Depuis trente ans, l’association Chauve-Souris Auvergne observe les colonies de pipistrelles, rhinolophes, grands murins et autres petits mammifères volants de notre territoire. Tous sont des espèces protégées. Comment et pourquoi ? Découvrons-le… de préférence à la tombée de la nuit, avec bienveillance, en évitant de les déranger…
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Mon ressenti
La première condition pour qu’un territoire soit résilient, c’est qu’il soit capable de sauvegarder sa biodiversité : les petites bêtes comme les plus grosses, les arbres majestueux comme les brins d’herbes insignifiants, les « adorables » comme les mal-aimés… Car chaque espèce vivante a son rôle dans un écosystème naturel dont nous sommes aussi, comme les autres, interdépendants.
C’est pourquoi il est bon de prêter attention à toutes ces associations et initiatives qui prennent en charge l’observation et la préservation du vivant, ou d’un fragment de ce grand tissage de liens qui constitue la nature.
En plus, dès qu’on se penche sur une espèce avec des spécialistes, on apprend plein de choses fascinantes.
Avec les chauves-souris, ça ne peut pas manquer. Bienvenue au royaume étonnant des pipistrelles, des rhinolophes, des oreillards et des murins enchanteurs…
Marie-Pierre
Les principaux points à retenir
- Créée en 1994, l’association Chauve-Souris Auvergne observe et inventorie ces petits mammifères volants, et propose des animations de sensibilisation au public.
- Sur 35 espèces présentes en France métropolitaine, 29 sont présentes en Auvergne. Toutes sont des espèces protégées, ce qui suppose qu’on ne les dérange pas et qu’on préserve aussi leur habitat. Pour cela, l’association est missionnée par des collectivités ou des territoires afin de détecter les lieux où elles sont présentes et actives.
- Animal nocturne et discret, la chauve-souris est difficile à étudier et reste mal connue. En été on détecte sa présence par les ultrasons qu’elle émet. Mais c’est surtout en hiver, lorsqu’elle hiberne dans des grottes, caves et autres endroits sombres et humides, qu’on peut (essayer de) les dénombrer.
- Elles sont victimes de vulnérabilités multiples : habitats de plus en plus menacés, populations d’insectes – dont elles se nourrissent – en diminution massive, réchauffement climatique. De surcroît, comme elles ne font qu’un petit par an, une population décimée se reconstitue lentement.
- Elles sont aussi victimes d’idées reçues qui répugnent et font peur, sans raison fondée. C’est pourquoi Chauve-Souris Auvergne s’applique aussi à sensibiliser le public. Quand on les connaît mieux, elles apparaissent fascinantes.
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Elles sont à la fois familières et mal connues, du grand public et des spécialistes. Même si ces derniers en savent quand même bien plus que la plupart d’entre nous. Les chauves-souris, ces étonnants petits mammifères volants, sont un maillon à la fois important et fragile des écosystèmes de notre région. Protégées depuis 2007 en France métropolitaine, toutes espèces confondues. Et nous avons en Auvergne – comme partout ailleurs en France – une association entièrement dédiée à l’étude, à l’observation et à la sensibilisation sur ces compagnes de nos villes et de nos campagnes. Avec quatre salariées, ce qui donne la mesure de leur importance.
Autant de raisons qui méritaient que j’aille pousser la porte de Chauve-Souris Auvergne, dont le siège se situe dans une vieille bâtisse de la commune d’Orbeil près d’Issoire. Juste en face : une maison abandonnée, avec des ouvertures béantes et des pierres manquantes, dont on se dit qu’elle serait propice à abriter des pipistrelles, barbastelles ou quelques grands murins…
Sur place, c’est Sara Le Marchand qui me reçoit. Elle a en charge la communication et la sensibilisation du public, car le public, petit ou grand, a besoin de mieux les connaître. A ses côtés, une coordinatrice et deux chargées d’étude. Mais aussi une centaine d’adhérents, dont une vingtaine de bénévoles passionnés qui se mobilisent notamment lors des comptages d’été ou d’hiver.
Les ultrasons pour quantifier leur activité
A ce stade, comme moi, vous vous posez sans doute déjà une foule de questions. On va faire de notre mieux pour les reprendre dans l’ordre.
