Le pourquoi et le comment [cliquer pour dérouler]
C’est le genre de projet qu’on adore mettre en avant à Tikographie. Il coche un paquet de cases vertueuses, il est super cohérent, regarde vers l’avenir, embarque plein d’acteurs d’un même territoire et fait s’emboîter comme par magie toutes les circonstances et coïncidences.
En plus, c’est une première en France !
Il nous permet donc de mettre en avant un outil peu connu, certes complexe à utiliser, mais qui, en ces temps de grande tension sur le foncier, peut servir d’expérience inspirante.
J’allais oublier le meilleur : on va même parler pâtisserie. Vivement l’Épiphanie 2032 !
Marie-Pierre
Tout commence par une série de réunions du Projet alimentaire territorial du Grand Clermont et du Parc Livradois-Forez, auxquelles assiste Florence Lhermet, adjointe au maire de Saint-Amant-Tallende en charge du développement durable. Et parallèlement, par d’autres réunions, où elle est interpellée au sujet de la Montagne de la Serre, dans la perspective d’une extension du classement « Grand site de France » du puy de Dôme. Nous sommes en 2020 et elle se dit qu’il y a une action à mener pour répondre simultanément à différents enjeux du territoire.
Détaillons. Côté alimentation, le PAT vise une autonomie alimentaire de 50% pour le territoire en 2050. « J’ai retenu un chiffre : cela nécessiterait de passer de 400 à 4000 hectares de maraîchage. Je me suis demandé comment notre commune pouvait y contribuer, sachant qu’historiquement, nous étions une terre de maraîchage, d’arboriculture et de viticulture et que tout cela a disparu avec l’industrialisation au XXe siècle », explique l’élue.
« J’ai retenu un chiffre : cela nécessiterait de passer de 400 à 4000 hectares de maraîchage.”
Florence Lhermet
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Côté paysage, il faut savoir que la Montagne de la Serre est, comme le rappelle Florence Lhermet, « le petit élément qui a permis le classement Unesco, après deux tentatives retoquées ». Cette colline de forme longitudinale a en effet une configuration écologique unique au monde. Il s’agit d’une ancienne coulée de lave – les fameux reliefs inversés qui caractérisent aussi Gergovie, les côtes de Clermont, ou Châteaugay – mais celle-ci a la particularité de traverser en continu deux terrains très différents : le socle granitique en amont de la faille de Limagne et la plaine sédimentaire en aval. D’où l’intérêt de l’inclure, malgré l’éloignement, dans le périmètre du Grand Site de France, et dans les projets de préservation du paysage. Florence avait été d’autant plus alertée qu’elle avait été interpellée par tout un chapelet d’institutions à ce sujet : Parc des Volcans, Département, Unesco, DREAL…
La commune n’englobe qu’une petite part de la montagne en question – avec six autres – mais c’est une des faces les plus intéressantes pour des cultures maraîchères ou fruitières : le versant sud, côté sédimentaire.
Pour aller plus loin : « Comment le PAT Grand Clermont et Livradois-Forez développe la résilience alimentaire du territoire, selon Moïra Ango »
Heureux hasards
Que pouvait donc faire la collectivité de ce coteau à l’état de friche morcelé en multiples minuscules propriétés, dont beaucoup n’avaient plus de propriétaire bien identifié ? Un alignement de heureux hasards a permis de trouver une solution inédite, et de défricher, en même temps que la colline, l’expérimentation d’un dispositif très peu connu car jamais mobilisé auparavant : l’association foncière agricole autorisée (ou AFA) .
Première petite pierre : la commune saisit l’opportunité d’une aide de l’État pour recruter un chargé de mission aménagement du territoire. Une nécessité car le travail à y consacrer allait se révéler colossal en termes de temps de travail.
“Entre deux verrines, je lui raconte notre problématique. C’est là qu’il me suggère de m’intéresser au dispositif AFA. »
Rémi Peyrat
En l’occurrence, c’est à Rémi Peyrat que la tâche a été confiée. Il raconte la deuxième petite pierre : « Le hasard veut que deux mois après mon arrivée, j’aie l’occasion de croiser Yves Michelin [professeur à VetAgroSup et spécialiste des relations entre pratiques agricoles et paysages] dans un déjeuner. Entre deux verrines, je lui raconte notre problématique. C’est là qu’il me suggère de m’intéresser au dispositif AFA. »
Il creuse donc, et découvre que celui-ci permet à un ensemble de propriétaires fonciers de définir un périmètre à valoriser par un projet agricole et, sous réserve d’une autorisation du préfet, de se constituer comme une sorte de copropriété, interlocuteur unique pour contractualiser avec un exploitant. Gros avantage : si les propriétaires représentant les deux tiers de la surface sont favorables à la constitution de l’AFA autorisée, le tiers restant doit obligatoirement y adhérer aussi.
