Deuxième volet de notre exploration de l’expérimentation Territoire Zéro Chômeur de longue durée à Thiers. Où l’on voit comment les entreprises à but d’emploi dialoguent avec les autres acteurs économiques locaux.
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Le pourquoi et le comment
Ce deuxième volet d’exploration du Territoire Zéro Chômeur est un peu plus complexe à appréhender. Nous avons passé beaucoup de temps à dialoguer pour que je puisse en cerner la logique, tant la “ligne de crête” dont il est question paraît délicate.
Mais c’est aussi, me semble-t-il, le plus intéressant : ce moment où un concept devient un véritable projet de territoire, qui agit comme un billard, par ricochets, et qui remet d’aplomb ce qui pouvait être très légèrement de travers dans son organisation. Vous savez, comme ce tableau qui nous chiffonne parce qu’il est très légèrement de travers.
A peine, à peine, mais c’est tellement mieux quand tout le monde est aligné…
Marie-Pierre
Pas assez de neige, pas assez d’eau, trop de chaleur… comment les acteurs touristiques locaux s’adaptent-ils aux conséquences du dérèglement climatique ?
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Quatre entreprises à but d’emploi (ou EBE), 200 emplois. C’est ce qu’a réussi à créer l’expérimentation Territoires Zéro Chômeur de longue durée (TZCLD) à Thiers depuis 2017.
Conditions fixées par la loi qui l’encadre : que les activités proposées ne viennent pas faire concurrence à d’autres activités du territoire. Cela se comprend : le pari est de montrer qu’en utilisant les fonds auparavant alloués à l’indemnisation de ces personnes sans emploi en complément des revenus de leur travail, on peut développer des activités utiles au territoire mais pas assez profitables pour que le secteur concurrentiel s’en empare.
Chaînons manquants
Pari tenu ? Oui, mais… avec le recul de ces six ans de mise en œuvre, les choses ne sont pas si simples. Les EBE doivent s’insérer dans un tissu d’activité et y trouver leur place, entre entreprises classiques, entreprises d’insertion, activités de la collectivité… Et faire comprendre au territoire le rôle que peut jouer cet acteur d’un nouveau type.
« On doit sans cesse expliquer et réexpliquer, c’est notre quotidien.”
Nadège Parant
« On doit sans cesse expliquer et réexpliquer, c’est notre quotidien. C’est complexe car on nous demande d’équilibrer notre budget comme une bonne entreprise, de régler les problèmes sociaux, de respecter le droit du travail, de ne pas entrer dans le secteur concurrentiel… Mais on ne peut pas tout attendre de nous ! », souligne Nadège Parant, directrice d’Actypôles, dont le ton révèle qu’elle n’est pas près de se laisser décourager pour si peu.
Chaque activité ou presque développée par les quatre EBE semble un exemple de cette ligne de crête difficile à tenir, mais faisant pourtant figure de chaînon manquant qui a son utilité dans le territoire.
Prenons les espaces verts, où sont déjà présents les services techniques de la Ville, les ESAT employant des personnes en situation de handicap, les paysagistes et encore, à Thiers, l’association Passerelle. Une offre suffisamment abondante ? « Il a fallu rassurer les Esat, mais nous n’allons pas sur leurs marchés, explique Maxime Rondot, chargé de la communication. Actypôles intervient sur des espaces publics que la collectivité ne prend pas en charge car elle ne peut pas tout faire. Ce sont par exemple des délaissés, des terrains en friches. Nous contribuons à donner un environnement plus accueillant à la ville et les gens le remarquent, nous signalent quand l’entretien n’a pas été fait. Et par ailleurs, nous intervenons à la demande de Passerelle chez des particuliers ayant des difficultés à entretenir leur jardin, car il s’agit à Passerelle d’un service que l’association propose si elle peut travailler avec l’outillage des clients, mais parfois le matériel est insuffisant ou en mauvais état. »
S’aligner sur la Chine
Pour la fabrication des fils à couper le fromage ou des peluches-ballons de rugby, assurée par deux autres EBE thiernoises, on pourrait imaginer que l’activité puisse être intégrée à l’entreprise ou confiée à des sous-traitants. Mais différentes raisons avaient retenu les sociétés concernées de le faire : « Beaucoup à Thiers sont des entreprises familiales qui ne souhaitent pas devenir trop importantes. Pour cette raison, elles ne développent pas certaines activités qui nécessiteraient de beaucoup embaucher. Elles ne peuvent pas trouver de sous-traitants parce que ces types de fabrication demandent trop de main d’œuvre et ne seraient pas rentables pour une entreprise classique », explique Laure Descoubès, responsable du comité local pour l’emploi qui supervise la mise en œuvre de TZCLD.
