Dans le Puy-de-Dôme avec un projet de toilettes sèches mobiles, ou encore sur le site Ana’Chronique près d’Ambert, les initiatives de ce réseau professionnel engagé se multiplient. Tour d’horizon de la problématique avec Florent Brun, Gérard Lecoq et Enora le Tortorec.
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Ressenti de l’auteur
Grâce au CISCA dont je suis membre, j’ai pu entrer en contact avec de nombreux doctorants sur le Puy-de-Dôme, oeuvrant tous (et toutes, surtout) dans des sujets d’intérêt général auprès d’acteurs publics. Ma rencontre, dans ce cadre, avec Enora le Tortorec, m’a amené à m’intéresser au Réseau Assainissement Ecologique et à ce gaspillage incroyable que représentent les toilettes habituels.
Si on y réfléchit bien, il s’agit de jeter nos matières organiques, qui sont encore largement exploitables par les sols, dans de l’eau potable et d’envoyer le tout se faire traiter à plusieurs kilomètres à grand renfort d’énergie et d’émission de gaz à effet de serre, entre autres. Quand on voit que nos réserves d’eau, notamment sur le Puy-de-Dôme, baissent à vue d’oeil, on se dit qu’il y a peut-être un effort à faire de ce côté.
Reste à dépasser le “tabou”, comme le souligne Enora, des excreta – urine et selles humaines. On a l’impression que les toilettes modernes sont un vrai progrès, et c’est probablement vrai en termes d’hygiène, mais cette solution pose aujourd’hui d’autres problèmes majeurs. Y répondre peut commencer au niveau individuel, voire de sa résidence, mais c’est aux acteurs publics de prendre le sujet à bras le corps et d’envisager autrement les installations et les infrastructures.
Enfin, la réalisation de cette interview m’a permis de rencontrer Florent et Gérard, très engagés pour cette cause et porteurs de nombreuses références terrain. A commencer par ce lieu étonnant qu’est Ana’Chronique, près de Marat – les membres du RAE aiment bien les jeux de mots, donc ils me sont d’emblée sympathiques. Vous pouvez aller profiter des gîtes et de la table de Ana’Chronique, ce sera l’occasion de faire un séjour dans un beau coin du Livradois, mais aussi de voir comment fonctionne “sur site” la circularité des matières organiques bénéficiant aux cultures locales.
Damien
Les principaux points à retenir
- Les excretas (urine et selles) humains sont riches en matières organiques et minérales, assimilables par les plantes. Elles pourraient facilement être utilisées en fertilisants naturels, renouvelables et de proximité avec les bons dispositifs et les bonnes pratiques, et sans impacter le cycle de l’eau (toilettes normales)
- C’est le message porté par Enora, Florent et Gérard via le Réseau Assainissement Ecologique. Cette association transnationale de professionnels favorise l’échange de pratiques, la production de fiches techniques pour tous (principalement sur des dispositifs low tech) et le plaidoyer auprès des pouvoirs publics. Elle souhaite promouvoir les solutions de proximité, fondées sur la nature, pour la circularité des matières organiques en faveur de l’agriculture et hors du cycle de l’eau.
- Néanmoins, nos intervenants constatent le “tabou” sur le sujet, dû à la volonté hygiéniste du XIXème siècle d’évacuer les excréments loin des foyers, par les égouts. Résultat aujourd’hui : des stations d’épuration toujours plus grandes et coûteuses, des “boues” peu valorisables, de l’énergie utilisée et des gaz à effet de serre relâchés. En parallèle, la surutilisation des engrais chimiques qui dégrade les sols, et émet des oxydes d’azote. Et bien sûr l’impact sur le cycle de l’eau, en quantité comme en qualité.
- Heureusement, plusieurs collectivités – ou simples collectifs citoyens – mettent en œuvre ces recommandations. Les exemples commencent à se multiplier, en Bretagne, à Paris ou à Lyon, de résidences équipées ou de dispositifs au niveau de métropoles entières. Dans le Puy-de-Dôme, Enora souhaite sensibiliser élus et grand public avec un démonstrateur de toilettes sèches à vélo, porté par son association Fertilisons.
