Association nationale dans le sillage du think tank Shift Project et de Jean-Marc Jancovici, les Shifters se déclinent dans de nombreuses villes. Rencontre avec le groupe lyonnais, particulièrement actif, qui a organisé deux “Univershiftés” de plusieurs milliers de participants.
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Ressenti de l’auteur
Comme souvent, je rebondis d’échange en rencontre, ça me permet de découvrir à chaque fois de nouveaux horizons. Dans le cas qui nous intéresse ici, remontons un petit peu la pelote : connaissant Jean-Marc Jancovici par ses conférences (comme celle donnée à Sciences Po en 2019, “CO2 ou PIB, il faut choisir” * ) et sa bande dessinée “Le monde sans fin“(principale vente 2022, tout de même), ayant acheté (mais pas complètement lu) le Plan de Transformation de l’Economie française du Shift Project, j’avais une petite idée de leur approche commune des sujets énergie, climat et territoire.
Restait la pièce un peu mystérieuse des Shifters, dont je me demandais quelle place ils avaient entre “Janco” et le Shift Project. Là, une amie parisienne me relaye vers quelques membres du groupe des Shifters lyonnais, qui m’ouvrent très sympathiquement leurs portes – au sens figuré, mais on a quand même calé un déjeuner à quatre à 48 heures d’intervalle. Cela m’a permis d’avoir un premier aperçu de leur activité, de leur fonctionnement et de leur approche des problèmes de “transformation” de l’économie et de la société.
Et à Clermont me direz-vous ? Patience, la mécanique est en route et j’espère bien vous en parler plus en détail d’ici quelques mois.
Damien
*attention tout de même à ces références qui datent un peu, elles sont intéressantes mais laissons à l’intéressé (et à tout le monde en fait) le droit de changer son point de vue au cours du temps
Les principaux points à retenir
- Les Shifters sont liés au Shift Project (un important think tank sur l’économie et l’environnement, qui a notamment publié le Plan de Transformation de l’Economie Française), et au conférencier Jean-Marc Jancovici, mais ont leur propre autonomie. Ils sont structuré en association nationale comptant 5000 membres et qui développe plusieurs groupes locaux, dont celui de Lyon.
- A Lyon comme dans les autres villes, les Shifters relaient les travaux du Shift Project, produisent leurs propres contenus, forment leurs propres membres et organisent de nombreux événements grand public comme l’Univershifté (série de conférences ouvertes à tous, tenues une fois par an). Ils animent aussi des formations et des temps de sensibilisation au sein des structures membres.
- L’approche des Shifters est de rechercher les principaux points de bascule de l’économie et de la société françaises, dans le cadre d’une transformation de fond face au dérèglement environnemental. Ils abordent tous les sujets, initialement énergie et industrie, mais aussi alimentation, biodiversité, habitat, etc.
- Le groupe lyonnais porte sur la métropole lyonnaise bien sûr mais aussi sur Saint-Etienne et Roanne. Les profils, auparavant ingénieurs et scientifiques, se sont diversifiés et féminisés. Les actions organisés par les Shifters Lyon se font en local mais dans une logique de complémentarité avec les Shifters France. Enfin, les membres de la structure lyonnaise insistent sur le fait que leur militantisme se traduit plus à travers les contenus et événements qu’ils produisent que lors de manifestations.
La structure : les Shifters Lyon
Association lyonnaise liée aux Shifters (France)
Les Shifters Lyon sont issus de la structuration associative du groupe local des Shifters (France) dans la capitale des Gaules. En 2023, les Shifters – au niveau national – regroupent 5000 membres cotisants et près de 20 000 inscrits sur les listes de discussion en ligne, principalement de particuliers mais aussi des personnes morales des différents territoires couverts. A Lyon, on compte 800 participants aux échanges en ligne, et environ 70 membres actifs.
L’activité des Shifters Lyon était initialement liée aux rapports produits par le Shift Project, dont la relecture et la promotion au niveau local, via des conférences. Rapidement, l’action s’est élargie à la formation de ses membres (en lien avec d’autres villes et avec l’association nationale), l’organisation d’ateliers en interne ou au sein des structures adhérentes, et la tenue d’événements ou d’initiatives à l’échelle du grand public. Ainsi, les Shifters lyonnais ont accueilli les deux premières éditions de l’Univershifté en 2021 et 2022, un temps fort ouvert à tous et regroupant plusieurs conférences et moments de formation.
