Le dernier rapport et les défauts de la méthode du GIEC, vus par Vincent Cailliez

Par

Damien Caillard

Le

Fin mars 2023 est sorti le dernier document du sixième cycle de rapports du GIEC. Climatologue basé en Creuse et travaillant sur le changement climatique dans le Massif Central, Vincent Cailliez nous livre sa lecture et nous avertit sur ses « angles morts » méthodologiques.

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Mon ressenti

Vincent Cailliez est un des rares climatologues à s’intéresser à l’impact du changement climatique sur les territoires. Sa lecture critique des productions du GIEC (critique mais constructive, vous allez vous en rendre compte ci-dessous) me semble très pertinente, d’autant plus qu’il est en contact avec le terrain – dans le sens où il est référent scientifique pour le projet AP3C qui consiste à accompagner les agriculteurs du Massif Central dans l’adaptation de leurs pratiques au changement climatique.

Damien

Résumé de l’article

  • Le rapport de mars 2023 conclut le sixième cycle du GIEC, débuté en 2019. Il ne contient aucune donnée climatique nouvelle depuis cette date, mais a un intérêt politique puisque son contenu a été validé par l’ensemble des participants au GIEC. Il est donc surtout utile pour les décideurs.
  • Par conséquent, il est nécessaire de compléter ses apports par des observations plus récentes faites par d’autres organismes s’intéressant au climat. Vincent Cailliez souligne notamment la forte hausse des émissions de méthane, observées depuis 2020 et probablement liées aux tourbières tropicales. Cela entraînerait une accélération du changement climatique.
  • Plus largement, Vincent Cailliez précise que la méthodologie du GIEC n’implique aucune observation « météo » sur le terrain. Un travail d’adaptation locale est donc indispensable, et c’est ce sur quoi il travaille pour le Massif Central. Néanmoins, l’apport du GIEC reste capital comme base scientifique et comme organisme de référence au niveau mondial.

L’intervenant : Vincent Cailliez

Climatologue, référent scientifique du projet AP3C

Climatologue et météorologue vivant en Creuse, lauréat du prix de climatologie André Prud’homme en 1992, Vincent Cailliez travaille actuellement pour le SIDAM, regroupement de plusieurs chambres d’agriculture du Massif Central.

Après avoir travaillé pendant 25 ans à Météo France, il rejoint les Chambres d’Agriculture en 2012. Il se concentre alors sur « l’étude du changement climatique tel qu’il se produit localement et réellement, sans se contenter de prendre les projections globales et de les ‘zoomer’. »

Aujourd’hui, son travail au sein du projet AP3C consiste à adapter des indicateurs agro-climatiques pour un usage au plus près du terrain – dans le Massif Central – et visant à adapter les pratiques agricoles.

Contacter Vincent Cailliez par mail : vincent.cailliez@creuse.chambagri.fr
Crédit photo : Vincent Cailliez (DR)
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Comment présenter la dernière publication du GIEC ?

C’est le dernier document important présenté dans le cadre du sixième cycle de rapports d’évaluation. Il succède à trois rapports scientifiques, publiés depuis août 2021 sur la science climatique, les impacts puis les actions à mener. Le document publié en mars 2023 est finalement une synthèse de ces trois rapports scientifiques.

Néanmoins, si sa portée scientifique “nouvelle” est nulle, ce rapport est intéressant au niveau social et politique. En effet, la synthèse est votée ligne à ligne et à l’unanimité des participants de la grande conférence du GIEC, qui rassemble politiques et scientifiques de nombreux pays. C’est donc un document très utile aux décideurs nationaux et locaux, mais aussi pour la sensibilisation du public.

« Si sa portée scientifique “nouvelle” est nulle, ce rapport est intéressant au niveau social et politique. »

A titre personnel, ce rapport m’intéresse également car j’ai l’habitude, en tant que climatologue, de me pencher surtout sur le premier rapport scientifique – celui portant sur la science climatique. Or, la synthèse me permet d’avoir un aperçu des deux autres rapports, ceux ayant trait aux impacts et aux solutions, qui me concernent a priori moins. Il m’est donc utile en ce sens.

Lire l’entretien (2020) : Le changement climatique dans le Massif Central, suivi par Vincent Cailliez

Vous n’avez néanmoins rien “appris” de particulier en ce qui concerne la climatologie ?

Non, et nous n’avons pas d’information plus récente que 2019 – de la part du GIEC, en tous cas. En revanche, l’accélération du changement climatique est suivie et documentée par l’Université de Columbia. Et l’Organisation Mondiale de la Météorologie publie des rapports sur les émissions de gaz à effet de serre. Ces deux organismes, pour ne citer qu’eux, produisent des données plus récentes et très solides. Par constitution, le GIEC produit un rapport extrêmement conservatif.

Ce que je peux dire, sur le fond, c’est que l’on constate depuis 2020 un emballement des émissions de méthane en particulier. La source en serait – ça reste à confirmer, mais c’est probable – les tourbières des régions tropicales. Ces zones sont peu faciles d’accès, difficilement “instrumentables” [pour établir les relevés, NDLR] et peuvent présenter un risque politique. Mais leur production continue de méthane est potentiellement plus grave que celle du permafrost, qui est un méthane stocké ! Ce point reste à suivre et à affiner.

« Par constitution, le GIEC produit un rapport extrêmement conservatif. »

Au final, ce phénomène pourra entraîner une contraction de l’échelle de temps du changement climatique, avec par exemple des projections initiales pour 2050 qui se vérifieront en 2040. Il est donc extrêmement probable que la réalité climatique à venir dépassera en niveau et en impact ce qui est exprimé dans ce rapport de synthèse. Et que la tendance, au moins en France, à +4 degrés d’ici la fin du siècle, s’avère réaliste.

Lire l’entretien (2021) : La météo vue par Alexandre Letort, pour mieux comprendre le changement climatique

Le fonctionnement du GIEC, qui met plusieurs années à publier un cycle de rapports, est-il pertinent au regard de l’urgence climatique ?

Le GIEC est lent, mais c’est indispensable. Ne serait-ce qu’en termes politiques : il faut du temps pour que tous les représentants nationaux signent en bas de chaque page. Certes, cela entraîne un décalage entre la science “chaude” et ce qui est transposé pour le grand public. Il faut en tenir compte, et compléter sa prise de décision par d’autres sources. Mais je pense que le GIEC reste une base absolument nécessaire.

« Le GIEC est lent, mais c’est indispensable. »

En revanche, il faut être aussi conscient que les projections du GIEC n’intègrent aucune observation météo sur le terrain. Et cela peut provoquer une vraie incompréhension. Car, pour l’adaptation locale des projections climatiques – ce qui est la base de mon travail concernant le Massif Central – il faut partir de ce qui est en train de se produire sur les territoires. Je le fais notamment grâce à une série d’observations locales entre le milieu des années 1970 et aujourd’hui. Avec ça, on peut décrire des trajectoires adaptées aux situations réelles et vécues par les gens.

Pour aller plus loin :
Télécharger le rapport du GIEC de mars 2023
Voir la synthèse qu’en propose le Ministère de la Transition Ecologique
Accéder à la page du projet AP3C sur lequel travaille Vincent – Adaptation des Pratiques Culturales au Changement Climatique (dans le Massif Central)

Entretien réalisé le 29 mars 2023, mis en forme pour plus de clarté, puis relu et corrigé par Vincent.