Par exemple dans l’ordre chronologique, que Sara, n’ayant pas connu les débuts de l’histoire, résume rapidement : « L’association a été créée en 1994 par quelques copains passionnés qui voulaient protéger les chauves-souris. Puis ça a grandi, les demandes se sont multipliées. L’association a commencé par embaucher un salarié, puis intégrer un stagiaire, puis d’autres salariés. »
« L’essentiel est de savoir si un endroit est fréquenté, car dans ce cas, grâce au statut de protection, il faudra prendre soin du lieu. »
Sara Le Marchand
Des demandes d’études qui constituent une bonne part de ses activités, avec les comptages d’hiver et d’été à l’initiative de l’association et, depuis une dizaine d’années, les animations auprès des publics. Détaillons tout ça…
Ces demandes tout d’abord : les chargées d’étude sont sollicitées pour aller observer un secteur donné et comprendre si les chauves-souris le fréquentent. Ce qui n’est pas si simple… « Dans leur activité nocturne en dehors de la période hivernale, on ne dispose pas de moyens techniques pour compter les individus. On peut seulement mesurer l’activité présente sur un lieu, sans savoir si c’est une même chauve-souris qui va faire de nombreux tours au même endroit ou si elles sont plus nombreuses. Car on détecte les vols grâce à un boîtier qui rend audibles les ultrasons qu’elles émettent pour repérer les obstacles par leur système de sonar », explique Sara. Une ou vingt chauves-souris ? Peu importe : « L’essentiel est de savoir si un endroit est fréquenté, car dans ce cas, grâce au statut de protection, il faudra prendre soin du lieu. »
Ces études peuvent être commandées par les gestionnaires d’espaces protégés, comme les zones Natura 2000 par exemple, car ils sont tenus de surveiller l’état des écosystèmes. Mais aussi par des collectivités, en prévision de chantiers, ou simplement « parce qu’ils souhaitent protéger la biodiversité, soit par conviction, soit parce que c’est dans l’air du temps », précise Anaëlle, l’une des deux chargées d’étude, qui s’immisce un instant dans la conversation.
Espèce parapluie
On devine qu’il y a quand même des enjeux autres que juste se faire bien voir de ses électeurs, si des élus sont prêts à financer des études sur ces autres habitants de leur territoire.
« Les chauves-souris sont des espèces bio-indicatrices : leur observation permet d’avoir une idée de l’état général d’un écosystème.”
Anaëlle Neau
Certes, des opportunités de subventions les y incitent. Mais « les chauves-souris sont des espèces bio-indicatrices : leur observation permet d’avoir une idée de l’état général d’un écosystème, par exemple sur la présence abondante ou non des insectes dont elles se nourrissent, mais qui sont beaucoup plus difficiles à quantifier », poursuit Anaëlle, qui explique aussi la notion d’« espèce parapluie » : « Comme elles sont protégées, si elles sont présentes dans un milieu, on va protéger ce milieu et cela va bénéficier aussi à d’autres espèces non protégées. »
Exemple : un vieil arbre abritant dans un creux une famille de noctules ne peut pas être abattu. Et on n’imagine pas la quantité de bienfaits qu’apporte un vieil arbre, même mort, à la forêt, à ses insectes, ses champignons, aux arbres voisins à mesure qu’il se décompose et enrichit l’humus. Et bien sûr à la noctule, qui en attendant, pourra continuer à y loger et à y faire ses petits.
De même, un tunnel désaffecté ou une grotte pourront être interdits d’accès par une grille si des chauves-souris les ont choisis pour hiberner : le statut de protection implique qu’on préserve les habitats, où qu’ils se trouvent.
Deux ou trois choses à savoir sur les chauves-souris
Sur 6500 espèces de mammifères que compte notre planète, 1400 sont des chauves-souris – ou chiroptères, pour employer le terme scientifique. Mis à part aux pôles, elles sont présentes partout, jusque dans les contrées les plus isolées comme l’Australie. 35 espèces sont présentes en France, dont 29 en Auvergne, ce qui révèle une belle biodiversité qui s’explique au moins en partie par la variété des milieux et des climats dans notre région.
