Pierre Feltz a été un pionnier du développement du compostage dans la région. Il est aussi un jardinier passionné, curieux d’expérimenter les approches les plus naturelles possibles. Rencontre au potager.
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Mon ressenti
Il y a des gens dont vous sentez qu’ils ont plein de choses intéressantes à raconter avant même de les rencontrer. C’était le cas, pour moi, de Pierre Feltz.
J’ai d’abord entendu parler de lui par plusieurs amis communs amateurs de jardinage (en mode éloge ou maître à penser).
J’ai même découvert son jardin avant de le rencontrer, car il se trouve que sa compagne, Fanette Sicard, a eu la belle idée d’y organiser quelques expositions collectives d’artistes. J’avais trouvé très agréable cette idée de fusionner les notions de potager et de jardin d’agrément, avec des tables installées entre les carrés de légumes et des tableaux accrochés aux arbres, posés dans l’herbe, suspendus au grillage du poulailler ou à la haie sèche.
J’avais en même temps repéré dans ce jardin quelques expérimentations qui m’avaient intriguée, comme la “fagotière”.
Quant à son activité de maître-composteur, je n’en mesurais pas complètement la portée. Dans mon idée, le compost n’était rien de plus que ce tas de végétaux en décomposition, au fond du jardin familial, qu’on alimente par les épluchures de la cuisine. Ou peu s’en faut…
Jusqu’à ce que les hasards de la navigation sur les réseaux sociaux me fasse tomber sur cette tribune de Pierre qui m’en a fait comprendre un peu mieux les enjeux. Et m’a donné envie de ce reportage.
Au finale, la rencontre a été largement aussi riche que ce que j’en attendais. Cela donne un article un peu long mais qui vaut la peine d’être lu jusqu’au bout (spoil : ça parle de fraises mais sans doute pas comme vous l’espérez).
Un peu long, donc, mais après tout, c’est les vacances, vous avez du temps…
Marie-Pierre
Les principaux points à retenir
- Pierre Feltz a été le tout premier maître composteur dans notre région. A ce titre, il a formé tous les agents du Valtom chargés du développement du compostage et il accueille en formation, venant de toute la France, aussi bien des agents de collectivités, de structures publiques ou privées souhaitant mettre en place un projet autour des biodéchets.
- Aujourd’hui, ce métier s’est énormément développé. Comme le met en avant Pierre dans ses formations, le compostage touche à des enjeux beaucoup plus vastes, qui vont de la gestion du tri à la préservation de la ressource en eau, en passant par la vie des sols ou par une conception du jardinage “au naturel”, à repenser complètement pour beaucoup d’agents des espaces verts.
- Pierre appuie ses formations sur son savoir-faire de jardinier : dans son jardin d’Yronde-et-Buron, il expérimente de nombreuses techniques – respectueuses du vivant – mais aussi des nouvelles cultures et associations de culture, etc. Avec beaucoup de curiosité, d’humilité, mais aussi avec beaucoup de plaisir.
- Selon lui, les 17 millions de jardiniers amateurs (pour la France) ont un rôle non négligeable à jouer dans la réponse aux enjeux environnementaux. Ils ont aussi beaucoup de questions à se poser, d’habitudes à changer, d’expérimentations à mener pour s’adapter au changement climatique et pour contribuer à l’atténuer.
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Officiellement, Pierre Feltz fait profession de maître composteur. Mais il préfère se définir comme jardinier. « J’utilise le compostage comme porte d’entrée, explique-t-il, mais c’est une ouverture pour parler d’enjeux plus globaux liés au jardinage, à la vie du sol, au cycle de l’eau, à la biodiversité… »
Quant à son jardin, il se situe à Yronde-et-Buron, et c’est bien entendu dans celui-ci que je l’ai rencontré : un vaste rectangle fourmillant de vie derrière la maison familiale et encerclé par des champs – aujourd’hui tous en bio… mais ça n’a pas toujours été le cas.