Totalement inédit
Sur le papier, cela semble simple. « Dans les faits, cela demande un énorme travail administratif pour identifier, retrouver, contacter et convaincre les propriétaires, ce qui explique que personne ne se soit encore saisi de cet outil », explique Florence Lhermet. Rémi Peyrat complète : « il existe d’autres formes d’AFA, libres ou pastorales, sans l’obligation d’inclure les propriétaires non volontaires, qui ont été expérimentées en Savoie, en Corse et dans le Lot ; je les ai consultées pour m’inspirer. Mais pour les AFA autorisées, cela reste inédit. »
L’élue fait remarquer aussi que le problème ne se pose pas dans les communes qui ont procédé à des remembrements, « mais nous étions passé au travers du fait que le coteau était à l’abandon », ajoute-t-elle.
La stratégie de la municipalité a consisté d’abord à repérer et à s’approprier, comme elle en a la possibilité, les « biens sans maître », c’est-à-dire, comme le précise Rémi, les terrains dont les propriétaires sont identifiés mais décédés depuis plus de 30 ans, ou ceux dont les propriétaires ne sont pas totalement identifiés et ne paient pas de taxe foncière depuis au moins trois ans.
« Dans les faits, cela demande un énorme travail administratif pour identifier, retrouver, contacter et convaincre les propriétaires.”
Florence Lhermet
Un vrai travail de fourmi auprès du cadastre, des impôts et autres administrations, puis de vérification auprès d’indivisions dont la plupart n’ont pas répondu. Malgré des affichages, enquêtes publiques et autres canaux de communication. A cela s’additionnaient les démarches auprès de propriétaires dont la plupart ignorait l’emplacement ou même l’existence de leur possession, mais auxquelles certains restaient attachés par des souvenirs ou par tradition familiale.
209 parcelles
La zone visée est celle qui, sur la commune, englobe toute la partie située au-dessus de la départementale 213, cette route en balcon très fréquentée qui relie l’autoroute A75 au très touristique lac d’Aydat. Soit 660 parcelles.
Dans ce puzzle, la commune a réussi à récupérer 209 parcelles. Cela représente 4% du territoire communal, si l’on ajoute quelques terrains situés sur l’autre versant ou des biens dans le bourg, jugés pertinents pour d’autres projets. « Mais au moins les deux tiers concernent la montagne de la Serre », estime Rémi Peyrat.
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Commencer petit
L’étape d’après a consisté à constituer l’AFA. « Au départ, nous visions un périmètre de 40 ha, mais à la première réunion, nous avons senti que le projet crispait beaucoup de monde, faute de comprendre, par peur d’être dépossédé. Nous avons pensé alors qu’il fallait commencer petit, avec des propriétaires favorables. Nous avons donc réduit la surface concernée à 4,5 ha, dans un secteur où la commune avait acquis un bon tiers des terrains, raconte Florence Lhermet. Avec ce premier regroupement, nous pouvons convaincre d’autres propriétaires que le montage ne les dépossède pas, va mettre en valeur ces friches, dans un projet cohérent et solide. »
“Ce sont deux belles anciennes terrasses agricoles, à la pente relativement douce.”
Rémi Peyrat
Le secteur en question a été délimité en bordure de la D213, ce qui coche une autre case des motivations de la commune : celle de réduire les risques d’incendie très élevés dans ces friches au climat sec, à portée des mégots jetés par les fenêtres des voitures. Autre avantage, décrit par Rémi : « ce sont deux belles anciennes terrasses agricoles, à la pente relativement douce, et traversées par un des chemins que nous avons rouverts, dans un projet parallèle et concerté avec les autres communes de la montagne de la Serre. »
Ajoutons encore une valeur patrimoniale. « Il reste de nombreux vestiges de murets et de cabanes. Il y règne une ambiance étrange de village englouti, très inattendue à cet endroit », précise Florence, qui se dit aussi sensible aux souvenirs des anciens : « jusque dans l’entre-deux-guerres, les femmes passaient par ce ‘‘chemin de Clermont’’, à pied, pour aller vendre leurs productions sur le marché de la capitale auvergnate », a-t-elle appris de leurs récits.
Six mois d’errance administrative
Et donc, après moult recherches, réunions, travail d’élaboration et de concertation, une première version des statuts était déposée en préfecture le 12 décembre 2022. La commune et ses parties prenantes n’étaient pourtant pas au bout de leur peine, car ce dossier ovni a erré durant six mois, entre la préfecture et la Direction départementale des Territoires. A force de s’en enquérir, de le traquer, de solliciter les administrations, Rémi Peyrat a fini par obtenir qu’une personne prenne le dossier en main et s’y intéresse sérieusement. « Nous avons avancé ensemble dans la découverte du dispositif et nous avons beaucoup échangé d’informations », évoque Rémi.
“L’enquête publique, notamment, où ont été consignées les innombrables réunions et démarches entreprises, a pu démontrer le sérieux du projet.”
Florence Lhermet
Le dossier a fini par aboutir. L’enquête publique a eu lieu en novembre dernier. A la suite de quoi il a été demandé aux propriétaires du périmètre de se positionner. « A force d’explications, nous avions réussi à les convaincre. L’enquête publique, notamment, où ont été consignées les innombrables réunions et démarches entreprises, a pu démontrer le sérieux du projet. Et donc, 80% se sont prononcés favorablement. Et encore, parmi les défavorables, beaucoup ont reconnu ensuite l’intérêt du projet, ou n’avaient pas voulu se prononcer au nom d’une indivision complexe », indique Florence.
