Le maire de Rochefort-Montagne est aussi président de la Fédération nationale des Communes forestières. Il nous raconte cette double expérience et les leçons qu’il en tire sur la gestion des forêts, du local au national.
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Pas assez de neige, pas assez d’eau, trop de chaleur… comment les acteurs touristiques locaux s’adaptent-ils aux conséquences du dérèglement climatique ?
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Dominique Jarlier ne sait plus où donner de la tête. Une panne informatique a bloqué récemment tout le système de la mairie, bâtiment qui par ailleurs a un petit problème de chauffage. Dans les jours qui suivent notre rencontre, il doit se rendre en Savoie, puis dans la forêt d’Iraty au pays basque, puis à Mimizan dans les Landes. Il doit aussi batailler avec des élus des Vosges qui ont un peu trop abusé à son goût des compétences de l’Office national des forêts. Ce qui ne l’empêche pas de se préoccuper de l’avenir de sa commune.
Le maire de Rochefort-Montagne, vétérinaire de métier mais aujourd’hui en retraite et bien plus occupé par ses fonctions électives, compense cette surcharge d’activité en parlant vite et en râlant beaucoup. Même si on devine sous cette râlerie – qu’il reconnaît volontiers – un fond d’authentique bienveillance. Aurait-il pu sans cela être réélu en continu depuis 34 ans ?
“C’était ma bagarre de la semaine dernière ! »
Sa fonction municipale est l’arbre qui cache la forêt. L’expression, dans son cas, est appropriée, car Dominique Jarlier préside depuis bientôt vingt ans la fédération des communes forestières du Puy-de-Dôme, depuis 2014 la Fédération nationale et tant qu’on y est, la Fédération internationale.
L’enjeu est dans le paysage
On pourrait s’en étonner, car ce groupement né à l’échelle nationale il y a 90 ans a longtemps été piloté principalement par les communes du Grand Est. Des Vosges aux deux Savoie en passant par la Franche-Comté, ces massifs sont dominés par une structuration où la propriété forestière est majoritairement publique et rapporte aux communes des revenus qui « peuvent s’élever jusqu’à la moitié du budget municipal », souligne Dominique Jarlier. « Pour ces communes, l’enjeu économique est important ; si la forêt n’est plus exploitée, cet apport n’est remplacé par rien. C’est pourquoi je fais la bagarre en ce moment aux Vosges du sud : l’ONF est allé installer du personnel avec les sous de la fédération pour faire de la politique territoriale à la place des communes, sous prétexte qu’il s’agit d’une forêt d’exception… Mais ils ont englobé quasiment tout le massif dans cette forêt d’exception ! Ça, c’était ma bagarre de la semaine dernière », détaille-t-il.
« Rochefort, c’était d’abord l’élevage. »
Comparée à ces mastodontes, Rochefort-Montagne est un petit Poucet. Cette commune qui aujourd’hui dépasse tout juste le cap des mille habitants n’est pas très étendue. Elle détient une forêt publique de 160 hectares, ce qui représente un dixième de son territoire. Quant à l’étendue de la forêt privée : « Je suis incapable de le dire », indique le maire, qui a en possession des indications peu cohérentes à ce sujet, mais « on doit arriver, dit-il, à trois ou quatre fois plus de forêt privée », composée surtout de très petites parcelles. Au total, cela reste peu important. « Rochefort, c’était d’abord l’élevage », avec à côté des AOP plus connues la fourme de Rochefort, « fromage de qualité exceptionnelle », vante le maire.
Le paysage est celui d’une vallée encaissée qui se distingue surtout par le site spectaculaire de Tuilière et Sanadoire. Globalement, la forêt rapporte peu à la commune : un peu de revenus provenant de la section de Saint-Martin ; une autre section qui n’en apporte plus depuis que la dernière tempête l’a ravagée… L’enjeu économique est donc réduit : « Même pas dix mille euros par an », estime le maire.
