Le pourquoi et le comment [cliquer pour dérouler]
La cartographie peut consister à amalgamer quelques données récoltées par-ci par-là ou par images satellite ou Lidar. Mais parfois, cela doit commencer par un long et patient travail de terrain. Surtout s’il s’agit de récolter des informations sur la nature des sols à 1 mètre de profondeur. Et d’autant plus s’il s’agit de recueillir et d’analyser des données scientifiques sérieuses.
Mais il faut croire que, dans le cas présent, le jeu en valait la chandelle. Et que l’enjeu en vaut le prix.
Le but de la manœuvre étant notamment de tenter d’adapter le vignoble auvergnat au changement climatique, il fallait que nous allions voir ça de près.
Avant de vous exposer les tenants et les aboutissants de cette étude cartographique en cours, il m’a paru intéressant de partager avec vous le quotidien de Véronique et de sa tarière. Un boulot très concret qui exige de mettre les mains dans la glaise et parfois même dans la neige, de chercher son chemin entre les parcelles, d’arpenter un terroir de 80 km de long réparti sur 53 communes.
Bon, il y a aussi de magnifiques paysages et de belles rencontres. Alors on chausse les bottes, on superpose les polaires, et c’est parti !
Marie-Pierre
La plupart du temps, Véronique y va seule. Équipée de sa tarière, de sa gouttière, de sa tablette et du smartphone pour photographier et entrer les données au fur et à mesure, elle traite dix à quinze parcelles par jour, à raison de trois jours par semaine sur place.
A ce rythme, en cette mi-janvier où je la suis sur le terrain, elle a déjà emmagasiné les infos de pas loin de 300 sondages, sur les quelque 700 programmés pour cette étude.
La plupart du temps, elle travaille sur des parcelles plantées de vignes. Mais ce matin-là, l’objectif est d’aller étudier un terrain en jachère depuis vingt ans, sur la colline de Pileyre, qui domine le village de Chas.
« Autrefois nos terres étaient couvertes de vignes. Puis tout a été arraché.”
Et Véronique a d’abord rendez-vous dans le village avec Aude, propriétaire de terres cultivées en céréales dans ce secteur de la Limagne des buttes, entre Billom et Vertaizon. Elle doit l’accompagner pour lui montrer précisément quel terrain sonder, compris dans une grande parcelle. Victor, le fils de Véronique, est aussi de la partie : étudiant en droit à Clermont, il s’intéresse au boulot de sa mère, dans l’idée, peut-être, de s’orienter vers le droit de l’environnement… et de se faire une idée très concrète de ce qu’il aura un jour à défendre.
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Un projet à tester
Avant de chausser les bottes, Aude nous accueille le temps des présentations et nous explique pourquoi elle a sollicité le passage de la pédologue de l’Institut de la Vigne et du Vin qui, en six mois, a pour mission de travailler à la cartographie des sols du vignoble auvergnat.
« Autrefois nos terres étaient couvertes de vignes. Puis tout a été arraché il y a quelques décennies. Mais mon fils, qui mène une carrière internationale, a depuis longtemps une passion pour le vin et a très envie d’en replanter. Il veut commencer petit pour tester cette idée, d’où l’intérêt de commencer sur ces petites jachères », explique la propriétaire. Elle ajoute, en attrapant un dossier, qu’elle a déjà commandé une première étude, moins précise, il y a deux ans. Véronique prend note de ces premières informations, déjà utiles. « C’est cohérent avec les informations que nous avons. Mais souvent ces études ne s’intéressent qu’au sol de surface. Nous allons aller plus en profondeur », commente-elle.
Aude nous fait part aussi de ses interrogations sur un couloir de grêle qui traverse une des parcelles, sur des haies qui peuvent amener de l’humidité, mais aussi de moins bons rendements, ou sur l’assèchement du climat, alors qu’« autrefois on devait drainer constamment car c’était tout le temps plein d’eau »…
Pour aller plus loin : « Valorisation, adaptation, transmission… Vus de Boudes, les défis du vignoble auvergnat »
La terre au microscope
Puis il s’agit de repérer plus précisément les deux parcelles à étudier, notamment celle vers laquelle Aude va nous guider : un carré de 80 ares, sur la partie est de la colline, qui ne sera peut-être pas simple à repérer sous la bonne couche de neige qui s’est invitée dans la partie.
Un saut de voiture, puis une bonne petite marche dans des chemins où nos pas font crisser la glace. Nous voilà sur place, après avoir longuement vérifié sur les cartes numériques si nous sommes bien au bon endroit. Le soleil levant miroite sur la blancheur presque bleutée du paysage. Et Véronique, tout en déballant ses outils, nous explique son objectif.
« Je vais effectuer deux sondages : l’un en haut de la parcelle, l’autre au milieu. C’est important parce que sur les terrains en pente, le sol peut avoir tendance à descendre et pourrait donc être moins épais vers le haut. »
“Sur les terrains en pente, le sol peut avoir tendance à descendre.”
Les sondages doivent permettre de caractériser les sols – c’est-à-dire la couche de roche altérée en surface où s’invitent des éléments organiques et où les plantes peuvent insérer leurs racines – selon trois paramètres principaux : leur épaisseur, leur nature et leur richesse en carbonate de calcium (ou calcaire actif). Des éléments qu’on peut repérer pour la plupart à l’œil nu ou au toucher… à condition de creuser. Et ces différents paramètres ont pour finalité de déterminer notamment la capacité des sols à retenir l’eau, ainsi que la nature du terroir.
