Le pourquoi et le comment [cliquer pour dérouler]
Suite de notre exploration des cantines et de la restauration collective du côté d’Ambert.
Encore un projet bien intéressant pour plus d’une raison : le volontarisme d’une communauté de communes pour aider des établissements qui ne sont même pas de sa compétence (mais quand on veut, on peut !) ; l’intelligence d’orienter le projet en fonction des besoins, contraintes et demandes du “terrain” plutôt que d’imposer d’en haut un cadre défini au départ ; l’intention d’être dans la cohérence à l’échelle du territoire, avec de la mutualisation, de la rencontre, de l’échange, de l’écoute, et cela aussi bien géographiquement qu’entre partenaires et métiers ; et enfin la collaboration entre de multiples structures pour animer le projet avec les bonnes compétences au bon endroit.
Sans oublier les ingrédients indispensables pour l’assaisonnement : convivialité, gourmandise, bonne humeur…
Appétissant, non ?
Marie-Pierre
« »
Un morceau de Forez, un morceau de Livradois et la petite Limagne qui les séparent, soit 58 communes et 28 000 habitants forment le territoire de la communauté de communes d’Ambert Livradois Forez. On y recense 70 établissements scolaires, quelques Ehpad et un centre hospitalier, qui ont en commun de servir des repas à leurs usagers. Beaucoup de repas : plus précisément 1,5 million par an sur ce territoire vaste et montagneux.
En commun certes, mais avec de fortes disparités, car les convives peuvent avoir entre deux ans et pas loin de cent. La petite école de Doranges fait déjeuner 12 enfants, tandis que l’hôpital d’Ambert sert chaque jour 950 repas.
“C’est vraiment la loi Egalim qui a été le déclencheur.”
Marie-Laure Labouré, Ambert Livradois Forez
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A tout ce beau monde, et surtout aux cuisiniers et cuisinières, sont venues ces dernières années s’imposer les lois Egalim et Agec. Pour les résumer sommairement : 50% de produits « durables ou de qualité » et plus de végétal au menu ; sensibilisation des usagers et convives ; lutte contre le gaspillage alimentaire. Un gros morceau à avaler pour les petits et grands établissements, encore plus si l’on ajoute les formalités de déclaration qui accompagnent cette nouvelle règlementation.
Multiformes et cohérent
Pour la communauté de communes ambertoise, cela imposait de s’impliquer pour faire progresser les équipes, et encore plus les cuisiniers isolés dans les petites écoles. « Nous avions déjà mené il y a une dizaine d’années un travail de sensibilisation sur le gaspillage alimentaire pour les Ehpad, mais c’est vraiment la loi Egalim qui a été le déclencheur de cette action », explique Marie-Laure Labouré, responsable du service agriculture et forêt de la communauté de communes, qui a piloté le projet avec sa collègue Marie Chizelle, responsable projet biodéchets.
Car l’opération a (entre autres) ceci de remarquable que la communauté de communes n’a en charge aucun des établissements concernés, qui relèvent principalement des communes et du département. Mais son territoire paraissait l’échelle appropriée pour aborder ce sujet, où il sera question de mutualisation, de logistique, de partages d’expérience, de formation… « Nous sommes entrés dans le sujet par le biais de notre compétence économique, car il y a aussi un enjeu important pour les producteurs locaux, et de notre compétence de ramassage des déchets », explique Marie-Laure.
« Nous avons voulu aborder tous les aspects en même temps.”
Marie-Laure Labouré, Ambert Livradois Forez
Le projet en question, lancé au printemps 2022, a été baptisé « A table ! Mangeons bien, jetons moins » : une formule concentrée pour résumer un projet au formes et ramifications multiples, à l’image de la loi Egalim. « Nous avons voulu aborder tous les aspects en même temps. Ce n’est peut-être pas le plus efficace, mais ça apportait une cohérence », précise encore Marie-Laure Labouré.
Être dans les clous
Financé pour deux ans, ce projet a concerné 25 établissements volontaires. Il s’est clôturé la semaine dernière par une soirée de présentation de son bilan. Clôture provisoire, car il a été annoncé à cette occasion que l’opération avait obtenu les financements pour la poursuivre.
Côté cuisine, les professionnels ont été accompagnés individuellement pour mieux comprendre et respecter les obligations de la loi Egalim, s’organiser dans les commandes, la préparation des repas, le suivi, le remplissage des formulaires… A cet accompagnement individuel – qui a commencé par un diagnostic de leurs pratiques – se sont ajoutés des formations collectives, pour se perfectionner sur le fait-maison à partir de produits bruts et – encore plus nécessaire – sur la préparation de plats végétariens.
