Le pourquoi et le comment [cliquer pour dérouler]
Le sujet est tellement énorme qu’il se discute au Parlement. La semaine dernière, les députés ont adopté en première lecture – à l’unanimité ! – une loi pour tenter d’enrayer la voracité de la fast fashion. Tandis que tout le monde (ou presque) admet l’impérieuse urgence de freiner la surconsommation, les émissions de carbone et la délirante production de déchets de ce secteur, la mode jetable continue allègrement de développer son modèle aberrant en ciblant de préférence les adolescentes, les jeunes sans beaucoup de moyens, les virtuoses de la commande en ligne.
Et comme son mode de communication atteint via internet les moindres recoins du monde, pourquoi ne pas s’y attaquer aussi à la campagne, dans une ambiance pédago-festive, ludique et rassembleuse ?
Ce qu’il me semble intéressant de souligner dans l’approche de Virginie et Marie, c’est l’idée qu’on peut changer nos habitudes sans renoncer au plaisir qu’elles ont pu nous apporter. Et même en l’augmentant : parce qu’on se réapproprie des savoir-faire, on devient plus autonome, on échange, on se rencontre, on déculpabilise, en plus de s’amuser avec son look. Et on s’afffranchit des injonctions à consommer.
Allez, je vous laisse à votre lecture. En ce premier jour de printemps, je m’en vais faire l’inventaire de mes petites robes à fleurs…
Marie-Pierre
Quelques données sur le sujet
Des chiffres sur l’industrie textile :
- Environ 8% des émissions de gaz à effet de serre dans le monde.
- La production mondiale de vêtements a doublé en 14 ans.
- 7 500 litres d’eau nécessaires pour fabriquer un seul jean.
- 20% de la pollution des eaux imputable à la fabrication et au traitement des textiles d’habillement dans le monde.
- 95% des vêtements en France sont importés.
Source : Ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires
Qu’est-ce l’ultra fast fashion ?
L’ “ultra-fast fashion” se réfère à un modèle commercial de l’industrie de la mode caractérisé par une production et une mise sur le marché extrêmement rapides de vêtements, souvent commercialisés à bas prix. (…) Elle soulève des préoccupations liées à la durabilité, à la qualité des produits et aux conditions de travail dans l’industrie de la mode.
Source : Novethic
Trois éclairages complémentaires
- Sur la marque emblématique de la fast fashion (Bon Pote) : « Shein, la marque d’ultra fast fashion qui envahit le monde »
- Sur des entreprises alternatives (Reporterre) : “Ces marques de vêtements qui refusent la fast fashion”
- Sur des dérives de la seconde main (Usbek&Rika) : “Fripes : « La seconde main marche de pair avec la fast fashion »
D’emblée, la conversation s’engage sur les pratiques vestimentaires qu’on garde par habitude, sans se rendre compte qu’elles sont aberrantes. « On connaît toutes des personnes qui sont motivées pour agir en faveur de l’environnement, mais à côté, elles se commandent des vêtements sur Shein ‘parce que ce n’est pas cher’ », dit Virginie. « Il y en a encore qui disent qu’en seconde main, il n’y a pas de choix, et puis ça a déjà été porté, ça peut être sale… Pourtant les friperies et ressourceries ont beaucoup évolué », répond Marie en écho. « C’est vrai que Vinted ou même Etsy, ce n’est pas si vertueux. ça peut poser des questions parce que ça incite aussi à surconsommer… », s’interroge l’une. « L’acte de s’habiller, c’est tellement quotidien, ça touche à l’identité, ça marque l’appartenance à un groupe… »
« L’acte de s’habiller, c’est tellement quotidien, ça touche à l’identité, ça marque l’appartenance à un groupe… »
Marie et Virginie
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Virginie et Marie sont toutes deux amoureuses des vêtements, mais chacune à sa manière. L’une en professionnelle, l’autre en passionnée. Chacune a évolué jusqu’à une prise de conscience des problématiques monumentales que pose l’industrie de la mode pour l’environnement. Chacune de son côté, puis ensemble, elles ont eu envie de sensibiliser leur entourage proche ou lointain. Habitantes du beau village de Montaigut-le-Blanc, elles y préparent la première édition d’un festival joliment intitulé « Des habits et vous », annoncé pour le 25 mai prochain.