- Enfin, Gérard revient sur son expérience à Marat, près d’Ambert. Elu local, il sensibilise les habitants à travers divers projets et animations autour de l’assainissement écologique (notamment). Il est aussi propriétaire d’une ferme appelée Ana’Chronique, qui propose des gîtes et une table mais surtout qui souhaite démontrer sur place la circularité des matières organiques au bénéfice des plantes du potager.
L’intervenant : Florent Brun
Ingénieur de recherche en assainissement durable ; membre du RAE (Réseau Assainissement Ecologique)
Né en 1980, Florent étudie la question de l’assainissement écologique depuis 2003, avant d’en faire son activité professionnelle en tant qu’ingénieur de recherche. Il revendique une démarche d’intérêt général, qu’il a notamment appliquée en Afrique en tant qu’expatrié.
En France, il travaille principalement en milieu association ou auprès des acteurs publics. Il est notamment impliqué dans le projet Kolos en partenariat avec Lyon Métropole. Il est aussi membre actif du Réseau Assainissement Ecologique.
Actuellement en reprise d’études, Florent suit un doctorat sur les enjeux des acteurs face à la mise en œuvre de l’assainissement écologique à grande échelle.
Contacter Florent par courrier électronique : florent.brun [chez] enpc.fr |
Crédit photo : Damien Caillard, Tikographie
L’intervenante : Enora le Tortorec
Doctorante à l’IADT à Clermont ; co-présidente de l’association Fertilisons en 2022
A 36 ans (en 2022), Enora habite dans le Puy-de-Dôme depuis deux ans et demi. Elle travaille depuis 2012 sur les questions de la “circularité des matières organiques“, et a créé pour cela en 2022 l’association Fertilisons. Cette dernière porte un projet de démonstrateur mobile (à vélo) de toilettes sèches, pensé pour sensibiliser élus et grand public aux sujets de l’assainissement écologique.
Actuellement en formation à l’IADT en tant que deuxième année de Master, Enora est aussi adhérente du Réseau Assainissement Ecologique.
Contacter Enora par courrier électronique : fertilisons [chez] mailo.com |
Crédit photo : Damien Caillard, Tikographie
L’intervenant : Gérard Lecoq
Co-fondateur du site Ana’Chronique ; élu local à Marat
D’origine picarde, Gérard a vécu et travaillé à Lyon pendant 35 ans. Il a été dans l’enseignement, le bâtiment, la communication mais aussi en école d’architecture, “petit à petit avec plus de sens et d’écologie”, précise-t-il.
En 2014, il prend sa retraite et souhaite développer “une sensibilité personnelle dans ce qui touche à l’assiette”. Il avait, en 2000, acheté le site d’une ancienne ferme à Marat, entre Thiers et Ambert. Il y avait créé avec sa compagne le site Ana’Chronique, pensé comme un “lieu-ressource” sur la nutrition et la circularité des matières organiques. En 2011, il y avait adjoint quatre chambres d’hôtes éco-conçues.
Gérard est désormais pleinement consacré à Ana’Chronique mais aussi à la commune de Marat dont il est élu, avec la volonté de relancer les Utopiades – des soirées débats qu’il avait animées pendant 10 ans, sur les enjeux de demain. En 2023, il espère aborder avec les acteurs locaux la question de l’assainissement écologique. Il pousse aussi à la fois des projets locaux sur ce sujet, ou sur les zones humides, et bien sûr il oeuvre à la sensibilisation des habitants.
Contacter Gérard par courrier électronique : g.lecoq [chez] anachronique.fr |
Crédit photo : Damien Caillard, Tikographie
La structure : Réseau Assainissement Ecologique
Association de professionnels de l’assainissement écologique, en France et dans les pays limitrophes
L’association vise à “restaurer le cycle naturel de l’eau ainsi que la fertilité des sols“, principalement en séparant le traitement des excretas humains (urine, matières fécales) du cycle de l’eau, et en relocalisant les cycles. Elle défend donc un “intérêt général en matière d’assainissement“, répondant autant à la raréfaction de l’eau disponible qu’aux limites planétaires que sont les cycles de l’azote et du phosphore.
