Ouverte en 2017, la médiathèque intercommunale Entre Dore et Allier avait fait grand bruit autour d’un concept original : celui de laisser aux habitants une place importante dès la conception du bâtiment et de ses usages. Cinq ans après, le bel équipement de verre et de brique a su préserver sa dynamique de tiers-lieu grouillant d’activité.
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Mon ressenti
Même si la lecture est une de mes activités favorites, ce n’est pas exactement en tant que médiathèque que celle de Lezoux m’intéresse ici, mais en tant que tiers-lieu.
Le concept de tiers-lieu est une notion centrale pour l’équipe de Tikographie, parce que c’est dans un tiers-lieu que sont nés ce média, mais aussi l’association Par Ici la Résilience qui le porte, et que nous nous sommes tous rencontrés. Cet endroit, nommé Epicentre Factory, a créé à Clermont, durant huit ans, d’innombrables rencontres fécondes, de multiples connexions, des projets improbables, beaucoup d’amitiés et d’habitude de travailler ensemble avec des personnes aux activités extrêmement hétéroclites. Une effervescence à laquelle j’ai participé de bout en bout et que je me réjouis aujourd’hui de voir fleurir ailleurs, sous d’autres formes, ambitieuses ou modestes, en ville ou en territoire rural…
C’est bien beau, Marie-Pierre, mais quel rapport avec le propos de ce média qui se propose d’explorer les pistes de résilience pour rendre notre territoire puydômois capable de s’adapter aux crises futures, notamment environnementales ?
Le rapport paraîtra évident à tous ceux qui ont fréquenté régulièrement un tiers-lieu. Dans ces endroits, on croise une population diverse, des façons de raisonner et d’agir opposées, des personnalités complémentaires. On apprend les uns des autres. On expérimente. On échange beaucoup : des propos, des idées, des savoir-faire, des compétences.
Tout ça permet à un territoire une souplesse d’esprit, une créativité, un sens du bricolage, de l’improvisation, du faire-ensemble, de la solidarité qui seront précieux quand il s’agira d’affronter de l’inédit et du perturbant. Ça aide même pour anticiper ces situations. Sans compter que ça aide aussi dans la vie de tous les jours, même quand il n’y a pas de crise.
Lezoux semble sur la bonne voie…
Marie-Pierre
La structure : Médiathèque Entre Dore et Allier
Médiathèque intercommunale de Lezoux, fonctionnant comme un tiers-lieu ouvert avec participation active des habitants
Ouverte en 2017 sous l’impulsion d’une communauté de communes décidée à offrir à ses habitants un lieu exceptionnel, la médiathèque de Lezoux propose une activité bien plus large que l’emprunt de livres et autres médias, bien que celui-ci reste au cœur de l’activité.
Avec un programme baptisé « la médiathèque dont vous êtes le héros », tout habitant peut proposer de partager un savoir-faire lors d’ateliers ouverts à tous.
Parmi les activités remarquables, on compte la grainothèque, la programmation culturelle gratuite, un atelier de fabrique et de réparation, un projet autour du jardin, des groupes tricot ou couture…
L’établissement s’appuie aussi sur treize points médiathèques, répartis sur les communes du territoire et tenus par des bénévoles.
Depuis son ouverture, il affiche des taux de fréquentation records pour un territoire dont la commune-centre compte 6000 habitants.
Les principaux points à retenir
- Ouverte en 2017, la médiathèque de Lezoux affiche des taux de fréquentation impressionnants.
- Parmi les explications : la gratuité des activités, la fermeture de la médiathèque de Thiers, mais surtout la place laissée aux habitants qui participent à la définition des usages, à la programmation, à l’animation…
- Le bâtiment éclairé par de larges baies vitrées, avec ses espaces chaleureux et multifonctionnels, la fantaisie laissée par les habitants, des rayons pour accueillir même ceux que la lecture intimide… tout est fait pour que les usagers se sentent à l’aise.
