Le pourquoi et le comment [cliquer pour dérouler]
Solidarité, convivialité, sortie dans la nature… tout ce qu’on aime mettre en avant dans ces colonnes résonne dans cette association. Sans oublier le côté “bricolage low-tech” qui est à l’origine de ce chouette véhicule.
Je suis allée avec beaucoup de curiosité à la rencontre de cette association que je ne connaissais pas du tout. J’en reviens épatée par l’ambiance que j’y ai perçue, exemplaire de ce que devrait être l’inclusion sous toutes ses formes. Et jusque dans l’accès aux grands espaces.
Dans un même mouvement, se relier au vivant, à la nature, à l’autre, à une belle chaîne de solidarité…
Marie-Pierre
Trois infos express [cliquer pour dérouler]
- L’association Handi Cap Evasion organise tout au long de l’année des randonnées où se rencontrent des personnes en situation de handicap et des marcheurs, dans un principe de solidarité permis par les joëlettes : ce sont des fauteuils tout terrain montés sur une seule roue et tractés par les accompagnateurs.
- Il y règne une ambiance extrêmement chaleureuse, où passagers et accompagnateurs se sentent à égalité, sans condescendance, solidaires, joyeux. Pour les marcheurs, tirer ensemble les joëlettes apporte une cohésion et une belle dynamique à la balade.
- Pour les passagères rencontrées, ces sorties sont une respiration devenue indispensable, qui a changé leur vie, comblé un grand besoin de nature et permis de belles amitiés.
Le rendez-vous est fixé sur le parking du lac Pavin en ce dimanche matin. Les plus courageux ont bivouaqué après une première balade la veille. « Il a fait 5°C dans la nuit, mais on a pu dîner dans la salle commune du refuge de Montchal et une fois dans la tente, ça va », me confie une participante. Mais déjà, les uns et les autres s’affairent. De la petite remorque estampillée du nom de l’association Handi Cap Evasion, sont extraits deux drôles de véhicules pliants. Déplier, fixer et bloquer le siège et les brancards, installer les coussins, vérifier la solidité du tout prend quelques minutes.
Les engins sont maintenant un peu plus identifiables : ce sont des joëlettes. Autrement dit, des fauteuils roulants adaptés à la randonnée. « Joëlette », du nom de son inventeur Joël Claudel, qui eut l’idée de bricoler ce véhicule très spécial, pour pouvoir emmener son neveu malade en montagne. C’était dans les années 1980. Autour de lui et du neveu, le bouche-à-oreille fonctionnant, un noyau de randonneurs puis l’association se sont constituées.
Aujourd’hui, Handi Cap Evasion compte près d’un millier d’adhérents, répartis un peu partout en France et regroupés par antennes locales. Dont une en Auvergne, depuis 1997. C’est à une de ses sorties que je me suis invitée, intriguée par ce véhicule inconnu de mon répertoire.
En route !
Une roue unique, surmontée d’un siège confortable, une bonne suspension, et des brancards longs à l’avant, plus courts à l’arrière. « L’accompagnateur arrière a pour rôle de conserver l’équilibre : le siège doit toujours être à la verticale de la roue pour faire porter tout le poids sur celle-ci et non sur les porteurs. L’accompagnateur avant tire la joëlette par les brancards. Dans les montées, grâce à des cordes à l’avant et sur les côtés, on peut être jusqu’à cinq ou six pour la faire avancer », m’explique Claire, la coordinatrice de l’association en Auvergne.
J’apprends aussi qu’« en principe, là où un vélo passe, la joëlette peut passer aussi ». Chaque dimanche ou week-end de sortie, un des randonneurs prend la responsabilité d’organiser la balade et va spécialement reconnaître l’itinéraire en amont. Précaution utile pour éviter qu’un tronc d’arbre en travers du chemin, un passage trop escarpé ou une clôture infranchissable ne perturbe l’expédition. « Au pire on va porter la joëlette, mais ça peut être compliqué », m’explique Franck. Car la version industrielle, ajoute-t-il, pèse 25 à 30 kg, les artisanales un peu plus.
« Nous emmenons les personnes volontaires à tour de rôle, en fonction du nombre de marcheurs nécessaires.”
Claire, coordinatrice
Tout en discutant, nous regardons Valérie et Evelyne discuter de l’attribution des deux fauteuils, puis s’installer. Evelyne, que le groupe appelle affectueusement « la duchesse », choisit la chaise à porteurs artisanale. « Le siège de l’autre est trop large ; je ne m’y sens pas très stable », dit-elle en passagère d’expérience.
Car, me confiera-t-elle un peu plus tard, elle est aujourd’hui la plus ancienne de l’association en Auvergne, qui compte pourtant des vétérans aguerris. Sans même compter Bernard, un des anciens qui participe moins aux sorties mais a fabriqué les véhicules de l’antenne auvergnate. A l’exception de la joëlette d’usine, acquise auprès de la seule société qui les commercialise.
