Le récent “scandale dans un verre d’eau” des Césars a remis le doigt sur le problème : le 7ème art français est souvent mal à l’aise avec la question du dérèglement environnemental. Dans cette chronique, j’évoque deux exemples aux deux extrêmes, histoire d’explorer tout le (cinéma) scope
Je faisais un bout de cuisine et mon épouse regardait les Césars 2023, retransmis en direct sur Canal. J’attendais que les sketches d’un humour médiocre se terminent. Là, je constate qu’une série de bande-annonces a remplacé la diffusion en live. Je comprends après quelques minutes qu’il y a eu un incident imprévu mais sommes toutes mineur : une militante pro-climat a surgi sur scène et a montré son t-shirt à tout le monde. Sur ledit t-shirt était écrit : “we have 761 days left” [il nous reste 761 jours], sous-entendu non pas avant la fin du monde ou la sortie du dernier album de Francis Lalanne, mais – en théorie – pour agir avant de passer au-dessus des 1,5° d’augmentation globale des températures.
La jeune fille, membre de l’association Dernière rénovation, a semble-t-il été évacuée promptement hors de la scène, puis la soirée – et le direct – on repris leur cours, comme si de rien n’était.
Cette courte interruption “indépendante de notre volonté” était intéressante en soi, parce qu’elle a bien montré le malaise des animateurs du moment (Ahmed Sylla et Léa Drucker) mais aussi de la production, qui n’ont ni rebondi ni valorisé ce moment. Alors que de nombreux autres messages, souvent sociaux ou humanistes (l’Iran, l’Ukraine, voire le sort des femmes à travers les récompenses du très beau film La nuit du 12), ont jalonné la soirée.
Un peu d’encre a coulé sous les plumes suite à ce moment délicat. Ce matin, une tribune dans Le Monde a réuni de nombreux artistes du cinéma français pour appeler à plus d’action en faveur du climat, dans le milieu du 7ème art. Personnellement, j’ai bien aimé le mème qui circule sur les réseaux sociaux comparant la photo de la militante à côté des animateurs figés et celle des héros de Don’t look up assis sur le plateau de l’émission télé.
Le cinéma, et plus largement la création vidéo (Netflix, télé…) ont une grande influence sur nos imaginaires. Il ne faut pas sous-estimer la force du message qu’ils peuvent nous faire passer, en plein ou en creux. A titre d’exemple, permettez-moi de développer deux retours d’expérience récents.
A la télé, les combats pour la planète contre les détails qui tuent
J’avais vu une honnête série télé en janvier et début février, appelée Piste noire. On était dans le format France télévisions, donc ce n’était pas du David Fincher, mais j’aurais vraiment pu passer un moment plus désagréable. En gros, une jeune enquêtrice cherche à élucider un meurtre dans une station de ski et met à jour un complot autour de la construction d’un complexe touristique. A la fin, elle gagne.
Dans cette série française, une partie de l’intrigue tourne autour d’un groupe de militants écologistes locaux, emmenés par une jeune monitrice de ski très attachée à son territoire et à sa nature. Les affrontements avec les forces de l’ordre font penser aux ZAD les plus récentes, façon France TV. Peu importe les moyens, l’image du combat pour la nature et contre les méchants promoteurs (et leurs associés mafieux russes, zut j’ai spoilé) est un des pivots du scénario. Si notre héroïne l’emporte, c’est qu’elle permet la remise en cause du projet écocide.
Ce qui est intéressant, c’est de remarquer que – malgré ce vrai engagement pro-nature des auteurs – plein de petits détails restent ancrés dans de vieilles habitudes où l’impact environnemental n’est pas considéré. J’en citerai deux, qui m’ont tout de suite marqué parce qu’ils ne sont justement pas remarquables :
- Le brigadier bourru (Thibault de Montalembert) qui accompagne la jeune enquêtrice fume clope sur clope, y compris dans la voiture. Et où jette-t-il ses mégots ? Par la fenêtre, gagné. Pour rappel, un mégot est plein de saletés chimiques. Quant il est balancé dans la nature, il peut polluer jusqu’à 500 litres. Le bon réflexe, si on ne peut éviter de fumer, est de garder le mégot dans une petite boîte métallique sur soi, puis de jeter dans une poubelle qui sera au moins, un peu, traitée.