« Il a fallu rassurer les Esat, mais nous n’allons pas sur leurs marchés.”
Maxime Rondot
L’une de ses fonctions est précisément d’accompagner la création des activités, de rechercher des marchés potentiels pour les EBE, et de veiller au caractère non concurrentiel de ce qui y est développé. Ce qui explique que son poste ne soit pas rattaché aux EBE mais lié à la collectivité, pour plus d’impartialité dans ces arbitrages.
Lesquels sont pensés, souligne-t-elle, en fonction des besoins du territoire. C’est-à-dire de ses habitants, mais aussi de son tissu économique.
L’exemple de Thiers Entreprise, la dernière-née des EBE, l’illustre bien : « Nous avions beaucoup de dames qui voulaient faire de la couture. J’ai recherché un marché dans ce domaine et j’ai rencontré l’entreprise PlushBall, qui à cette époque faisait tout fabriquer en Chine. À la suite de la crise du covid, elle a souhaité relocaliser sa production. Cependant, ses ballons-peluches sont des objets populaires qui auraient coûté trop cher à la fabrication en France. C’était donc dans l’intérêt de tous que nous le fabriquions ici. Les salaires sont pris en charge à 95%, ce qui permet de s’aligner sur ce qui pouvait être réalisé en Chine. Mais pour autant, ce n’est pas du travail gratuit », explique Laure, qui ajoute qu’une des motivations des entreprises peut être d’intégrer ces partenariats à leur politique de responsabilité sociale et environnementale.
Dialoguer avec les entreprises
Thiers Entreprise a d’ailleurs été constituée en Société coopérative d’intérêt collectif (SCIC), ce qui met en avant son caractère non lucratif et l’intention de répondre aux problématiques de toutes les parties prenantes. Dans le cadre d’un partenariat avec le Valtom, elle intègre également une activité de démantèlement des huisseries récupérées dans les déchetteries et le tri des matériaux qui constituent ces portes ou fenêtres.
“C’est une opportunité de les faire réfléchir à leur politique de recrutement, de mieux comprendre ce qu’est un chômeur.”
Laure Descoubès
Petites niches ici, repérage de besoins non couverts là… Peu à peu, le patchwork des activités s’est mis en place. Mais la légitimité de ces ovni économiques que sont les entreprises à but d’emploi est lente à se faire reconnaître. « La clef, c’est de pouvoir communiquer, ouvrir les portes, rassurer », indiquent en chœur les responsables de l’expérimentation.
Une des méthodes déployées par Laure Descoubès a été de rencontrer les dirigeants dans le cadre du club des entreprises de Thiers. Celui-ci a la particularité d’avoir été créé par la communauté de communes Thiers Dore et Montagne pour créer une dynamique locale. Une quarantaine d’entreprises qui échangent sur leurs problématiques économiques et managériales, et sont aussi motivées par l’opportunité de dialoguer avec la collectivité. « Se faire connaître dans ce cadre facilite le dialogue. C’est une opportunité de les faire réfléchir à leur politique de recrutement, de mieux comprendre ce qu’est un chômeur de longue durée et son potentiel. Et quels types d’emplois nous créons, alors qu’elles ont de leur côté des difficultés à recruter », poursuit-elle.
