Présidente de l’association Osez le Féminisme ! 63, Anne-Lise Rias prône un rapprochement entre les mouvements écologistes et féministes, pour mieux se connaître et éviter erreurs et incompréhensions.
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Le pourquoi et le comment
Ce sujet m’a été soufflé de façon évidente : il se trouve que j’ai été sollicitée pour participer à l’enquête de Lalie Raynaud dont il est question dans l’interview. Ce qui m’a mis la puce à l’oreille. Si les féministes s’interrogent sur les convergences possibles – ou pas possibles – entre les mouvements féministes et les mouvements écologistes, c’est que cela ne va pas de soi.
La question a fait écho dans ma tête à deux idées qui me tiennent à cœur.
La première est la notion d’inclusion : pas d’avancée écologique si on laisse des victimes au bord du chemin ou si on laisse des groupes humains en dehors de la possibilité d’agir. Cela peut concerner les personnes en situation de précarité ou de handicap (j’en parlais justement dans mon dernier reportage), les minorités… et même les femmes, groupe pas spécialement minoritaire mais qui a encore du chemin à faire avant d’espérer être entendu à la même hauteur que les voix masculines, au moins sur certains sujets.
La deuxième idée me vient de ma formation d’historienne : même si, comme nous l’a enseigné Héraclite, on ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve, il y a toujours des leçons à tirer de l’Histoire.
En l’occurrence, l’Histoire du mouvement de Mai 68, qui a fait tellement peu de cas de la condition féminine que les femmes, réduites à servir le café dans les réunions étudiantes et syndicales (ou peu s’en faut), ont (re)lancé leurs propres luttes dans les années suivantes. Juste réaction.
Il y a des erreurs qu’il vaut peut-être mieux éviter de reproduire…
Marie-Pierre
La structure : Osez le Féminisme ! 63
Antenne puydômoise de l’association nationale Osez le Féminisme !
Le mouvement Osez le Féminisme ! est né en 2009 en réaction au projet gouvernemental de réduction des budgets pour le Planning familial, et avec une volonté d’être présente le plus possible sur l’ensemble du territoire, d’où une organisation en antennes locales.
Ces antennes, dont celle du Puy-de-Dôme, participent au mouvement selon les mots d’ordre nationaux – en l’occurrence pour 2023-24 la lutte pour l’abolition des systèmes prostitueur et pornocriminel, et le plaidoyer pour une justice féministe. Elles portent aussi leurs propres actions et leurs propres thèmes de réflexion.
Dans le Puy-de-Dôme, l’antenne compte une quarantaine de membres, principalement des femmes mais aussi des hommes. Elle est gérée par un conseil d’administration de sept membres et présidée par Anne-Lise Rias.
Les principaux points à retenir
- L’antenne Puy-de-Dôme de l’association Osez le Féminisme ! se questionne sur les rapprochements possibles entre le mouvement féministe et le mouvement écologiste. Ce questionnement a démarré par deux enquêtes sur le regard réciproque des personnes engagées localement dans l’un des deux mouvements.
- Pour Anne-Lise Rias, qui est à l’origine de ce questionnement, les deux sensibilités s’accordent, mais ne comprennent pas les enjeux et l’importance de se prendre en compte mutuellement.
- Les écologistes n’ont pas assez conscience des spécificités des femmes dans les enjeux environnementaux, alors qu’elles sont davantage impactées, par exemple sur les questions de santé ou de mobilité. Sans compter que les impératifs de sobriété pourraient mener à renvoyer les femmes au foyer ou à restreindre leur liberté si on n’y prend pas garde.
- De leur côté, les féministes doivent prendre davantage conscience des problématiques environnementales et s’en emparer, justement parce que les femmes sont spécialement impactées.
- Osez le féminisme ! 63 entame cet automne une série d’actions pour sensibiliser les uns et les autres et favoriser le dialogue.
- Sur ces questions, l’antenne puydômoise est pionnière, mais le sujet commence à émerger à l’échelle nationale dans l’association.
Accès direct aux questions
- Comment Osez le Féminisme ! 63 en est arrivé à s’intéresser aux questions d’écologie ?
- Vous avez commencé dans l’association par mener différentes enquêtes. En quoi ont-elles consisté ?
- Avec quels résultats ?
- D’où une deuxième étude…
- Selon toi, en quoi est-ce important de rapprocher ces deux mouvements ?
- Votre intention est donc de sensibiliser les militants de l’écologie à ces questions ?
- Réciproquement, les féministes auraient des leçons à tirer des luttes écologistes ?
- Quelle a été la réception de vos initiatives ?
- Y a-t-il urgence à opérer cette rencontre ?
- Donc, sans attendre les résultats détaillés de l’enquête, Osez le Féminisme ! 63 s’attèle à favoriser cette rencontre. De quelle façon ?