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Un groupe presque ordinaire
L’essentiel pour les deux passagères, c’est d’être bien emmitouflées. « On peut vite avoir froid car on ne fait pas d’exercice physique », disent-elles. Autour d’elles, chacun se trouve une place. Les marcheurs se relaieront aux différents postes.« Nous emmenons les personnes volontaires à tour de rôle, en fonction du nombre de marcheurs nécessaires pour les accompagner. Mais aujourd’hui, nous n’avions que deux candidates, alors que nous aurions pu accueillir un troisième passager », poursuit Claire.
Le temps est bien gris, la fraîcheur aiguisée par un méchant vent du nord. N’était le foisonnement multicolore des fleurs dans les prairies, on ne devinerait jamais que l’été sera là dans moins d’une semaine. Peu importe. La petite troupe prend dans la bonne humeur la direction du puy de Chambourguet, dont les 1500 m d’altitude constituent le point culminant de la balade. Bien équipé, capuches rabattues sur le front, sacs à dos bien arrimés, le groupe ressemble à n’importe quel départ de rando en montagne, si ce n’est les deux mono-roues qu’il encadre.
De fait, la plupart sont là d’abord parce qu’ils avaient envie de rejoindre un groupe de randonneurs. Franck, le bon marcheur qui a pris les rênes à l’arrière de la première joëlette, m’explique qu’il est arrivé à Handi Cap Evasion il y a cinq ans à l’invitation d’une copine éduc’ spécialisée, qui participe aux sorties de l’association réservées aux jeunes d’un IME, deux mercredis par mois.
Joyeuse ambiance
Christine explique être une des dernières arrivées, devenue assidue : « Depuis le début de l’année, j’ai dû manquer une seule sortie du dimanche, dit-elle. J’ai découvert les joëlettes par hasard, lors d’une sortie dans les Alpes. Et j’ai cherché s’il y avait un groupe en Auvergne. Cela crée une belle dynamique de groupe. On s’écoute moins quand c’est dur, on avance. Et puis on joint l’utile à l’agréable, et cela correspond à mes valeurs. Au début j’appréhendais un peu car je n’ai pas l’expérience de côtoyer des personnes en fauteuil. Mais c’est chouette ! »
“On s’écoute moins quand c’est dur, on avance.”
Christine, marcheuse
D’autres me confirmeront, dans les premiers kilomètres où je suis les randonneurs, avoir pris goût à ce mode de sorties solidaires au point d’en avoir fait leur unique façon de marcher. « L’ambiance est extraordinaire. Les plus anciens sont tous devenus des amis. Il y a même eu des mariages ! », confie malicieusement Evelyne, qui n’a jamais vu faiblir cette belle cohésion malgré le turn-over des participants.
Notre itinéraire emprunte d’abord des petites routes, puis bien vite, bifurque dans des sentiers où l’on ne tient qu’en file indienne, entre deux clôtures de prés. Ce qui empêche d’utiliser les cordes latérales dans la montée, mais les marcheurs s’attèlent à plusieurs à l’avant et hissent à leur rythme, une joëlette prenant un peu d’avance sur l’autre. Mais on s’attend, on plaisante, on lance en rigolant qu’on irait bien « directement boire un coup à Super-Besse ! »
Monter dans les paysages
Les choses se corsent un peu lorsqu’on atteint la hêtraie. En forte montée, un peu gadouilleux, le chemin est surtout sans cesse entravé par des racines. Les cris fusent autour de la joëlette d’Evelyne : « Racine ! » « Marche ! » « 1, 2… 3 ! »
Les quelques marcheurs qui m’entourent m’expliquent : « L’accompagnant de derrière ne voit pas le chemin ; il faut lui indiquer ce qui arrive pour qu’il puisse maintenir l’équilibre. » Puis plus loin, l’itinéraire débouche sur une belle descente et la préposée à l’équilibre avertit qu’elle doit régler les brancards. « C’est nécessaire d’ajuster leur angle pour que le siège reste toujours horizontal », poursuivent mes voisins de marche.
Plus haut, on retrouve les prairies. Deux marcheuses traînent à l’arrière, essayant d’identifier les fleurs.
Le groupe fait un arrêt pour admirer le paysage. Au bout de l’alpage qui s’incline vers l’Artense, nuages et montagnes semblent vouloir faire converger leurs masses sombres vers une étrange lumière à l’horizon. Sur la gauche, tout en bas dans la brume, le lac Pavin nous adresse un clin d’œil. Le dernier avant la « purée de pois » qui attend le groupe un peu plus haut, couronnant le Chambourguet.
