Des couleurs locales pour les fleurs de Suzanne

Par

Marie-Pierre Demarty

Le

Suzanne cueille des fleurs dans la grande serre

La culture des fleurs est plutôt une spécialité hollandaise, varoise ou kenyane, en version industrielle. Dans le Livradois, Suzanne Fayolle prend le contrepied avec son énergie, ses méthodes artisanales et ses superbes dahlias.


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Mon ressenti

J’avais commencé à m’intéresser aux problématiques des fleurs au moment de la Saint-Valentin, en rencontrant Cécile Alibart. Car il y a des problématiques mêmes sur les fleurs, de ces problématiques liées à des habitudes tellement ancrées, tellement généralisées, tellement machinales qu’on n’a même pas l’idée de les interroger.

Dont celle-ci : on aime tous (ou presque) offrir ou s’offrir des fleurs. C’est un moment d’allégresse et de légèreté qui peut illuminer une journée ou une relation. A condition de ne pas regarder dans l’arrière-boutique…

Parce que là, on tombe sur des monuments d’absurdité, de la débauche de chimie et de pétrole, de l’industrialisation à outrance… Pas très glamour tout ça.

Pourtant, un monde où on ne s’offrirait plus de fleurs serait bien triste, non ?

D’où l’intérêt d’aller creuser les débuts de solution, les initiatives, les prises de conscience des professionnels, car tout cela existe, même si c’est encore timide.

Bref, je m’étais promis de revenir sur le sujet au moment où les fleurs de saison sont prêtes à cueillir et à ensoleiller les champs, les salons et les reportages. Nous y voilà…

Et finalement, les fleurs fraîches du Livradois, l’enthousiasme et la créativité de Suzanne, la fraîcheur de la rosée dans ses allées d’herbe, la beauté de ses dahlias… tout ça donne l’espoir que l’on peut remettre de l’ordre, de la logique et de la sobriété dans notre organisation économique sans renoncer aux instants joyeux, à la couleur, à la beauté et au pouvoir des fleurs.

Tiens, ça me rappelle une chanson de Laurent Voulzy…

Marie-Pierre


Pas assez de neige, pas assez d’eau, trop de chaleur… comment les acteurs touristiques locaux s’adaptent-ils aux conséquences du dérèglement climatique ?

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Elle a planté ses premières tulipes à l’automne, mais l’activité a réellement démarré en janvier dernier. « La première année, c’est compliqué. Il faut tout créer, tester des variétés, lancer la commercialisation, apprendre… J’ai un mois de retard sur la production extérieure ! »

Mais à la façon dont elle l’énonce, on devine que Suzanne a l’énergie, le savoir-faire et la lucidité pour passer ce premier cap. A 25 ans, elle a suffisamment la tête sur les épaules pour avoir bien préparé son projet, calculé les risques, écarté le piège des emprunts et subventions qui peuvent vous enchaîner. Elle encaisse ses échecs comme des passages obligés et s’appuie sur ses atouts, qui sont nombreux.

En cette mi-juillet, sa ferme florale encore modeste commence à produire à plein les belles corolles, grappes, clochettes et autres élégances colorées que l’on attend plutôt dans les polders de Hollande qu’ici. Et pourtant…

Suzanne devant les zinnias
“La première année, il faut tout créer”, explique Suzanne, dans la grande serre toute neuve, un de ses premiers investissements. – Photo Marie-Pierre Demarty

Ici, c’est un tout petit hameau du Livradois, sur la commune de Domaize, auquel on accède par des routes minuscules. Les 4 000 m² de terre agricole sur lesquels Suzanne Fayolle s’est installée sont tout au bout, après les dernières maisons, derrière les chambres d’hôtes et la résidence pour seniors que sa mère a créées pour diversifier son élevage de volailles.

Alentours : prairies d’élevage et forêts. On est à 650 mètres d’altitude. Et à mille lieues des cultures florales industrielles du Var ou des Pays-Bas. Pas seulement en termes de géolocalisation.