- Comment se situe l’antenne Puy-de-Dôme sur ce positionnement par rapport au mouvement Osez le Féminisme! à l’échelle nationale ?
Pas assez de neige, pas assez d’eau, trop de chaleur… comment les acteurs touristiques locaux s’adaptent-ils aux conséquences du dérèglement climatique ?
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Comment Osez le Féminisme ! 63 en est arrivé à s’intéresser aux questions d’écologie ?
C’est peut-être une préoccupation personnelle de ma part, car j’ai cette double sensibilité.
J’ai remarqué que les écologistes n’étaient pas toujours féministes… et réciproquement. Dans notre mouvement, il y a assez peu de sensibilité aux enjeux de l’écologie. Même dans les têtes, ce n’est pas considéré comme une priorité.
Pourtant j’ai cette impression que ces deux sensibilités peuvent se rapprocher, pas forcément sur tous les aspects, mais il y a des enjeux et préoccupations communes. Le développement récent de la notion d’écoféminisme le montre.
“Dans notre mouvement, il y a assez peu de sensibilité aux enjeux de l’écologie.”
Vous avez commencé dans l’association par mener différentes enquêtes. En quoi ont-elles consisté ?
La première a été menée par une stagiaire étudiante en sociologie, Leina Cornieux-Mantel. Nous avons construit un questionnaire en ligne sur les représentations que projetaient féministes et écologistes les uns sur les autres, et sur les possibilités de se rencontrer sur une culture commune. Par exemple, nous avons soumis des affiches de films, musiques, etc. qui faisaient référence dans l’un des deux mouvements, pour comprendre ce qui pouvait résonner dans les deux groupes.
Avec quels résultats ?
Cela nous a confortées dans nos impressions. 82% des personnes répondantes se disent d’accord avec l’idée que ces deux mouvements vont bien ensemble. Mais lorsqu’il s’agit de passer à la pratique, cela reste très séparé.
C’est pourquoi nous avons souhaité en savoir davantage sur qui dans le Puy-de-Dôme, concrètement, pourrait nous aider à faire le relais, à établir des ponts entre les deux causes.
“Par exemple les études montrent que le réchauffement climatique a davantage d’impact sur la santé des femmes que sur celle des hommes.”
D’où une deuxième étude…
La deuxième étude, au début de cet été et faisant suite à la première, a été réalisée par une stagiaire spécialisée en sciences politiques, Lalie Raynaud. C’était une enquête davantage personnalisée et approfondie, consistant en entretiens individuels et portant sur les engagements personnels, l’adhésion aux idées, les possibilités de rapprochement.
Elle a mené quinze entretiens auprès de personnes engagées ou militantes d’un des deux mouvements – majoritairement des femmes mais pas seulement – de tous profils et de tous âges, de 12 à 75 ans.
Nous n’avons pas encore terminé l’analyse de ce qu’elle nous a apporté, mais cela apparaît d’ores et déjà très riche.
Selon toi, en quoi est-ce important de rapprocher ces deux mouvements ?
La question de la condition des femmes est assez prégnante dans les sujets écologiques. Par exemple les études montrent que le réchauffement climatique a davantage d’impact sur la santé des femmes que sur celle des hommes.
Un exemple : l’accès aux soins ou même à l’avortement. Bien sûr on n’en est pas à un niveau d’inquiétude comparable à ce qui se passe aux États-Unis. Mais pour une femme qui vit par exemple dans les Combrailles, cela rejoint les questions liées à la mobilité, car les soins sont éloignés, le carburant coûte plus cher et les mobilités douces ne sont pas envisageables.
Il y a aussi les données du Secours populaire sur la précarité alimentaire qui nous ont alertées. Elles montrent que la proportion de femmes et notamment de mères célibataires aidées est en augmentation : cette association a recensé 7 947 femmes aidées à Clermont en 2022.
Votre intention est donc de sensibiliser les militants de l’écologie à ces questions ?
Nous souhaiterions que les questions spécifiques aux femmes soient davantage prises en compte – car elles ne sont pas une minorité : elles représentent un peu plus de 50% de la population ! Il semble qu’il y ait des angles morts dans les revendications sur la prise en compte des problèmes spécifiques aux femmes. La vraie question est de ne pas sacrifier la condition des femmes au nom de l’urgence écologique, ce qui est un risque… pas de façon intentionnelle mais simplement parce qu’on n’a pas conscience de ces enjeux.
“Les femmes ne sont pas une minorité : elles représentent un peu plus de 50% de la population !”
La question des mobilités soulève des exemples parlants : on va prôner les transports en commun, mais les femmes témoignent que ce sont des lieux où elles ont des risques réels de subir des agressions. Par ailleurs, beaucoup de femmes travaillent en horaires décalés, en fin de journées pour celles qui travaillent dans l’aide à la personne, tôt le matin pour les métiers du ménage. Comment prend-on en compte ces spécificités ?
