Le hêtre et la cathédrale

Par

Auteur Invité

Le

C’est le premier article d’une nouvelle rubrique : “carte blanche”. Aujourd’hui, Christian Amblard, naturaliste et militant pour la biodiversité, membre de nombreux collectifs dont le GREFFE et PREVA, nous fait part de la tristesse de voir disparaître un arbre cher.

Les intitulés dans un rectangle noir sont des blocs déroulants : cliquez dessus pour accéder à leur contenu.
De même, cliquez sur chaque photo ou visuel pour l’afficher en grand format.

L’auteur : Christian Amblard

Crédit photo : éditeur

Directeur honoraire de recherche au CNRS, spécialiste des écosystèmes aquatiques. Engagé dans de nombreux conseils scientifiques et associations de défense et de sensibilisation à l’environnement en Auvergne.


D’origine auvergnate, photographe animalier amateur et passionné de biodiversité et des écosystèmes en général, Christian Amblard a travaillé sur les écosystèmes aquatiques au CNRS en tant que directeur de recherche. “Dès que l’on touche à la problématique d’environnement, il faut être très transversal”, indique-t-il. Il a également dirigé une Unité Mixte de Recherche (UMR) entre l’Université Clermont-Auvergne et le CNRS.

Il participe activement à de nombreuses structures territoriales sur les enjeux de biodiversité et de protection de la nature, concernant tous les types d’écosystèmes. Ainsi, Christian est vice-président du Conseil Régional Scientifique du Patrimoine Naturel (CRSPN) rattaché à la région Auvergne-Rhône-Alpes. “C’est une structure sollicitée par le Président de région ou le Préfet pour donner des avis sur des dossiers.” précise Christian.

Egalement président du Conseil Scientifique de la station biologique de Besse – là aussi, une structure rattachée à l’Université Clermont-Auvergne – il s’attache à la défense des espaces naturels protégés en étant président du conseil scientifique des Réserves Naturelles Nationales du Massif du Sancy (Chastreix et Chaudefour) et membre du Conseil Scienfitique du PNR des Volcans d’Auvergne.

Son action dans ces conseils scientifiques est, selon lui, particulièrement intéressante pour faire passer les bons messages aux décideurs politiques du territoire : “on peut y être sollicité par exemple dans des dossiers d’aménagement. (…) Les avis sont souvent consultatifs, mais les structures demandeuses ont tendance à en tenir compte.”

Enfin, il est militant actif au sein de nombreuses associations, qui lui permettent notamment de sensibiliser le public et d’agir sur le terrain, comme Preva, Marsat Nature ou encore le GREFFE Auvergne.

Contacter Christian Amblard par courrier électronique : christian.amblard [chez] uca.fr

Crédit photo : éditeur

Pas assez de neige, pas assez d’eau, trop de chaleur… comment les acteurs touristiques locaux s’adaptent-ils aux conséquences du dérèglement climatique ?

Rencontre Tikographie du lundi 2 décembre à 17h (librairie des Volcans) – tous publics, accès libre !

C’était un phare au milieu d’un océan de verdure. Le hêtre solitaire trônait au milieu des prairies d’altitude, près de Chananeille, aux confins du Sancy et du Cézallier, en Auvergne. Il était bien seul depuis que l’agriculteur moderne avait abattu toutes les haies du voisinage qui formaient, pourtant, un maillage intelligent, efficace et bienfaisant. Cette trame bocagère avait été construite lentement par des générations de paysans intelligents et responsables qui avaient su planter et conserver, autour des frênes de haute futaie, d’autres essences arborescentes et arbustives.

Après une lente montée le long de la route sinueuse qui serpentait laborieusement depuis le fond de la vallée, l’apparition soudaine du hêtre majestueux sur son plateau, le fayard qui pointait fièrement sa flèche vers le ciel, me ravissait en toutes saisons.