Une saison pour tester

Suzanne est seule pour tout faire, mais elle le fait bien, en s’assurant d’y garder du plaisir. « Je ne cultive que des fleurs que j’aime. J’adore les dahlias et je veux en faire ma spécialité ; j’ai beaucoup travaillé sur le choix des variétés, pour avoir une énorme gamme de couleurs », s’enthousiasme-t-elle, tout en prélevant aux ciseaux les premières brassées de corolles blanches, roses ou pourpres de la semaine : celles qui sont parfaites pour livrer le lendemain aux fleuristes, les moins belles ou moins hautes sur tige dont elle trouvera un usage pour ses propres compositions florales. D’autres, pas encore prêtes ou déjà trop ouvertes, continueront de faire éclater leurs tâches de couleur dans la grande serre où elles côtoient lis, zinnias et autres petites merveilles.

Dans la grande serre
La grande serre où se côtoient dahlias, lys, oeillets de poètes, zinnias… Les giroflées ont déjà disparu pour laisser bientôt la place aux immortelles. – Photo Marie-Pierre Demarty

« J’ai déjà arraché une bande de giroflées, mais je n’en referai pas. Elles étaient pleines de parasites et certaines ne se sont pas développées correctement. Ce n’était pas une bonne idée. A la place, j’essaierai les immortelles », lance-t-elle.

« Je ne cultive que des fleurs que j’aime.”

Une deuxième serre, plus petite, abrite les renoncules. « Ce sont des serres tampons qui me permettent de commencer la saison des fleurs fraîches plus tôt », explique Suzanne.

La première année, on teste. On constate ce qui fonctionne ou pas. Ici une attaque de pucerons ; là des feuillages d’œillets de poètes qui ont brûlé car encore arrosés manuellement : le goutte-à-goutte se déploie peu à peu dans les travées pour une irrigation de précision, au pied des plantes, sans risque d’exposer les feuilles à l’effet loupe de l’eau sous le soleil trop ardent. Petite erreur de casting, également, sur la variété de panicum, cette graminée ornementale qu’elle espérait plus longue sur sa tige… mais ce sera vite corrigé.

Suzanne au milieu des rangs de fleurs
“Celles-ci ont été attaquées par les pucerons. Mes coccinelles doivent être obèses !”. – Photo Marie-Pierre Demarty

Astuces et atouts

A l’extérieur, des bandes de plantations bien alignées font alterner différentes nuances de feuillages, de couleurs, de tailles, de stades de floraison. Le tout pensé le plus judicieusement possible. « Ici le long de la serre, j’ai mis les iris qui demandent beaucoup d’eau et pourtant je les arrose très peu : ils profitent de l’eau qui s’écoule sur la bâche de la serre dès qu’il fait humide. »

De l’autre côté, des vivaces tentent de se faire une place dans un carré encore envahi par les liserons et les orties, en bordure du terrain. « Je vais planter une haie vive pour amener de la vie, des insectes et pour couper le vent qui peut être très fort ici, surtout quand il vient de l’ouest. L’idée est aussi de pouvoir prélever – raisonnablement – du feuillage ou du lilas pour les bouquets. »

Suzanne avec les fleurs vivaces
Un carré de vivaces que Suzanne n’a pas encore eu le temps de désherber, refuge de biodiversité. – Photo Marie-Pierre Demarty

Malgré les petits inconvénients, et malgré l’originalité de son projet, l’endroit – qui n’est autre qu’une parcelle léguée par sa mère – lui paraît un bon choix pour développer la ferme florale telle qu’elle la conçoit. « Les hivers ne sont plus très rudes ; l’été, même en période de sécheresse, il y a toujours de la rosée. La terre est très bien aussi : argilo-limoneuse, mais ni trop collante, ni trop sableuse. »

Elle compte aussi sur la complicité des coccinelles pour limiter les attaques de pucerons, et sur les deux Jack Russel de sa mère, qui annoncent les visiteurs de leurs aboiements nerveux et surtout, traquent les rats taupiers avec opiniâtreté.

