500 arbres et 250 variétés constituent la remarquable collection de fruitiers locaux anciens réunie par le Conservatoire d’espaces naturels d’Auvergne. Partons au verger, dans les pas de Christophe Gathier, son principal artisan.
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Le pourquoi et le comment
J’avais interrogé Christophe Gathier en mars, lors de mon enquête sur la multiplication des initiatives de forêts jardins par des collectifs citoyens. Mais j’étais frustrée de ne pas pouvoir raconter tout ce qu’il m’avait laissée entendre sur le verger conservatoire et je m’étais promis de revenir le voir, de préférence au moment où les arbres se couvrent de fruits.
J’avais aussi envie de vous faire découvrir ce lieu étonnant, car on ne s’attend pas à le trouver sur les hauteurs du Livradois où l’arboriculture a complètement disparu du paysage.
Cet endroit a une histoire et une richesse qui valent la peine d’être mises en lumière. C’est du patrimoine. Mais c’est aussi de la biodiversité, de la connaissance, du potentiel nourricier, de la capacité d’adaptation au changement climatique.
Ma seule frustration, c’est d’avoir peu de fruits à vous montrer : l’arboriculture doit faire avec les aléas (plus ou moins) naturels et cette année dans le Livradois, la nature ne s’est pas montrée généreuse. Avec tout ce qu’on lui inflige, parfois, elle boude…
Marie-Pierre
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« C’est difficile de l’imaginer, mais tous ces côteaux autrefois étaient couverts d’arbres fruitiers. A Tours-sur-Meymont, c’est pareil. Puis dans les années 1970, avec le remembrement et l’orientation vers les monocultures, il a été décidé que le Livradois serait consacré à l’élevage. »
Nous sommes à Domaize, dans le Livradois. Christophe Gathier me montre ses propres plantations, puis les quatre vergers replantés récemment par la commune. Ensuite, nous poursuivrons la visite à Tours, à une dizaine de kilomètres et pas mal de virages de là. Les bois alternent avec les prairies, dans ce paysage très pentu.
“Tous ces côteaux autrefois étaient couverts d’arbres fruitiers.”
Mais ce sont surtout les pommiers, poiriers ou cerisiers qui retiennent notre attention. Le constat est clair : ici, 2023 n’est pas une année à pommes. La plupart des arbres, jeunes greffés ou vieux de la vieille, ont l’air de bouder en cette pleine période de fructification. Trop forte humidité au printemps, coups de chaleur cet été, maladie des uns, champignons ailleurs… Les arbres ont souffert et se défendent en restreignant leur production. Sans parler de ce jeune pommier qui a rendu l’âme, les racines goulument grignotées par un campagnol gourmand.
La pomme et les autres
La plupart, tout de même, se montrent vigoureux. Sur les 3 hectares de pentes qui s’étendent derrière la mairie de Tours-sur-Meymont (2 autres hectares viennent d’y être ajoutés mais ne sont pas encore plantés), 500 fruitiers constituent le verger conservatoire principal du Conservatoire d’espaces naturels (CEN) d’Auvergne. Des petits, des grands, des malingres, des biscornus, des hauts sur tronc. Certains se sont déployés à la verticale ; d’autres penchent ou étalent copieusement leurs branches.
Ils ont quand même quelques points communs. La plupart sont issus de variétés locales anciennes ; et ils ont été identifiés au minimum par un nom et par une description globale, incluant l’aspect du fruit, sa couleur, sa taille moyenne, sa période de maturité…
“Les pommes ont occupé plus de place et ont donc laissé plus d’occasions de recevoir un nom local »
Pour qui ne connaît que la golden et la granny des supermarchés, de quoi donner le tournis : dans ce verger unique, on dénombre 500 arbres de 258 variétés, dont 167 variétés de pommiers, 46 poiriers, 18 cerisiers, 10 pruniers et 6 châtaigniers.
Un seul pêcher : « parce qu’ils s’autopollinisent, les pêchers se reproduisent par semis et sont donc beaucoup plus difficiles à identifier », explique Christophe.
De même, le travail sur les cerises est complexe car le fruit est éphémère, aussi bien dans sa période de production que dans sa durée de conservation. Difficile dans ces conditions de l’observer en détail.
