Pêche et environnement 2/2 : que fait la Fédération ?

Par

Marie-Pierre Demarty

Le

L'Allier avec un pêcheur

Le pourquoi et le comment   [cliquer pour dérouler]

Faut-il pêcher ? Faut-il pratiquer uniquement le no kill et remettre le poisson à l’eau après avoir ferraillé avec lui ? Faut-il vraiment empoissonner les rivières ?

Gageons que certains lecteurs seront un peu titillés par la question. Mais j’ai choisi de la laisser de côté, sur la foi des éloges qui me sont remontées de la part d’associations environnementales dignes de confiance. Quitte à y revenir pour un reportage “sur le terrain”, après ce tour d’horizon général. Prenons date…

Une autre question, non évoquée dans ce double article car ce n’était pas le sujet, me taraude. Je me sens obligée de la (dé)poser ici, surtout que le hasard fait tomber le 9 mars pile après le 8 mars. Plus exactement, le hasard veut que l’ouverture de la pêche de première catégorie tombe le lendemain de la journée des droits des femmes.

Vous me voyez venir : il y a vraiment très peu de femmes dans le monde de la pêche. “Il y en a quand même, environ 8 à 10 %, mais ce sont des passionnées”, m’a assuré Luc Bortoli. J’ai pu constater aussi la présence de salariées dans les bureaux de la Fédération du Puy-de-Dôme. Mais dans les instances élues, il semble qu’on ne leur laisse pas beaucoup de place… Cela m’a sauté aux yeux en découvrant cette photo. 10% ? Vraiment ?

Allez Messieurs, un petit effort pour être de votre temps…

Marie-Pierre

Lire le premier volet de cette série : « Pêche et environnement 1/2 : comment vont nos rivières ? »

Distribuer les cartes de pêche, gérer quelques étangs, promouvoir la pêche de loisir, faire respecter la règlementation, proposer des animations, des parcours, du conseil technique… ça, c’est le rôle traditionnel des fédérations de pêche. Et l’image qu’on en a le plus souvent, même sans doute parmi les titulaires de la fameuse carte qui vous autorise à lancer une ligne dans le courant des ondes (plus ou moins) pures.

Ce que l’on sait moins, c’est que les fédérations portent aujourd’hui une double casquette, ce qui leur vaut l’appellation de « Fédération pour la Pêche et la Protection du Milieu Aquatique » et leur statut d’association d’utilité publique.

Un pêcheur au milieu d'une rivière
La pêche de loisir est une activité très règlementée, avec obligation de s’affilier à une association en prenant sa “carte de pêche”. – Photo Fédération départementale 63

Et qu’elles sont « obligatoires », en vertu du Code de l’environnement qui leur sert de cadre. C’est-à-dire qu’il existe obligatoirement une fédération dans chaque département, et que toute association locale de pêche doit être agréée et obligatoirement affiliée à sa fédération. Autrement dit, la pêche est une activité très encadrée, dans l’intention de préserver un milieu naturel aux vulnérabilités multiples, comme nous l’avons vu précédemment.

Les fédérations ont obligation de jouer ce double rôle – de façon plus ou moins équilibrée selon les départements et selon la sensibilité de leurs administrateurs. Car ces structures restent des associations, dirigées par des élus émanant des associations locales purement bénévoles – donc des pêcheurs amateurs… et néanmoins passionnés.

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20 000 pêcheurs

Qu’en est-il dans le Puy-de-Dôme ? « Notre Fédération regroupe 45 associations locales et plus de 20 000 titulaires de la carte de pêche. Avec douze salariés en équivalent temps plein, elle compte parmi les grosses fédérations », indique Luc Bortoli, responsable développement à la Fédération 63.

« Nous bénéficions d’une vraie reconnaissance (…) pour notre expertise sur les milieux aquatiques. »

Pour parachever ce portrait, précisons qu’elle est affiliée à deux instances régionales ayant chacune leur logique : l’une regroupant les fédérations d’Auvergne-Rhône-Alpes qui est l’interlocutrice de la Région, notamment pour des subventions accordées au développement de la pêche ; l’autre est une union respectant les contours du bassin versant, partenaire de l’Agence de l’eau pour ses actions de protection des milieux. Le tout, comme il se doit, chapeauté par une Fédération nationale.

Dans le domaine de la protection de l’environnement, l’association puydômoise prend son rôle avec sérieux. « Nous bénéficions d’une vraie reconnaissance des services de l’État et autres interlocuteurs pour notre expertise sur les milieux aquatiques », souligne Luc Bortoli, hydrobiologiste de formation, qui se situe dans la minorité des salariés arrivés dans le métier par passion pour la pêche. « La plupart de mes collègues se sont intéressés à la pêche après leur arrivée à l’association, mais sont d’abord sensibles et formés à la protection des milieux naturels », précise-t-il.