L’enjeu se situe donc au niveau du paysage, de la biodiversité et de l’accueil du public, dit-il. Il se traduit par deux préoccupations majeures : l’une sur les forêts privées, l’autre sur les forêts publiques.
Une forêt ingérable
La première tient à la configuration particulière du foncier, assez typique de notre région où la propriété est très émiettée, notamment en raison de la déprise agricole : « Les petits paysans ont abandonné leur activité sur les terrains peu productifs et peu accessibles. Ces terres se sont transformées en forêts, puis ont été léguées à des générations qui sont parties ou n’appartiennent plus au milieu agricole. On se retrouve avec des propriétés complètement éparpillées et ingérables », décrit Dominique Jarlier, qui prend l’exemple très parlant du haut de la vallée dans sa commune : « Je me suis aperçu que sur un tout petit secteur, j’ai quatre propriétaires différents, détenant un total de vingt parcelles de 2000 m² en moyenne. Mais aucune n’est contiguë à d’autres du même propriétaire, à part par un angle. Dans ces propriétaires, il y en a un à Rochefort, un autre à Perpezat, mais aussi une dame de Paris. Donc tout ça, en termes d’exploitation forestière, n’est pas possible. »
C’est là le moindre problème, car il y a surtout, pour le maire, la question du risque. Elle aussi difficilement gérable. Il l’illustre par sa dernière sortie en compagnie d’un de ses administrés : « Un papy qui a voulu me montrer sa parcelle : très en pente, avec des arbres qui commencent à être scolytés et qui pourraient être dangereux. Il a aussi des feuillus qu’il aimerait exploiter pour lui car il se chauffe au bois. Mais il ne peut rien sortir : d’un côté il y a le ruisseau, et autour, des propriétaires qu’il ne connaît même pas ! »
“Quand on parle d’environnement aujourd’hui, un des sujets qui risquent d’être coûteux est la mobilisation du bois.”
Pas facile, dans ces conditions, de répondre à la demande du ministère de l’Agriculture, que Dominique Jarlier a reçue en tant que président de la fédération nationale : « Il m’a demandé de massifier l’offre à l’échelle nationale. Parce que quand on parle d’environnement aujourd’hui, un des sujets qui risquent d’être coûteux est la mobilisation du bois. On prend des engagements sur la règlementation environnementale RE 2020, sur la substitution vers des matériaux qui stockent du carbone. Mais encore faut-il être en mesure de fournir ces matériaux ! »
Etonnez-vous, avec ces réalités contradictoires, que Dominique Jarlier ait l’impression de devenir à moitié fou…
Des risques et des choix
Passant d’une de ses casquettes à une autre, il revient à sa commune et à la question du risque, « urgentissime ». Il la raconte à sa manière, se basant sur son vécu de maire : « Il y a une crise sanitaire : tout ce qui est résineux est en train de morfler. Les épicéas mettent un peu de temps à tomber ; le sapin, en quatre mois, n’est plus bon à rien. Certains feuillus aussi sont malades. Le plus gênant pour moi, c’est qu’avec tous ces petits propriétaires qui ont des forêts en déshérence, quand elles sont en bord de route, cela entraîne des accidents. La semaine dernière : rupture de la fibre et de l’électricité. Comment on règle ça ?”
“Madame Machin qui a 91 ans ou qui habite à Paris… elle va me répondre quoi ? »
Et de faire de son mieux pour résoudre cette situation insoluble : “Il faut que je fasse un courrier à des gens que je ne connais pas. Je me suis basé sur le cadastre pour écrire à tous les propriétaires en bord de route, pour leur rappeler leurs obligations. Mais même ceux qui sont sur place et qui s’en préoccupent n’ont pas de solution, alors Madame Machin qui a 91 ans ou qui habite à Paris… elle va me répondre quoi ? »
Côté forêt communale, son questionnement est d’ordre environnemental, dans son dialogue avec l’Office national des Forêts gestionnaire des forêts publiques : « Quand il faut replanter, l’ONF propose mais c’est à moi d’en décider. Mais quelle expertise j’ai pour valider ces replantations ? », s’inquiète-t-il, conscient que le changement climatique complexifie les choix.
