Le pourquoi et le comment [cliquer pour dérouler]
Cette fin de printemps hyper-pluvieux où tout est vert, fleuri et où les potagers commencent à offrir avec générosité le meilleur de leur production, j’ai une grande envie d’aller prendre l’air de la campagne. Me voilà partie pour rendre visite à quelques fermes… mais des fermes un peu spéciales quand même.
Avant d’aller plus loin, on commence par s’arrêter aux portes de Clermont, pour prendre des nouvelles d’un projet assez connu et comme on les aime à Tikographie : expérimental, participatif, nourricier, respectueux du vivant…
Cela fait un moment que je voulais aller voir où en est la ferme de Sarliève, mais le rendez-vous sollicité il y a quelques mois avait été repoussé, ce qui laissait planer dans l’atmosphère quelques inquiétudes quant à sa pérennité.
Les nouvelles de ce printemps se veulent rassurantes. Mais cela prouve une fois de plus qu’il n’est pas si simple de “faire autrement”, de partir collectivement en exploration de nouvelles voies pour habiter le monde. Mais que cela vaut la peine de persévérer.
“Vaut la peine” ? Peut-être est-ce même un impératif si on ne veut pas couler, même en beauté…
Marie-Pierre
Trois infos express [cliquer pour dérouler]
- La ferme de Sarliève expérimente un modèle agricole singulier, alliant polyculture nourricière, connexion aux publics urbains, efforts de renaturation et participation citoyenne. Après des débuts “euphoriques”, le projet est passé cet hiver par une phase de questionnement et rebondit aujourd’hui… en ralentissant.
- Les choix de la phase actuelle : ajouter du blé panifiable dans les grandes cultures, poursuivre le maraîchage, prolonger jusqu’à l’automne la réflexion sur la pérennisation ou pas de l’élevage ovin.
- Une campagne de financement participatif a été lancée pour équiper le stand de vente directe et installer un dispositif pour amener de l’eau d’arrosage, récupérée sur les toitures d’une entreprise voisine.
« Certains ont l’impression qu’on n’avance pas, mais il faut voir que les conditions initiales n’étaient vraiment pas simples », justifie d’emblée Bruno Corbara, président de la coopérative Ferme de Sarliève.
Rien qu’en arpentant ce vaste espace de cultures coincé entre l’autoroute A75, la zone industrielle des Acilloux proche de la gare de Cournon et le Zénith, on devine quelques-unes de ces contraintes. Le réseau de rases qui quadrillent le terrain en tracés hyper-rectilignes dispensent une douce odeur d’égout : peu propice à l’irrigation. Ne cherchez pas les arbres pour faire de l’ombrage ; sur ces terres jusqu’ici cultivées en conventionnel, les haies – un peu plus de 3 km aujourd’hui – sont encore des bébés.
“Il faut voir que les conditions initiales n’étaient vraiment pas simples. »
Ne cherchez pas non plus le corps de ferme, l’étable, les hangars agricoles… Ils n’ont pas été cédés avec les champs. Dans cette zone inondable actuellement non constructible, la nouvelle équipe a seulement pu implanter deux grands tunnels pour mettre à l’abri les moutons, les récoltes et le matériel.
Euphorie et turbulences
D’ailleurs, les champs eux-mêmes n’ont pas encore été cédés. La transaction avec une indivision complexe traîne, « mais ça va se faire, d’ici à septembre », rassure le président. En attendant, le projet a été conforté par un bail de 25 ans avec les actuels propriétaires, « mais ça ne nous met pas en sécurité », poursuit-il. La coopérative conservera le statut de locataire, mais le transfert de propriété à la Foncière de Terre de Liens va au moins permettre de tourner une page de cette histoire qui semble toujours en phase de démarrage, cinq ans après les premières annonces en 2019.
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Créé sous forme associative en 2020, transformé en société coopérative d’intérêt collectif (SCIC) au 1er janvier 2022, le projet de reprise de 80 hectares de terres agricoles par Terre de Liens a cependant déjà posé pas mal de jalons : l’obtention de la compétence agricole en novembre 2021, la mise en cultures, la conversion en bio, les grands principes de polyculture nourricière, la participation citoyenne à travers une association, Le Roseau, qui intervient notamment sur les actions de renaturation et sur les aspects pédagogiques…
“On a dû réviser nos priorités, prendre le parti d’aller un peu moins vite.”
La route apparaît cependant moins rectiligne que les rases. Après la période que Bruno Corbara qualifie de « débuts euphoriques », les premières tensions sont arrivées, car le modèle économique soumis à ces diverses contraintes tarde à se stabiliser. D’autres incertitudes continuent à peser, notamment celle du plan local d’urbanisme (PLUi) en cours de révision, qui interdit toute construction en dur dans l’immédiat. Ou le besoin d’eau, qui n’avait pas encore trouvé, jusqu’à présent, d’autre solution que de faire venir de l’eau par citerne – pas très satisfaisant pour une ferme qui se veut la plus écologique possible.