Vue aérienne d'un bateau  sur un lac
Cours d’eau, lacs, plans d’eau… La Fédération s’attache à étudier et préserver les milieux aquatiques de l’ensemble du territoire, et à promouvoir une pêche respectueuse des équilibres naturels, comme ici sur le lac du barrage des Fades-Besserve. – Photo Fédération de Pêche 63

Connaître le milieu

Comment les milieux de la pêche en général, et la fédération 63 en particulier, ont opéré le virage de la protection ? « Il n’y a pas eu de choc particulier, explique Luc. La prise de conscience est arrivée progressivement, avec le constat de la dégradation des milieux. Les premiers à réagir ont été les pêcheurs à la mouche. Par la suite, la vocation de protection a été renforcée par la Loi sur l’Eau, qui date de 2006. »

Ce volet de ses missions s’exerce à différents niveaux, qui relèvent de l’action classique des associations de protection : les actions en faveur de la protection ou de la restauration des milieux, l’apport de son expertise sur les territoires, la sensibilisation…

La prise de conscience est arrivée progressivement.”

Mais tout d’abord, pour bien préserver, il faut connaître. La Fédération procède à de nombreuses études, que ce soit pour son compte, à la demande de collectivités ou de propriétaires privés. L’objectif peut être de gérer ses propres plans d’eau – la Fédération du Puy-de-Dôme en possède une quarantaine – mais aussi d’établir un état des lieux, puis un suivi de travaux programmés afin de restaurer une continuité écologique, de reméandrer un cours d’eau, d’améliorer la situation d’un milieu dégradé. « Par exemple, nous sommes intervenus à l’occasion du remplacement d’une buse sur la Dordogne, infranchissable par les poissons, qui a été remplacée par un pont-cadre facilitant le passage. »

Inventaires et restauration

Les observations se réalisent par capture de populations pour établir des inventaires. Dans les cours d’eau, cela passe par la pêche électrique (qui n’a rien à voir – précisons-le à l’intention de ceux que l’appellation ferait sursauter – avec celle du même nom pratiquée en mer). Ici, elle consiste à plonger dans l’eau une anode et une cathode, pour provoquer un courant électrique permettant d’attirer les poissons. Ils sont alors capturés en douceur à l’épuisette, identifiés, mesurés, pesés, avant d’être remis à l’eau.

« Pour les plans d’eau, nous sommes contraints de procéder à la capture au filet, ce qui occasionne davantage de pertes », précise Luc.

Des membres de la fédération postés en travers d'une rivière pour capturer le poisson à l'épuisette
Une opération de pêche électrique dans le cadre d’un inventaire des populations piscicoles. – Photo Fédération de Pêche 63

La Fédération peut aussi aller plus loin en participant directement à des opérations de restauration des milieux. Cas classique : elle a apporté son expertise pour la reconnexion de ce qu’on appelle des « annexes hydrauliques » des cours ou plans d’eau : anciens méandres, bras de rivières et autres flaques, que les poissons utilisent notamment comme frayères… à condition qu’ils puissent y accéder.

Lorsqu’une rivière a été drainée ou qu’un accès à ces eaux calmes a été coupé par la baisse des débits, l’enfoncement du lit de la rivière ou les alluvions, il peut être opportun de rouvrir le passage. Ce que la Fédération a contribué à réaliser notamment sur l’Allier, la Dore, le lac Chambon. « Nous sommes partenaires de tous les contrats territoriaux de rivières », précise le représentant de la Fédération départementale.

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Une opportunité

Dans l’ouest du département, elle a même fait mieux : « Nous avons acquis la Sagne de Jambris afin de la préserver. Il s’agit d’une zone humide de 11 hectares à l’amont de la Clidane, un affluent de la Dordogne. Cela paraît modeste, mais elle joue un rôle important de régulation du débit de la rivière, en retenant l’eau dans des tourbières et en la restituant en période d’été », explique Luc Bortoli.

Pour autant, précise-t-il, « la Fédération du Puy-de-Dôme n’a pas de politique d’acquisition comme peut en avoir le Conservatoire d’espaces naturels. Il s’agissait d’une opportunité. Mais la Fédération nationale a créé la Fondation des Pêcheurs dans le but d’acquérir, pour les préserver, des territoires ayant un enjeu pour les milieux aquatiques. Celle-ci a participé à l’acquisition. »

Vue aérienne de la Sagne de Jambris
La Fédération a acquis la Sagne de Jambris, une zone humide de 11 ha situé dans la commune de Briffons. Elle joue un rôle régulateur pour les eaux de la Clidane, un affluent de la Dordogne. – Photo Fédération de Pêche 63

L’expertise de la Fédération est également sollicitée pour participer à des instances de concertation telles que la Commission locale de l’eau, ou à des consultations règlementaires, par exemple pour un projet de microcentrale hydroélectrique soumis à autorisation préfectorale.