J’alerte aussi sur le fait que l’histoire du droit des femmes est très liée à celle de la démocratie. Les mouvements écologistes qui s’inquiètent du durcissement autoritaire des institutions devraient le prendre en compte.
Réciproquement, les féministes auraient des leçons à tirer des luttes écologistes ?
Je pense que les féministes doivent aussi prendre conscience des dangers liés aux questions environnementales, qui les concernent de près.
Les études montrent que les canicules ont un impact différent sur la santé des femmes, pour des causes multiples, qui peuvent tenir à des différences biologiques, des conditions de logement, etc.
“Il ne faudrait pas que l’exigence écologique aboutisse à un retour de la femme au foyer.”
On doit aussi se questionner sur la façon dont nous abordons les sujets d’émancipation. Que répondre aux femmes pour qui la possession d’une voiture est synonyme de liberté ? Ou des technologies qui ont fait avancer la condition des femmes en les libérant de certaines tâches domestiques ? Il ne faudrait pas que l’exigence écologique aboutisse à un retour de la femme au foyer. Mais pas non plus que nos aspirations à l’égalité nous amènent à nous plier à des modèles masculins qui ont conduit à mettre en péril l’habitabilité de la planète.
C’est pourquoi il est important que les féministes se saisissent de ces questions et que celles-ci entrent dans notre radar.
Quelle a été la réception de vos initiatives ?
Elle confirme nos impressions. Sur le principe, tout le monde est d’accord sur cette idée de rapprochement. Il n’y a pas de conflit dans les idées. Mais de là à aboutir concrètement, il y a de la marge…
Y a-t-il urgence à opérer cette rencontre ?
On a encore le temps pour traiter ces problématiques qui ne sont pas encore trop prégnantes… Mais il faut anticiper parce qu’elles pourraient le devenir. On en est à la sensibilisation. Les deux mouvements ont des choses à y gagner. Par exemple, ce serait le moment de s’inspirer des techniques du mouvement pour l’avortement des années 1970, qui étaient très orientées low-tech !
“Plus on est nombreux à s’emparer de ces sujets et à connaître les enjeux, plus on avancera.”
Que ce soit le féminisme ou l’écologie, plus on est nombreux à s’emparer de ces sujets et à connaître les enjeux, plus on avancera.
Il ne s’agit pas de fondre les deux mouvements l’un dans l’autre au risque de brouiller les messages. Mais parfois on a l’impression que ceux qui négocient ou qui s’expriment ne vivent pas dans le même monde que nous… Peut-être aussi parce qu’on entend beaucoup d’hommes sur ces sujets.
Donc, sans attendre les résultats détaillés de l’enquête, Osez le Féminisme ! 63 s’attèle à favoriser cette rencontre. De quelle façon ?
Nous commençons à pousser le sujet car nous avons obtenu une subvention de la Ville de Clermont pour cela. En octobre, nous allons proposer un ciné-débat autour du film documentaire « Ni les femmes, ni la terre ! », centré sur les femmes qui se mobilisent à travers le monde contre des entreprises extractivistes ou polluantes qui les affectent directement (le 24 octobre à 20 heures au cinéma Le Rio à Clermont). Nous aurons aussi une version enfant, au centre Nelson-Mandela, avec un film sur la forêt.
Nous allons également proposer aux membres des mouvements féministes de se former avec la Fresque du climat, organiser une table ronde, créer des podcasts. Et un de nos prochains « Caféministes » aura pour thème « s’engager sur l’écologie d’un point de vue féministe ».
“Nous sommes l’antenne locale qui pousse le plus clairement ce sujet-là.”
L’idée est d’ouvrir ces temps de réflexion et d’information aux membres des associations écologistes.
Tout cela démarre doucement, mais ce sera un axe important – sans toutefois prendre le pas sur nos sujets prioritaires – au moins jusqu’au début 2024.
Comment se situe l’antenne Puy-de-Dôme sur ce positionnement par rapport au mouvement Osez le Féminisme! à l’échelle nationale ?
Il est certain que nous sommes l’antenne locale qui pousse le plus clairement ce sujet-là, mais nous ne sommes pas les seules. J’ai cofondé un groupe thématique « féminisme-écologie-climat » à l’échelle de l’association nationale, qui nous permet d’échanger avec d’autres mouvements locaux. D’autres antennes commencent aussi à s’en emparer. Mais on a encore du chemin à faire pour diffuser cette prise de conscience.
Propos recueillis par Marie-Pierre Demarty le 8 septembre 2023. Photo de Une Marie-Pierre Demarty : Anne-Lise Rias, lors de notre rencontre au Grin, café et tiers-lieu clermontois.
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