Le cadre dans lequel elles me racontent leur expérience est dans le ton : l’atelier de Virginie, tout en haut du village – pierres apparentes, chaleur du poêle à bois, table de campagne et des piles de textile, des mannequins élégamment habillés, des cintres chargés de vêtements..
De la création à la re-création
Pour les Clermontois – et surtout les Clermontoises – le nom de Virginie Sauvadet évoquera peut-être les belles devantures de l’atelier de création de robes de mariée, qu’elle a tenu pendant une vingtaine d’années. Formée à la haute couture, elle n’a pas choisi par hasard ce créneau : « la couture pour moi, c’est le moyen, dit-elle. Ce qui m’intéresse, c’est la relation. La robe de mariée est créée pour un moment très spécial ; elle nécessite de discuter longuement avec la cliente, de la revoir plusieurs fois. Certaines sont même devenues des amies ! »
“La robe qu’on ne porte qu’une seule fois, c’est une démarche de consommation que j’appréciais de moins en moins. »
Virginie
Au fil du temps, elle a commencé à apprécier que les clientes arrivent avec la robe de leur mère ou de leur sœur, pour la faire transformer. « La base est déjà là mais il faut être créatif. Mon intérêt s’est porté de plus en plus vers la re-création. La robe qu’on ne porte qu’une seule fois, c’est une démarche de consommation que j’appréciais de moins en moins », dit la styliste qui avoue s’habiller volontiers en friperie, porter des habits qui ont une histoire, échanger des vêtements en famille. Plus jeune, elle a beaucoup porté les vestes de son père et aujourd’hui, c’est une veste de son grand-père qu’elle projette de métamorphoser en robe.
Parallèlement depuis quelques années, Virginie enseigne le design de mode à l’ESDAC à Clermont. Ce contact avec les étudiantes (eh oui, ça reste surtout une affaire de filles…) a aussi contribué à son évolution : entre autres, elle enseigne le fonctionnement de l’industrie de l’habillement avec le développement des marques, le déversement d’images publicitaires, l’exploitation des ouvrières notamment en Asie, le greenwashing… « Un monde dominé par le marketing et par l’argent », observe-t-elle. Mais elle se désespère à voir ses élèves, à la sortie de tels cours, se vanter d’un petit haut déniché sur les sites de fast fashion. « Elles se justifient par le fait qu’étant étudiantes, elles ont peu de moyens. Alors qu’il y a d’autres manières de faire… mais il faut les montrer », poursuit Virginie.
Retour au village
La suite logique aboutit au festival de mai prochain. Mais elle passe par le retour à Montaigut – « Mon village de cœur », dit-elle – où elle a rouvert il y a deux ans un atelier de couture, qui reste cependant un peu en sommeil pour l’instant. Car les cours à l’École de design l’accaparent. Le projet avec Marie s’y ajoute. Ainsi que d’autres engagements bénévoles dans ce village dont elle apprécie l’esprit chaleureux et la belle énergie.
« Je suis dans une période de transition et d’expérimentation.”
Virginie
Tout de même, à la belle saison, elle ouvre chaque week-end les portes de sa grande pièce où s’entassent tissus et modèles, et surtout sa grande terrasse ensoleillée, en mode café-couture. Salon de thé, papotages, travaux d’aiguilles, ateliers dirigés pour débutants ou pour des techniques de couture plus pointues… Virginie y recrée l’esprit de partage et de convivialité qui l’animait dès ses premières créations pour les mariages. « Je suis dans une période de transition et d’expérimentation, avec l’envie de prendre le temps d’observer ce qui fonctionne, ce qui donne envie de venir », souligne-t-elle.
Ce qui lui permet aussi de consacrer du temps à la préparation d’un festival autour des questions vestimentaires. Pour cela, il a fallu qu’entretemps, elle fasse la connaissance de Marie. Et qu’elles constatent ensemble à quel point elles étaient « sur la même longueur d’onde », bien que venant de deux univers très différents.
