Depuis que le Syndicat mixte des Vallées de la Veyre et de l’Auzon a recréé la zone humide en amont du lac d’Aydat, celui-ci a retrouvé des eaux de bonne qualité. Préparez vos serviettes de plage !
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Mon ressenti
On n’a pas fini de parler d’eau dans Tikographie… et pas seulement dans Tikographie.
La situation hydrographique, après quasiment une année de sécheresse, ne laisse pas d’inquiéter et nécessite des mesures aussi bien à court terme qu’à plus long terme. Arbitrages, priorités, répartition… mesures anti-sécheresse (à la source) ou de restriction (en aval)… solutions techniques ou sociales… Il semble de plus en plus évident que le sujet va devenir central et prêter à une multiplication des polémiques et conflits.
Je vous propose cette semaine un focus sur deux situations locales qui illustrent, chacune à leur manière, l’importance de la ressource en eau, de sa bonne gestion et de la nécessité d’en faire un sujet de société concernant tous les citoyens.
A commencer par la plus heureuse des deux…
“Encore une zone humide !”, allez-vous penser. Justement, après vous avoir précédemment emmenés sur les hauteurs désertiques du Cézallier avec la zone humide du Rayet, en voici une autre, elle aussi restaurée, mais dans un lieu beaucoup plus fréquenté. Pour bien comprendre que chaque endroit a ses propres problématiques et nécessite des solutions sur-mesure.
Et peut-être aussi, parce qu’on ne se lasse pas du murmure de l’eau qui s’écoule, ni de la grâce des libellules.
Marie-Pierre
Pas assez de neige, pas assez d’eau, trop de chaleur… comment les acteurs touristiques locaux s’adaptent-ils aux conséquences du dérèglement climatique ?
Rencontre Tikographie du lundi 2 décembre à 17h (librairie des Volcans) – tous publics, accès libre !
« Le lac d’Aydat, un lac qui meurt », titrait la presse locale en 1999, alertée par une association aydatoise, Aquaveyre, qui se mobilisait depuis trois ans face à l’eutrophisation du plan d’eau. De quoi faire (enfin) réagir les élus de cette commune très touristique : sensibles ou non aux enjeux écologiques, il leur était difficile de laisser ternir l’image de la « plage des Clermontois » ou du plus grand lac naturel d’Auvergne… Sauf que ses eaux vert fluo paraissaient beaucoup moins naturelles que sa géologie.
En moins d’un an, le Syndicat intercommunal d’assainissement de la vallée de la Veyre se voyait confier une deuxième mission – celle de la gestion des milieux aquatiques – pour remédier à la situation.
« Ils ont d’abord envisagé un contrat de lac, mais c’était insuffisant car l’eutrophisation provient de ce qui est déversé en amont. Ça a donc été un contrat de rivière ‘‘Vallée de la Veyre – lac d’Aydat’’, qui a été rédigé entre 2000 et 2005 et est passé à la phase opérationnelle de 2005 à 2010. Ensuite, les contrats se sont enchaînés, avec un périmètre peu à peu élargi. Aujourd’hui, le SMVVA exerce la compétence milieu aquatique des cinq bassins versants (1) de la communauté de communes de Mond’Arverne, y compris, par délégation, sur les communes de ces bassins qui appartiennent à d’autres intercommunalités », explique Aurélien Mathevon.
Comblement : un comble !
Embauché en 2005 pour la mise en œuvre de ces programmes successifs, Aurélien est le technicien rivières du SMVVA. C’est lui qui me fait visiter les impressionnants aménagements accomplis dans ce cadre, et qui permettent aux Clermontois, aux Aydatois et aux touristes (deux mille personnes par jour en été) de se baigner désormais sous pavillon bleu.
Mais avant de me faire faire le tour des pontons aménagés pour permettre la visite de la zone humide, cœur du dispositif, il explique, plans et photos à l’appui, la problématique et comment elle a été résolue.
« Il y a trente ou quarante ans, tout était permis.”
La problématique, comme souvent, vient de nous les humains. Initialement, la Veyre, rivière qui alimente le lac, formait à l’entrée de celui-ci une sorte de delta marécageux. Mais depuis les années 1970, cette zone humide avait été asséchée. Une aire de jeu, un terrain de football, un parking, une pisciculture… C’est fou tout ce qu’on peut installer sur une zone de 2,5 hectares, une fois qu’on l’a rehaussée avec des gravats divers sur un mètre d’épaisseur. « Il y a trente ou quarante ans, tout était permis. L’assainissement de la base nautique et des quelques maisons autour se déversait directement dans le lac ! », se désole Aurélien.