Nous sommes présents pour que le ‘compartiment poisson’ ne soit pas oublié.”

« Dans ce type d’instances, nous apportons la connaissance du terrain, mais aussi la vision à l’échelle départementale et, via la Fédération nationale, l’expérience de ce qui se pratique sur d’autres territoires. Nous y sommes présents pour que le ‘compartiment poisson’ ne soit pas oublié dans les décisions ou les aménagements, face à d’autres enjeux comme l’agriculture ou l’alimentation en eau potable. »

Le dialogue et ses limites

Cette vigilance, à l’extrême, peut aller jusqu’à des prises de position ou des actions de contentieux, quoique que de manière générale, précise Luc, la voie du dialogue est favorisée. Mais la Fédération, par exemple, a fait partie des organisations ayant déposé plainte, à la suite du déversement accidentel de boues dans la Dordogne par le gestionnaire du barrage de La Bourboule en 2015. « Soprelec a été condamné en première instance, fin 2022 », rappelle Luc Bortoli.

« La situation des cours d’eau dans ce secteur est catastrophique. »

La structure est également membre du collectif Eau Bien Commun 63, qui regroupe des structures de défense de l’environnement mobilisées contre les prélèvements pour embouteillage des eaux de Volvic. « La situation des cours d’eau dans ce secteur est catastrophique », confirme Luc Bortoli, qui cite d’autres points de vigilance, comme les projets de microcentrales hydroélectriques (évoquées dans le premier volet), ou les projets de retenues agricoles autour de Billom.

Les deux grandes missions de l’association départementale ne sont bien sûr pas étanches, et la protection de l’environnement passe aussi par une gestion la plus vertueuse possible de la pratique de la pêche. D’abord en faisant connaître et respecter la règlementation, issue du Code de l’environnement et des éventuels arrêtés préfectoraux, auprès des pêcheurs. Elle dispose pour cela de deux gardes-pêche, assistés des bénévoles des associations locales.

Une gestion plus cohérente

Surtout, elle gère les empoissonnements de façon à la fois plus fine et plus prudente que ce qui a longtemps été pratiqué sans trop de réflexion, comme elle le reconnaît y compris sur son site internet : « Le constat d’échec d’années de gestion est patent. La logique des années précédentes, selon laquelle ‘s’il n’y a plus de poissons dans nos rivières, il faut en remettre’, a conduit à un échec qui trouve son reflet dans l’insatisfaction des pratiquants », est-il exposé.

“Nous avons envie d’aller davantage dans les écoles sur ce volet sensibilisation. »

Elle dispose pour cela d’un outil mis en œuvre dans chaque département : le PDPG ou Plan Départemental pour la Protection du milieu aquatique et la Gestion des ressources piscicoles. Établi par périodes de cinq ans, il se base sur un diagnostic sur les espèces dites « repères » – en l’occurrence pour le Puy-de-Dôme la truite fario, l’ombre commun et le brochet – et sur l’état des cours d’eau. Le plan de gestion prévoit les actions à mener en fonction de la classification de chaque secteur ou « contexte », plutôt que les repeuplements systématiques d’autrefois. Et il a le mérite de coordonner les actions des associations locales, dans un projet cohérent.

Vue aérienne du cours d'eau après restauration
Vue plongeante sur un exemple de restauration de la continuité écologique ; la fédération a été partenaire de ces travaux réalisés sur la Trentaine, près de Picherande, dans le cadre du contrat territorial Sources de la Dordogne Sancy Artense. – Photo Fédération de Pêche 63

Reste un dernier axe d’engagement : celui de la sensibilisation. « Nous le pratiquons principalement à travers l’école de pêche, où nous insistons sur la connaissance et la nécessité de préserver les milieux naturels, et dans des interventions ponctuelles. Mais nous avons envie d’aller davantage dans les écoles sur ce volet sensibilisation à la protection de la nature », précise le responsable du développement.

Reste que 20 000 pêcheurs vont à partir de demain lancer au bout de leurs lignes une multitude de petits pièges crochus dans le moindre recoin d’eau courante ou dormante du territoire. Mais on peut se dire que la pratique de la pêche de loisir est (malheureusement) loin d’être le plus redoutable danger que doivent affronter les truites et brochets, ombles et ombres de notre territoire.


Reportage Marie-Pierre Demarty. Photo à la une Marie-Pierre Demarty : l’Allier à la hauteur des Martres-de-Veyre

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