Fabien Jubertie est Chef adjoint du département Prévision des étiages des crues et des inondations à la DREAL Centre Val de Loire, responsable de l’antenne de Clermont-Ferrand. Ce service a notamment en charge le déclenchement des alertes diffusées sur le site Vigicrues.
Comment analysez-vous le phénomène météo de ce dernier week-end ?
Fabien Jubertie : Il s’agit d’un épisode cévenol extensif, d’origine méditerranéenne, qui a touché violemment l’Hérault, le Gard et l’Ardèche ; il s’est étendu, de façon moins puissante, sur le bassin versant de la Loire et de l’Allier. Le phénomène a quand même été important car il est tombé environ 100 mm en trois jours et même jusqu’à 200 mm dans certains secteurs vers les sources de l’Allier et de la Loire, en Lozère et Haute-Loire. Par comparaison, sur une année entière à Paris il tombe 600 mm.
“Les épisodes cévenols (…) sont plus rares à cette époque de l’année et s’étendent rarement jusqu’au bassin de l’Allier.”
Ce sont donc des cumuls importants mais pas exceptionnels – les épisodes cévenols peuvent donner jusqu’à 300 voire 500 mm. Mais habituellement ils se produisent plutôt à l’automne ; ils sont plus rares à cette époque de l’année et s’étendent rarement jusqu’au bassin de l’Allier.
En plus, ce secteur des sources avait déjà été touché par un épisode pluvieux d’origine cévenole le week-end précédent, de sorte que les sols étaient déjà très imprégnés d’eau.
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Il a beaucoup plu vers les sources, mais on a pu constater aussi des pluies très abondantes dans le Puy-de-Dôme. Est-ce le prolongement du phénomène ?
F.J. : Il s’est effectivement étendu sur l’ensemble du bassin de l’Allier, de la Margeride jusqu’à Moulins. Il est tombé plus de 50 mm à Vichy. Le Livradois-Forez, et donc le bassin de la Dore ont été aussi très arrosés.
Par contre, l’Alagnon, les Couzes, la Sioule ont été davantage épargnées ; en général elles sont plus concernées quand les pluies arrivent de l’ouest.
“L’Alagnon, les Couzes, la Sioule ont été davantage épargnées.”
Comment cela s’est-il traduit sur les cours d’eau ?
F.J. : La crue a intéressé l’ensemble de la rivière Allier. Vigicrue a émis une vigilance jaune à l’amont le 8 mars, puis sur l’Allier aval quand la crue s’est propagée. A un moment, vers les 10 et 11 mars, le tronçon de l’Allier entre Brioude et Limons a été en orange ; ça n’a pas atteint les seuils mais ce n’était pas très loin.
Au bilan, il s’agit donc d’une crue modérée.
Comment la situez-vous par rapport aux crues précédentes ?
F.J. : Dans la partie amont, elle a été comparable à celles du 9 novembre 2018 et du 23 novembre 2016, qui n’avaient pas été extraordinaires. Pour la partie aval, au niveau de Vic-le-Comte, elle se situe un peu au-dessus de la crue du 23 novembre 2016 et un peu en dessous de celle du 13 juin 2020, avec un maximum de 600 m3/s, soit une hauteur de 5 mètres.
Au niveau de Moulins, elle est montée à 619 m3/s, comparable à celle de juin 2020. A titre de comparaison, lors de la dernière grosse crue à Moulins en 2003, on avait eu 1500 m3/s… et 5000 m3/s lors de la crue historique de 1790, qui reste la référence.
Comment sont déterminés les seuils d’alerte et les niveaux de vigilance ?
F.J. : Nous mesurons les hauteurs d’eau au niveau des stations règlementaires, comme Vic-le-Comte et Moulins.
La vigilance jaune correspond aux premiers débordements et à un débit qui est atteint en moyenne tous les deux ans. L’orange signifie une crue plus sérieuse qui atteint des débordements dommageables ; ce sont des niveaux dont les temps de retour sont de dix à vingt ans – les crues décennales. La vigilance rouge, ce sont les crues centennales, qui occasionnent de très gros dégâts, au point de créer des problèmes sociétaux.
“Depuis le XIXe siècle, il n’y a pas eu de crues majeures.”
Les dernières en date pour l’Allier remontent au XIXe siècle mais s’étaient succédé de façon rapprochée, puisqu’elles se sont produites en 1846, 1856 et 1866. Depuis, il n’y a pas eu de crues majeures, mais tout de même des épisodes importants en 2008, 2003, 1973.