“Tous les établissements sont équipés pour le tri des biodéchets. Mais l’effort est à poursuivre.”
Hélène Cadiou, Bio 63
L’objectif était, comme l’explique Marie-Laure Labouré, de « les aider à être dans les clous de la loi Egalim ».
Leurs enjeux, on en a vu un certain nombre dans le précédent article : difficulté à trouver les bons fournisseurs à des prix abordables, surtout dans ce « bout du monde » qu’est Ambert pour les commandes modestes des petites écoles ; volet administratif d’autant plus complexe qu’il se base sur les factures des fournisseurs, lesquelles ne passent souvent pas par les cuisines et sont envoyées directement dans les mairies ; cuisiniers souvent multitâches qui doivent ajouter encore une couche de travail chronophage pour remplir leurs obligations, sans parler de la connaissance de la règlementation, des savoir-faire nouveaux qui viennent bousculer des habitudes bien ancrées…
Autant dire que l’accompagnement n’était pas superflu. Sauf peut-être sur l’aspect gaspillage alimentaire : « il est moins important dans les petites cantines d’ici qu’au niveau national, car les personnels sont déjà sensibilisés, et tous les établissements sont équipés pour le tri des biodéchets. Mais l’effort est à poursuivre », souligne Hélène Cadiou, de Bio 63, qui a assuré l’accompagnement.
Embuches et réussites
Au bilan, celle-ci relève qu’entre les deux années d’expérimentation, le suivi des produits a été plus rigoureux, et que « certains ont complètement modifié la liste de leurs fournisseurs pour avoir des produits bio ».
« Certains ont complètement modifié la liste de leurs fournisseurs.”
Hélène Cadiou, Bio 63
Parmi les 25 établissements accompagnés, 9 sont allés jusqu’à remplir, sur les deux années, la télédéclaration de leurs pourcentages de produits durables. Par rapport à l’objectif de 50% de ces « bons produits », la moyenne de ces 9 établissements était à 29% en 2022 et 37% en 2023. Une belle progression mais manifestement pas encore suffisante. Par contre, l’objectif des 20% de bio semble plus facile à atteindre, puisque la moyenne était déjà à 20% en 2022 et à 26% en 2023.
Lors de la soirée de présentation du bilan, des prix ont été décernés aux cuisiniers et aux communes les plus méritants dans ce programme et ils reflétaient assez bien les freins et difficultés auxquels se heurtent la restauration scolaire. Citons par exemple la cuisinière mise à l’honneur pour avoir « utilisé pour la première fois de sa vie un tableau excel afin de remplir sa télédéclaration » ; ou un binôme cuisinière-secrétaire de mairie pour leur collaboration afin de pointer dans les factures les produits pris en compte dans les obligations Egalim ; ou encore – anecdote révélatrice – ce cuisinier volontaire pour se former à la cuisine végétarienne alors qu’il n’aime pas les légumes ! Quant à Virginie, notre cuisinière de Job, et ses collègues de Marat et Vertolaye, elles ont été distinguées pour leurs initiatives de commandes groupées. Chaque effort ou idée de solutions inventives a été ainsi encouragé, et a pu aussi inspirer les collègues…
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Quelle production locale ?
Mais pour que le projet ait, comme l’a souhaité la communauté de communes, une véritable cohérence, il fallait aussi qu’il sorte des cuisines. Et même par les deux portes : celle par où les commandes arrivent et celle qui ouvre sur le réfectoire.
Côté commandes, l’idée était de favoriser le local, et d’abord les petits producteurs du territoire d’Ambert Livradois Forez. Là aussi, le « chantier » a commencé par un diagnostic, réalisé par le bureau d’étude SCE.
L’étude a porté d’abord sur les capacités des producteurs, d’où il ressort sans surprise que le territoire est « largement suffisant » en produits laitiers et à peine moins en viande, mais très déficitaire en fruits et légumes, céréales, œufs, volailles. Sur les 600 exploitations agricoles locales, elle relève la prédominance de petites exploitations, avec comme partout des phénomènes de vieillissement et de concentration, et des difficultés à trouver, former et garder la main d’œuvre, mais aussi, indique Axelle Garand, représentante du cabinet d’étude, « beaucoup de signes de qualité, ce qui permet de rentrer ‘facilement’ dans la loi Egalim”.
« L’agriculture locale présente beaucoup de signes de qualité, ce qui permet de rentrer ‘facilement’ dans la loi Egalim.”
Axelle Garand, cabinet SCE
Elle relève également des enjeux communs aux différentes filières : la logistique et la planification, les difficultés administratives, par exemple pour répondre à des appels d’offres, l’impossibilité de s’engager à fournir des volumes importants. Pour des petits producteurs, isolément, les contraintes du marché de la restauration collective semblent insurmontables.