Enfin, les Shifters peuvent produire leurs propres contenus, en parallèle du relais des publications du Shift Project. Ils partagent avec cette dernière association plusieurs membres de leurs conseils d’administration, et plus largement l’intérêt pour la rigueur scientifique comme base de réflexion, et pour la recherche des leviers majeurs de transformation dans l’économie et la société françaises.
Accès direct aux questions
- Le Shift Project est un des principaux think tank français sur la transformation de l’économie. Comment se positionne-t-il par rapport aux Shifters ?
- Quelle est alors la spécificité des Shifters ?
- On parlait de “Janco” [Jean-Marc Jancovici] tout à l’heure… vous sentez-vous libres par rapport à ses prises de position ?
- Les Shifters lyonnais sont un des plus importants “groupes locaux” en France…
- Avez-vous pu créer une vraie dynamique locale ?
- Comment organisez-vous votre action ?
- Le terme “shift” [“décalage”, en anglais] paraît central. Quelle signification lui donnez-vous ?
- Quelles actions portez-vous sur Lyon ?
- Comment vous positionnez-vous dans l’écosystème local des structures engagées ?
Pas assez de neige, pas assez d’eau, trop de chaleur… comment les acteurs touristiques locaux s’adaptent-ils aux conséquences du dérèglement climatique ?
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Quelques mots sur les intervenants :
- Camille Théron (38 ans) a travaillé sur les pratiques agronomiques en Asie du Sud-Est. Elle a “basculé” en 2018 en suivant le rapport du GIEC, puis a connu Jean-Marc Jancovici par une conférence donnée à AgroParisTech. Elle est aujourd’hui très engagée chez les Shifters depuis 2018, fait partie du bureau lyonnais mais aussi du C.A. national depuis janvier 2023. Elle est également responsable environnement chez Handicap International.
- Lionel Bercis (49 ans) a suivi des études en sciences et en chimie, notamment à Clermont. Il a ensuite bifurqué vers l’informatique et a travaillé pour des SSII. En 2007, il déménage à Lyon et développe une fibre écolo à titre personnel. Le Covid-19 l’a fait basculer vers l’action collective et il s’est inscrit aux Shifters après le premier confinement. Membre du bureau lyonnais depuis 2022, il a un fort intérêt pour les outils de transmission comme les ateliers pédagogiques de type Fresque, dont il est devenu animateur. Il cherche aujourd’hui à intégrer ces ateliers au catalogue de formation de son entreprise.
- Thomas Vinot (27 ans), Lyonnais d’origine, a suivi des études en ingénierie des systèmes électriques. Après une initiative entrepreneuriale avortée par le Covid, il a repris des études en politique de déplacement publiques. Il travaille depuis 2020 sur le sujet du covoiturage dans un syndicat public, et plus largement des questions de coordination des projets de transport dans le périmètre urbain lyonnais. Il a participé au financement du Plan de Transformation de l’Economie Française, parmi 500 000 soutiens, et a intégré le bureau des Shifters lyonnais en 2021.
Le Shift Project est un des principaux think tank français sur la transformation de l’économie. Comment se positionne-t-il par rapport aux Shifters ?
Thomas : il faut bien différencier les Shifters du Shift Project. Le Shift Project est une association qui regroupe une quarantaine de salariés et qui produisent des rapports sur la société et l’économie française [dont le Plan de Transformation de l’Economie Française – PTEF – publié en 2022, NDLR].
Camille : le Shift Project est, en effet, un think tank, dont tous les adhérents sont des personnes morales. Et même des grandes entreprises, puisque le ticket d’entrée était initialement entre 30 000 et 50 000 euros ! Maintenant, ils s’ouvrent aux PME.
“Notre poids, notre capacité de rayonnement en local sont très différents du Shift Project.”
Camille Théron
L’objectif des entreprises adhérentes au Shift Project est celui d’une évolution stratégique pour être plus compétitif, ou plus efficace. On y trouve une vingtaine de grands groupes comme la RATP, EDF, des entreprises du béton et de l’industrie. Et, donc, de nombreuses PME voulant participer à la transition écologique et sociale.
Les Shifters sont simplement issus d’amis de Jean-Marc Jancovici [fondateur du Shift Project, NDLR] qui voulaient contribuer aux travaux mais qui ne représentaient pas de personnes morales. Ils ont donc créé une association complémentaire, les Shifters, d’abord dédiée à la relecture des travaux du Shift Project et à l’organisation de conférences grand public. Aujourd’hui, il y a encore des membres communs aux conseils d’administration des deux structures.