Lire aussi le portrait : “Cécile Alibart, la presque-fleuriste qui préfère la créativité éco-responsable aux roses importées par avion”

Incontournable plastique

Sans chercher à se labelliser en bio – « il faudrait que même les graines que je sème soient bio, et il n’en existe pas qui soit capables de produire des fleurs aux standards des fleuristes » – elle a opté pour des cultures les plus naturelles possibles, sans intrants chimiques, et sur une terre qui possédait déjà la mention Nature & Progrès.

« Un paillage naturel coûte quatre fois plus cher et est moins efficace.”

Mais deux problématiques la chiffonnent tout de même : l’usage de plastique et l’eau.

Pour le premier, outre la couverture des serres, elle le dit incontournable pour couvrir les sols afin d’éviter l’enherbement. « Un paillage naturel coûte quatre fois plus cher, est moins efficace, favorise les champignons, attire les rongeurs. J’utilise des bâches tissées qui laissent passer l’eau quand il pleut et la retiennent dans le sol quand j’arrose. Entre les bandes de culture, je laisse les passe-pieds en herbe, en tondant le moins possible, pour amener de la biodiversité. »

cultures dans le paysage du Livradois
Les bâches plastiques sont indispensables pour éviter l’enherbement des cultures, mais en compensation, les allées ou passe-pieds entre les bandes sont laissées à l’herbe, aux insectes, à la rosée du matin…

Quant à l’eau, Suzanne s’excuse presque d’utiliser « pour l’instant » le réseau d’eau potable. « Il faut une eau très filtrée pour éviter les champignons et pour ne pas boucher les conduits très fins du goutte-à-goutte. » Mais elle réfléchira petit à petit à d’autres solutions plus compatibles avec les questions climatiques, en s’appuyant sur les potentialités du lieu : un puits près du hangar, des sources, de la place en contrebas pour une petite retenue, des solutions à imaginer pour filtrer…

Semis, repiquage, arrosage, cueillette… Suzanne bichonne ses productions sur toute leur durée de vie. « J’adore la cueillette, c’est un super plaisir de recueillir le résultat de quatre mois de travail ! »

Cueillette des dahlias
“J’adore la cueillette, ce moment où on obtient le résultat de quatre mois de travail”, dit Suzanne. – Photo Marie-Pierre Demarty

Polyvalence et organisation

Mais son travail ne s’arrête pas à la culture des fleurs. Pour éviter la monotonie, elle a choisi la polyvalence, commercialisant sa production en bottes pour les fleuristes alentour (elle les livre elle-même, mais dans un rayon qui ne dépasse pas le département), mais aussi en bouquets qu’elle confectionne pour les particuliers, un art qu’elle pratique en autodidacte mais avec grand plaisir. « J’ai une clientèle Facebook, assez aisée pour acheter régulièrement des fleurs, qui adhère à mon projet et m’encourage ; et une clientèle plus jeune qui me suit sur Instagram, de la tranche d’âge où se font les mariages. J’ai six commandes de décorations florales pour des mariages : c’est plutôt bien pour une première année », énumère-t-elle.

Suzanne et les fleurs fraîchement coupées
“Je conserve une clientèle de particuliers car j’adore faire des bouquets”, confie Suzanne. – Photo Marie-Pierre Demarty

Passée la saison des fleurs fraîches, elle proposera des bouquets séchés. Encore une activité différente mais plaisante, et qui lui permet de faire rentrer des revenus toute l’année.