« On est dans un bouleversement complet », constate-t-il, avec des injonctions contradictoires lorsque la question environnementale vient se heurter à la question économique. Même pour une commune comme la sienne qui ne compte pas sur les revenus de ses parcelles : « D’un côté l’industrie qui demande de l’épicéa par rapport aux investissements qu’elle a réalisés pour travailler ces essences, de l’autre une nécessité environnementale de diversifier. Le problème de l’aspect économique, c’est qu’il porte éventuellement sur les recettes de la commune, mais aussi sur l’ensemble de la filière. »
Une série de circonstances
J’en viens forcément à lui poser la question de sa présence à la tête de l’instance nationale, apparemment paradoxale. « C’est parce que je suis un type formidable ! », plaisante-t-il… Avant de raconter comment il a d’abord pris la présidence départementale, sollicité par le président du Conseil général et par son (charismatique) prédécesseur Pierre-Joël Bonté.
“Une fois les élections passées, on m’a à nouveau convoqué pour me refiler le bébé.”
A ce dernier, on pouvait difficilement refuser quoi que ce soit, a fortiori quand on en était proche comme l’était le maire de Rochefort-Montagne. Celui-ci s’amuse encore aujourd’hui en racontant l’épisode, vingt ans après : « J’étais en train de faire du bateau au large de l’île d’Aix ; je rentre dare-dare en prenant au passage un PV à Limoges, pour apprendre qu’ils avaient finalement trouvé quelqu’un d’autre, qui en avait besoin pour sécuriser une élection délicate. Une fois les élections passées, on m’a à nouveau convoqué pour me refiler le bébé. Quand j’ai demandé s’il y avait du personnel, on m’a répondu qu’il y avait une fille qui faisait le café… »
Discipliné, Dominique Jarlier endosse donc cette présidence apparemment peu engageante. Mais elle lui avait valu de siéger au conseil d’administration de la fédération nationale. « On commence à parler du bois-énergie et je témoigne que j’ai créé un réseau de chaleur », explique-t-il. C’était le premier en milieu rural, que Rochefort-Montagne était en train de développer. « A cette période, poursuit-il, l’ONF a commencé à imaginer créer une structure pour le bois-énergie. Il y avait des discussions sur le prix, sur la structuration… Et j’ai donné des arguments qui prenaient le contrepied de ce que prônait le président de l’époque. La fédération avait réfléchi à l’idée de petites chaufferies dans les villages. J’apportais une réflexion différente : nous avons à Rochefort créé un réseau de 2,5 km pour chauffer environ 80 particuliers dans le bourg ; mais ça a été possible pour l’investisseur parce qu’il y avait aussi des gros consommateurs, en l’occurrence le lycée agricole, le collège, la maison de retraite. »
Le président Jean-Claude Monin a prêté l’oreille au maire de la petite commune auvergnate et… lui a confié dans un premier temps les clefs de la filiale de l’ONF nouvellement créée, ONF Énergie, puis sa propre succession, lorsqu’il s’est retiré pour des raisons de santé, en 2014. « Certains dans le Grand Est ont tordu le nez parce qu’ils se comportaient un peu en propriétaires, mais c’est passé… Même si j’ai les mêmes soucis aujourd’hui », souligne-t-il, mi-philosophe, mi-rageur.
De gros dossiers à défendre
Mais le président en fonction semble avoir géré les choses avec suffisamment de poigne et de bon sens pour se faire respecter et écouter. Par exemple en défendant les intérêts des communes, tous massifs confondus. « Depuis que je suis président, raconte-t-il calmement, il m’a fallu quatre ou cinq fois me bagarrer avec les différents présidents de la République et ministres de l’Agriculture pour que les frais de garderie ne soient pas augmentés », sachant que cette contribution versée à l’ONF par les communes forestières représente 10% des recettes issues de la gestion des forêts en montagne, et 12% en plaine.