Pour les pommes, c’est plus simple. On a quasiment l’année entière pour leur établir une fiche détaillée, les mesurer, les scruter, les comparer à d’autres variétés européennes, analyser leur ADN. Et puis ces fruits longue durée ont été plébiscités et se sont multipliés sur le territoire. « Elles ont occupé plus de place et ont donc laissé plus d’occasions de recevoir un nom local », poursuit mon guide. Quant aux abricotiers, anciennes stars de la confiserie clermontoise, ils n’aiment pas trop les hauteurs du Livradois et sont installés ailleurs, sur le plateau des Cézeaux. On y dénombre 121 arbres, appartenant à 67 cultivars d’abricots ainsi que des amandiers. Un autre verger est en projet à Romagnat pour les figuiers, dont une quarantaine de variétés intéressantes ont été repérées.
Recherche terrain pour 80 pommiers
Vice-président du CEN Auvergne, Christophe Gathier a vécu tout l’historique et même la préhistoire de cette impressionnante collection. Créé en 1985 par quelques passionnés aux connaissances solides, l’ancêtre du CEN s’est d’abord intéressé aux habitats traditionnels et aux paysages. Du paysage au verger, il n’y avait qu’un pas. Que diverses circonstances ont contribué à franchir : l’intérêt et les financements du parc naturel régional du Livradois-Forez récemment créé lui aussi ; quelques réunions pas toujours fructueuses avec des partenaires potentiels sur l’idée de sauvegarder le patrimoine fruitier.
« J’étais arrivé dans l’association par mon objection de conscience en 1987, intéressé par l’entrée ‘habitat traditionnel’ parce que je voulais restaurer une vieille maison familiale dans les Combrailles. J’ai travaillé sur les recherches de financement et de partenaires. Puis j’ai continué à m’y intéresser bénévolement, un peu seul mais soutenu par le conseil d’administration », se remémore-t-il.
« Personne n’a accroché. Sauf une élue de Tours-sur-Meymont, qui est venue me proposer un terrain.”
Jusqu’au jour où Christian Perrier, professeur au lycée agricole de Marmilhat, vient offrir 80 pommiers à l’association. « Il avait travaillé avec ses élèves à les décrire. Ça a été le début de la collection. Mais il fallait trouver un terrain ! »
Alors installé à Cunlhat, Christophe cherche, en parle autour de lui, aux institutions plus ou moins proches. « Personne n’a accroché. Sauf une élue de Tours-sur-Meymont, qui est venue me proposer un terrain que la mairie avait reçu en legs… et nous y sommes toujours. »
Sur les 80 arbres, seulement une quinzaine de variétés se sont avérées intéressantes. « Mais on y a trouvé la giatoise ou la bouriou-vernon par exemple. »
Une poire très prisée
Au fil des ans, la collection s’est agrandie. D’abord seul sur le projet avec des emplois aidés, avec les moyens du bord de l’époque pré-internet, ensuite avec un salarié dédié, le projet a pris de l’ampleur.
“Il a fallu trier, faire les choses avec méthode, car il n’est pas toujours facile d’établir qu’une variété est locale et ancienne.”
« J’ai cherché sur mes temps de loisir, en me baladant, en discutant, en repérant des vergers anciens. En les greffant, j’ai constitué une pépinière. Nous avons trouvé beaucoup de pommes en rencontrant les gens sur les foires. Les gens venaient nous en amener. Il a fallu trier, faire les choses avec méthode, car il n’est pas toujours facile d’établir qu’une variété est locale et ancienne. Nous avons beaucoup travaillé avec le Centre national de Pomologie d’Alès. Nous avons décidé que dès qu’un cultivar avait un nom local identifié, cela valait la peine de le multiplier. »
Si les découvertes de pommes se font de plus en plus rares, le travail d’inventaire est encore colossal. Pour étudier de plus près les variétés sauvegardées, mais aussi pour continuer à collecter d’autres cultivars d’arbres fruitiers.
Par exemple pour les amandiers, 72 variétés ont été repérées, mais pas encore toutes récupérées. « Parfois on en rate, dit Christophe Gathier. On repère un abricotier dans un verger, mais le temps qu’on soit prêt à le greffer, il a disparu. » Et c’est alors un petit pan de l’histoire fruitière locale qui sera définitivement effacé.