Les plus notoires – car les plus faciles à identifier (si vous avez la chance – sans les déranger, hein ! – de les observer) sont :
- La pipistrelle, la seule qui supporte la lumière, et que l’on peut donc voir voleter le soir autour des lampadaires dont le faisceau attire les insectes ;
- Le petit rhinolophe, identifiable par son habitude unique de se suspendre par les pieds dans les caves ou les greniers
- La barbastelle, la seule chauve-souris noire ; car contrairement à une idée reçue du fait qu’on les aperçoit surtout en silhouette dans la nuit, la plupart sont brunes, beiges, rousses, voire presque blanches
- L’oreillard reconnaissable à ses immenses oreilles.
Leur cycle de vie est tributaire des saisons. L’automne est la saison des amours où les colonies se rassemblent dans un lieu fermé et suffisamment grand pour favoriser les rencontres, « comme des boîtes de nuit » s’amuse Sara. Elles vont aussi faire des réserves en engloutissant le plus possible d’insectes.
L’hiver, elles trouvent un endroit calme, humide, sombre et à température constante pour hiberner, ralentissant au maximum leur système interne.
Au printemps, la remontée des températures les réveille. Elles cherchent alors le meilleur endroit pour mettre bas leur (unique) petit. Greniers, arbres creux, volets clos, creux dans les vieux murs… Chaque espèce a son gîte de prédilection. Bébé naîtra vers mai-juin, au plus tard en juillet, et sera, comme tout mammifère, allaité par sa maman.
L’été est consacré, si on peut dire, à l’éducation de ces enfants, qui auront quelques mois pour devenir autonomes, apprendre à voler et à chasser les insectes, avant que papa et maman retournent se chercher chacun un nouveau conjoint pour recommencer le cycle.
Les incertitudes du comptage
Identifier les lieux de fréquentation est une chose ; les compter en est une autre, plus difficile mais pas impossible. L’été, comme on ne les voit pas la nuit et qu’on ne doit pas les déranger le jour, le seul moment où les compter est celui où, à la tombée de la nuit, elles sortent – une à une – de leurs cachettes : des combles, le creux d’un arbre, des renfoncements de vieux murs, des volets clos… « Elles cherchent des endroits chauds pour leur gîte d’été », précise Sara. Un comptage efficace mais forcément localisé, à moins de disposer d’une armée entière de compteurs à déployer derrière chaque encoignure.
C’est donc plus facile en hiver, lorsqu’elles passent plusieurs mois à dormir profondément. Il s’agit alors de repérer les cavités où elles nichent – Sara cite en exemple les grottes de Jonas ou les caves de Perrier, des tunnels… – et de leur rendre visite en les dérangeant le moins possible.
Alors que le comptage, réalisé comme tous les hivers, est terminé depuis plus d’un mois, vous avez sans doute hâte d’en connaître les résultats et d’avoir une idée de l’évolution des populations… Mais l’équipe de Chauve-Souris Auvergne, en bons scientifiques, reste d’une infinie prudence. « C’est difficile de tirer des conclusions : même si les connaissances sur les chauves-souris commencent à être plus étendues, il y a beaucoup de choses qu’on explique mal, souligne Sara. Nous avons observé que les populations de petits rhinolophes et de barbastelles se portent plutôt bien ; et on a compté un peu moins de murins. Mais c’est à prendre avec précaution, car les populations se déplacent, peuvent se trouver dans des cavités qu’on n’a pas repérées… »
On ne sait même par avec certitude si elles sont en diminution sur la longue durée, car il n’y a pas si longtemps qu’elles sont étudiées : « une quarantaine d’années, et encore, avec des outils qui ne se sont améliorés que peu à peu. »
Haut, bas, fragile
Ce qu’on sait de façon certaine, c’est qu’elles sont fragiles. Sara énumère les causes qui ont fait conclure à la nécessité de les protéger : « Elles font un petit par an, ce qui ne permet pas à une population de se reconstituer facilement si elle est dégradée. Ensuite, nos maisons ne sont plus hospitalières pour elles : ouvertures vers les caves et les greniers obturées, volets roulants, crépis et isolation par l’extérieur qui éliminent les trous dans les murs ; de même leurs habitats en forêt sont menacés par l’exploitation forestière qui ne laisse plus de place aux vieux arbres. »
Enfin, une troisième cause touche à notre phobie des insectes qui raréfie leur nourriture : entre insecticides à l’intérieur et pesticides dans les champs… Même les papiers tue-mouches dans les combles sont leurs ennemis : non seulement ils vident le garde-manger, mais la malheureuse occupante d’un grenier court le risque de se coller les ailes et de s’emmêler dans ce piège !
