Le pourquoi et le comment [cliquer pour dérouler]
Préservation de la biodiversité, amélioration de la qualité des eaux, changement des pratiques et même un peu plus de facilité pour les agents des espaces verts municipaux et une mission bien adaptée pour les travailleurs d’un Esat. Que demander de plus ?
Peut-être un effort de la Région pour prolonger le financement de l’opération…
A tous les arguments avancés dans ce reportage, j’ajouterais la belle collaboration d’une multiplicité d’acteurs, y compris les habitants, sur ce petit territoire hétéroclite qui manque d’identité. Peut-être ce fleurissement original contribuera-t-il à en créer une…
Marie-Pierre
Mais comment le SMVVA a pu en arriver à distribuer des graines de fleurs ? Ce syndicat mixte qui couvre le territoire de Mond’Arverne Communauté et quelques communes supplémentaires n’a pourtant que deux compétences : l’assainissement et la gestion des milieux aquatiques. A priori rien à voir avec les coquelicots…
« Au début, il s’agissait de prendre en charge la problématique de la pollution des cours d’eau par les phytosanitaires, explique Béatrice Malherbe, chargée de mission, qui pilote l’opération depuis ces lointains prémices. En ce sens, nous avons été précurseurs dès 2012, en collaboration avec la Fredon, pour engager les communes dans le zéro phyto. C’était bien avant qu’elles aient des obligations. Mais les premières communes qui en ont pris l’initiative se sont heurtées à des protestations : les gens trouvaient que ça faisait sale ! »
“Les gens trouvaient que ça faisait sale ! »
Béatrice Malherbe
La question s’est donc posée de rechercher le moyen de sensibiliser les habitants à l’intérêt de l’herbe en ville.
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Collaborations multiples
C’est l’animateur de la Fredon qui a parlé à Béatrice d’une initiative de distribution de graines. Elle a alors creusé le sujet et consulté divers organismes où elle a trouvé intérêt et bons conseils : la Fredon, mais aussi le Conservatoire botanique national du Massif central ou la Dreal. L’idée initiale était d’acheter les graines, mais les uns et les autres l’ont mise en garde : sur les risques d’introduire des espèces invasives, ou de favoriser des croisements génétiques avec des essences locales.
Mais elle a tout de même testé le processus, pendant deux ans, en utilisant des graines achetées et emballées avec la complicité de l’Esat de Saint-Sandoux.
“Les communes me les réclament […] et les habitants sont très enthousiastes. »
Béatrice Malherbe
L’expérience a été porteuse, mais demandait des perfectionnements. « Les partenaires se sont tous emballés pour ce petit projet, mais ils faisaient remarquer que ce serait mieux de le faire nous-mêmes et d’ailleurs, l’achat de graines revenait cher, poursuit-elle. Mais il fallait trouver la structure pour la produire car l’Esat de Saint-Sandoux n’a pas souhaité se lancer. Celui des Cardamines à Veyre-Monton était volontaire mais ne savait pas faire. Nous nous sommes rapprochés de Pierre Feltz, qui voulait bien expérimenter mais pas produire. Le Conservatoire botanique s’est impliqué davantage : d’abord pour réaliser un inventaire de la flore sauvage du territoire, puis pour récolter les graines, car il est seul autorisé à recueillir dans la nature des graines d’espèces protégées. »
En quelques années, le puzzle du projet s’était mis en place. La première distribution a eu lieu en 2017. D’abord dans quelques communes volontaires, puis peu à peu, tout le territoire a suivi. Et les habitants avec. « Maintenant, les communes me les réclament, me demandent en début d’année quand l’opération va commencer, et les habitants sont très enthousiastes », se réjouit Béatrice.
Pour découvrir une autre belle réalisation du SMVVA, lire aussi : « Le lac d’Aydat arbore pavillon bleu : remerciez la zone humide et le SMVVA »
Sept mille sachets
Pour résumer l’opération en quelques chiffres, ce sont 28 espèces distribuées cette année et 4 mélanges, mais une quarantaine de plantes testées au fil des années ; 7 000 sachets distribués annuellement aux habitants, auxquels s’ajoutent des lots plus importants à l’usage des jardiniers municipaux ; un coût de 25 000 euros par an pour rémunérer chaque maillon de la production, de la récolte, du tri, de l’emballage, de la coordination et de la communication…
Financement pas si facile à préserver, car initialement, il était assuré par l’Agence de l’eau et le Département, mais avec la loi Labbé de 2017 rendant obligatoire le zéro phyto pour les communes, ces subventions incitatives n’ont plus été possibles. Un financement du programme européen Leader, via le groupe d’action local du Val d’Allier, a pris le relais. « Mais ce financement va s’arrêter, car la région a décidé qu’il n’y aurait plus qu’un groupe Leader par département et ce projet ne sera pas prioritaire », déplore Béatrice. Pour l’année à venir, le financement a été sécurisé à l’initiative des communes adhérentes, mais il faudra trouver de nouvelles pistes pour le pérenniser.