- Parmi les activités emblématiques : une grainothèque, un projet participatif d’aménagement du jardin, les sacs de lecture surprise, les ateliers animés par les “héros”, ces habitants qui partagent leur savoir-faire…
- La médiathèque se veut aussi inclusive : projet de skate park avec les jeunes, séances de cinéma avec les maisons de retraite, activités multiples avec les établissements accueillant des personnes handicapées…
- La réussite est due à des choix politiques forts : liberté laissée à l’équipe professionnelle, volonté de créer un établissement d’exception et sur-mesure pour le territoire, concept de tiers-lieu où les décisions sont partagées avec les usagers.
- Et la réussite se ressent y compris à l’extérieur, dans le bourg de Lezoux.
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C’est à se demander si on doit se donner la peine de décrire les lieux. Avec 6 000 inscrits et plus de 105 000 entrées rien que sur l’année 2022, on peut croire que tout le monde, depuis cinq ans, a eu l’occasion d’apprécier un jour ou l’autre la médiathèque de Lezoux, ses espaces illuminés par les grandes baies vitrées, ses recoins où se multiplient les bonnes idées et les usages étonnants, ses fauteuils confortables et colorés. « Hier c’était de la folie : nous avons eu six cents passages », s’étonne Jean-Christophe Lacas, directeur de cet établissement intercommunal. Et encore les comptages ne se font-ils qu’au portillon d’accès à la bibliothèque proprement dite. Il convient donc d’y ajouter tous ceux qui s’arrêtent au hall, pour prendre un café, visiter l’exposition du moment, bavarder ou accéder à l’auditorium le temps d’un spectacle ou d’un atelier.
Voilà pour les chiffres. Reste à les expliquer et surtout à comprendre pourquoi le succès de cet équipement perdure, une fois passé l’engouement de son ouverture. On pourrait évoquer la gratuité de l’entièreté de la programmation. Ou la fermeture – dans un provisoire qui dure – de la médiathèque de Thiers.
Mais les indices de ce qui fait son succès sont d’abord à repérer sur place, dans l’inventivité de tous ceux qui se sont approprié les lieux : employés, usagers, bénévoles contributeurs, enfants ou adultes… Devise de l’établissement : « La médiathèque dont vous êtes le héros ».
De surprise en (sacs) surprise
En faisant le tour du grand plateau où s’alignent les rayons de livres, revues, vidéos et jeux, on découvre ainsi les maquettes en Lego réalisés par une habitante : celle de la médiathèque elle-même, celle du futur skate park qui doit prendre place derrière le bâtiment, un nouveau projet imaginé avec et pour les jeunes qui ont trouvé sur le parvis l’emplacement de Lezoux le plus approprié à leur activité.
« Hier c’était de la folie : nous avons eu six cents passages. »
Jean-Christophe Lacas
Plus loin, un entassement de « sacs surprise » intrigue. Vous les emprunterez avec leur lot de livres sur un thème donné, mais sans savoir ce qu’ils contiennent exactement. « C’est une initiative du groupe des couturières, explique Jean-Christophe Lacas. Elles ont commencé par réaliser les sacs, puis on leur a donné accès à la brodeuse numérique de l’atelier pour y ajouter le logo de la médiathèque. Peu à peu, elles se sont même chargées de sélectionner les livres. »
Dans le coin des enfants, en cette matinée de vacances scolaires, ils sont déjà nombreux à se servir dans les bacs d’albums jeunesse, à s’installer pour les feuilleter autour des petites tables ou sur les gradins très bas, conçus spécialement pour le lieu. Un immense rideau rouge suspendu à une tringle circulaire permet d’isoler complètement cet emplacement en un espace intime, le temps de conter une belle histoire à un jeune auditoire.
Le tour des lieux passe aussi devant des espaces fermés mais vitrés : salles de travail ou de réunion, petit fablab où l’imprimante 3D voisine avec la brodeuse ou la découpeuse, espace jeux vidéo…
Graines, héros et formica
Près de l’entrée, un meuble à tiroirs contient les précieux trésors de la grainothèque, l’une des initiatives les plus emblématiques de l’endroit. Chaque mois, le groupe des « Energétiques » y tient une permanence pour accueillir, discuter, conseiller, animer les échanges… Une manière de partager sa passion du jardin, de se réapproprier un patrimoine d’espèces locales ou plus exotiques de plantes aromatiques ou à infusion, de légumes, de fleurs… Les bénévoles, qui s’organisent en toute autonomie, se chargent de recueillir les dons de graines qui sont triées, rassemblées dans d’ex-petits pots de bébé (don des assistantes maternelles) et minutieusement rangées par ordre alphabétique dans les tiroirs.
