Le hêtre et la cathédrale

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C’est le premier article d’une nouvelle rubrique : « carte blanche ». Aujourd’hui, Christian Amblard, naturaliste et militant pour la biodiversité, membre de nombreux collectifs dont le GREFFE et PREVA, nous fait part de la tristesse de voir disparaître un arbre cher.

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« Les imaginaires, médiation culturelle de la résilience territoriale »

Notre prochaine table ronde réunira des intervenant.es puydômois.es autour des « imaginaires » et de la manière dont ces représentations culturelles façonnent notre engagement

48ème Rencontre Tikographie, jeudi 10 avril 17-19h (au KAP) – tous publics, accès libre

C’était un phare au milieu d’un océan de verdure. Le hêtre solitaire trônait au milieu des prairies d’altitude, près de Chananeille, aux confins du Sancy et du Cézallier, en Auvergne. Il était bien seul depuis que l’agriculteur moderne avait abattu toutes les haies du voisinage qui formaient, pourtant, un maillage intelligent, efficace et bienfaisant. Cette trame bocagère avait été construite lentement par des générations de paysans intelligents et responsables qui avaient su planter et conserver, autour des frênes de haute futaie, d’autres essences arborescentes et arbustives.

Après une lente montée le long de la route sinueuse qui serpentait laborieusement depuis le fond de la vallée, l’apparition soudaine du hêtre majestueux sur son plateau, le fayard qui pointait fièrement sa flèche vers le ciel, me ravissait en toutes saisons.

Au printemps, son feuillage vert tendre accueillait des oiseaux de passage qui venaient se poser pour se reposer. De retour des pays chauds, immédiatement soucieux de bien se faire entendre alentours, le coucou profitait fréquemment du promontoire pour provoquer ses congénères de son chant lancinant. Quelquefois, le merle à plastron en migration faisait une halte reposante au sommet des branchages avant son échappée vers les pelouses alpines.

L’été, l’arbre bienfaisant abritait la sieste réparatrice du faucheur éreinté par le dur labeur de la fenaison ou bien encore le troupeau de vaches écrasé par la chaleur.

Le hêtre avant qu’il ne soit abattu, à Chananeille / Crédit photo : Christian Amblard (DR)

Les frimas de l’automne le couvraient d’or et de cuivre et, les bonnes années, un vol de palombes en migration venait se restaurer de ses faînes si nourrissantes, avant de repartir vers des horizons lointains et plus ensoleillés. Je me souviens également que, dans mon enfance paysanne, les feuilles sèches tombées au sol de ses congénères étaient consciencieusement récoltées pour confectionner des matelas, certes peu coûteux mais quand même très bruyants … Même l’hiver, alors que la neige recouvrait de son silence blanc le plateau désolé, c’était encore le point de rencontre des amours hivernales des renards qui laissaient les traces de leurs courses effrénées et de leurs émotions intenses sur le manteau par ailleurs immaculé.

C’est par un matin clair d’une belle journée d’octobre que je fis la macabre découverte. L’arbre centenaire gisait au sol. L’homme à la tronçonneuse fumante et pétaradante venait de l’abattre sans scrupule ni remords. Pour quelle raison ? Pour quel bénéfice ? Strictement aucun, l’illustration parfaite du geste aussi inutile que stupide. Si encore l’arbre avait pu pourrir lentement sur place et poursuivre ainsi la chaîne de la vie en alimentant des insectes saproxyliques, les recycleurs bénévoles de la vie perpétuelle. Amère destinée, comme le grand chêne, il périt lui aussi dans la cheminée …

En référence à un événement dramatique récent, cet arbre, chargé d’histoires depuis des décennies et des siècles, avait pour moi la valeur symbolique d’une « cathédrale ». En ce sens, l’émotion patrimoniale ne doit pas se limiter aux monuments et, plus largement, au patrimoine bâti. Si on peut reconstruire une cathédrale en 5 ou 10 ans, il faudra toujours 100 ans pour avoir un hêtre centenaire à partir de la faîne originale.

C’est ce temps long et irréversible qui fait la valeur indépassable du vivant et de la biodiversité. Cette primauté d’un vivant très fragile doit nous obliger définitivement quant à la nécessité de son impérieuse préservation.

Christian Amblard

Lire l’entretien (2021) : « En Auvergne, la biodiversité est en régression significative », analyse Christian Amblard
Texte et photo proposés par Christian Amblard le 3 novembre 2023. Les articles de la rubrique « carte blanche » sont librement proposés par des personnes de l’écosystème local déjà publiés dans Tikographie, et soumis à la validation de la rédaction.

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