Quant à la Veyre, sans le tampon de son ancien delta, elle charriait elle aussi vers les eaux de baignade ce qu’elle récoltait en amont, et notamment des nutriments généreusement fournis par l’élevage et par les rejets domestiques. Entendez : nitrates et phosphates très propices au développement des algues et cyanobactéries, ces microorganismes qui teintent les eaux stagnantes d’irisations vertes ou bleues. Très bel effet esthétique, mais pas très prometteur pour la vie aquatique, sans parler des risques pour la santé humaine.
Moustiques et sorcellerie
Tout cela accentué par le « recalibrage » de la Veyre en amont, là où elle traverse des pâturages. On avait jugé malin de lui faire suivre un tracé rectiligne pour gagner en surfaces d’herbage ; car les méandres, ça crée des zones inondées, des mares, des ripisylves… Bref, ça prend de la place. On n’avait juste pas mesuré leur rôle dans l’infiltration et la filtration des eaux : non seulement ils retiennent et éparpillent les nutriments polluants, mais en plus, ils luttent contre la sécheresse.
On en était là quand le syndicat mixte, appuyé par un bureau d’étude, s’est lancé dans le projet de restauration de ces zones amont du lac.
Bien sûr, ça ne s’est pas fait en un jour. Il a fallu lancer des études précises, mais aussi convaincre. « L’ancien marécage avait mauvaise réputation depuis très longtemps, lié à des légendes, des histoires de sorcellerie… Les gens craignaient aussi que la zone humide, qu’ils surnommaient ‘‘la moustiquaire’’, n’attire les insectes piqueurs, sans savoir que les larves de moustiques sont bien plus à leur aise dans les eaux du lac », raconte Aurélien, qui évoque aussi les recours contre l’expropriation de la pisciculture, « alors qu’elle n’avait plus le droit d’exercer depuis douze ans ! ».
« L’ancien marécage avait mauvaise réputation depuis très longtemps, lié à des légendes, des histoires de sorcellerie.”
C’est donc en juin 2012 que l’aménagement est devenu fonctionnel, après déblayage des gravats : « On y a trouvé entre autres de la pouzzolane. Nous en avons profité pour reboucher le trou laissé par la carrière illégale du puy de la Combegrasse », explique Aurélien.
Iris d’eau et crottes de loutre
En quoi consiste le système mis en place ? « Notre objectif est triple : la qualité des eaux de la Veyre, la biodiversité, et la pédagogie auprès du public », explique le technicien rivières.
La partie centrale de la zone a été modelée de façon à créer des reliefs : ici une petite butte, quelques mares disséminées un peu partout, et plusieurs bras de cours d’eau, tout en méandres, qui permettent de répartir les eaux sur ce large système de filtrage naturel.
Seize mille plantes hélophytes (aimant les milieux humides) ou hydrophytes (vivant dans l’eau) ont été implantées initialement : carex, iris d’eau, joncs, roseaux, menthe aquatique… qui ont depuis colonisé la zone, tout comme les arbres qui, eux, se sont installés tout seuls.
« La loutre s’est trouvé un restaurant cinq étoiles. »
Et avec toute cette verdure, des myriades d’animaux, depuis les libellules jusqu’à la centaine d’espèces d’oiseaux recensées, depuis la loutre jusqu’aux poissons et écrevisses dont elle raffole. « Elle s’est trouvé un restaurant cinq étoiles », s’amuse Aurélien en débusquant sous un ponton quelques crottes caractéristiques, où l’on reconnaît dans la pelote des bouts d’arêtes et de carapace rose qui signent les préférences culinaires de ce petit mammifère aquatique.
Les pontons installés au-dessus de ces terrains marécageux permettent aux visiteurs de découvrir ce petit paradis végétal. Des observatoires avec des ouvertures ménagées dans une palissade ont été conçus pour contempler la faune sans l’effrayer. Râles d’eau, petits échassiers limicoles, odonates en tout genre… Avec un peu de patience, on peut facilement trouver de quoi s’émerveiller.