Même si ce n’est pas vraiment mesuré, le réchauffement climatique a aussi une incidence : « Elles s’installent dans des endroits chauds l’été, par exemple des greniers, où elles risquent de réellement souffrir si la température s’élève trop. Par ailleurs, on peut observer une présence de certaines espèces méditerranéennes comme le molosse de Cestoni et le minioptère de Schreibers, qui semblent remonter… Mais c’est aussi à prendre avec prudence : rien n’est démontré, bien qu’on puisse se douter que ça a un lien avec le changement climatique. »
Sales bêtes… tellement mignonnes
Elles sont aussi, de façon encore plus insidieuse, victimes de préjugés qu’on pourrait croire d’un autre âge. Liés à un imaginaire amalgamant leur côté nocturne, diabolique ou l’association à la figure du vampire. On leur attribue encore – « complètement à tort ! », s’insurge Sara – une mauvaise réputation de vecteur de maladies, d’agressivité, de prolifération… « Des gens nous appellent pour savoir, disent-ils, comment ‘se débarrasser de ces sales bêtes’. Et on n’arrive pas à leur faire entendre raison. Alors qu’on peut parfaitement cohabiter. Il n’y a même pas à en avoir peur : elles ne vous toucheront jamais ; elles ne défendent pas un territoire comme peuvent le faire d’autres animaux. Il faut prendre garde de ne pas les stresser ou les paniquer car elles sont fragiles. Leur seule défense, c’est la fuite. »
“Leur seule défense, c’est la fuite. »
Sara Le Marchand
D’où l’importance d’animer des temps de sensibilisation, autant auprès des enfants des écoles que des adultes. C’est le boulot de Sara, qui emmène régulièrement des groupes, à la belle saison, en exploration. « Nous partons une heure avant le coucher du soleil, pour que j’aie le temps d’expliquer ce que sont les chauve-souris, comment elles vivent, etc. Puis on va écouter leur activité avec les boîtiers. C’est fascinant de se rendre compte qu’elles sont partout autour de nous dans la nuit. »
Une action qui porte ses fruits, dans un contexte où heureusement, de plus en plus de personnes sont sensibles à la nécessité de protéger l’environnement, ceci allié à la conversion d’agriculteurs au bio, à la replantation de haies, etc. On est encore loin de retirer ces petites bêtes de la liste des espèces protégées, mais c’est déjà rassurant de constater que des choses vont dans le bon sens.
“J’ai eu le coup de foudre : ce sont des animaux peu connus, qui ont d’autant plus besoin d’être protégés.”
Sara Le Marchand
Pour être sûre de ne pas avoir manqué une bonne raison de s’intéresser à leur sort, j’ai demandé à Sara, en conclusion, ce qui la motivait personnellement et voici comment elle répond : « J’ai fait des études de gestion et protection de la nature ; j’ai découvert le monde des chauves-souris au hasard d’un stage et j’ai eu le coup de foudre : ce sont des animaux peu connus, qui ont d’autant plus besoin d’être protégés, et ont plein de caractéristiques vraiment étonnantes. Par exemple leur température corporelle peut monter à 40°C l’été et descendre à 9°C en hiver ; leur rythme cardiaque peut passer de 400 battements par minute en été à 4 en hiver. Leur système de détection par ultrasons, leur vol, leur faculté d’adaptation… Sans compter que c’est tout petit et très mignon. Elles sont magiques ! »
Pour agir : adhérer à l’association Chauve-Souris Auvergne, ce qui vous ouvre la possibilité de participer à des manifestations ou à des opérations de comptage par exemple. Si vous trouvez une chauve-souris blessée : prendre contact ou la porter à l’association Panse-Bêtes à Chamalières, compétente pour la soigner. |
Tikographie est un média engagé localement, gratuit et sans publicité. Il est porté par l’association loi 1901 Par Ici la Résilience, dont l’objet social est à vocation d’intérêt général.
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Reportage réalisé le mardi 21mars 2023. Photo de Une : un grand murin en vol- Crédit François Schwaab – Chauve-Souris Auvergne