- L’héroïne est une ex-sportive de haut niveau, toute belle et svelte (c’est Constance Labbé, même si elle fait la gueule tout le temps). Elle ne s’empiffre pas de raclette mais mange des fruits. Oui mais voilà : elle a choisi les fruits sous forme de compotes, type pom’potes. Vous savez, ces compotes industrielles dans des petits sachets en plastique souple que l’on presse dans sa bouche. C’est ludique, pratique à transporter, mais incroyablement polluant au niveau des emballages. D’autant plus que ça n’a aucun intérêt dans l’intrigue (par exemple, le grand méchant ne GLISSE PAS sur un emballage de compote à la fin). Mais pourquoi ne peut-elle pas croquer des pommes, éventuellement bio ? Le message aurait-il été différent ?
Je m’arrête là car ce genre de détails pas vraiment pensés m’agacent, dans le sens où ils montrent que la “grande histoire” de la lutte contre le projet écocide n’est pas vraiment au cœur des scénaristes, mais plus dans l’air du temps et permet d’attirer des téléspectateurs. Ou bien peut-être qu’il y avait un placement de produit avec une marque de compotes pour enfants, je sais pas.
Au cinéma, le manichéisme américain écolo a bon dos
Partons maintenant dans une salle obscure pour une œuvre complètement à l’opposé de Piste Noire : Avatar 2. Je l’ai vu récemment (oui, bon, d’accord, j’ai traîné) et j’ai franchement bien aimé. Comme quand on va voir un bon blockbuster avec des pop corn ou équivalent (j’avais une pomme – ha ha).
Donc, Avatar, c’est la dernière superproduction de James Cameron (qui avait tout de même réalisé Titanic), une très belle réussite technique et graphique, cousue de fil blanc au niveau scénaristique mais un peu comme tout rouleau compresseur américain. Sur une planète lointaine dans un futur pas trop lointain, le peuple Naavi réside paisiblement dans ses forêts et sur ses plages (#PeupleNatif) quand l’homme débarque pour extraire du minerai, tout raser et dégager les indigènes. C’était Avatar 1 il y a 10 ans, c’est pas bien différent de Avatar 2.
Pourquoi m’en vais-je vous narrer mon expérience de ce film ? Parce qu’on est dans une superproduction américaine, et que les gentils et les méchants sont très clairement identifiés (avec quelques surprises, mais globalement on sait qui est du bon côté de l’histoire). Le héros et sa famille se battent contre l’exploitant exploiteur, nature contre technologie, mysticisme contre appât du gain. Sauf si vous êtes PDG d’une compagnie minière de l’Alberta, vous devriez prendre le parti des Naavi de Pandora contre les mégamachines de l’industrie terrienne.
Ma réflexion est donc : mais ce n’est pas si simple dans la vraie vie ! On aimerait savoir clairement contre qui lutter, quand on souhaite ralentir l’effondrement de notre écosystème. Il y a bien certains acteurs politiques ou économiques qui font clairement n’importe quoi, parfois qui s’en vantent, ou qui s’en moquent publiquement – là, pas de souci. Mais les Trump ou les Bolsonaro sont – encore – assez rares, surtout au niveau de nos petits territoires français. Peut-on immédiatement ranger dans le camp des “méchants” tel ou tel chef d’entreprise parce qu’il n’a pas encore fait de Fresque du Climat ? Peut-on cataloguer écocidaire tel responsable politique ou tel élu local parce qu’il privilégie une bassine à une zone humide ?
Il y a des projets néfastes pour les écosystèmes, certes. Personnellement, j’ai du mal à me dire que les personnes en charge sont des être abominables qu’il faut combattre sans relâche. C’est sans doute mon côté bisounours que certains d’entre vous connaissent, amis lecteurstrices, mais la très grande majorité des gens que j’ai rencontré veulent, ou pensent, bien faire. Et même, ceux qui ne font rien, peut-être seront-ils sensibles une fois correctement informés ?
Par conséquent, on ne peut pas uniquement s’armer de flèches, de baleines et de mitrailleuses waterproof comme les Naavi contre les mineurs. Comme le disait Mattia Geonget lors du dernier TEDxClermont, chacun sa manière de progresser, chacun sa vitesse, mais l’important est d’aller dans la bonne direction. Se mettre en opposition frontale est tactiquement très risqué (la “force de frappe” est encore pas mal du côté du capitalisme productiviste à l’ancienne) et risque fort de braquer les personnes en face. Parvenir à convaincre est beaucoup plus compliqué, nécessite une approche personnalisée et une maîtrise du zen, mais c’est – pour la majorité des cas – la seule bonne solution à terme.
Note : j’aurais bien aimé vous montrer des captures d’écran des œuvres citées, mais je pense que je vais me faire taper sur les doigts
Crédit image de Une : Gerd Altmann sur Pixabay