“On a toujours eu une approche paysagère. »
Dans la collection, on ne peut qu’être frappé par la diversité et la personnalité des fruits, signe d’une adaptation constante aux besoins, aux ressources, aux terroirs, aux usages. On a les classiques locales, comme chez les pommes la Comte, la Feuillue, l’Armoise, la Rouge d’Agnat, la Platée… Mais aussi des curiosités, comme la Djialeyre (orthographe non garantie !) dont la chair est translucide comme si elle avait gelé. Ou la Gingéneyre dont les noyaux, libres dans leur loge, « geignent » comme des petits grelots. Encore plus étonnant : cette poire collectée dans l’Artense, « un coin ingrat pour la culture fruitière », relève Christophe, connue sous le nom de « tabatière ». Pourquoi ? « Comme elle n’est vraiment pas bonne au goût, les gens la râpaient pour la priser ! »
L’art de la conduite
Constituer un verger conservatoire, ce n’est pas seulement sauvegarder les variétés – au moins deux arbres par cultivar. C’est aussi faire des choix sur les modes de culture et contribuer à faire revivre la culture (aux deux sens du terme) des fruitiers locaux.
Pour les options de culture, avec des débats qui ne sont pas clos, il a été décidé à Tours-sur-Meymont de conduire les arbres greffés uniquement hauts sur tige, en vergers de plein vent, « parce qu’on a toujours eu une approche paysagère ». Sachant que la conduite en espalier sur basse tige, tradition de culture apparue vers les seizième et dix-septième siècles, est plus facile, donne des fruits plus tôt, plus gros, donc plus faciles à étudier. Cependant ces arbres vivent moins longtemps et surtout, ne correspondent pas du tout à la tradition locale.
Autre question pas encore tranchée, pour laquelle le verger conservatoire a participé à des études nationales : vaut-il mieux s’appuyer, comme porte-greffe, sur des pommiers sauvages ou sur des cultivars ? Les premiers seraient plus résistants mais cela reste à confirmer. Encore faut-il pouvoir déterminer si un arbre est réellement « sauvage », quand on sait que les pépins dispersés par les vergers se ressèment dans la nature et sont autant d’occasions de faire évoluer les variétés…
10 000 arbres par an
Si les vergers conservatoires du CEN Auvergne sont le cœur de la sauvegarde de ce patrimoine, la préoccupation de ses responsables est aussi de favoriser son redéploiement.
“Nous avons pu constituer un réseau d’une dizaine de pépiniéristes, principalement dans le Puy-de-Dôme.”
Cela a commencé par une collaboration avec les pépiniéristes. Même au départ, avec un seul qui s’est montré le premier intéressé, Combes à Saint-Myon. « Par la suite, la nouvelle génération a davantage suivi et nous avons pu constituer un réseau d’une dizaine de pépiniéristes, principalement dans le Puy-de-Dôme. Certains sont même complètement spécialisés. Et chacun vend aujourd’hui environ 1500 plants de variétés fruitières locales, ce qui fait qu’il se plante 10 000 arbres par an dans le département », détaille Christophe, qui se réjouit de l’engouement retrouvé du public, auquel ces pépiniéristes passionnés ont bien contribué.
Les fruitiers se plantent chez les particuliers, mais aussi collectivement. C’est une brique intéressante pour la reconstitution du patrimoine dans la durée. Comme à Domaize, des partenariats sont noués entre le CEN et des collectivités, et deviennent autant de terrains de sécurisation pour préserver les variétés.
« Les élus financent la création du verger, mais ne comprennent pas toujours l’intérêt à renouveler le partenariat pour effectuer un suivi.”