Depuis seize ans, Pierre y plante, cultive, expérimente, perfectionne : techniques de jardinage, variétés de végétaux, associations de cultures… A peine a-t-on pénétré dans le lieu que l’œil repère des anomalies par rapport à l’idée qu’on se fait d’un jardin. Pas de pelouse : ici, on installe les tables d’été entre deux carrés de légumes. Pas de clôture : une haie vive en devenir d’un côté, une haie sèche de l’autre, et de larges espaces où la vie animale peut aller et venir. Pas non plus de rangs monocolores de petits pois ou de salades impeccablement désherbés : ici on peut trouver plusieurs végétaux délibérément associés, entourés de sols couverts par de la végétation, du paillage, de l’engrais vert, des herbes qui se sont invitées…
« J’ai retrouvé la semaine dernière à Montluçon un agent de collectivité que j’avais formé. Il m’a avoué que la première fois qu’il a vu le jardin, il a pensé ‘quel bazar !’ mais qu’ensuite il a compris et a trouvé ça génial », raconte Pierre. Ce jardin fait à la fois son bonheur et sa légitimité de formateur. Et un excellent support pédagogique.
Pionnier d’un nouveau métier
Car Pierre est avant tout un formateur, le premier de sa discipline dans la région. Cette activité remonte, pour lui, à 2010. « Je suis amoureux de la nature depuis l’âge de sept ans et j’ai très tôt voulu faire un métier en lien avec la nature. Après des études agricoles qui ne m’ont pas du tout convenu, j’ai été objecteur de conscience à la Ligue pour la protection des oiseaux. Ensuite, avec une formation de naturaliste, j’ai travaillé pendant quinze ans dans l’éducation à l’environnement, sur un volet ornithologie et entomologie, pour ce qui allait devenir le CPIE. Puis j’ai ressenti le besoin d’évoluer et j’ai quitté mon poste. N’ayant pas trouvé d’emploi qui me convienne, j’ai voulu créer une activité autour du jardin et du compost, dont l’idée commençait à se développer. Je me suis formé en Belgique, car en 2009 il n’existait pas encore en France de formation de maître composteur. Pour moi ce n’était pas une reconversion mais un prolongement de ce que j’avais fait auparavant, dans la même proximité avec la nature. »
Pionnier, donc. Mais désormais bien moins seul. « En 2010, je suis allé toquer à la porte du Valtom qui m’a accueilli à bras ouverts car j’étais le seul. Aujourd’hui sur le territoire du Valtom, nous sommes 30 équivalents temps plein. Entretemps, avec la législation sur le tri des déchets, le métier a explosé », dit-il.
“L’entrée est le plus souvent la gestion des déchets. Mais à partir de là, nous parlons de beaucoup d’autres choses.”
Le métier ? Il s’agit principalement de former des personnes qui vont avoir à développer des projets de compostage, dans des entreprises et surtout des collectivités. « L’idée est de sortir le compost du jardinage amateur. Les collectivités ayant la compétence déchets ont commencé à se rendre compte de l’absurdité de transporter toute cette matière organique composée en grande partie d’eau pour l’incinérer. L’entrée est donc le plus souvent la gestion des déchets, l’utilisation d’un broyeur… Mais à partir de là, nous parlons de beaucoup d’autres choses : de la matière organique, des couverts végétaux et engrais verts, de leur intérêt pour le sol, pour les cultures. Nous donnons à ces agents des espaces verts et gestionnaires de déchets du sens à ce qu’ils font. »
Démontrer par la pratique
De fait, le compostage en lui-même demande des compétences assez simples, mais Pierre Feltz fait intervenir dans ses formations des spécialistes des sols, de l’éducation à l’environnement, de l’animation participative…
Il accueille des stagiaires de la France entière, dans un gîte proche où sont dispensées les formations. Et complète les aspects théoriques en emmenant ces groupes dans son jardin, ainsi que dans des sites dont il a accompagné les projets… Car il a aussi une activité de consultant, dont il explique l’utilité : « construire un projet de tri dans un Ehpad, par exemple, c’est bien autre chose que de faire un petit compost au fond de son jardin : c’est toute une réorganisation à mettre en place, avec des enjeux de sensibilisation du personnel, d’hygiène, de sécurité, etc. »
« Construire un projet de tri dans un Ehpad, c’est bien autre chose que de faire un petit compost au fond de son jardin.”
