Rat taupier, frelon asiatique : même combat contre les espèces envahissantes

Par

Marie-Pierre Demarty

Le

Les intervenants de la rencontre consacrée aux espèces envahissantes
La Rencontre de la Résilience d'octobre à la librairie Les Volcans portait sur le sujet des espèces envahissantes, à travers deux exemples qui affectent deux professions bien représentées dans notre département : les éleveurs et les apiculteurs... mais aussi l'équilibre des écosystèmes.

Sommaire

Pas assez de neige, pas assez d’eau, trop de chaleur… comment les acteurs touristiques locaux s’adaptent-ils aux conséquences du dérèglement climatique ?

Rencontre Tikographie du lundi 2 décembre à 17h (librairie des Volcans) – tous publics, accès libre !

Les intervenants

  • Adrien Pinot, biologiste, enseignant-chercheur en écologie à VetAgroSup
  • Jean-Yves Menguy, apiculteur à Ceyrat et membre du bureau du Syndicat national des apiculteurs

Le podcast

Vous pouvez accéder à un enregistrement “nettoyé” – pour une meilleure écoute – de la Rencontre ici :

La synthèse : Des dégâts mais pas de solution miracle

Il aurait pu s’agir de renouée du Japon ou d’écrevisses américaines, d’ambroisie ou de tortues de Floride, ou de beaucoup d’autres plantes ou animaux sévissant dans notre région (et ailleurs) avec l’étiquette d’espèces envahissantes.

Mais pour étudier cette question épineuse et peu visible au quotidien pour le grand public – sauf quand les bestioles se mettent à piquer ou à faire des trous dans le jardin – les Rencontres de la Résilience ont braqué les projecteurs sur deux représentants de cette catégorie : le frelon asiatique et le rat taupier, dit aussi campagnol terrestre.

Jean-Yves Menguy et Patrick Derossis
Jean-Yves Menguy, apiculteur, avec Patrick Derossis, animateur du débat, échangent sur le cas du frelon asiatique, cas typique des espèces exotiques envahissantes. – Photo Marie-Pierre Demarty

En préambule des échanges, Patrick Derossis, animateur de la rencontre, a précisé quelques notions, à commencer par celle d’« espèces envahissantes”. Il s’agit des espèces – faune ou flore – dont la population se maintient ou accroît son aire d’implantation en perturbant le fonctionnement des écosystèmes ou en supplantant d’autres espèces.

Pour la plus grande part, elles sont dites « exotiques », introduites volontairement ou non par l’homme depuis d’autres régions du monde. C’est le cas du frelon asiatique arrivé en Europe dans les bagages de la mondialisation des échanges. D’autres comme le rat taupier sont implantées depuis presque la nuit des temps, mais se mettent à pulluler à un moment donné, trouvant les conditions favorables dans les perturbations que l’homme lui-même apporte dans les écosystèmes.

Rat taupier : une histoire de pullulation

Pour continuer sur ce petit mammifère bien de chez nous qu’est le rat taupier, Adrien Pinot a expliqué la distinction entre ce campagnol terrestre, qui prolifère dans les prairies de nos montagnes d’Auvergne et en Franche-Comté en se nourrissant de racines, et son cousin le campagnol des champs qui n’est pas présent chez nous mais prospère dans d’autres régions céréalières.

On peut arriver jusqu’à 30% de productivité par rapport à une année ordinaire, ce qui est une baisse gigantesque. »

Adrien Pinot

Dans le Cézallier ou le Cantal, les bonnes prairies sont très impactées par les populations qui se mettent à pulluler. « Quand des parcelles sont touchées, décrit Adrien Pinot, les éleveurs n’ont pas assez de foin pour passer l’hiver. On peut arriver jusqu’à 30% de productivité par rapport à une année ordinaire, ce qui est une baisse gigantesque. »

Il explique que l’espèce a la faculté de pulluler de façon exceptionnelle dès lors que les conditions lui sont favorables, passant d’une portée annuelle de 2 à 3 petits, à une de 4 à 8 petits tous les 21 jours. Et décrit des prairies où la concentration de ces petits rongeurs peut être de mille individus par hectare.

Adrien Pinot, chercheur sur le campagnol
Adrien Pinot expose les mécanismes de pullulation, à partir de prairies rendues plus productives dans le cadre de l’élevage laitier. – Photo Marie-Pierre Demarty

La cause de cette prolifération semble évidente : « C’est la ressource alimentaire », résume le chercheur, indiquant que la recherche de fort rendement des prairies, développées notamment grâce aux engrais azotés, leur fournit un excellent garde-manger. « Les éleveurs des zones fromagères en tirent profit… mais le campagnol aussi. »

Quant aux prédateurs qui pourraient les réguler, ils ne commencent à s’y intéresser suffisamment que lorsque la prolifération les rend faciles à attraper – c’est le cas du renard – ou quand ils ont à leur tour pullulé devant cette opportunité, comme l’hermine. Dans tous les cas, trop tard…

La suite de votre article après une petite promo (pour Tikographie)

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Merci pour votre temps de cerveau disponible ! Le cours de votre article peut reprendre.