« Une centaine de vergers de variétés anciennes ont ainsi été créés, poursuit Christophe. Dont beaucoup dans le Livradois-Forez, grâce aux subventions du parc pour les actions des collectivités en faveur de la ‘biodiversité ordinaire’. Nous les conseillons sur les choix de cultivars, sur les options de plantation. Nous pouvons aussi expérimenter des choses. Par exemple au château de Liberty à Condat-lès-Montboissier, nous avons créé un verger de plein vent et un autre en espalier. Et avec la ferme des Rodilles ici à Tours, nous étudions l’intérêt des porte-greffe sauvages. »
Il y a cependant des limites à ces partenariats, explique encore le vice-président du CEN : « Les élus financent la création du verger, mais ne comprennent pas toujours l’intérêt à renouveler le partenariat pour effectuer un suivi. Pourtant c’est important car la culture fruitière est complexe. Déjà quand tu t’en occupes bien il y a des pertes, alors quand ce n’est pas le cas… ! »
Là où les choses fonctionnent mieux, c’est quand un collectif citoyen s’est formé pour créer ou restaurer un verger, comme à Marsac-en-Livradois ou à Beurières. « Ils sont très motivés. Ils ont leur pépinière, leurs plantations, leur budget… » Une formule que Christophe aimerait voir se développer. « Pour cela, il faut un groupe de passionnés qui prennent l’initiative, puis passent une convention avec la commune pour occuper un terrain mis à disposition. » Un type de projets qui a fleuri ces dernières années dans le Puy-de-Dôme, notamment à la faveur des opportunités du budget écologique citoyen du Conseil départemental. Et aussi à la faveur des formations à la greffe et à la taille qui se multiplient partout, y compris à l’initiative du groupe Verger du CEN, très actif sur le volet pédagogique.
Anticiper…
Mais il manque aussi, d’après Christophe Gathier, un maillon à ce renouveau de la culture locale fruitière : celui d’une filière commerciale. « Alors que les Amap se développent, que les projets alimentaires territoriaux réfléchissent à la relocalisation des approvisionnements, que la restauration collective est en demande, il y a un mouvement pour relocaliser la production de légumes. Mais les fruits manquent, parce que l’arboriculture est techniquement plus compliquée que le maraîchage, parce qu’un arbre met plusieurs années avant de produire des fruits, et reste fragile face à des ennemis multiples : ravageurs, champignons, maladies… Mais ce n’est pas notre rôle premier de travailler au développement d’une filière. »
“L’arboriculture est techniquement plus compliquée que le maraîchage.”
Il s’agace pourtant de ne pas pouvoir suivre ou accélérer des projets de culture du châtaignier, que ce soit dans la châtaigneraie cantalienne ou sur la faille de Limagne, ou de voir des vergers se développer avec des variétés plus communes.
Il s’interroge aussi sur les conditions climatiques qui se dégradent. « On ressent fortement les changements depuis ces dix dernières années et encore plus sur les deux dernières. Même si c’est moins net sur les fruitiers que sur la forêt, parce que dans nos vergers, la grande hétérogénéité des sols, des essences, de la manière dont on les travaille entre aussi en ligne de compte. »
Si la sauvegarde du patrimoine local peut être un atout précieux pour l’adaptation au changement climatique, celui-ci implique aussi de l’anticiper pour ne pas accentuer les pertes.
“L’autre option serait de créer un verger plus en altitude où il souffrirait moins du réchauffement. »
« Nous réfléchissons à différentes options, poursuit Christophe. On pourrait créer un verger irrigué en plaine, avec des arbres de basse tige qui seront plus vigoureux, par exemple près de Mozac où se trouve le siège du CEN Auvergne. Ça se défend car ici les sols sont très séchant et les arbres en souffrent. L’autre option serait de créer un verger plus en altitude où il souffrirait moins du réchauffement. »
Voilà bien un rôle précieux du verger conservatoire : collectionner et sauvegarder le patrimoine dans sa grande diversité, cela nécessite aussi d’anticiper et de préparer l’avenir. Une bonne nouvelle pour la résilience de notre région. Et pour l’avenir de nos compotes et confitures.
Consulter la page du CEN Auvergne sur le projet Verger et celle sur le site du verger conservatoire de Tours-sur-Meymont. Le verger conservatoire est ouvert aux visiteurs et constitue un lieu de promenade avec panneaux pédagogiques le long du parcours. Entrée au fond de la place de la Mairie. |
Reportage réalisé vendredi 15 septembre 2023. Photo de Une Marie-Pierre Demarty : une vue du verger conservatoire de Tours-sur-Meymont
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