Pour aller plus loin : « Flax aiguille les gens vers la capacité à coudre, s’habiller, créer… et s’intégrer »
Fringues, fripes et fantaisie
Car Marie, elle, est aide-soignante. Creusoise issue d’une famille métissée qui « n’avait pas trop de moyens et cultivait des valeurs autour du social et du partage », elle se souvient avoir « toujours eu un truc avec les fringues » : « ma mère avait des placards remplis de vêtements et avec ma sœur, on y puisait pour se déguiser, faire des spectacles. On se faisait des robes de soirée en enfilant des taies de traversin. Et on chinait, on allait dans les friperies d’Emmaüs, de la Croix Rouge. En grandissant, j’ai beaucoup fait des échanges de fringues avec les copines, organisé des vide-dressings, écumé les puces… J’étais dans la surconsommation en seconde main. Et c’est toujours un peu le cas ! », ironise-t-elle.
“J’étais dans la surconsommation en seconde main. Et c’est toujours un peu le cas ! »
Marie
De là à créer une friperie de façon professionnelle, il n’y a qu’un pas… que Marie n’a pas complètement franchi, mais a amorcé. « Ça fait sept ans que l’idée me trotte dans la tête. J’ai une grange remplie de vêtements. J’ai même suivi un programme d’incubation l’an dernier à CoCoShaker », indique-t-elle.
C’était au moment où elle a quitté l’Ehpad de Champeix où elle travaillait, harassée par la surcharge de travail, mais avant de trouver une nouvelle place d’aide-soignante à domicile, dans des conditions beaucoup plus satisfaisantes.
Quand Mamie défile
Tout de même à Champeix, son expérience à l’Ehpad l’a amenée à rapprocher sa passion des vêtements et son travail. « Je passais du temps à habiller les résidents, à constater leurs difficultés à s’habiller, à voir ce qu’ils avaient dans leur placard – ou n’avaient pas. Je voyais comment on les tenait à l’écart : les familles qui viennent peu les voir, tout ce qu’on ne va plus leur faire faire… Alors qu’ils sont tellement vivants et ont tant de choses à partager ! J’ai eu envie de faire quelque chose avec les fringues et de mettre ces dames en valeur », raconte-t-elle.
“J’ai eu envie de faire quelque chose avec les fringues et de mettre ces dames en valeur. »
Marie
Avec l’énergie qui l’anime, un peu de folie, et peu de contacts car elle n’est dans la région que depuis quelques années, elle parvient à lancer un rallye couture. Vous ne connaissez pas le concept ? Il s’agit de trouver des volontaires, couturières amateures, se présentant par deux. Chaque binôme a une journée pour confectionner une tenue à la personne – en l’occurrence résidente de l’Ehpad – qui lui est attribuée. Et la journée se conclut par un défilé. « On l’a fait il y a deux ans, à l’occasion de la Fête dans la ville. J’ai réussi à trouver quelques binômes et à convaincre cinq dames de l’Ehpad de participer. Les résidentes ont a-do-ré ! L’une a défilé en fauteuil, d’autres appuyées sur leur canne, avec un beau jeune homme pour leur tenir le bras. Elles étaient superbes… »
De là est née l’association Des Fils et des Corps. Il y a eu ensuite un vide-dressing, puis un nouveau défilé avec une formule un peu différente. Marie s’étant installée il y a deux ans à Montaigut-le-Blanc, elle y a évidemment organisé un autre vide-dressing, où Virginie a aidé à ranger. « Et puis une de mes filles a voulu apprendre la couture alors je suis montée voir Virginie dans son atelier pour savoir ce qu’elle proposait. La conversation qui devait durer dix minutes a duré deux heures ! »
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Chiche !
A partir de là, l’histoire se raconte à deux voix. « Nous avions beaucoup d’envies communes avec Virginie. Je souhaitais refaire quelque chose de plus important à Montaigut, mais je ne me sentais pas le faire seule. A deux, ça paraissait faisable. Nous avons dit ‘chiche’ ! », dit Marie. « Nous avions en commun le partage, la démarche de proximité, le développement durable… », ajoute Virginie. « Et des valeurs de fond : l’inclusion, le besoin d’être cohérentes », complète Marie.