Elle souligne par exemple qu’il est plus facile de traiter avec les entreprises qui ont déjà l’habitude de travailler avec des ESAT, parce qu’elles ont intégré que tout le monde ne travaille pas au même rythme ou selon les mêmes modèles d’organisation.
Recaler les habitudes
De fait, l’apparition des entreprises à but d’emploi semble avoir requestionné un peu tout le monde dans les politiques d’activité et d’emploi. Cela va des restaurants scolaires qui doivent embaucher un peu plus de personnel pour cuisiner les légumes frais fournis par la Ferme de Lucien, aux entreprises qui sont poussées à proposer davantage de contrats en CDI, devant le constat de leurs difficultés à recruter.
“Les entreprises d’insertion parviennent mieux à jouer leur rôle auprès de personnes en début de parcours d’insertion. »
Laure Descoubès
Les entreprises d’insertion aussi doivent recaler leurs habitudes. « Comme elles sont financées par l’État en fonction du nombre de ‘sorties positives’, c’est-à-dire des personnes obtenant un CDI à l’issue de leur parcours d’insertion, elles avaient tendance à recruter des personnes déjà proches de la possibilité de retrouver un emploi. Aujourd’hui, une sortie vers un CDI est plus facilement envisageable grâce à notre présence. De ce fait, elles parviennent mieux à jouer leur rôle auprès de personnes en début de parcours d’insertion. »
Chaque exemple semble ainsi conforter cet autre rôle de Territoire Zéro Chômeur : celui de questionner chaque acteur sur ses responsabilités, de faire en sorte que chacun réajuste son rôle, rectifie son positionnement. En résumé, il agit comme déclencheur d’une spirale vertueuse.
Encore du chemin
Pas au point de réaliser des miracles, mais tout de même des avancées. « Avec nos deux cents salariés, nous ne sommes pas très loin de réaliser la promesse de ‘zéro chômeur de longue durée’ sur les périmètres des deux zones concernées pour le recrutement, mais nous avons encore du chemin à faire », reconnaît Laure Descoubès.
De fait, le chemin est lent et – comme on l’a vu – délicat. Créée en 2016 et encadrée par une loi, l’expérimentation a été reconduite en 2021 pour cinq années supplémentaires. Ce renouvellement a permis de perfectionner l’édifice, et d’y faire entrer une cinquantaine de territoires supplémentaires, dont – pour le Puy-de-Dôme – celui de Gerzat et du quartier des Vergnes à Clermont-Ferrand.
La prochaine échéance doit consacrer la fin de l’expérimentation, qui sera alors soit définitivement stoppée, soit généralisée, de façon obligatoire ou – plus probablement – optionnelle.
A Thiers, cette perspective permettrait de développer les choses sur la base d’une expérience que ses responsables comptent stabiliser et consolider d’ici à 2026. « La commune est candidate à une extension à l’ensemble de son territoire, et d’autres communes de Thiers Dore et Montagne sont intéressées. Il faudra voir s’il est possible de créer une articulation, ou une mise en œuvre à l’échelle de la communauté de communes », avance la responsable du comité local.
Reste à espérer que le « mauvais signal » donné par la baisse récente des dotations ne soit ni un frein au déploiement des expérimentations, ni un signe avant-coureur d’une volonté de tirer un trait sur l’expérience.
Pour en savoir plus : Le site de l’association nationale Territoires Zéro Chômeurs de longue durée Le site internet d’Actypôles (encore un peu en construction mais ça vient…) |
Reportage réalisé le mardi 17 octobre 2023. Photo de Une : le centre ancien de Thiers, l’un des deux quartiers prioritaires, zones de recrutement des EBE. – Photo : Pierre Contie – CC-BY SA 4.0 via Wikimedia Commons
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