« Toujours le principe de recréer du lien entre les gens. »
Jean-Christophe Lacas
Juste à côté, un meuble bizarroïde a fait son apparition récemment : le formicable. Ne cherchez pas le mot dans le dictionnaire, c’est une invention maison. Un mélange de buffet de grand-mère en formica et de high tech avec un grand écran tactile. Le meuble contient la collection complète des vidéos réalisées pour la médiathèque : ateliers, animations, portraits des « héros » que sont ici les volontaires qui, fort d’un savoir-faire particulier, le partagent sous forme d’ateliers ouverts à tous.
De l’art du vitrail au massage des pieds, de l’affutage des couteaux à la sophrologie, du tricot à la conservation des papillons… Grâce à l’engagement d’habitants enthousiastes, on peut s’enrichir de connaissances hétéroclites tout en nouant des liens.
La magie du jardin
Car la visite des lieux ne reflète qu’une petite partie de l’activité. La médiathèque accueille tout au long de l’année des myriades de rendez-vous d’une belle diversité. Outre ces ateliers de partage de savoir-faire, on recense ainsi une séance cinéma les vendredis après-midi, ouverte à tous mais accueillant d’abord le public des maisons de retraite. « Ces séances réunissent en moyenne cinquante personnes, précise Jean-Christophe. Les participants choisissent le film et on termine par un goûter. Avec toujours le principe de recréer du lien entre les gens… »
Autre exemple : le jardin qui est en train de sortir de terre. Le directeur raconte comment une trentaine de bénévoles a pris le chantier en charge : « Ce groupe fonctionnait moyennement, jusqu’à ce qu’on le rapproche des ‘Energétiques’ de la grainothèque. Ça a créé une belle dynamique, avec des possibilités d’échanges : le jardin pourra fournir des graines, ou des plantes pour les tisanes. ».
Le samedi précédent mon passage, un chantier participatif a permis de dessiner les contours de ce futur lieu d’agrément en forme de mandala. « Il y a une semaine il n’y avait rien et en trois heures, avec quinze personnes y compris des enfants, c’est sorti de terre. C’est magique ! », s’émerveille Elsa, une des bibliothécaires qui s’activent dans les rayons ou derrière les banques d’accueil.
La médiathèque n’oublie pas de veiller à inclure toute la population : les personnes âgées, les jeunes qui préféraient tourner autour du bâtiment qu’y entrer, pour ce projet de skate park. Mais aussi les différents établissements accueillant des personnes handicapées, avec lesquels de nombreux projets sont développés.
Et bien sûr la lecture
La douzaine de salariés est à l’écoute de toutes les demandes. « Les idées fusent énormément », constate Elsa, qui apprécie le contraste avec son ancien emploi dans ce qu’elle appelle une « bibliothèque normale ». « C’est agréable d’être à l’écoute, de partager, d’apprendre, poursuit-elle. Nous sommes là pour ouvrir des portes mais ensuite, les gens prennent les activités à bras le corps. Les habitants, comme les collègues, apportent des idées, des ressources. Tout le monde est au même niveau. »
« C’est agréable d’être à l’écoute, de partager, d’apprendre. »
Elsa, bibliothécaire
Être à l’écoute, cela signifie répondre aux besoins comme ils arrivent. Encore un exemple ? « Un télétravailleur qui travaille à distance trois jours par semaine est venu nous voir pour ne pas rester seul chez lui. Nous n’avons pas vocation à devenir un coworking, mais nous lui avons trouvé une salle de travail et de temps en temps, il en sort pour se mêler au bruit de la bibliothèque. Maintenant il fait partie des meubles ! »
Sans parler du groupe « Folies textiles », qui en ce moment prépare un « attrape-rêve » géant qui sera déployé dans le hall, après d’autres initiatives tout aussi folles pour apporter leur touche de fantaisie.