Du pain pour rebondir
L’équipe a donc passé une partie de l’hiver à prendre du recul et réinterroger le projet. « Il y a eu des départs ; on a dû réviser nos priorités, prendre le parti d’aller un peu moins vite parce qu’on avait voulu mener tout de front. Mais aujourd’hui on est plutôt sur la période du rebond », poursuit le président de la SCIC.
“Nous avons fait tester cette farine spécifique à Arthur le boulanger, qui est à proximité. Il en est content.”
Le rebond, finalement, se fait plutôt par petits ajustements. « On va aller moins vite que prévu mais en gardant les mêmes objectifs de polyculture », précise-t-il. La ferme a développé des grandes cultures, du maraîchage, un petit élevage ovin, une pépinière et autour de tout cela, la renaturation des lieux. Les 80 hectares ont été découpés en 9 parcelles, avec des rotations longues pour les grandes cultures, sur 8 à 9 ans. Cette année, ces dernières produiront de l’orge, des pois, des féverolles, du tournesol et du blé, avec une nouveauté : l’introduction de blé panifiable, parallèlement au blé à farine classique. « La ferme des Raux nous a fourni des semences qu’ils ont sélectionnées et que nous avons semées l’an dernier sur 1 hectare. Nous avons fait tester cette farine spécifique à Arthur le boulanger, qui est à proximité. Il en est content et nous a donné le feu vert pour continuer. » Ce sont donc sept hectares qui ont été dédiés au blé panifiable cette année.
« On veut y aller progressivement, pour sécuriser les débouchés », précise Bruno. Mais à terme, la SCIC rêve de maîtriser l’ensemble de la filière pain, peut-être en implantant un moulin, un fournil, à mutualiser avec d’autres cultivateurs. Elle est soutenue dans le cadre d’un appel à manifestation d’intérêt coordonné par le PAT du Grand Clermont-PNR Livradois-Forez pour développer ces activités, mais devra passer par une première étape : recruter en septembre un nouveau responsable des grandes cultures, compétent pour répondre à ces objectifs. Il ou elle viendra rejoindre une équipe qui s’est réduite à deux personnes, si on ne compte pas les administrateurs, les associés et les nombreux bénévoles qui n’interviennent pas directement sur les tâches agricoles, mais constituent un soutien constant.
L’artichaut en vedette
Quasiment cernés par ces cultures céréalières et fourragères, 3,5 hectares ont été réservés au maraîchage, sur un emplacement considéré comme définitif, car l’installation d’un dispositif pour y amener l’eau et alimenter un arrosage goutte-à-goutte fait partie des prochains projets d’aménagement. En cette fin mai, ce sont les artichauts qui tiennent la vedette.
La maraîchère de la ferme, Mélaine, en pleine cueillette lors de ma visite, disparaît presque entre les alignements vigoureux qui ont profité à plein régime de la météo bretonne de ce printemps. De part et d’autre, les fèves en cours de floraison, l’oignon, l’ail, plus loin la petite foule drue des poireaux, les promesses de pommes de terre…
« On sait que c’est une terre fertile », se réjouit Bruno Corbara, qui reconnaît tout de même quelques beaux atouts à côté des handicaps de départ. A la richesse du sol s’ajoute l’humidité à relativement faible profondeur : « On ne peut pas la puiser pour l’irrigation car elle est saline, mais les plantes ne souffrent pas des sécheresses ; c’est bon pour l’enracinement. »
« L’avenir de l’élevage est pour l’instant questionné ; on en décidera à l’automne.”
L’avenir des autres activités est cependant plus incertain. Notamment pour les moutons, car l’absence d’infrastructures adaptées ne facilite par leur élevage. Alors qu’ils sont partis pâturer sur les pelouses du Zénith, le président de la SCIC m’explique que l’équipe se donne encore l’été avant de décider de leur sort : « l’avenir de l’élevage est pour l’instant questionné ; on en décidera à l’automne. Mais de toute façon, même si on abandonne cette activité, nous avons un accord avec un éleveur voisin, pour continuer l’écopâturage sur nos terrains autant qu’il y aura besoin. »
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Des haies pour les citoyens
Réduction de la voilure également pour la pépinière : « nous allons ralentir car son équilibre économique est difficile à trouver ; on s’en servira uniquement pour nos haies. »
Quant aux haies elles-mêmes, elles peuvent à terme contribuer aux productions. Par exemple, l’une d’elles est constituée uniquement de noisetiers de différentes variétés. Des fruitiers ont leur place ailleurs et des arbres pourront être plantés le long du chemin principal – pourquoi pas des noyers, arbre patrimonial et prolixe dans la région ?
