inclusifs. Avec la communauté de communes Chavanon, Combrailles et Volcans, nous avons mis en place “Tous mobiles, le réseau solidaire” à travers une association ad hoc en cours de création à Pontgibaud.

Claire : cette expérimentation consiste à mettre en relation une personne “empêchée” dans sa mobilité avec une personne ayant la capacité de l’aider. Le bénéficiaire doit adhérer à l’association et est rencontré par le chargé de mission afin de bien prendre en compte sa situation. Ensuite il pourra prendre contact avec la centrale d’appels qui va essayer de trouver une réponse très locale à son besoin de déplacement.

Nous sommes trop souvent dans une logique de marché public sur des prestations, ce qui ne prend pas en compte les besoins d’animations. 

Claire Laignez

L’association doit lui trouver une solution de mobilité, en valorisant notamment des covoitureurs qui circulent sur le territoire, des bénévoles indemnisés qui seraient prêts à faire le déplacement ou parfois des professionnels quand il s’agit de rendez-vous santé ou de déplacement professionnel et que nous ne trouvons aucun autre moyen…

Raymond : dans cette première expérimentation d’une solution de mobilité transversale, nous avons travaillé avec le CISCA [Centre d’Innovation Sociale Clermont Auvergne] sur la question de la méthodologie et de l’implication des élus locaux notamment. Les doctorants du CISCA nous ont aidé à élaborer l’approche globale, à définir les enjeux et à structurer la réponse.

Lire l’entretien : Pour Nicolas Duracka, le CISCA doit « valoriser et mettre à disposition les solutions existantes »

Quelle est la dimension nationale de la Plateforme Mobilité ?

Raymond : je pense que ce qui a été fait sur le Puy-de-Dôme est assez exemplaire. C’est grâce au  travail et à la coopérations des associations à l’origine de la Plateforme comme FIT [Formation Insertion Travail], API, Détours ou Mobil’emploi – qui agissent depuis des dizaines d’années sur les questions d’emploi et d’insertion – que cette réussite a pu se construire. 

Nous sommes d’ailleurs régulièrement contactés pour témoigner de notre fonctionnement. La création de la Plateforme Mobilité sur l’ensemble des territoires a été définie comme un enjeu fort à l’échelle nationale. L’importance donnée au volet mobilité dans le Plan Pauvreté en témoigne.

Je pense que ce qui a été fait sur le Puy-de-Dôme est assez exemplaire.

Raymond Collet

Enfin, le réseau national des acteurs territoriaux de la mobilité inclusive « Mob’in » s’est constitué notamment grâce à l’implication de Pascal Grand, directeur de FIT et administrateur de la Plateforme Mobilité du Puy-de-Dôme. 

Et nous essaimons : à proximité immédiate, nous développons une plateforme similaire sur l’Allier. FIT anime aussi une plateforme sur la Haute-Loire. Le réseau des associations partenaires est donc capital pour notre déploiement comme pour l’efficacité de notre action.

Le dispositif expérimental “Tous mobiles, le réseau solidaire” est en cours de lancement sur le territoire de Chavanon, Combrailles et Volcans. La Plateforme Mobilité 63 y diffuse ce tract d’information / Crédit photo : Plateforme Mobilité 63 (DR)

Comment fonctionnez-vous avec ces autres structures ?

Claire : ces partenaires sont des structures d’insertion, qui ont également détecté l’enjeu de la mobilité comme l’un des principaux freins à l’insertion socio-professionnelle. Chacune de ces associations intervient dans la chaîne d’accompagnement que nous avons mise en place. Par exemple, Détours propose des garages solidaires, de la location sociale de voitures. D’autres agiront sur la levée des freins cognitifs, sur l’accompagnement administratif ou sur des enjeux de formation. 

Nos partenaires [ont également] détecté l’enjeu de la mobilité comme l’un des principaux freins à l’insertion socio-professionnelle.

Claire Laignez

Raymond : notre équilibre est une question de gouvernance : ça fonctionne très bien comme ça depuis le début mais, compte tenu de notre nouvelle dynamique, nous nous interrogeons sur la place d’autres acteurs engagés sur la question de la mobilité inclusive. Par exemple : les Monts qui Pétillent dans le Forez, le Secours Catholique, les communautés de communes…

La Plateforme Mobilité 63 est présente sur de nombreux forums et événements de sensibilisation, dans le cadre du réseau Mob’In et avec les associations partenaires / Crédit photo : Plateforme Mobilité 63 (DR)

Et quelle sera l’évolution de la Plateforme Mobilité du Puy-de-Dôme en 2023 ?

Raymond : Les dispositifs que nous mettons en place étant transverses, il faut donc rassembler les acteurs de chaque territoire. Nous sommes engagés dans un travail de réflexion sur notre organisation et notre gouvernance avec le soutien d’un cabinet extérieur dans le cadre d’un DLA [Dispositif Local d’Accompagnement]. 

Le but est de réfléchir au portage de cette politique, peut-être au travers d’une coopérative SCIC ou d’un PTCE [Pôle Territorial de Coopération Economique]… c’est à l’image de ce qui nous anime pour la mobilité de demain : un sujet de solidarité et d’inclusion au service des personnes empêchées dans leur mobilité, quelles qu’en soient les raisons

Pour aller plus loin (ressources proposées par Claire et Raymond) :
Comprendre – les sites de Tous Mobiles et de On Y Go, mais aussi les auteurs Vincent Kaufmann (sur les paradoxes de la mobilité) et Eric Le Breton (Mobilités, la fin du rêve)
Agir – Tout le monde peut rejoindre la Plateforme Mobilité ! “Sur Chavanon Combrailles et Volcans, par exemple, nous cherchons des bénévoles pour assurer du covoiturage ou de l’autopartage. Mais aussi pour d’autres fonctions administratives, comme la gestion du dispositif.”

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Propos recueillis le 9 novembre 2022, mis en forme pour plus de clarté et relus et corrigés par Claire et Raymond. Crédit photo de Une : Damien Caillard, Tikographie