Et bien sûr, on croise aussi… des lecteurs. Car tout de même, le centre de l’activité reste la médiathèque, avec ses quelque 50 000 références et ses 170 000 prêts. « C’est l’équivalent de ce que recense une ville de 40 000 habitants ! », se réjouit le directeur. Pas mal pour une commune qui en compte six mille, ou même pour la communauté de commune Entre Dore et Allier avec ses presque 20 000 ressortissants. Les points médiathèques animés dans chaque commune, par des bénévoles et avec le soutien de l’établissement central, participent aussi à ce succès.
Bien sûr, la bande dessinée, les mangas, la littérature jeunesse sont en bonne place parmi les demandes, mais pas seulement. Tout est pensé pour que les lecteurs, aussi bien les boulimiques que les peu à l’aise avec les mots, se sentent légitimes à s’aventurer dans les rayons. Ils y trouvent, occupant une place centrale, une section « facile à lire ». « Cela ne veut pas dire que ce sont des livres sans intérêt littéraire ; on y propose beaucoup de classiques, mais peut-être les plus courts, les plus accessibles. » Un îlot « romances » accueille le visiteur dès l’entrée. Et une des bizarreries de cette bibliothèque la rend aussi moins intimidante : on est autorisé à y faire du bruit.
Les lignes bougent
J’ai envie d’insister : en cinq ans, parmi tous ces projets, y en a-t-il qui n’ont pas fonctionné ? Jean-Christophe Lacas ne trouve pas… « Ici on expérimente, on lance des choses dont certaines durent plus ou moins, ou mettent du temps à s’installer, mais rien ne peut être considéré comme un échec. On laisse plein d’espaces vides que les habitants peuvent remplir. On prend le temps de construire. C’est peut-être un luxe, mais il est important. »
C’est sans doute, finalement, la principale clef de cette réussite : le temps, et la place laissée aux habitants. « Les bénévoles peuvent tout faire, à l’exception de l’accueil et du conseil pour la lecture, réservés à l’équipe », précise Jean-Christophe Lacas.
“On n’est plus sur un système descendant. Nous faisons avec les habitants, avec l’histoire et les particularités de ce territoire. »
Jean-Christophe Lacas
Ce qui fait que l’équipe, finalement, est bien plus large que les douze salariés : elle compte aussi près de soixante-dix bénévoles actifs qui participent à l’animation culturelle. Et tous les extérieurs qui viennent régulièrement apporter leur pierre : personnes chargées de l’entretien, permanences de la mission locale, puéricultrice qui anime ici des rencontres avec parents et enfants. Et si au début, l’établissement sous-traitait la couverture et l’étiquetage des livres dans le nord de la France, une solution locale a fini par être trouvée : des personnes en insertion de la Régie de territoire des Deux Rives viennent régulièrement de Billom pour réaliser cette tâche tout en développant de belles compétences.
Ajoutez la volonté politique de laisser le champ libre à l’équipe, peu habituelle dans un établissement public. A preuve la difficulté qu’a eue la médiathèque à tisser des liens avec le Musée départemental de la Céramique voisin, en raison des lourdes procédures de validation côté Département, qui freinaient les élans. « Mais ça s’améliore, rassure Jean-Christophe. Nous avons de plus en plus de projets en commun : parcours théâtralisé, jeux, ateliers, conférences… »
La médiathèque commence à déplacer d’autres lignes dans la bourgade de Lezoux. Elle semble avoir ravivé une certaine fierté parmi les habitants. Et étiré le cœur de bourg vers cette zone un peu excentrée qui, il y a dix ans, était encore un pré entre la gendarmerie et le cimetière. Le projet de réaménagement du centre-bourg qui est en cours tient compte de cette nouvelle réalité.
« Ici, la notion de territoire a du sens, conclut Jean-Christophe Lacas en reprenant des propos qui n’ont pas varié depuis cinq ans. Parce qu’on n’est plus sur un système descendant. Nous faisons avec les habitants, avec l’histoire et les particularités de ce territoire. »
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Reportage réalisé le mercredi 8 février 2023. Photo de Une Marie-Pierre Demarty