Pour y parvenir, le RAE promeut les solutions fondées sur la nature, et/ou de type low-tech et notamment la séparation des excreta à la source, avec de préférence une utilisation à proximité pour la fertilisation agricole. Le réseau édite ainsi de nombreuses fiches techniques accessibles à tous et fait œuvre de plaidoyer auprès des acteurs publics sur l’ensemble du territoire.
Née dans les années 2000, l’association compte une centaine de membres dans différents pays. Son action a successivement porté sur les questions de l’eau (sur l’angle sanitaire et eutrophisation), puis du compostage, et aujourd’hui davantage sur la question nutrimentielle et sur la fertilisation naturelle. Elle anime régulièrement un séminaire professionnel appelé les Intestinales.
Accès direct aux questions
- Les excretas humains (en clair : urine et matières fécales) sont vus comme des “déchets”. Vous vous battez pour changer cela…
- Mais que peut-on faire avec ces matières organiques ?
- Un autre cycle qui est impacté par notre traitement des excretas est celui de l’eau…
- Est-ce sur cette thématique que se concentre le RAE, Réseau pour l’Assainissement Ecologique ?
- Quels sont les types de solutions que le RAE met en avant ?
- Mais que peut-on faire au niveau de son domicile pour mieux valoriser ses propres matières organiques ?
- A-t-on en France des exemples d’assainissement écologique collectif ?
- Enora, tu travailles également sur un démonstrateur mobile de toilettes sèches. De quoi s’agit-il ?
- Gérard, pour ta part, tu agis sur ta commune en tant qu’élu et citoyen, à Marat, entre Thiers et Ambert…
- Comment résumes-tu la problématique de l’assainissement dans un village comme Marat ?
- Ton “démonstrateur” à toi, c’est surtout l’endroit où tu habites : le “lieu-ressource” sur la nutrition, Ana’chronique. Comment le site se présente-t-il ?
- Et comment fonctionne le dispositif d’assainissement écologique que tu as mis en place ?
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Tout cela à la Soirée Tiko 2024, jeudi 5 décembre à 18h à la Baie des Singes ! On s’y retrouve ?
Les excretas humains (en clair : urine et matières fécales) sont vus comme des “déchets”. Vous vous battez pour changer cela…
Enora : aujourd’hui, parler des excrétas, c’est tabou. Pourtant, on encense l’alimentation dans notre pays, donc on devrait prendre soin de nos sols ! Et, pour ne pas mettre des intrants de synthèse, une très bonne solution est de valoriser ces excretas.
Florent : un premier – gros – problème est que nos excretas partent à la station d’épuration. Mais celle-ci consomme beaucoup d’énergie pour leur traitement, qui émet des gaz à effet de serre, notamment des oxydes d’azote. Sans parler des nutriments qui partent dans les cours d’eau et provoquent de l’eutrophisation. Tout cela, hors impacts, représente des coûts de construction et d’entretien importants.
Mais que peut-on faire avec ces matières organiques ?
F : il faut les remettre au sein d’un cycle, dont le corps humain fait partie. Tout simplement, nous ingérons des aliments dont certaines composantes ne sont pas mobilisées pour notre organisme. Celui-ci les fait transiter dans le tube digestif puis les excrète. Mais ils restent chargés en éléments nutritifs très pertinents pour d’autres usages !
“On encense l’alimentation dans notre pays, donc on devrait prendre soin de nos sols !”
Enora le Tortorec
E : les excretas, c’est une ressource disponible majeure, renouvelable, que les sols sont aptes à “digérer”.
F : en particulier avec la disruption des cycles de l’azote et du phosphore, qui sont identifiés comme deux limites planétaires majeures. Aujourd’hui, l’agriculture intensive fait de l’épandage de ces nutriments avec des intrants chimiques, produits à fort coût énergétique.
D’un autre côté, la filière assainissement cherche à extraire ces nutriments du cycle de l’eau également à fort coût énergétique. Ces deux logiques sont linéaires, alors qu’il faudrait revenir à une approche cyclique.
Un autre cycle qui est impacté par notre traitement des excretas est celui de l’eau…
E : c’est vrai qu’avec la montée de l’hygiénisme au XIXème siècle, on a résolu de nombreux problèmes de maladies liées aux matières fécales, mais on a “évacué” le problème en mettant ces dernières… dans l’eau potable, et en l’envoyant loin des villes ! On se dégageait de la responsabilité du problème, tout en l’entretenant.