Frelon asiatique : prédateur de pollinisateurs

Côté insecte exotique, c’est aux apiculteurs que le frelon asiatique cause le plus de dégâts. Et c’est un apiculteur, Jean-Yves Menguy, qui est venu en témoigner. « Il est arrivé en 2004 par le sud de la France et est maintenant présent en Angleterre, en Allemagne, en Belgique », expose-t-il, précisant que ce petit carnivore mange 11 kilos d’insectes par an et se régale notamment de la « bonne protéine » que constitue l’abeille. Il peut arriver à détruire complètement une ruche : « Lorsqu’il est présent, nos abeilles ne sortent plus et ne ramènent plus de pollen ; la reine arrête sa ponte.” Lui-même explique avoir eu ainsi dix ruches impactées, soit la moitié de son cheptel.

Jean-Yves Menguy
“Nos abeilles ne sortent plus et ne ramènent plus de pollen ; la reine arrête sa ponte”, constate Jean-Yves Menguy. – Photo Marie-Pierre Demarty

Jean-Yves Menguy avertit que cette invasion a d’autres conséquences – certes moins visibles mais préoccupantes – sur la biodiversité et sur les pollinisateurs. Il s’inquiète aussi de la tentation de certains producteurs de miel, face à ce risque croissant, d’intensifier inconsidérément leur activité. Et signale l’apparition d’une nouvelle espèce exotique repérée – et étroitement surveillée – du côté de Marseille.

Quelles parades ?

Face à ces phénomènes fortement perturbateurs, que faire ? Nos deux interlocuteurs s’accordent sur la nécessité d’avoir une politique coordonnée à une échelle beaucoup plus large qu’une parcelle, un rucher ou une propriété. « Quant le rat taupier s’installe, c’est à très large échelle, sur une zone très vaste. Si on essaie de l’éliminer isolément sur une parcelle, ça ne sert à rien, car il est certain que toutes les parcelles autour sont infestées », dit Adrien Pinot. « On est quelques-uns à piéger à Ceyrat mais si la commune d’à côté ne piège pas, ça ne sert à rien », dit en écho Jean-Yves Menguy, qui appelle de ses vœux « une politique globale » et une « coordination entre tous les acteurs : gens de terrain, scientifiques, pouvoirs publics ».

Il va falloir apprendre à vivre avec. »

Jean-Yves Menguy

Justement, la question se pose de parades efficaces contre ces espèces envahissantes. Pièges pour les frelons, empoisonnement par anticoagulant pour le rat taupier sont les plus pratiquées. Mais les deux interlocuteurs s’accordent à dire que ces recettes peuvent avoir des conséquences sur d’autres espèces ou n’ont qu’une efficacité relative ; en résumé, qu’il n’y a pas de solution miracle. « On n’éradiquera pas le frelon asiatique complètement ; il va falloir apprendre à vivre avec », affirme Jean-Yves Menguy.

Adrien Pinot
« Le campagnol a sa place dans l’écosystème. C’est la pullulation qui pose problème », explique Adrien Pinot. – Photo Marie-Pierre Demarty

L’un comme l’autre émettent le souhait de mettre davantage de moyens dans la recherche afin d’aboutir à des solutions plus satisfaisantes. Par exemple pour vérifier la piste de la composition des prairies où la forte présence de pissenlits semble attirer particulièrement les rats taupiers.

À leur sujet, Adrien Pinot apporte cette conclusion en réponse à une question de l’auditoire : « Le campagnol a le droit d’exister comme toute espèce et il a sa place dans l’écosystème. Il a un rôle pour aérer et fertiliser le sol, pour nourrir des prédateurs. Mais c’est la pullulation qui pose problème. »

Synthèse par Marie-Pierre Demarty

Lors de la rencontre sur les espèces envahissantes
Aux rencontres de la Résilience sur le sujet des espèces envahissantes. – Photo Marie-Pierre Demarty

Les vidéos diffusées

Reportage sur des pièges à frelons dans un jardin beaumontois

Avec Michel Jouinot, président du club des Jardiniers du Pays d’Auvergne – Beaumont

Autres ressources

Reportage sur les espèces exotiques envahissantes

Par l’Office Français de la Biodiversité

Reportage sur la réaction d’un éleveur du cantal confronté au campagnol

Par France 3 Auvergne

A voir sur le site de France Télévisions en cliquant ici

Reportage sur la destruction d’un nid de frelons asiatiques

Reportage sur la lutte contre le campagnol sans pesticide

Par France 3 Aquitaine

Les crédits

Merci à la librairie les Volcans d’Auvergne pour son accueil et le partenariat de réalisation des Rencontres Tikographie pour cette saison, et en particulier à Boris, Philippe, Lénaïc, Olivier et Gaëlle.

Merci à nos invités, aux participants et à l’équipe de l’association Tikographie qui porte et organise les Rencontres.

Pour cette Rencontre spécifique ont œuvré :

  • Patrick à la préparation éditoriale et à l’animation;
  • Damien à la prise de son;
  • Roxana à la préparation de l’espace événementiel;
  • Marie-Pierre aux photos et au compte-rendu.
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