L’art du carottage
Première phase de l’opération : prélever une carotte de terre pour reconstituer sur la gouttière le profil du sol sur toute sa profondeur. En cinq ou six extractions de plus en plus profondes, Véronique dépose les couches qui se révèlent dans leurs différentes nuances de gris-vert à brun. Un vrai terrain marno-calcaire, qui colle à la tarière. Plus clair sur ce que la pédologue appelle « l’horizon de surface », puis les nuances changent et elle commente au fur et à mesure : « Ici on est dans la partie où la roche commence à s’altérer », puis à l’échantillon suivant, encore plus foncé : « là, on arrive sur la roche ». Mais la géologie de ce secteur sédimentaire a subi des perturbations complexes qui expliquent qu’on retrouve, sous cette première couche de roche, à nouveau des marnes altérées.
Enfin, à un mètre environ de la surface, Véronique estime avoir prélevé toute l’épaisseur utile, et elle passe aux premières analyses. Un peu d’acide chlorhydrique permet de repérer, par une effervescence plus ou moins forte, la teneur en calcaire. D’un œil expert, la pédologue relève la texture de chaque étage, la densité de cailloux. Elle recherche – ici en vain – les traces de volcanisme. Par contre, elle observe que la couche de roche comporte des racines : « c’est intéressant pour vous car ça signifie que les plantes ont à disposition une épaisseur utile plus importante », explique-t-elle à Aude. Autre indice intéressant : des traînées rougeâtres d’oxydation qui témoignent que l’eau parvient à se frayer un chemin dans la roche calcaire.
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Six mois dans les vignes
Pour chacune des couches – ou horizons – toutes les données sont entrées dans une fiche, sur le logiciel qui va les compiler : profondeur, épaisseur, couleur, texture, réaction à l’acide, observations sur la teneur en matière organique, la densité en cailloux.
“Tous ces paramètres vont être intégrés à une base de données où les parcelles ayant des caractères identiques seront regroupées. »
Chaque horizon sera nommé, puis à l’aide de Victor, Véronique les sépare pour les emporter dans autant de sachets dûment étiquetés. « Vues les conditions météo, je ferai le reste dans ma journée de travail en laboratoire. J’analyserai la texture en essayant d’évaluer la quantité d’argile ; je vais mesurer le pH, qui me permettra aussi de repérer plus précisément la présence de matériaux volcaniques. Tous ces paramètres vont être intégrés à une base de données où les parcelles ayant des caractères identiques seront regroupées. »
Ce travail de précision constitue l’essentiel de l’étude : il occupe Véronique trois jours par semaine sur le terrain, auxquels s’ajoutent deux jours de préparation et d’analyse des matériaux prélevés. Il doit durer environ six mois, jusqu’en mars, et permettra d’assembler les données sur l’ensemble du vignoble, de Boudes jusqu’aux alentours de Riom, de Saint-Sandoux jusqu’aux environs de Billom.
Étapes suivantes
D’autres opérations doivent la compléter. L’une menée ponctuellement, en parallèle des sondages : avec un collègue de l’Institut français de la Vigne et du Vin spécialisé dans les enquêtes auprès du public, elle mène des entretiens avec les viticulteurs, par groupes de trois ou quatre d’un même secteur, pour recueillir leur ressenti et leur expérience du terroir : « cela va concerner leur connaissance de phénomènes climatiques comme ce couloir de grêle dont parlait Aude, ou bien s’ils ont remarqué des maladies spécifiques, des porte-greffe mieux adaptés que d’autres… A Boudes et Châteaugay, ils ont témoigné ressentir très fortement le changement climatique depuis quelques années ; il y a aussi des zones où il pleut moins, comme à Corent… »
Puis une autre étape, vers avril, va consister à creuser des fosses d’environ un mètre de long, suffisamment profondes pour avoir une vision en coupe de l’ensemble du sol. Ces tranchées seront pratiquées à la mini-pelle, dans quelques parcelles réparties entre les grands types de sols identifiés. « Cela va nous permettre de vérifier certains paramètres, sur une ouverture plus large. Par exemple, il peut y avoir sur certains horizons une présence de cailloux mais en densité trop faible, qui fait qu’on peut passer à côté en pratiquant une simple carotte. On pourra évaluer avec plus de précision la granulométrie ou mesurer la rétention d’eau… »
“A Boudes et Châteaugay, ils ont témoigné ressentir très fortement le changement climatique depuis quelques années.”
La mission de Véronique se terminera à ce stade, mais d’autres spécialistes prendront le relais. Les échantillons seront transmis à un chercheur de VetAgroSup qui étudie la correspondance entre les terroirs et le goût des vins – car la Fédération veut aussi recueillir des arguments pour mettre en valeur les particularités de ce vin dit « volcanique ».
L’Institut de la Vigne et du Vin va également intervenir pour établir les cartes, croiser les données avec les connaissances scientifiques pour modéliser les capacités et contraintes de chaque sol, ajouter des données météo.
Un travail de longue haleine, précis, complexe, censé profiter à l’ensemble du vignoble auvergnat. En quoi ? et à quoi va servir cette étude ? C’est ce que nous allons découvrir dans le prochain article.
Lire le second article de cette série : « Cartographier le vignoble 2/2 : comment la science des sols peut répondre au changement climatique »
Reportage Marie-Pierre Demarty – texte et photos – réalisé le 19 janvier 2024. Photo de une : Véronique Genevois, munie de sa tarière, s’apprête à prélever la première carotte de sa journée.
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