En outre, un réseau unitaire [qui combine eaux d’évacuation et eaux de pluie, NDLR], comme celui historiquement en place à Clermont, ne fait que diluer la pollution. Cela en complique le traitement. Et je précise que 20% de la consommation d’eau d’un ménage est utilisée dans les WC.
“Notre conviction est que l’eau potable n’a pas à être utilisée pour l’évacuation des excretas.”
Gérard Lecoq
Gérard : notre conviction est que l’eau potable n’a pas à être utilisée pour l’évacuation des excretas. Car ces derniers peuvent être valorisés sur place, dans une logique de cycle, sans utiliser d’eau du tout !
Est-ce sur cette thématique que se concentre le RAE, Réseau pour l’Assainissement Ecologique ?
F : oui, c’est donc le principe de “l’assainissement écologique” : sortir les urines et les matières fécales du cycle de l’eau et les réintroduire dans un nouveau cycle pour l’alimentation, une sorte de retour à la terre. Cela concerne les toilettes mais aussi les eaux ménagères.
Le RAE existe depuis 2006, mais a été formalisé en association en 2011. Il dispose d’environ 80 adhérents, surtout des professionnels de l’assainissement, sur toute la France mais aussi en Suisse, en Allemagne, en Belgique ou en Espagne.
E : Et nous militons pour développer ces solutions à l’échelle locale, sans déléguer le traitement en aval [à la station d’épuration, NDLR] à grand renfort d’infrastructures et de technologies de pointe maîtrisées par des grandes structures comme Suez ou Veolia.
Quels sont les types de solutions que le RAE met en avant ?
F : au début, on travaillait sur la question de l’eau et sur les enjeux sanitaires. Entre 2010 et 2015, on s’est intéressés au compostage. Aujourd’hui, on se penche sur les cycles de l’azote et du phosphore et sur la fertilisation, ce qui est très complémentaire.
“[Le RAE] se penche sur les cycles de l’azote et du phosphore et sur la fertilisation, ce qui est très complémentaire.”
Florent Brun
Mais notre manière de voir ces sujets est à la fois technique et sociale. Nous promouvons des technologies simples, robustes, peu coûteuses (énergétiquement et économiquement) et appropriables par tous, pour favoriser l’implication citoyenne. Que ce soit au niveau de la conception, de la mise en œuvre ou de l’exploitation.
E : c’est une approche low-tech, même si ce n’est pas le terme officiel !
F : nos fiches techniques sont en open source. Elles décrivent des solutions pratiques de toilettes sèches, de compostage, de traitement des “eaux ménagères” (hors toilettes). On les appelle également des « Solutions fondées sur la nature » tel que la décrit l’Union International pour la Conservation de la Nature.
“Les excretas, c’est une ressource disponible majeure, renouvelable, que les sols sont aptes à “digérer”.”
Enora le Tortorec
Nous sommes convaincus que l’on peut développer de vraies filières locales sur ces sujets œuvrant à la résilience alimentaire sur un territoire donné, un peu comme ce qui se met en place pour le tri des déchets et le compostage. D’ailleurs, nous avons une action de plaidoyer auprès des pouvoirs publics, pour faire évoluer le cadre réglementaire au niveau national.
Mais que peut-on faire au niveau de son domicile pour mieux valoriser ses propres matières organiques ?
E : on pense bien sûr aux toilettes sèches. Elles sont autorisées depuis 2009, soit en auto-construction, soit à partir de dispositifs manufacturés. A noter que le RAE se bat contre une vision de privatisation de la connaissance portée par les brevets et agréments. Depuis 2015, il y a une obligation de réaliser des diagnostics sur ces installations.
“On peut développer de vraies filières locales sur ces sujets œuvrant à la résilience alimentaire sur un territoire donné.”
Florent Brun
F : Comme on l’a dit, le passage aux toilettes sèches permet de revoir sa consommation d’eau potable. Collecter puis épandre son urine permet aussi d’extraire et valoriser au jardin les principaux polluants du milieu aquatique (les nutriments NPK). On en est tout de même à 150 litres par habitant et par jour, en moyenne. Et les Agences de l’Eau ont interrompu les aides à l’assainissement individuel [dont l’installation de solutions type toilettes sèches chez soi, NDLR] en 2018, car ce n’était plus une priorité pour elles.
