Le pourquoi et le comment [cliquer pour dérouler]
Bizarrement, on n’a pas encore parlé des projets d’habitat participatif qui fleurissent (c’est le cas de le dire) dans le Puy-de-Dôme.
Pourtant, voilà bien le type d’initiatives qui favorise grandement la résilience d’un territoire, sur plein d’aspects différents. Notamment en permettant à des groupes de réfléchir à la notion de commun, de travailler à l’émergence de valeurs solidaires, d’apprendre à faire des compromis pour cohabiter en harmonie.
Sans parler de la réduction de l’artificialisation foncière que permet la mise en commun des espaces dont on ne se sert pas tous les jours. Inutile d’avoir des appartements immenses si la chambre d’amis, la buanderie ou la salle de jeux peut se partager entre dix familles…
J’aurais pu choisir de vous parler d’un des deux projets pionniers de la région, dont les habitants sont déjà installés : le Domaine des Possibles à Orcines, ou la Semblada à Clermont. Nous aurons sans doute d’autres occasions de leur rendre visite.
Mais pour l’heure, je vous emmène vers un projet plus récent, et même encore en devenir, pour raconter avec Lucie le chemin à parcourir, pas toujours simple et tranquille, mais combien enrichissant, de ces foyers qui ont choisi de se construire un destin commun.
Marie-Pierre
Trois infos express [cliquer pour dérouler]
- Fleur de Bitume regroupe aujourd’hui dix familles de toutes générations qui se sont lancées ensemble dans un projet d’habitat participatif, sur le point d’aboutir à Riom, après un long parcours et diverses déconvenues pour trouver le lieu qui convient, les bonnes personnes pour les accompagner et les conseiller, les futurs voisins, le statut juridique adéquat…
- Créé en 2018 sous forme d’abord associative, le groupe de ce projet s’est donné les moyens de perdurer malgré les difficultés, notamment en se formant à la prise de décision par consentement, en s’organisant en groupes de travail, en soignant la convivialité et les moments de rencontre réguliers, en réfléchissant à ses valeurs communes.
- Le projet va s’installer dans une propriété de 5000m² proche du centre de Riom, avec des parties communes et deux appartements dans la maison existante, et la construction de deux petits immeubles sur trois niveaux, soit au total treize logements, dont un en locatif pour élargir la mixité sociale en incluant une famille n’ayant pas les moyens d’investir.
« Notre point fort, c’est le groupe », dit Lucie. Depuis plus de cinq ans qu’elle et son compagnon ont lancé l’idée d’un habitat participatif et réuni suffisamment de familles pour porter le projet avec eux, le groupe a eu le temps de se connaître, de s’apprécier, d’apprendre à prendre des décisions où tout le monde trouve son compte.
Lucie Poullet et les premières familles embarquées n’avaient sans doute pas imaginé, à la création de l’association en 2018, que le parcours serait si long. « Mais finalement, ça nous a permis de gagner en compétence et en efficacité, de mieux définir ce qu’on veut précisément, de bonifier le processus de recrutement de nouvelles familles. C’est positif », poursuit-elle.
« Notre point fort, c’est le groupe. »
Car depuis la première assemblée générale, de l’eau a coulé sous les ponts, la crise covid a momentanément empêché toute visite de locaux, puis trois déconvenues sur des bâtiments repérés et diverses péripéties auraient pu encore décourager les futurs voisins.
Mais malgré quelques rares défections pour raisons personnelles, ils sont toujours là : dix foyers sur les douze nécessaires au projet, sûrs de leur envie commune et sur le point, enfin, de le concrétiser.
Le lieu idéal
Car le groupe vient de signer un compromis de vente, pour une belle propriété à Riom où ils devraient s’installer. D’ici à environ deux ans tout de même, mais qu’importe : désormais, le bout de cette longue traversée est en vue et cela motive encore plus. D’autant plus que lorsque Lucie regarde en arrière, elle estime que le projet n’a pas trop varié. Mais il a su s’adapter aux circonstances, aux possibilités qui s’offraient, et au groupe qui s’est peu à peu étoffé.