Quelle est alors la spécificité des Shifters ?
Camille : De notre côté, nous sommes aussi une association nationale mais bien plus grande, puisque nous avions 5000 cotisants à fin 2022, et près de 20 000 personnes inscrites à notre newsletter. Nous sommes bien sûr ouverts aux particuliers, partout en France, et même à l’étranger. Notre poids, notre capacité de rayonnement en local sont très différents du Shift Project. Enfin, nous sommes de plus en plus organisés, notamment au niveau des grandes villes françaises.
Thomas : et nous pouvons produire nos propres contenus et porter nos propres projets ! Mais cela ne nous empêche pas de faire la promotion des travaux du Shift Project, car ils sont d’une grande rigueur scientifique. C’est une valeur cardinale pour tous les Shifters.
On parlait de “Janco” [Jean-Marc Jancovici] tout à l’heure… vous sentez-vous libres par rapport à ses prises de position ?
Thomas : nous ne sommes en aucun cas la “secte” de Jean-Marc Jancovici ! Certains membres de l’asso peuvent être en désaccord avec lui sur des sujets spécifiques. Le constat est cependant bien partagé : une forte volonté de changement et la recherche de points de bascule majeurs.
Camille : par exemple, le PTEF – que nous relayons – ne se focalise pas sur le débat énergies renouvelables versus nucléaire, même s’il fait globalement la promotion des énergies décarbonées. C’est un choix délibéré car ça cristallise trop ! Notre message est alors de parler isolation, utilisation des bâtiments, modes de chauffage – par exemple – sur le sujet du logement (mais nous parlons aussi alimentation, emploi, etc.). C’est une autre manière d’aborder le sujet de l’énergie. Je pense même que le lien avec Jean-Marc Jancovici peut nous desservir sur certains sujets.
Les Shifters lyonnais sont un des plus importants “groupes locaux” en France…
Thomas : disons que nous avons 800 inscrits dans notre groupe d’échange sur Discord, mais certains sont juste “passés par là”. Sur WhatsApp, 300 personnes participent aux discussions. Et on peut réduire les actifs en physique à 60-70, et les super-actifs à une trentaine – dont 10 au sein du bureau.
“La rigueur scientifique (…) est une valeur cardinale pour tous les Shifters.”
Thomas Vinot
Au début, on attirait beaucoup de gens de formation ingénieur et scientifique. Les premiers Shifters étaient des ingénieurs parisiens d’EDF et du monde de l’énergie ! Mais, heureusement, les profils évoluent et se féminisent beaucoup.
Lionel : les tranches d’âge sont mieux réparties qu’avant, surtout dans notre groupe lyonnais. Il y a autant de retraités que de personnes autour de la trentaine, par exemple. Et on attire des gens de Lyon bien sûr, un peu de Roanne et Saint-Etienne. Voilà notre périmètre géographique.
Avez-vous pu créer une vraie dynamique locale ?
Thomas : je dirais même que les Shifters ne pourront peser que si on crée cette dynamique. On fait donc en sorte que les gens puissent se rencontrer, par des conférences, des ateliers, des relais de communication.
Toutes nos actions sont donc sur Lyon et sa périphérie, même si on relaie beaucoup de projets portés par l’association nationale. Plusieurs d’entre nous – dont Camille ici présente – sont actives dans des projets nationaux ! La complémentarité est plutôt au niveau des moyens et des organisations, puisque nous pouvons plus facilement toucher les acteurs locaux.
Comment organisez-vous votre action ?
Camille : nous avons plusieurs pôles ou domaines, comme celui de la “formation interne”. Le but est d’aider les Shifters à se former pour monter en compétence. Nous avons une centaine de bénévoles qui travaillent sur la rédaction d’outils de formation – sur la base des rapports du Shift Project. Derrière, il y a une cinquantaine de formateurs actifs, et une dizaine de formations par mois, à l’attention des Shifters.
“Les Shifters ne pourront peser que si on crée cette dynamique [locale].”