“Un autre outil important : la possibilité pour un particulier ou une entreprise de faire don de parcelles forestières à la commune, moyennant une réduction d’impôts. »
Parmi les autres sujets qu’il a eu à traiter, on peut citer la question de la construction publique en bois local – qui a dû passer par des solutions de certification – ou des chaufferies en milieu rural. « Et aujourd’hui nous sommes lancés dans l’opération ‘dans mille communes la forêt fait école’, car les relations forêt-société sont aussi un sujet important pour nous : faire de la sensibilisation aux problématiques environnementales, sans dogmatisme. »
Autre dossier en cours : une proposition de plan local forestier, actuellement en discussion avec les différents ministères : « C’est l’idée de s’appuyer sur le projet d’aménagement et de développement durables de la commune, qui donne une trajectoire ; cette trajectoire pourrait donc être de dire que les parcelles forestières puissent avoir un accès à la voirie de façon à ce que toutes les propriétés puissent faire sortir du bois. Nous avons voulu y ajouter aussi la possibilité pour les maires d’un massif d’opérer une restructuration foncière pour pouvoir aménager des voies forestières. On s’est doté récemment d’un autre outil important : la possibilité pour un particulier ou une entreprise de faire don de parcelles forestières à la commune, moyennant une réduction d’impôts. »
Enjeux sociaux et environnementaux
On comprend que sa vision de la gestion forestière et les enjeux relativement peu importants pour son propre territoire l’aient placé en position d’arbitre.
“Je fais un lien entre la déshérence des territoires ruraux et l’émergence des députés Front national.”
Sa vision, il l’expose ainsi : « Les problématiques sont les mêmes pour tous les massifs forestiers, sauf que les préoccupations sont différentes. Au risque de faire bondir, je fais un lien entre la déshérence des territoires ruraux et l’émergence des députés Front national. Par exemple en Haute-Saône, où ils ont des revenus forestiers, mais les gens n’ont plus rien. Pour certaines communes, la moitié du budget de fonctionnement est constituée par les recettes de bois ; leur préoccupation est donc d’équilibrer leur budget, en se préoccupant des modes d’exploitation, de vente, de contractualisation. Mais ils ont aussi à s’occuper des questions d’aménagement. Si pour ces régions l’État s’occupait davantage d’aménagement, de lien social, d’environnement, les habitants se sentiraient peut-être moins abandonnés et les revenus de la forêt ne seraient pas aussi primordiaux. Je peux comprendre les élus… »
Et c’est pour cela que… « Je cherche un successeur », chuchote-t-il, empruntant faussement le ton de la confidence. Il confie aussi son rêve secret : trouver pour lui succéder une femme, et si possible du sud – de ces terres où l’enjeu est tout autre : celui du réchauffement climatique déjà très prégnant, des feux de forêt qui enflamment les étés.
Il est aussi bien placé pour admettre une autre évolution : « J’étais très attaché à ce que ce soient les maires qui représentent leur commune dans nos fédérations, mais ce sont de plus en plus des adjoints… parce que le maire est complètement débordé. »
En l’occurrence, le maire de Rochefort-Montagne a aussi d’autres chats à fouetter, ou plus exactement une commune à administrer. Dans laquelle il n’y a pas que de la forêt.
Rien que sur les sujets environnementaux, il cite les questions de l’alimentation en eau potable, des zones humides à préserver, de la difficulté à accueillir de nouveaux habitants sans trop artificialiser les terres, alors que l’emploi existe mais que les logements ne sont pas adaptés à la demande.
Mais ceci est une autre histoire…
Reportage réalisé le mercredi 27 septembre 2023. Photo de Une Marie-Pierre Demarty
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