A-t-on en France des exemples d’assainissement écologique collectif ?
E : tout à fait ! C’était encore une approche “sauvage” il y a 10 ans, mais aujourd’hui il y a plusieurs références qui émergent.
F : il y a des exemples à Dol de Bretagne avec un habitat inclusif et collectif et une gestion des excretas en pied d’immeuble. Dans la Drôme, la résidence Ecoravie a élaboré trois systèmes différents dans trois bâtiments voisins, de 2014 à 2021. Également à Bordeaux (avec l’association la Fumainerie – qui compte jusqu’à 70 “abonnés” en toilettes sèches) ou à Grenoble…
Il y a aussi un projet d’immeuble collectif dans le quartier Saint-Vincent-de-Paul à Paris. Il bénéficiera d’un système de concentration d’urine et d’une unité de transformation pour être utilisée en espaces verts.
Enfin, je travaille personnellement sur le projet Kolos avec la Métropole de Lyon, qui vise à retirer les urines et les fèces des égouts au travers de la réhabilitation de deux stations d’épuration au nord de Lyon. Le but est de produire des engrais à bas coût pour l’agriculture de proximité, avec l’implication des élus et des agents des collectivités. On est vraiment dans une logique de résilience territoriale !
Enora, tu travailles également sur un démonstrateur mobile de toilettes sèches. De quoi s’agit-il ?
E : j’ai en effet travaillé sur ce démonstrateur à vélo, avec un financement obtenu auprès du Budget Eco-Citoyen du Département du Puy-de-Dôme. C’est bien sûr conçu dans un but pédagogique, avec la possibilité de le déplacer facilement d’un village à un autre et de sensibiliser les habitants.
L’objectif en 2023 est de traverser le Puy-de-Dôme avec un groupe de personnes motivées, et de montrer la réalité des toilettes sèches au XXIème siècle. J’aimerais casser l’idée de la cabane bucolique au fond du jardin ! D’autant plus que le modèle choisi a été conçu par un architecte grenoblois, Willy Dutilleul, de l’association Cyclik. Il bénéficie d’un design moderne associant ergonomie, confort et intimité.
“J’aimerais casser l’idée de la cabane bucolique au fond du jardin !”
Enora le Tortorec
En fait, le but est de sensibiliser autant les élus que le grand public. On espère que les communes nous accueilleront avec un petit événement que l’on pourra organiser. Cela sera forcément inattendu, surprenant. Peut-être pourra-t-on travailler avec une école d’art clermontoise sur un dispositif scénique. Ce serait un bon moyen de changer les pratiques et les perceptions.
Gérard, pour ta part, tu agis sur ta commune en tant qu’élu et citoyen, à Marat, entre Thiers et Ambert…
G : en effet, avec ma casquette de conseiller municipal, j’ai engagé l’équipe élue à réfléchir sur l’évolution de notre centre bourg. Ce dernier avait dû fermer ses toilettes publiques parce qu’ils ne répondaient plus aux normes actuelles, notamment en ce qui concerne les personnes à mobilité réduite. C’était pour moi l’occasion d’inviter les habitants à concevoir, avec des professionnels, un nouveau pavillon de toilettes sèches publiques, véritable vitrine des avancées sur ce sujet.
D’autre part, j’ai créé et animé pendant dix ans plus de 70 rencontres-débats – les Utopiades – dédiées aux enjeux sociaux et environnementaux de ce XXIe siècle. L’équipe qui m’entoure œuvre à leur redémarrage en 2023, et une soirée est d’ores et déjà retenue sur la problématique de l’eau et de l’assainissement. Nous y prévoyons un zoom sur les toilettes à séparation avec réemploi des excrétas.
Comment résumes-tu la problématique de l’assainissement dans un village comme Marat ?
G : la commune compte 815 habitants répartis sur… 105 hameaux. C’est une vraie problématique de morcellement, mais en même temps c’est la réalité des zones rurales. Et cela rend nécessaire un assainissement non collectif, d’autant plus que les terrains agricoles sont nombreux autour des habitations.
