Lithium à Echassières 1/2 : quel est ce projet à nos portes ?

Par

Marie-Pierre Demarty

Le

La carrière de kaolin d'Echassières vu du ciel

Après le projet de recherche à Vic-le-Comte, nous explorons cette semaine en deux articles l’autre projet lithium : celui d’Echassières dans l’Allier. Dans ce premier volet, on va essayer de comprendre en quoi il consiste et où il en est réellement.


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Le pourquoi et le comment

Cela faisait un petit moment que je prévoyais d’aller me pencher sur le projet de mine de lithium à Echassières. Certes, nous nous intéressons à Tikographie principalement au Puy-de-Dôme, mais nous considérons aussi que c’est parfois intéressant de “dépasser la frontière” pour aller voir ce qui se passe de l’autre côté. Et puis Echassières, ce n’est pas le bout du monde : la commune est limitrophe de notre département. Et donc, si les nuisances et/ou les retombées économiques doivent atteindre Ebreuil, il n’y a pas de raison pour qu’elles épargnent Saint-Eloy-les-Mines.

Et puis, et puis…

Voilà que de toute façon, les Puydômois sont rattrapés par la course au lithium et apprennent même que notre région tout entière, voire le Massif central, a le potentiel pour attirer l’industrie minière.

Ils ont donc tout intérêt à se pencher sur ce premier coup de pioche en perspective.

“Coup de pioche” est bien sûr une image…

Marie-Pierre

C’était il y a un an : les médias nationaux annonçaient en gros titres l’ouverture, d’ici à quelques années, d’une première mine de lithium sur le territoire français. Une nouvelle saluée aussitôt par le ministre de l’Économie. Et louée pour sa double vertu : on allait favoriser la transition écologique en permettant le remplacement des moteurs thermiques par les technologies électriques moins émettrices de gaz à effet de serre, et on renforçait la souveraineté nationale et européenne en assurant un approvisionnement local.

Les Auvergnats apprenaient à cette occasion qu’ils étaient aux premières loges de ce prodige : la future mine se situait dans l’Allier, plus exactement dans le périmètre de la commune d’Echassières. Limitrophe du Puy-de-Dôme, dans les Combrailles, à 10 km de Saint-Eloy-les-Mines.

Depuis cette date, l’opposition locale a commencé à s’organiser et à faire entendre sa voix. Et plus récemment, l’annonce d’un projet – et même plusieurs – de recherche de lithium dans notre département a encore avivé la controverse sur ce sujet.  Mais que savons-nous de ce premier projet annoncé comme en passe de voir le jour ?

Chiffres prometteurs

Tout d’abord qu’il est porté par la société Imerys, qui se présente comme un « leader mondial des spécialités minérales pour l’industrie », qui « propose des solutions fonctionnelles à haute valeur ajoutée [qui] se base[nt] sur le traitement de [ses] ressources minérales, la fabrication de minéraux synthétiques et les formulations. » Ce groupe, dont le siège social est à Paris, est présent dans une quarantaine de pays. Il se dit notamment spécialisé dans 23 produits miniers, qu’il extrait dans une centaine de mines partout dans le monde ; il en assure aussi le traitement et la transformation pour livrer à l’industrie les matériaux dont elle a l’usage.

Imerys s’est intéressé au lithium de l’Allier sur un site où l’entreprise est déjà présente. Elle exploite une carrière de kaolin, argile très fine provenant de la détérioration superficielle du feldspath présent dans le granit et utilisé depuis des siècles pour la porcelaine, et plus récemment pour des usages industriels divers. Le site de Beauvoir est une carrière à ciel ouvert située à Echassières.

L'entrée du site de Beauvoir où Imerys exploite une carrière de kaolin
L’entrée du site de Beauvoir où Imerys exploite une carrière de kaolin. – Photo Marie-Pierre Demarty

Le granit contient aussi du mica (et accessoirement du quartz). Mica qui contient lui-même du lithium, en quantité variable selon la façon dont le magma s’est cristallisé pour former la roche, il y a quelque 315 millions d’années. Reprenant des données provenant de diverses études depuis les années 1960, Imerys a creusé le sujet, a obtenu en 2015 un permis exclusif de recherche et en a conclu en 2022, après études, sondages et modélisations, à la « présence de lithium en quantité et qualité attractive ».