L’événement qu’elles imaginent se veut à la fois haut-de-gamme sur la qualité des artisans et décontracté, ouvert à tous côté public. C’est Virginie qui insiste sur cette exigence : « En tant qu’artisan, on doit toujours justifier nos prix. Ce sera l’occasion de montrer les savoir-faire professionnels, le fait que la qualité et la durabilité des produits artisanaux, cela prend du temps, par contraste avec la fabrication industrielle. Nous voulons prôner une autre façon de consommer : on peut s’offrir un vêtement haut-de-gamme qui durera longtemps, et à côté, compléter sa garde-robe à bon marché en friperie. »
“Nous voulons prôner une autre façon de consommer.”
Virginie
Pour autant, il ne s’agit pas de faire la leçon, insiste Marie : « Nous voulons sensibiliser sans faire la morale, en soulignant que chacun fait ce qu’il peut, se questionne à son rythme, mais en faisant comprendre les enjeux. Il s’agit aussi de montrer les alternatives, dans un esprit ludique. »
Des enfants créatifs et concernés
C’est ainsi qu’elles ont embarqué les enfants des écoles primaire et maternelle dans la préparation d’une exposition tout en chiffon, chaque classe ayant travaillé sur une thématique. En deux ou trois séances selon les niveaux, elles ont amené les enfants à réfléchir à ce qu’ils savaient et ce qu’ils pratiquaient en termes d’habillement, puis à créer à partir de vêtements et tissus des personnages, marionnettes, dragons ou, pour les plus grands, un grand « attrape-rêves », qui seront exposés dans le festival.
« C’est drôle de voir comment déjà, les enfants ont intégré des pratiques qui leur viennent de leurs parents.”
Virginie et Marie
Ce premier pas dans leur aventure commune a déjà été pour elles riche d’enseignement : « c’est drôle de voir comment déjà, les enfants ont intégré des pratiques qui leur viennent de leurs parents : certains affirment qu’il faut changer de vêtements tous les jours et d’autres pas ; certains ont témoigné qu’ils avaient des placards remplis de vêtements mais n’en utilisaient qu’une très petite partie. Nous nous sommes rendu compte que beaucoup sont déjà au courant des bonnes pratiques à adopter : donner des vêtements, les recoudre, les faire durer… mais qu’en général, tout cela n’est pas appliqué dans leurs familles », disent-elles.
Elles relatent que les plus grands ont été marqués par la découverte que leurs habits contenaient du plastique, rejeté dans l’eau à chaque machine. Elles ont aussi décrypté avec eux les étiquettes des vêtements qu’ils portaient – « pas un seul ne provenait de France ». Les CE1 et CE2 les ont particulièrement étonnées : « je ne m’attendais pas à ce qu’ils soient aussi motivés, s’enthousiasme Marie. Ils ont compris beaucoup de choses, se sont montrés très spontanés et ont été particulièrement créatifs pour confectionner leurs personnages, à partir du moment où on leur a dit que c’était un peu comme faire un bonhomme de neige ! »
Un rendez-vous convivial
Ce côté ludique se retrouvera dans le festival du 25 mai. On y trouvera par exemple un photobooth dans la friperie, pour que les visiteurs s’amusent à se créer un look et puissent en garder une trace photographique. Des conteurs pour partager des histoires d’habillement. Une sieste musicale et un apéro festif. Un concert, des expositions et animations, des ateliers pour s’initier à des savoir-faire. Et un village d’artisans locaux permettant de découvrir la diversité des métiers : tissage, couture, sérigraphie, une relieuse de livres qui réalise des broderies avec les chutes de ses reliures ou une créatrice de sous-vêtements en matériaux recyclés…
« L’ultra fast fashion est présente partout et le problème concerne aussi nos villages. »
Virginie
On sent dans ce programme, qui comporte encore bien d’autres surprises, toute la philosophie de ses deux créatrices : faire réfléchir, engager le débat, participer à la prise de conscience sur des questions de société importantes à leurs yeux et que l’on peut élargir à partir de ce sujet vestimentaire. Mais dans un climat convivial, ludique et apaisé. Et d’abord à l’intention des gens du coin, parce que « les initiatives dans les villes sont plus visibles, mais l’ultra fast fashion est présente partout et le problème concerne aussi nos villages. »
Reportage Marie-Pierre Demarty réalisé le 11 mars 2024. Photo à la une Marie-Pierre Demarty : Marie et Virginie durant notre entretien, dans l’atelier de Virginie à Montaigut-le-Blanc.
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