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Une renaissance
Je profite des pauses pour interroger successivement les passagères. Valérie, dont le handicap lui permet de marcher mais pas plus de 20 minutes, m’explique qu’elle a été une grande sportive, aimant la marche, la course, le ski, la natation… « Ça a été très dur de renoncer à l’activité physique. »
“Je suis redevenue moi-même, dans tous les domaines de ma vie.”
Valérie, passagère
Comme la plupart des marcheurs, elle a découvert Handi Cap Horizon par une copine, en 2018. « J’ai essayé et ça a été le coup de foudre ; j’ai su que c’était ce qu’il me fallait. » Alors qu’elle avait perdu toute confiance en elle depuis huit ans, elle confie avoir vécu ces sorties comme une renaissance : « ça m’a apporté ce qu’aucun médecin n’avait pu m’apporter : je suis redevenue moi-même, dans tous les domaines de ma vie ; ça m’a permis de me remettre à vivre vraiment, de me battre pour garder mon boulot et j’ai même en projet de reprendre des études. »
Elle pratique aussi la joëlette en mode course dans une autre association, et elle apprécie la rando encore plus qu’avant : « j’adore la nature et comme j’ai moins de possibilité d’y aller, tous mes sens sont en éveil ; c’est formidable », dit-elle. D’autant plus qu’à Handi Cap Evasion, elle se sent à égalité avec les autres, dans une même « bande de copains » où elle a pu découvrir que chacun avait ses problèmes – « et mon handicap n’est qu’un problème parmi d’autres. »
Besoin de nature
Un sentiment que partage Evelyne, embarquée dans l’autre joëlette. Elle la pratique depuis qu’un accident de voiture la contraint de se déplacer avec des béquilles, après avoir été elle aussi une grande marcheuse.
“A Clermont, on se sent prisonnier de la ville quand on ne peut pas conduire. »
Evelyne, passagère
« Je ne voulais surtout pas aller dans des associations où il n’y a que des personnes handicapées. Le jour où j’ai découvert dans le journal cette association qui se présentait comme mixte avec des personnes valides, j’y suis allée. La rando me manquait et j’ai un grand besoin de nature : à Clermont, même si elle est proche, on se sent prisonnier de la ville quand on ne peut pas conduire. »
Aussi elle postule à chaque sortie. Même si un tour de rôle s’impose dans cette association qui compte une dizaine de passagers pour un total de 90 membres, elle a pu profiter de cinq ou six balades au grand air… « parce que s’il fait mauvais temps, beaucoup se désistent et je guette ces occasions », explique-t-elle.
Fabuleux souvenirs
Comme c’est l’avant-dernière sortie de l’année pour l’antenne Auvergne de l’association, les randonneurs discutent de leurs projets d’été. Car l’association nationale prend alors le relais pour proposer des séjours en itinérance : une vingtaine par an, surtout dans les Alpes et les Pyrénées, parfois dans le Massif central ou même à l’étranger.
Evelyne garde ainsi un souvenir émerveillé d’un voyage exceptionnel de trois semaines à Madagascar, notamment à la rencontre d’associations humanitaires avec qui elle était en contact depuis longtemps et dont elle rencontrait les membres pour la première fois. Elle se souvient aussi de l’accueil des habitants, et de leur ingéniosité qui a été bien utile : « une des joëlettes avait des crevaisons régulières et à un moment, il n’y a plus eu moyen de la réparer. Ils se sont débrouillés en bourrant le pneu avec de l’herbe et on a pu continuer ! »
Sans être allée aussi loin, Valérie garde encore très vive l’émotion ressentie lors de sa première sortie d’été en 2020, au pic de Caramantran dans les Alpes. « J’ai pu monter à plus de 3000 mètres ; j’en aurais pleuré ! »
« L’hiver, on peut adapter un ski sous la joëlette et on va faire des sorties en raquettes.”
Franck, marcheur
Quant à Handi Cap Evasion Auvergne, elle organise des sorties pour adultes à la journée un dimanche par mois, les sorties du mercredi avec un IME, et quelques week-ends par an. « L’hiver, on peut adapter un ski sous la joëlette et on va faire des sorties en raquettes dans la neige », précise Franck qui est visiblement un adepte.
Ce dernier week-end de l’année n’était pas le plus propice en termes de météo. Il a d’ailleurs été un peu raccourci le samedi et une partie des marcheurs n’ont rejoint l’équipée que le dimanche matin. La pluie n’était pas prévue au programme mais elle s’est invitée dès la mi-journée, sans doute attirée elle aussi par la joyeuse ambiance du groupe. Pas de grimaces pour autant. J’ai dû laisser le groupe aux portes du brouillard mais appris ensuite que personne ne s’est dégonflé. Même pas les roues des joëlettes.
Reportage Marie-Pierre Demarty, réalisé le 16 juin 2024. Photos Marie-Pierre Demarty. A la une : le groupe des marcheurs et passagères se met en route, à hauteur du lac Pavin.
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