A l’écoute des agriculteurs
De ce diagnostic a découlé la phase suivante : celle de la mobilisation des agriculteurs. « Nous nous sommes appuyés sur les constats des agriculteurs, en nous efforçant de répondre à leurs questions. Par exemple, nous n’avions pas imaginé que le besoin de mise en relation des producteurs et des cuisiniers serait si important. Car les contraintes de chacun devaient être mieux identifiées par ses partenaires », souligne Marie-Laure Labouré. Comment livrer en temps, en heure et surtout en quantité suffisante ? Comment répondre au marché des cantines qui s’interrompent en été, au plus fort de la saison de production ? Comment faire connaître ses produits…
“Nous n’avions pas imaginé que le besoin de mise en relation des producteurs et des cuisiniers serait si important.”
Marie-Laure Labouré
Le projet « A table ! » a tenté d’y répondre par des formations, des rencontres avec les donneurs d’ordre, des présentations d’outils tels qu’Agrilocal 63, et même la création d’un annuaire des producteurs pour faciliter la mise en relation.
Autre volet confié à SCE : une esquisse d’étude sur le potentiel du foncier sur le territoire, qui reste à dégrossir mais permet au moins d’éveiller l’attention des élus locaux, pour favoriser des installations.
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Éducation gourmande
Dernière porte que le projet se proposait d’ouvrir : celle de la sensibilisation des convives de tous âges, et notamment des enfants. “L’idée, c’est que les convives peuvent trouver très bon ce qu’ils mangent mais à partir de là, comment les sensibiliser à ce qui est durable ?”, résume Annaïg Pensec, représentant l’association Sur les Pas de Gaspard qui a porté ces animations. Les projets ont fleuri dans les écoles : création de jardins, rencontres en cuisine, plantation d’arbres, visite de fermes, projets de compostage, fabrication de pâtes, de sorbets ou de jus de pomme… Les témoignages issus de ces animations ont permis de comprendre tout le bénéfice d’éduquer très tôt les enfants au goût, à la qualité des produits, à la façon dont ils sont produits.
On a vu ainsi des enfants découvrir que les vaches noires ne produisent pas du lait noir ou que les fruits ne se trouvent pas que dans la compote ; un chef de restaurant recevoir pour la première fois des enfants de maternelle dans sa cuisine ; des grands d’école primaire interroger les producteurs sur le marché d’Ambert ; une école instaurer une collation quotidienne à base de fruits frais… « Ça a changé beaucoup de choses dans la tête des enfants », concluait l’institutrice de l’école « Les Copains » d’Ambert.
On passera plus vite sur le volet communication, qui a permis entre autres de créer des affiches pédagogiques à destination des réfectoires, ou une petite vidéo explicative du projet que Marie-Laure Labouré conclut avec optimisme : « nous avons tous les ingrédients sur notre territoire pour tendre vers une restauration collective exemplaire. » Dont acte…
Aller plus loin
Elle a aussi annoncé au cours de la soirée de présentation du projet les nombreuses pistes pour poursuivre celui-ci dans une nouvelle « tranche » de financement.
Citons-les en vrac : prolongement de l’accompagnement des cuisiniers qui en ont encore besoin, inclusion de nouveaux restaurants scolaires dans le programme, encouragement des binômes avec les secrétaires de mairie ou des commandes groupées. « Nous voulons vraiment lancer une animation de réseau entre les cuisiniers, fédérer, lancer le ‘menu commun’ avec des produits locaux », précise Marie-Laure.
“Nous voulons vraiment lancer une animation de réseau entre les cuisiniers. »
Marie-Laure Labouré
Elle annonce même des discussions en cours sur un projet porté par Auvergne Bio Distribution, « pour tenter un petit lieu de stockage qui serait un début de plateforme de distribution, en associant les producteurs locaux, pour faciliter la logistique. Mais il faut qu’on ait suffisamment d’offre et de demande. Nous avons des financements pour une période de test. On essaie… », avance-t-elle avec prudence.
Voilà qui va au moins dans le sens des vœux de Virginie Vial, et sans doute de la plupart des participants au projet, en cuisine comme dans les fermes. Et donc dans le sens de l’opération « A Table ! », dont Marie-Laure Labouré expliquait aussi : « notre leitmotiv depuis le début est vraiment de répondre aux besoins. »
Reportage (texte et photos) Marie-Pierre Demarty, réalisé le mardi 26 mars 2024. Photo à la une : les cuisiniers et représentants des communes distingués (et applaudis) pour leur motivation et leurs initiatives dans le cadre du projet “A table !”
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