Aujourd’hui, le changement climatique nous fait craindre plutôt des épisodes d’étiage sévère. Mais les météorologues expliquent que les volumes de pluie annuels, dans notre région, vont rester comparables mais de plus en plus concentrés en quelques épisodes violents. Faut-il, en conséquence, craindre aussi des risques de crues plus importantes ?
F.J. : On observe effectivement des étiages de plus en plus sévères, qui reviennent presque tous les étés. Mais en termes de pluviométrie et de crues, on n’a pas les mêmes craintes, car les épisodes cévenols supposent une confrontation entre des masses d’air chaud et d’air froid. Or le réchauffement climatique fait que les masses d’air froid ont de plus en plus de mal à arriver jusque vers la Méditerranée, ou alors sur des périodes plus tardives.
En revanche lorsque cet air froid pénètre dans une atmosphère plus humide et chaude, cela peut déclencher localement des orages beaucoup plus intenses, mais pas forcément plus fréquents ni plus étendus.
Pour aller plus loin : « Vu du barrage #2/2 : Naussac face aux défis du changement climatique »
Votre rôle s’arrête-t-il à la prévision et au déclenchement des alertes, ou avez-vous une vision des enjeux et des conséquences possibles ?
F.J. : Notre rôle principal est la prévision des débits et hauteurs à 24 heures. Lors des situations de crue, nous nous mettons en liaison avec les référents départementaux inondation, qui sont dans les Directions départementales des Territoires. Ces référents font la synthèse à l’intention de la préfecture qui a en charge la gestion des crises.
Mais le service dont nous dépendons nous demande d’avoir une connaissance de plus en plus fine des enjeux. Donc nous commençons à avoir cette culture.
“Les enjeux liés à la présence de constructions dans des zones inondables ne sont pas trop importants, du fait que l’agglomération clermontoise est éloignée de l’Allier.”
Globalement, on peut dire que dans le département du Puy-de-Dôme, les crues ont une activité qui peut être forte et violente car nous sommes en zone de montagne. Même si dans le lit majeur il n’y a pas énormément d’enjeux, la force d’une crue peut engendrer des dégâts importants.
Cependant les enjeux liés à la présence de constructions dans des zones inondables ne sont pas trop importants, du fait que l’agglomération clermontoise est éloignée de l’Allier. Ils commencent à être plus importants dans le département de l’Allier, à partir de Saint-Yorre et Vichy.
Mais même si on n’en a pas eue depuis 1866, on ne peut pas exclure des crues centennales dans l’avenir ?
F.J. : Elles peuvent effectivement se produire. Il faut se rappeler qu’il y a eu des morts en Auvergne lors de ces crues du XIXe siècle. Alors on imagine ce que ce serait aujourd’hui du fait que les rives sont beaucoup plus peuplées… cela pourrait être catastrophique !
Les rivières qui drainent la métropole – Tiretaine, Bédat, Artière – sont-elles aussi sources de risques ?
F.J. : C’est un autre type de crues, liées à des phénomènes orageux, très localement, mais amplifiés par l’imperméabilisation des sols, donc liés à l’urbanisation. De plus ces cours d’eau sont en partie souterrains. Ils ont donc des réactions extrêmement vives. Et comme les sols sont totalement imperméables, dès qu’il pleut, ça ruisselle. C’est la raison pour laquelle des bassins de rétention ont été créés.
Pour aller plus loin : « « Une crue centennale de la Tiretaine pourrait faire de très gros dégâts », prévient Jean-Michel Delaveau »
Pour conclure sur les leçons à tirer de l’épisode de cette semaine, peut-on dire que nous ne devons pas trop nous inquiéter ?
F.J. : Sur ce qui vient de se passer, finalement ça a été plus bénéfique que problématique, car le Val d’Allier était resté très sec et le barrage de Naussac, qui a pour fonction de réguler les étiages de l’Allier, avait atteint des niveaux très bas… et il se remplit en ce moment.
“Cette crue arrive à un moment idéal, car la végétation n’est pas encore trop repartie.”
De plus cette crue arrive à un moment idéal, car la végétation n’est pas encore trop repartie, donc l’eau peut bien pénétrer dans les sols. Et comme elle va bientôt se réveiller, elle pourra profiter de toute cette eau.
Mais il ne faudrait pas qu’il y ait ensuite un printemps très sec, car cet épisode-là sera vite oublié.
Propos recueillis par Marie-Pierre Demarty le 13 mars 2024. Photos Marie-Pierre Demarty. En une : l’Allier vue du pont des Goules à Vic-le-Comte, mardi dernier.
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