“La clé, pour embarquer les habitants, est de montrer que c’est possible à petite échelle – pour commencer.”
Gérard Lecoq
La clé, pour embarquer les habitants, est de montrer que c’est possible à petite échelle – pour commencer. Et de ne pas brusquer les gens, de monter en gamme petit à petit, par l’exemple, en intégrant la dimension paysagère et patrimoniale.
Ainsi, nous avons pu restaurer une zone humide près de Marat, avec l’aide du Parc Naturel Régional et de la Région. Il y a de beaux bacs en pierre, une source d’eau gazeuse non exploitée… et je dirais que la nécessité de cette protection a été mieux comprise suite aux sécheresses récentes.
Ton “démonstrateur” à toi, c’est surtout l’endroit où tu habites : le “lieu-ressource” sur la nutrition, Ana’chronique. Comment le site se présente-t-il ?
G : Ana’chronique, c’est une ancienne ferme que nous avons réhabilitée pour en faire, modestement, un lieu respectueux du vivant. Dès le départ, nous avons souhaité équiper l’ensemble des lieux (espace privé et espace public comprenant quatre chambres d’hôtes) de toilettes sèches à litière, avec compostage.
Nous avons souhaité faire de notre domaine de 5 hectares un espace d’expérimentation et un lieu vitrine dédié à l’alimentation et l’habitat sains, impliquant une gestion des terres en adéquation et veillant à produire le moins de déchets possible. Nous sommes en recherche, sur le volet agricole, d’un couple intéressé par cet aspect expérimental, en lien avec l’activité d’Ana’chronique. Dans l’un de nos deux potagers, nous avons commencé à tester l’utilisation de l’urine comme fertilisant.
Et comment fonctionne le dispositif d’assainissement écologique que tu as mis en place ?
G : Les eaux ménagères sont traitées par un ensemble de cinq bacs consécutifs de phyto-épuration. Ils sont garnis de roseaux et de plantes aquatiques, avec des granulats de pouzzolane. A ce jour, les six toilettes sèches sont équipées de seaux en inox qui recueillent urine et matières solides avec ajout de copeaux de bois, vidés tous les deux à trois jours puis compostés dans une grande fosse. L’urine est absorbée par les copeaux, ce qui évite son oxygénation et les mauvaises odeurs (ammoniac issu du mélange liquide/solide).
Au fur et à mesure des avancées technologiques, nous prévoyons de remplacer certaines toilettes par des systèmes à séparation de différents types, reliées à une cuve de stockage avant réutilisation.
“Une personne peut fertiliser 100 mètres carrés de cultures sur un an.”
Florent Brun
E : Et la litière apporte des éléments carbonés en plus de l’azote contenu dans l’urine. C’est idéal pour le compost agricole !
G : Dans la fosse à maturation, l’ensemble se composte doucement. Une fois par an, le tas est griffé, aéré et ramené à l’arrière de la zone afin d’être prêt à une utilisation que je privilégie au pied des arbres fruitiers. Alors que l’activité est maximum pendant l’été, j’observe que le volume se régule de lui-même et le compost est de belle qualité.
F : Avec ce dispositif, une personne peut fertiliser 100 mètres carrés de cultures sur un an.
Pour aller plus loin (ressources proposées par Enora, Gérard et Florent) : Comprendre – l’ouvrage “Face à la Puissance” de François Jarrige et Alexis Vrignon, sur l’histoire des énergies renouvelables. “Instructif sur les enjeux d’acteurs et de résistance” pour nos interviewés. “Il y a un parallèle à faire sur la diffusion de l’assainissement écologique”. Egalement, l’ouvrage de Renaud Delooze, “L’urine, de l’or liquide au jardin” Agir – “Faire pipi dans une bouteille !” pour Florent. “Et diluer x5 à x20 dans de l’eau, selon les plantes arrosées.” |
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Propos recueillis le 7 novembre 2022, mis en forme pour plus de clarté et relus et corrigés par Florent, Enora et Gérard. Merci à Marine Legrand et à Victor Ledoux. Crédit photo de Une : Damien Caillard, Tikographie