Entre autres, Pierre a formé les agents du Valtom. « Aujourd’hui, cette structure fait figure d’exemple à l’échelle nationale en matière de développement du tri des déchets verts », souligne-t-il au passage.
Il accueille de nombreux agents de collectivités peu habitués à suivre des formations classiques. C’est là que le jardin commence à jouer son rôle : « Je raconte mes pratiques, je relie la question des déchets aux enjeux agricoles. J’essaie d’être plus dans le témoignage que dans des leçons dogmatiques. Je leur explique aussi les gains qu’ils peuvent retirer personnellement de la fabrication d’engrais verts : ils évitent des pertes de temps, des transports inutiles, de la fatigue. »
Du jardinier municipal à l’animateur de projet biodéchets en passant par l’éducateur à l’environnement, au salarié ou bénévole d’association, le public auquel il s’adresse – principalement professionnel – est divers. La panoplie des formations qu’il propose aussi : guide ou maître composteur, mais aussi gestion des déchets verts, jardinage au naturel, usage des composts, arbres fruitiers.
S’il a longtemps été structuré en entreprise individuelle – avec quand même une salariée pour les aspects administratifs qu’il ne goûte pas du tout et qui s’alourdissent régulièrement (les détenteurs du certificat Qualiopi comprendront !), il vient tout juste de changer de statut, avec un certain bonheur. « Je suis depuis longtemps en contact avec une scop (société coopérative) à Chambéry, avec qui j’ai beaucoup d’affinités. Nous avons décidé de fusionner nos structures de façon à mutualiser l’administratif, partager nos pratiques et savoir-faire, élargir notre visibilité avec deux sites de formation… Cela me soulage d’autant plus que ma salariée ne souhaite pas continuer. Cela ne change rien à mes propositions, sauf l’enseigne », se réjouit-il.
Une enseigne qui devient « Les Epigées – Pierre Feltz », au moins dans un premier temps : « parce que j’ai une certaine notoriété, mais je ne tiens pas forcément à mettre mon nom en avant ». Ce rapprochement qu’il qualifie de stimulant va leur permettre d’imaginer de nouvelles formations, et sans doute de passer plus de temps sur le terrain : celui des formations et celui du jardin.
Le plaisir du jardinage
« Si je m’écoutais, je passerais 100% de mon temps au jardin », avoue-t-il. Et s’il travaille peu avec des jardiniers amateurs ou en tout cas ne leur propose pas de formation spécifique, on sent bien que ce « super jardinier » se sent proche de ce public rassemblant 17 millions de personnes qui ont, souligne-t-il, un pouvoir d’agir non négligeable : « A l’heure où on est tous assaillis d’injonctions à faire notre part, le jardin est un lieu où on peut faire énormément : se nourrir bien sûr, mais aussi avoir un impact sur la biodiversité ordinaire, sur la rétention d’eau, sur la gestion des déchets… C’est une entrée incroyable, efficace, où on se fait plaisir, et qui favorise les échanges avec les proches et le voisinage », plaide-t-il, tout en me désignant les différents systèmes de culture qu’il a mis en place : ici une petite serre, là une « couche chaude » où une bonne épaisseur de fumier de cheval maintient des kyrielles de semis et plants à l’abri des frimas. Plus loin, une association d’ail et de laitues dans le même rang.