Au printemps, son feuillage vert tendre accueillait des oiseaux de passage qui venaient se poser pour se reposer. De retour des pays chauds, immédiatement soucieux de bien se faire entendre alentours, le coucou profitait fréquemment du promontoire pour provoquer ses congénères de son chant lancinant. Quelquefois, le merle à plastron en migration faisait une halte reposante au sommet des branchages avant son échappée vers les pelouses alpines.

L’été, l’arbre bienfaisant abritait la sieste réparatrice du faucheur éreinté par le dur labeur de la fenaison ou bien encore le troupeau de vaches écrasé par la chaleur.

Le hêtre avant qu’il ne soit abattu, à Chananeille / Crédit photo : Christian Amblard (DR)

Les frimas de l’automne le couvraient d’or et de cuivre et, les bonnes années, un vol de palombes en migration venait se restaurer de ses faînes si nourrissantes, avant de repartir vers des horizons lointains et plus ensoleillés. Je me souviens également que, dans mon enfance paysanne, les feuilles sèches tombées au sol de ses congénères étaient consciencieusement récoltées pour confectionner des matelas, certes peu coûteux mais quand même très bruyants … Même l’hiver, alors que la neige recouvrait de son silence blanc le plateau désolé, c’était encore le point de rencontre des amours hivernales des renards qui laissaient les traces de leurs courses effrénées et de leurs émotions intenses sur le manteau par ailleurs immaculé.

C’est par un matin clair d’une belle journée d’octobre que je fis la macabre découverte. L’arbre centenaire gisait au sol. L’homme à la tronçonneuse fumante et pétaradante venait de l’abattre sans scrupule ni remords. Pour quelle raison ? Pour quel bénéfice ? Strictement aucun, l’illustration parfaite du geste aussi inutile que stupide. Si encore l’arbre avait pu pourrir lentement sur place et poursuivre ainsi la chaîne de la vie en alimentant des insectes saproxyliques, les recycleurs bénévoles de la vie perpétuelle. Amère destinée, comme le grand chêne, il périt lui aussi dans la cheminée …

En référence à un événement dramatique récent, cet arbre, chargé d’histoires depuis des décennies et des siècles, avait pour moi la valeur symbolique d’une « cathédrale ». En ce sens, l’émotion patrimoniale ne doit pas se limiter aux monuments et, plus largement, au patrimoine bâti. Si on peut reconstruire une cathédrale en 5 ou 10 ans, il faudra toujours 100 ans pour avoir un hêtre centenaire à partir de la faîne originale.

C’est ce temps long et irréversible qui fait la valeur indépassable du vivant et de la biodiversité. Cette primauté d’un vivant très fragile doit nous obliger définitivement quant à la nécessité de son impérieuse préservation.

Christian Amblard

Lire l’entretien (2021) : « En Auvergne, la biodiversité est en régression significative », analyse Christian Amblard
Texte et photo proposés par Christian Amblard le 3 novembre 2023. Les articles de la rubrique “carte blanche” sont librement proposés par des personnes de l’écosystème local déjà publiés dans Tikographie, et soumis à la validation de la rédaction.

Tikographie est un média engagé localement, gratuit et sans publicité. Il est porté par l’association loi 1901 Par Ici la Résilience, dont l’objet social est à vocation d’intérêt général.

Pour continuer à vous proposer de l’information indépendante et de qualité sur les conséquences du dérèglement climatique, nous avons besoin de votre soutien : de l’adhésion à l’association à l’achat d’un recueil d’articles, il y a six moyens de participer à notre projet :

Envie de recevoir l’essentiel de Tikographie par mail ?

Vous pouvez vous inscrire gratuitement à notre newsletter en cliquant sur le bouton ci-dessous. Résumé des derniers articles publiés, événements à ne pas manquer, brèves exclusives (même pas publiées sur le site !) et aperçu des contenus à venir… la newsletter est une autre manière de lire Tikographie.