« Cela fait partie de notre dynamique globale de mettre en contact avec le monde agricole les publics urbains.”
Mais pour l’heure, les haies font plutôt partie de l’aspect non agricole du projet, car, comme le souligne Bruno Corbara, « la ferme de Sarliève n’est pas qu’une ferme, c’est aussi un projet de renaturation, qui est confié aux bénévoles. » Il reste encore 3,6 km de haies à planter en vue de redonner au site son aspect de polyculture bocagère. « Il faut imaginer ce que ce sera dans dix ans… », rêve Bruno.
Les citoyens, qui peuvent s’impliquer à travers l’association Le Roseau, sont aussi conviés à participer à d’autres activités, dans un espace qui leur a été laissé pour la création d’un jardin collectif, d’un espace convivial avec petit cabanon et possibilité de déployer une grande tente, et d’un coin repos. Les légumes qu’ils cultivent sont notamment des destinés à l’épicerie solidaire de Cournon. Rencontres, ateliers et chantiers participatifs sont des aspects importants du projet qui s’est construit sur la conviction que les questions agricoles concernent toute la population. « Cela fait partie de notre dynamique globale de mettre en contact avec le monde agricole les publics urbains, y compris les personnes défavorisées, les scolaires, les entreprises… »
Pour aller plus loin : « A la ferme de Sarliève, la nature est de retour »
L’eau du voisinage
Reste deux aspects importants à sécuriser pour assurer la pérennité de la ferme : la commercialisation et l’eau.
Une bonne partie de la production maraîchère est confiée à l’association Auvabio qui mutualise la distribution de producteurs locaux, mais la coopérative souhaite conserver une part de vente directe. Un petit marché provisoire a été testé avec succès à l’entrée du site, à proximité d’un carrefour très passant. Mais pour le poursuivre dans de bonnes conditions, il devra trouver un emplacement officiel et plus sécurisé, qui est à l’étude à la Ville de Cournon ; il devra aussi se faire sur un stand mieux équipé.
Cette dernière nécessité est un des points qui fait l’objet d’une campagne de financement participatif actuellement en cours. L’autre grand objectif de la recherche de fonds est l’installation d’un dispositif pour apporter de l’eau aux légumes en culture.
Car la solution envisagée passe par la récupération de l’eau de pluie des toitures les plus proches : celles des bâtiments que l’on aperçoit sous l’enseigne Movianto, au fond des parcelles du côté de la zone industrielle. « C’est une plateforme de logistique pharmaceutique, avec qui nous avons de bons rapports. Ils ont installé un système de récupération des eaux, avec un bassin de rétention, et ils ont prévu de doubler la surface de bâtiment. L’idée est de pouvoir récupérer l’eau de ce bassin », explique Bruno Corbara.
Pour cela, il faudra creuser une tranchée le long de l’allée qui rejoint la rue de la Rasa, et y installer une canalisation. Il est prévu d’en profiter pour brancher la ferme au réseau d’eau potable et y amener l’électricité. Une citerne de 400 m3 complètera le dispositif pour garantir une réserve pour les étés secs.
Les collectivités en renfort
Cet apport devrait être suffisant pour la plupart des années, sachant qu’elle doit servir uniquement pour le maraîchage et éventuellement pour abreuver les moutons, si cette activité est conservée. « Les années les plus problématiques, on complètera avec de l’eau potable, même si ce n’est pas l’idéal. »
On comprend donc la nécessité de ce nouvel appel de fond. Il s’ajoute à l’apport des collectivités, possible grâce au statut de SCIC : « Clermont Auvergne Métropole et les communes sont entrées au capital ; Mond’Arverne pas encore », précise le président, faisant remarquer qu’il est « plutôt intéressant » d’être localisé sur trois communes et deux intercommunalités.
Les collectivités se montrent d’autant plus intéressées qu’elles sont entrées dans une dynamique de création de ceinture verte nourricière, pour développer l’autonomie alimentaire de l’agglomération.
Cette ferme « modèle », expérimentale, gérée de façon collective, autant que possible respectueuse de l’environnement et située en pur périurbain constitue en effet un démonstrateur idéal. Une bonne raison pour continuer à la soutenir, malgré les fragilités propres à l’expérimentation.
Reportage Marie-Pierre Demarty, réalisé le 23 mai 2024. Photo Marie-Pierre Demarty, sauf indication contraire. A la une : Mélaine Houchot. responsable du maraîchage, et Bruno Corbara, président de la ferme, dans les cultures d’artichauts en pleine période de production.
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