De toute façon, au vu des résultats, tous ont dû s’engager dans l’AFA. Celle-ci a été créée officiellement le 4 janvier dernier, regroupant vingt propriétaires individuels ou collectifs. Et avant la fin du même mois elle recevait l’autorisation de la préfecture.
Des œufs, des amandes et un pâtissier
Reste une brique de taille qui s’est ajoutée à ces heureux hasards : le projet à installer sur cette nouvelle copropriété. Car celui-ci est apparu presque par enchantement.
Dans un premier temps, la commune a fait réaliser par les étudiants d’Yves Michelin un diagnostic sur les conditions de sol et de climat, pour quatre scénarios de remise en culture. Deux d’entre eux ont été écartés : les plantes aromatiques et médicinales car le terrain n’est pas assez grand pour être rentable, et la vigne en raison des incertitudes du changement climatique. Restaient envisageables le pastoralisme et l’arboriculture… et ce sera finalement une combinaison des deux.
Plus exactement, une candidature s’est présentée, provenant d’une jeune femme habitant la commune voisine, Aude Egret. Son projet d’installation consiste en un élevage de poules pondeuses, sous des plantations d’amandiers, tout cela en agriculture biologique. « Cela tombait très bien, car le diagnostic des étudiants préconisait principalement des amandiers ou des abricotiers. L’amandier étant même le meilleur choix par rapport aux risques de gelées tardives », précise Rémi Peyrat.
“L’amandier est même le meilleur choix par rapport aux risques de gelées tardives. »
Rémi Peyrat
Le meilleur choix aussi, car un débouché était tout trouvé à proximité ! Le pâtissier-chocolatier de Saint-Amant-Tallende Philippe Juilhard, héritier d’une lignée centenaire et plus récemment à la tête de trois autres pâtisseries dans la région, cherchait à se fournir en France de ce fruit si indispensable pour les frangipanes, la chocolaterie et autres gourmandises… Une gageure, sachant que l’essentiel de la production vient aujourd’hui des États-Unis ou d’Israël.
Pour aller plus loin : « Grâce au verger conservatoire de Tours-sur-Meymont, la tradition fruitière locale reprend des couleurs »
Un projet cohérent
Tout semble donc s’aligner, en cohérence avec d’autres projets de la commune en matière d’alimentation : le soutien au verger-test de Terre de Lien installé sur l’autre versant de la commune, l’intention de réinstaller du maraîchage sur les bords de la Veyre, la création récente d’un marché de producteurs locaux les vendredis soir.
La collectivité a aussi racheté l’ancienne papèterie, devenue une friche inutilisable car en zone inondable. « Nous attendons la modification du Plan de prévention des risques d’inondation pour envisager d’en faire un outil à destination des producteurs alentours, pour le stockage et la transformation. Le stockage est une problématique importante en raison des difficultés à trouver du foncier, et en transformation, il y a des besoins aussi : pressage de pommes, cassage des amandes, conditionnement… », explique l’élue.
Dans la grande cohérence de ce projet agricole, il semble qu’on ait perdu de vue les enjeux de paysage évoqués en point de départ… mais ils sont toujours présents ! « Dans le plan d’action de la candidature Unesco, il y avait la création d’un plan de paysage, dans lequel nous allons inscrire le projet de la Montagne de la Serre. Il en sera la première réalisation concrète. Dans le contexte de la proximité de la métropole, du mitage pavillonnaire, de la déprise agricole, il s’agit de remettre le paysage au centre de toutes les problématiques, de façon à le valoriser, à rendre lisible sa spécificité, dans une vision partagée. Le défrichage et la remise en culture du coteau auront aussi cette vocation. »
Diversifier les modèles
Les perspectives apparaissent donc très favorables et d’autres collectivités ont déjà manifesté leur intérêt à venir s’inspirer de cette expérimentation. « Administrativement, nous avons coché toutes les cases. Mais encore faut-il éprouver le projet agricole dans sa réalité, avec les aléas climatiques, la nécessité de patienter six ans avant que les amandiers produisent, etc. Mais nous espérons que cela fonctionnera, avec l’idée de petit à petit agglomérer d’autres espaces sur le coteau et si possible, de diversifier les modèles agricoles pour préserver un équilibre naturel et économique », conclut l’adjointe au développement durable.
Cette diversification, la préférence donnée aux projets en bio, la conservation de haies seront aussi des gages pour ménager la biodiversité, sur un site où les enjeux sont forts également dans ce domaine.
« Administrativement, nous avons coché toutes les cases. Mais encore faut-il éprouver le projet agricole dans sa réalité.”
Florence Lhermet
Les prochaines étapes seront la signature du bail avec l’agricultrice, les travaux de défrichage – entièrement assumés par la commune – pour installer les poules d’ici à l’automne et planter les amandiers en novembre.
Pour la galette des rois 100% locale, il faudra juste patienter quelques années.
Reportage Marie-Pierre Demarty. Photo Commune de Saint-Amant-Tallende : vue aérienne du bourg dominé par la Montagne de la Serre.
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