Thomas Vinot
Et il y a d’autres actions : celle du domaine “Débat Public”, qui organise de grands débats publics, des grands événements comme un festival cinéma sur la transition écologique, ou encore l’Univershifté. Ce rendez-vous annuel des Shifters s’est tenu les deux dernières années à Lyon, et il se déroulera à Nantes les 18 et 19 juin. Il est ouvert à tous avec des conférences et des ateliers. Il attire plus de 2000 participants uniques !
Thomas : pour ma part, je travaille dans une équipe à la coordination des évènements grand public au niveau national.. On peut ajouter à ce qu’a dit Camille Shiftopie, qui est un concours de nouvelles et de courts métrages. Et le dispositif Shift Event, qui nous permet de participer à des salons professionnels organisés par des tiers.
Le terme “shift” [“décalage”, en anglais] paraît central. Quelle signification lui donnez-vous ?
Lionel : ça ne nous définit pas forcément. Chacun y met ce qu’il veut.
Camille : je préfère le mot “transformation”, présent dans le PTEF. La “transition”, par exemple, implique une forme de douceur pour moi. La “transformation” est plus radicale, elle secoue les choses.
C’est ce que j’apprécie parmi les Shifters : on porte un objectif de transformation, une ambition profonde. Quand on prend les calculs, quand on se met face à la réalité, on n’a pas le choix. Installer un composteur de quartier ne suffira pas.
“Il faut aussi investir les champs de la biodiversité, de l’eau, des ressources minérales… à condition de le faire sans biais idéologique.”
Lionel Bercis
Thomas : les Shifters regardent les ordres de grandeur. Ils cherchent ce qui produira le plus de changements, d’abord sur le carbone et l’énergie, mais aussi – peu à peu – sur les autres thématiques. Le carbone est un levier capital, et il a l’avantage d’être mesurable.
Lionel : mais il faut aussi investir les champs de la biodiversité, de l’eau, des ressources minérales… à condition de le faire sans biais idéologique, c’est vraiment important. Encore une fois, c’est la rigueur scientifique qui nous motive.
Quelles actions portez-vous sur Lyon ?
Thomas : on agit sur les particuliers, les institutionnels et les entreprises, à travers des campagnes de communication – par exemple, sur les économies d’énergie, dans la rue ou en ligne. On essaye de travailler avec les structures publiques sur ces sujets.
On anime aussi des ateliers comme la Fresque du Climat, l’Atelier 2 Tonnes, ainsi que des conférences et des tables rondes. Récemment, nous avons rassemblé 200 personnes autour d’Aurélien Bigo, spécialiste de la mobilité.
Enfin, nous tentons de sensibiliser les élus, et de répondre à leurs sollicitations. Dans les faits, c’est plutôt nous qui allons vers eux, mais ça nous permet de les sensibiliser au PTEF, ou à sa déclinaison plus locale qu’est le Cahier résilience des territoires.
C’est plus difficile de toucher les entreprises, car il y a moins de points d’entrée. La clé est d’avoir, parmi les Shifters, des salariés ou des cadres de ces structures. On peut organiser des ateliers en leur sein, et bien sûr on invite les décideurs dans nos événements. Mais c’est surtout le Shift Project qui parle aux entreprises, même si la dimension locale de notre action peut être pertinente.
Comment vous positionnez-vous dans l’écosystème local des structures engagées ?
Thomas : on est autant militants que Greenpeace ou Alternatiba, mais on vient moins dans les manifs. Car ce n’est pas ce qui a le plus d’impact pour nous. Au-delà des slogans, l’important est la connaissance et son application concrète.
Je dirais que notre point fort est l’ouverture d’esprit. Tout le monde est bienvenu parmi les Shifters, tant qu’on accepte la confrontation, l’échange, la critique constructive. Chacun peut y porter son projet, à condition qu’il respecte notre charte – par exemple, on a lancé un groupe de réflexion sur la transition à l’hôpital. C’est comme ça que nous espérons faire levier sur la transformation de l’écosystème local.
Pour aller plus loin : Comprendre – la page des rapports et publications du Shift Project Agir – rejoindre les Shifters, présents dans de nombreuses villes (via le site web national) … ou écrire au groupe des Shifters clermontois, en cours de constitution (bientôt un échange avec eux !). Enfin, vous pouvez participer à l’Univershifté 2023, ouverte à tous (prochainement annoncée sur le site web) |
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Propos recueillis le 25 janvier 2023, mis en forme pour plus de clarté et relus et corrigés par Camille, Thomas et Lionel. Crédit photo de Une : Damien Caillard, Tikographie