“Plus d’un tiers des ambitions françaises de production dans les nouvelles mobilités responsables à horizon 2030. »

Les chiffres avancés par le groupe sont prometteurs : une production annoncée de 34 000 tonnes par an d’hydroxyde de lithium, permettant « d’équiper, à plein régime, 700 000 batteries de véhicules électriques, soit plus d’un tiers des ambitions françaises de production dans les nouvelles mobilités responsables à horizon 2030 », indique Imerys. Cela à partir de 2028 et « pour 25 ans au moins ». Ce sont ces conclusions qui ont mené à l’annonce d’octobre 2022 du lancement d’EMILI, un charmant acronyme qui signifie « Exploitation de Mica Lithinifère par Imerys ».

A lire aussi : “Tout ce qu’on a appris (ou pas) sur le projet lithium à Vic-le-Comte”

Un procédé en trois phases

De quoi s’agit-il ? Imerys annonce l’exploitation d’une mine qui sera située sous la carrière de kaolin. Le procédé consiste à extraire le granit, puis à le concasser pour récupérer et « concentrer » l’une de ses trois composantes, le mica. Cette deuxième opération se ferait sur place, également dans le sous-sol pour limiter les impacts sur l’environnement, indique la firme.

Le mica ainsi isolé sera alors mis en suspension dans de l’eau pour être acheminé par des canalisations également souterraines jusqu’à un point à proximité de la voie ferrée Gannat-Montluçon, à une dizaine de kilomètres de la mine. Il sera alors débarrassé de l’eau puis acheminé par train vers le lieu – non encore défini mais annoncé dans une zone industrielle de la proche région – où aura lieu la suite du traitement : la « conversion ».

« Le procédé consiste tout d’abord en une calcination. Le produit calciné est alors mis en solution et purifié.”

Cette dernière phase a pour objectif de séparer l’hydroxyde de lithium des autres éléments qui composent le mica. Une opération qu’Imerys décrit ainsi : « Le procédé consiste tout d’abord en une calcination. Le produit calciné est alors mis en solution et purifié. L’hydroxyde de lithium est ensuite cristallisé pour obtenir le produit final sous forme de poudre. Il peut ensuite être commercialisé auprès des acteurs de la filière batteries pour véhicules électriques. »

Quant à l’eau retirée avant le chargement sur les trains, elle repartira vers la mine, fonctionnant en partie en circuit fermé, toujours pour réduire les impacts.

Enjeux multiples

Imerys affiche en effet des préoccupations environnementales maximales, ambitionnant notamment d’appliquer les bonnes pratiques du référentiel international IRMA qui certifie les « mines responsables » en matière d’environnement et de concertation avec les parties prenantes. L’entreprise affirme ainsi travailler à réduire les impacts sur les enjeux de l’eau, de l’air, des nuisances sonores, de la biodiversité, des émissions de carbone, même si les détails du procédé industriel d’exploitation ne sont pas encore définitivement arrêtés et connus.

« Imerys envisage une entrée en production à partir de 2028 dans la mesure où l’ensemble des étapes (…) auront été réalisées avec succès.”

Il est vrai que le lancement annoncé il y a un an, présenté comme un projet confirmé, est encore en phase d’étude. L’enthousiasme de l’annonce est tempéré dans la page du site internet qui détaille le calendrier du projet : « Imerys envisage une entrée en production à partir de 2028 dans la mesure où l’ensemble des étapes – essais, pilotes, études d’impacts et concertations – auront été réalisées avec succès. Le calendrier prévisionnel sera réévalué à chaque étape du projet, notamment en fonction des résultats des études d’impact environnemental et des concertations des parties prenantes. »

De fait, le projet n’en est pas encore au stade de la demande d’autorisation d’exploitation. La fin d’année 2022 a été consacrée à terminer la modélisation du massif granitique afin d’affiner le potentiel du site de Beauvoir.

Études en cours

En 2023, les études se sont concentrées sur la compréhension du système hydrogéologique. Le but est d’observer le comportement des eaux souterraines et de surface sur un cycle complet d’un an, donc jusqu’à la fin de cette année, puis se prolonger pour « prendre en compte les années atypiques ainsi que le contexte de réchauffement climatique », explique Imerys. « Les conclusions de ces études permettront d’évaluer puis de simuler l’impact du projet EMILI, aussi bien en termes quantitatifs que qualitatifs, explique un article du site internet du projet. Concrètement, près d’une centaine de points de suivi (puits de particuliers, cours d’eau…) ont été cartographiés à différentes distances de la carrière et dans différents milieux afin d’obtenir des données représentatives », observations complétées par des « dispositifs de mesure du niveau et de la pression de l’eau [pour] compléter le maillage de ce réseau de points ».