Il m’explique comment il va essayer de conduire des pieds de vigne de « cépages interdits », encore tout jeunes, en ombrières pour préserver ses tomates des brûlures de l’été. « Je verrai si ça fonctionne. En jardinage, il faut rester humble », commente-t-il. Et il poursuit : « A un moment, j’ai envisagé de devenir maraîcher. Mais je ne regrette pas : c’est un métier très dur, avec des contraintes de production. La formation, c’est beaucoup plus confortable ! »
“Le jardin est un lieu qui me comble : il fait fonctionner le corps et la tête. »
Il garde ainsi le plaisir de jardiner : « J’ai toujours des envies d’essayer des choses. C’est d’une richesse et d’une complexité infinies. Le jardin est un lieu qui me comble : il fait fonctionner le corps et la tête. » Il apprécie retrouver – à petites doses régulières – le geste du faucheur, endosser le ciré pour goûter le « mauvais temps au jardin », passer en cuisine pour tester les productions du potager…
Au passage, il s’émerveille de la délicatesse des fleurs du poirier, raconte l’histoire d’un abricotier offert par un ami qui a rapporté et fait germer des noyaux du Ladakh, explique le mécanisme astucieux de son compost en anneau, ou évoque la faune qu’il a le bonheur de voir visiter son jardin-refuge : une hase venue mettre bas au pied du laurier ; un crapaud rare dans la région, le pélodyte ponctué, venu mystérieusement passer un an dans la mare ; un torcol fourmilier, petit pic également peu fréquent…
Les défis pour demain
Au fond du jardin, où de jeunes arbres fruitiers annoncent une expérience d’agroforesterie en devenir, se dévoile une autre activité de Pierre Feltz. « C’est le coin des fleurs sauvages que je teste pour le SMVVA. » Traduction : le Syndicat Mixte des Vallées de la Veyre et de l’Auzon, dans sa mission de sensibilisation aux milieux naturels, distribue régulièrement aux habitants, sur une trentaine de communes, des sachets de graines de fleurs locales sélectionnées par le Conservatoire botanique national du Massif central : des espèces à la fois esthétiques, endémiques, plus originales et finalement plus à leur place que les classiques œillets d’Inde ou pétunias.
Pierre a pour rôle de tester la culture, la récolte des graines, le tri et le séchage de ces végétaux. « Ensuite, la production en grand volume est confiée à l’Esat des Cardamines à Veyre-Monton, qui s’en occupe en suivant mes instructions. Six mille sachets sont distribués aux habitants pour fleurir les jardins et abords des maisons. »
Finalement, je pose ma dernière et nécessaire question : celle du changement climatique. Pierre me fait comprendre qu’il aurait de quoi tenir un entretien entier sur le sujet. « Evidemment que tous les jardiniers et cultivateurs le ressentent, et ce n’est pas seulement un ressenti : les données scientifiques le confirment. C’est même ma préoccupation principale du moment de réfléchir aux façons de s’y adapter », dit-il de manière générale, avant de détailler ses réflexions, où l’on croise à nouveau tous les ingénieux systèmes et modes de culture qu’il m’a montrés au jardin.
« Il faut considérer qu’on ne va plus tellement cultiver en été. »
Pêle-mêle, je prends note d’une longue énumération d’approches qui en dit long sur la métamorphose qui s’engage dans les jardins : « Il faut ajuster, soigner les sols et y restituer de la matière organique pour permettre la rétention et l’infiltration de l’eau. Travailler sur les microcycles de l’eau, végétaliser à mort. Avancer les cultures en pratiquant les semis sous couvert, densifier, accélérer les rotations… Et bien sûr, rechercher les espèces et variétés adaptées : est-ce que ça a encore du sens de cultiver des fraises ou du chou à Yronde ? »
Entre autres, il lâche cette sentence qui aurait paru hallucinante à peine quelques décennies en arrière : « Il faut considérer qu’on ne va plus tellement cultiver en été. » Et de conclure sur la posture du jardinier dans ce monde en forte mutation : « Il doit s’adapter, mais aussi s’impliquer : cela commence par ne pas participer au changement climatique, par exemple en évitant ces réflexes absurdes d’aller porter ses déchets verts à la déchetterie ; puis s’adapter ; et enfin contribuer à améliorer les équilibres écologiques. »
La redirection écologique se joue aussi dans les potagers…
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Reportage réalisé le mardi 11 avril 2023. Photo de Une Marie-Pierre Demarty