Pourtant l’action a tout pour plaire. Elle se décompose en différentes étapes, où chaque partenaire joue sa partition.
Intervenant en premier, le Conservatoire botanique du Massif central, donc, prélève des graines dans la nature. Grâce à l’inventaire initial, les plantes les plus intéressantes sont repérées : autochtones, intéressantes pour leur esthétique et pour les pollinisateurs, éventuellement en voie de raréfaction. Dans cette zone principalement située en Limagne, les fleurs messicoles (qui se plaisent en association avec les céréales) ont été privilégiées, comme par exemple les coquelicots – les préférés du public ! – la nielle des blés ou la matricaire inodore, car les cultures conventionnelles constituent des menaces pour ces espèces. « Le Conservatoire trouve les graines aux abords des champs cultivés en bio », précise Béatrice Malherbe. D’autres espèces complètent la gamme, avec de nouvelles venues chaque année.
Pour une autre approche locale de la culture des fleurs, lire aussi : « Des couleurs locales pour les fleurs de Suzanne »
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Un laboratoire
Formateur en compostage et en jardinage au naturel, Pierre Feltz s’est intégré au projet pour expérimenter la mise en culture de ces graines, dans son jardin d’Yronde-et-Buron. Une étape nécessaire pour la réussite des suivantes. « C’est un petit laboratoire de l’itinéraire cultural de ces plantes, dont certaines n’ont jamais été cultivées, explique-t-il. C’est très différent des fleurs cultivées, qui ont été sélectionnées pour aboutir à des capacités germinatives fortes. Avec les sauvages, les conditions de germination peuvent être beaucoup plus faibles, aléatoires ou particulières. Je peux avoir des résultats pauvres, ou des échecs qui ont contraint à abandonner certaines espèces. Il faut aussi que ce soit facile pour les jardiniers… »
“On va vers des manières de faire plus naturelles, mais qui demandent aussi moins de travail.”
Pierre Feltz
L’attrait des fleurs proposées est primordial pour le succès de l’opération, car celle-ci suppose un changement d’attitude pour les amateurs habitués à cultiver les soucis, œillets d’Inde ou pétunias des jardineries. « Par exemple, les graines ne s’enterrent pas, se sèment dans un sol qui n’est ni travaillé, ni enrichi. On peut aussi être dérouté car les plantes sauvages ont une période de floraison plus courte, qu’il faut accepter. Certaines ne vont jamais germer et au contraire, le chardon-marie, très beau, ne plaît pas car il pique et devient vite envahissant. »
Pierre remplit ce rôle avec enthousiasme et curiosité : « C’est comme une pochette surprise qu’on me donne chaque année. Je découvre et j’observe les plantes, leur floraison, leur capacité à attirer les insectes. Ce qui m’amuse, c’est de voir la stratégie de chacune pour diffuser ses graines. L’an dernier, je me suis laissé complètement avoir par une fleur dont les graines sont tombées très vite après la floraison, sans que j’ai eu le temps de les recueillir. D’autres au contraire prennent tout leur temps. J’aime aussi participer au changement de regard du jardinier : on va vers des manières de faire plus naturelles, mais qui demandent aussi moins de travail. Pour cela, j’aime particulièrement les vivaces. »
Il transmet chaque année une sorte de mode d’emploi pour la culture, la récolte et le tri des graines. Il opère aussi une première multiplication de ces dernières, pour que l’Esat des Cardamines procède à la culture en quantité assez importante pour fournir le territoire.
Lire aussi le portrait : « Pierre Feltz, maître jardinier-composteur »
Presque magique
L’Esat emploie à cette activité dix-sept personnes en situation de handicap et fait pousser ces graines sur une surface d’environ 5000 m². « C’est une activité supplémentaire qui s’ajoute à la partie horticulture-maraîchage et nous occupe bien, que ce soit pour les semis, le désherbage, la récolte, le tri. Elle a l’avantage de nous occuper aussi dans la morte saison, vers novembre-décembre, avec le tri des graines. Cela peut s’avérer un peu trop répétitif à nos travailleurs, mais ils peuvent le faire à leur rythme, dans ce temps perdu », explique Fabrice Vizade, responsable de l’équipe horticulture de l’Esat, qui s’est particulièrement impliqué pour ce projet. “J’aime bien l’idée qu’il nous permette aussi de redécouvrir et d’identifier des fleurs sauvages auxquelles on ne prêtait plus attention”, relève-t-il.
“Elle a l’avantage de nous occuper aussi dans la morte saison, vers novembre-décembre, avec le tri des graines.”