Colline de La Bosse
La colline qui a donné son nom au lieu-dit “La Bosse”, où est située la carrière : un environnement naturel d’une grande richesse qu’Imerys promet de préserver, grâce aux bonnes pratiques des mines responsables. – Photo Marie-Pierre Demarty

Les études sont encore en cours également pour déterminer le meilleur emplacement possible pour implanter l’atelier de filtration du mica avant chargement sur les trains.

Quant aux procédés techniques de traitement aux différentes étapes, il doit faire l’objet d’un pilote industriel qui sera mis en place dans les prochaines années.

“Nous ne pouvons pas encore nous appuyer sur les résultats des études pour répondre aux nombreuses et légitimes questions des riverains. »

Cela explique pourquoi Imerys n’a pu fournir que peu de réponses aux questions posées par les riverains lors des réunions publiques organisées par l’entreprise fin novembre 2022, un mois après l’annonce officielle. Questions qui portaient par exemple sur l’utilisation de produits chimiques dans le traitement de la roche, sur le destin des déchets, sur l’implantation du site de conversion ou sur le bilan carbone du projet. « Imerys a choisi de communiquer relativement tôt. Ce choix s’explique par la volonté de co-construire le projet avec l’ensemble des parties prenantes. EMILI étant encore en phase de cadrage, nous ne pouvons pas encore nous appuyer sur les résultats des études pour répondre aux nombreuses et légitimes questions des riverains », ont justifié par exemple les responsables du projet lors de la réunion à Coutanssouze.

Volonté de concertation

La volonté de concertation est effectivement très affichée aussi par Imerys, qui consacre une page spécifique au « dialogue » sur le site internet d’EMILI, qui s’ouvre sur ce mantra : « La concertation est un facteur clé de la réussite de ce projet. »

« La concertation est un facteur clé de la réussite de ce projet. »

Outre les réunions publiques déjà engagées, Imerys, conjointement avec RTE, a sollicité la Commission nationale du débat public. Cette commission est une instance créée en 1995 instituant la participation citoyenne sur les projets à impacts environnementaux, qui se présente ainsi : « Chacune et chacun a le pouvoir de peser sur les projets et les politiques concernant notre environnement. La Constitution vous reconnaît le droit d’être informé et de participer à ces décisions, et nous en sommes les défenseurs neutres et indépendants. » Elle a pris en septembre la décision d’organiser un débat public sur le sujet, « considérant que ce projet comporte des impacts majeurs sur l’environnement et présente de très forts enjeux d’aménagement du territoire et socio-économiques. » Ce débat devrait se dérouler au premier semestre 2024.

Banderole "Non au lithium" dans la campagne
L’opposition au projet s’est développée dans la proche région, notamment autour de deux collectifs : Stop Mines 03 et Préservons la forêt des Colettes. – Photo Marie-Pierre Demarty

Et il promet d’être animé. Une partie des riverains et des élus se déclare favorable à ce projet qui prolonge, selon certains, un long passé minier de ce bassin où l’on a exploité du kaolin, mais aussi antérieurement du wolfram pendant une cinquantaine d’années, sans parler du charbon extrait jusque dans les années 1970 dans les houillères toutes proches de Saint-Eloy-les-Mines. Les partisans du projet sont également sensibles aux perspectives de développement économique de la région, alors qu’Imerys a annoncé la création probable de 350 emplois directs et au moins un millier si on y ajoute les emplois indirects. Les arguments développés par le discours national sur la transition vers la mobilité électrique et la souveraineté nationale ont probablement aussi leur faveur.

Une autre partie de la population locale, au contraire, s’est très vite dressée vent debout contre ce projet et s’est organisée notamment autour de deux associations, Stop Mines 03 et Préservons la Forêt des Colettes. Pourquoi ? Et quel est le rapport entre la forêt et le projet minier ? Ce sera l’objet du prochain article.

Prochain article : “Lithium à Echassières #2/2 : la forêt, la mine et les contestataires”


Photo de Une : la carrière de kaolin de Beauvoir à Echassières. Crédit : TomTooM03, CC BY-SA 4.0 <https://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0>, via Wikimedia Commons

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