Génie végétal
En amont, les deux bassins de l’ancienne pisciculture, renaturés, servent aujourd’hui à retenir les sédiments les plus importants : la plus grande part des phosphates solides se déposent sur ce demi hectare. Ensuite, les méandres des bras d’eau jouent un rôle d’oxygénation et répartissent l’eau dans le marais, où le reste du phosphore est dissous. Passé ce filtre, l’eau ainsi nettoyée se déverse dans le lac, dans une zone protégée qui sert de frayère à une multitude de poissons, dont le brochet du lac, les perches, les sandres…
Au risque de choquer les amoureux de la nature, tout ce système, qui a évolué librement depuis 2012, va nécessiter quelques interventions, car une zone humide a naturellement tendance à se refermer.
“Nous pratiquons du génie végétal à la place du génie civil ! »
« Notre plan de gestion prévoit de curer les mares qui se comblent, de créer des petits barrages sur certaines voies d’eau qui coulent encore trop vite, de faucarder les végétaux pour laisser respirer l’eau, de couper des arbres. Si on veut conserver le lac, c’est indispensable. Mais ça reste moins brutal que d’enrocher des cours d’eau. Nous pratiquons du génie végétal à la place du génie civil ! », explique Aurélien Mathevon.
Il poursuit : « Nous devons aussi, tous les cinq ans environ, procéder à un curage des deux bassins amont à la pelleteuse. Nous retirons à chaque fois 2 000 m3 de matériaux, contenant 1,5 tonne de phosphore. Il est réutilisé en épandage agricole maîtrisé, en veillant à ce qu’il ne retourne pas à la rivière. Nous ne sommes pas des Shadocks ! », sourit-il.
Reméandrages
Mais il insiste aussi pour souligner que la création et la gestion de ce « delta » de la Veyre s’inscrit dans un cadre d’action plus global sur le bassin versant, afin d’améliorer la qualité des eaux et d’agir sur les causes des dérèglements. « En nous appuyant sur le code de l’environnement, nous avons lancé des programmes de réduction de charge agricole, et créé des aménagements – clôtures, abreuvoirs, passerelles – pour éviter au maximum que les vaches viennent piétiner dans le cours d’eau. Et parallèlement, nous avons mené deux opérations de reméandrage. »
Entre Saulzet-le-Froid où se situent les sources et Aydat, un total de 4,5 km de rivière rectiligne a retrouvé un tracé plus naturel, gagnant plus d’un kilomètre d’itinéraire. Ce qui a permis aussi de recréer des mares, de reconnecter des zones humides, de replanter des saules…
“La Veyre, contrairement à d’autres cours d’eau, n’a jamais été à sec durant les dernières sécheresses. »
Une opération de longue haleine, car elle nécessite l’aval des agriculteurs, qui y perdent en surface utile, mais commencent à comprendre face aux sécheresses qu’ils ont aussi à y gagner. « Une bonne part de mon travail consiste à essayer de convaincre », commente Aurélien. « Mais le dispositif fonctionne. La Veyre, contrairement à d’autres cours d’eau, n’a jamais été à sec durant les dernières sécheresses. »
Jusqu’en Corée
Une veine pour le lac d’Aydat, un des rares dont les eaux ont conservé leur qualité l’été dernier malgré la sécheresse. « Le journal Le Monde est même venu faire un reportage », se souvient Aurélien, qui reconnaît que les aménagements réalisés inspirent les responsables de nombreux sites : ils viennent d’un peu partout en France observer cette indéniable réussite. « Nous en recevons tous les mois, dit-il. Nous inspirons jusqu’en Corée, où la zone humide a été présentée lors d’un colloque sur le génie végétal ! »
Cet été encore, on pourra donc se baigner, pêcher ou pratiquer la voile à Aydat en toute sérénité.
Au fait, comment ça se passe en aval du lac ? Curieusement, la Veyre disparaît à sa sortie, absorbée par la coulée de lave – poreuse – qui a provoqué il y a 8 500 ans la création du lac. L’eau est alors filtrée naturellement et resurgit plus bas, à Saint-Amant-Tallende, pour parcourir ses derniers kilomètres jusqu’à l’Allier. La géologie, comme la nature, sont les meilleures alliées du technicien rivières !
(1) Il s’agit de la Veyre, de l’Auzon et du Charlet sur la rive gauche de l’Allier, du Pignols et des Assats sur la rive droite.
Reportage réalisé mercredi 7 juin 2023. Photo de Une Marie-Pierre Demarty
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