Fabrice Vizade
Béatrice Malherbe apprécie aussi cette collaboration : « C’est une belle rencontre, presque magique, et qui va de soi car nous n’avons pas d’exigences fortes sur la qualité des cultures ou sur la réussite de la production, et ça leur convient bien. C’est positif pour tout le monde. »
Elle s’émerveille ainsi d’avoir vu l’Esat « se débrouiller pour trouver une solution de tri, sans avoir à acquérir une machine qui coûte très cher : ils ont rencontré la société Agri-Obtentions, une filiale de l’Inrae qui produit des semences, qui a accepté de leur mettre une machine à disposition ponctuellement chaque année.”
Une fois les graines récoltées et mises en sachet, le SMVVA centralise les commandes des communes, à qui il passe le relais pour la distribution. Béatrice leur a facilité la tâche en créant toute une panoplie de documentation : prospectus, affiches, petites pancartes pour que les habitants puissent faire valoir leur participation, et même de belles boîtes-présentoirs en bois pour transporter leur collection.
Ensuite, chaque commune prend en charge la transmission aux habitants : celle des graines, mais aussi, quand elles le peuvent et le souhaitent, des conseils pour choisir et apprivoiser ces plantes sauvages. Certaines profitent d’événements comme des journées de l’environnement ou des trocs de plantes, ou tiennent des permanences en mairie.
Multiples vertus
Quant aux habitants, ils jouent leur rôle avec de plus en plus d’enthousiasme, et d’autant plus facilement que la distribution est gratuite. Que font-ils de ces graines ? « On préconise de les semer en pied de mur, le long des trottoirs ou sur les petits délaissés. Mais il n’y a pas d’exigence particulière », précise Béatrice Malherbe.
Elle se satisfait de voir la population redécouvrir ce patrimoine végétal local que l’on considère de moins en moins comme des « mauvaises herbes », et contribuer à la préservation de la biodiversité. Elle reconnaît que l’opération, même éloignée des missions premières du SMVVA, a surtout le grand mérite de faire connaître et apprécier la structure au grand public et de sensibiliser à la nécessité de préserver les milieux naturels.
“Cela demande un changement de regard et beaucoup de communication. Il faut ‘évangéliser’.”
Nadine Vallespi
Ce qui réjouit aussi Nadine Vallespi, vice-présidente pour la compétence gestion des milieux aquatiques : « L’opération a contribué très tôt à ce que les communes de Mond’Arverne diminuent fortement ou suppriment complètement les traitements phytosanitaires. C’est très important pour la qualité des eaux, mais c’est très chronophage pour les agents communaux et il a fallu changer les pratiques, moins désherber. Dans un premier temps, ça a été compliqué car les habitants ont eu du mal à l’accepter. Cela demande un changement de regard et beaucoup de communication. Il faut ‘évangéliser’. Et la distribution de graines de fleurs a largement aidé à faire mieux accepter qu’on voie des pissenlits ou d’autres herbes dans les fossés ou dans les parcs, plutôt qu’un gazon ras. »
Selon elle, la distribution n’est d’ailleurs pas si éloignée des missions premières du syndicat mixte. « En plus de changer le regard, ces semis contribuent à ce qu’il y ait moins de ruissellement et moins de détérioration des sols. Et ils nous permettent d’arrêter les plantations de géraniums ou ce type de fleurs qui consomment beaucoup d’eau », souligne-t-elle, assurant que le SMVVA « va faire son possible » pour maintenir, malgré les difficultés de financement, cette opération si bénéfique.
« En plus de changer le regard, ces semis contribuent à ce qu’il y ait moins de ruissellement et moins de détérioration des sols.”
Nadine Vallespi
Quant à Béatrice, elle ajoute le vœu qui était sous-jacent dans le financement Leader : « Ce serait bien que d’autres territoires s’emparent de l’idée, qui est censée être reproductible. » L’initiative est en effet rare, même si quelques métropoles comme Nantes, Lyon ou Nancy se sont lancées.
Pour l’heure, les habitants de Mond’Arverne peuvent encore aller réclamer leurs sachets de graines en mairie. Parmi les 28 variétés, ils pourront par exemple s’intéresser à la buplèvre à feuilles rondes qui se rapproche de la liste des espèces en danger, au miroir de vénus pas facile à faire germer mais dont la fleur mauve plaît beaucoup, à la dauphinelle consoude, nouvelle venue dans l’opération, au trèfle molinier, au jouet du vent, à l’aigremoine eupatoire, à la stellaire holostée…
Pour les coquelicots, dépêchez-vous. Ils partent très très vite !
Reportage Marie-Pierre Demarty, réalisé du 4 au 10 avril 2024. Photos Marie-Pierre Demarty, sauf indication contraire. A la une, photo Pierre Feltz : le “laboratoire” de son jardin à Yronde-et-Buron, où il observe et expérimente la culture des fleurs sauvages.
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