« Je cherche des variétés que mes clients n’ont pas dans leur jardin. »

Avec 34 variétés de fleurs, elle peut satisfaire une clientèle variée. Six fleuristes lui font déjà confiance, « dont une à Vic-le-Comte qui a tout compris du projet, joue le jeu, accepte que la qualité ne soit pas toujours aux standards. » Suzanne doit aussi séduire les particuliers : « je cherche des variétés qu’ils n’ont pas dans leur jardin. »

Elle envisage pour eux d’ouvrir certains jours de la semaine, pour ne pas disperser son travail par des commandes au fil de l’eau. Peut-être faire des marchés… « Pour cette première année, j’essaie de me rendre compte de la charge de travail pour organiser mon temps et voir comment je peux développer les choses », explique-t-elle.

Suzanne derrière le comptoir du hangar
Un hangar ouvert permet à Suzanne d’entreposer son petit tracteur, ses outils, ses fleurs coupées. C’est aussi son atelier pour confectionner bouquets et compositions séchées, et son comptoir pour recevoir les clients. – Photo Marie-Pierre Demarty

De l’hôtellerie à la floriculture

Un pragmatisme qui lui vient sans doute de son premier métier, car cette fille de la campagne avait d’abord choisi un tout autre destin : « je suis manager en hôtellerie internationale, diplômée de l’école Vatel de Lyon. Mais mes premiers boulots se sont mal passés, car ce qu’on apprend à l’école est très en avance sur ce qui se fait dans l’hôtellerie. Comme je suis d’un naturel impatient, j’ai décidé en 2021 de me reconvertir, avec l’envie de faire quelque chose proche de la nature. » L’idée des fleurs lui est venue très vite, sans trop savoir à quoi s’attendre. C’est une expérience de wwoofing à Lille, particulièrement riche et formatrice, qui l’a définitivement orientée.

Bandes de cultures florales extérieures
Les bandes de cultures florales extérieures commencent à donner à plein. Au premier plan, les statices qui serviront à la confection de bouquets secs pour l’hiver. – Photo Marie-Pierre Demarty

Une année lui a ensuite été nécessaire pour se former en horticulture, apprendre surtout au cours de différents stages, préparer son projet.

Cependant, ses quelques années d’hôtellerie lui ont au moins servi à gagner de quoi réaliser ses premiers investissements. « Je ne voulais pas faire d’emprunts ; j’ai eu la chance de disposer du terrain, du petit tracteur que m’a laissé ma mère, de quelques outils, précise-t-elle. Sans ça, je n’aurais jamais pu m’installer. Mais j’ai notamment investi dans la grande serre, neuve, et dans la rénovation de la petite, qui existait déjà. »

Elle a déjà pour les années qui viennent des projets d’agrandissement, quitte à restreindre la variété de choix de fleurs pour continuer à faire face à la variété des tâches.

Un dahlia blanc
Les dahlias demandent beaucoup de travail : ils craignent le gel, doivent être semés à l’abri, puis repiqués, divisés, surveillés… Mais les fleurs sont superbes, exubérantes, aux couleurs variées. Suzanne veut en faire sa spécialité. – Photo Marie-Pierre Demarty

De toute façon, elle n’aura jamais de quoi répondre à toutes les envies. Notamment, elle ne produit pas de roses, qui demandent un investissement trop important sans pouvoir espérer rivaliser avec les productions kényanes : celles aux tiges longues, toutes droites, parfaitement calibrées, sans une once de parfum si ce n’est celui des pesticides qui les ont fait pousser et du kérosène qui les a transportées.

Mais il est peut-être temps, comme pour tant d’autres pratiques, de changer nos habitudes en matière de déco et de langage amoureux. D’ailleurs, saviez-vous que l’exubérant dahlia symbolise l’amour, l’allégresse et la reconnaissance ?

Pour prendre contact, suivre la ferme florale, commander un bouquet : consulter la page Facebook ou le compte Instagram des Fleurs de Suzanne

Reportage réalisé lundi 17 juillet 2023. Photo de Une Marie-Pierre Demarty

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