« Nous avions imaginé dès le départ un projet en ville, mais avec de la verdure autour. D’où le nom de Fleur de Bitume, explique-t-elle. Nous étions partis sur l’idée d’acheter un immeuble existant et de le rénover, plutôt qu’une construction neuve. Finalement ce sera un peu des deux. Mais à part cette adaptation, le lieu que nous avons trouvé est idéal. »
Il n’est pas à Clermont comme envisagé initialement, mais à Riom, où la petite tribu a porté ses regards dès 2020. Pas tellement pour une question de prix de l’immobilier, ni même parce que les confinements auraient modifié la vision d’une cohabitation future, mais « parce que l’un de nous est particulièrement sensible à la pollution, et aussi parce que dans cette petite ville, tout est à proximité et peut se faire à pied », poursuit Lucie.
Les pétales de la marguerite
Le projet était alors au stade d’embryon, mais des principes avaient déjà été posés pour le faire avancer. Notamment, les familles ont très vite échangé pour construire la « marguerite des valeurs » qu’ils avaient en commun et sur lesquelles ils ont fondé depuis toute leurs démarches. Autour du pistil de la fleur de bitume s’agglomèrent six pétales de valeurs, comme autant de piliers symboliques de la future construction : utilité sociale, convivialité, respect des personnes, lien avec la nature, vivre-ensemble et éco-responsabilité.
“A Riom, tout est à proximité et peut se faire à pied. »
De ces valeurs ont découlé les choix, qui doivent parfois faire l’objet de compromis quand il s’agit de prendre les décisions concrètes : l’éco-construction notamment, qui est à rapporter au budget disponible ; les parties communes, le montage juridique…
La convivialité et le vivre-ensemble paraissaient des évidences, mais la façon de les mettre en œuvre l’était moins : comment rendre le projet plus intergénérationnel alors qu’il rassemblait au début surtout des quinquagénaires et retraités ? Comment organiser des rituels de convivialité sans les imposer à tous ? Comment intégrer des habitants ayant peu de moyens ?…
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Faire collectif
En cinq ans, le projet s’est affiné et les participants sont passés de novices à experts dans différents domaines. « Nous nous sommes formés à la prise de décision par consentement », indique Lucie, qui raconte comment il a fallu « tout faire avancer en même temps » : les aspects juridiques, le recrutement des familles, les visites de bâtiments, la recherche de financements pour les études et accompagnements divers, avant même d’envisager les coûts de transformation ou de rénovation du bâti.
Pour trouver des participants au projet, le noyau initial a organisé des réunions, tenu des stands dans des forums et événements divers. Le processus s’est affiné pour devenir un petit parcours d’intégration progressive : premières rencontres, visite de lieux, participation en observateurs aux réunions, possibilité de parrainage, puis validation – ou non – par le groupe.
« Nous nous sommes formés à la prise de décision par consentement. »
Celui-ci se consolide aussi par des activités conviviales, « un pilier important », parallèlement aux réunions hebdomadaires en visioconférence, aux groupes de travail qui se sont réparti les tâches, et aux plénières où tous se retrouvent pour faire avancer le projet.
Le choix d’un statut
Pour tout ce parcours, le projet Fleur de Bitume a dû aussi se faire accompagner par de nombreux experts, conseillers et partenaires, avec des expériences plus ou moins heureuses. Des notaires ou des banquiers « pas câblés pour l’habitat participatif », des promoteurs décevants qui ont fini par convaincre le groupe de s’orienter vers l’autopromotion.
Mais aussi les retours d’expérience de l’association Habiter Autrement ou des habitants de la Semblada, prédécesseurs déjà installés dans le quartier de Trémonteix à Clermont, que les membres de Fleur de Bitume rencontrent régulièrement, pour des moments de belle convivialité agrémentés de précieux conseils.
“Les parts sociales sont transmissibles, mais les nouveaux entrants doivent être agréés par le collectif.”
Ils ont aussi eu recours à un cabinet d’étude qui les a guidés dans le choix de leur statut juridique. En l’occurrence, l’option choisie sera une SCI d’attribution. Cette structure juridique va prendre la suite de l’association, fondée dès 2018, qui constituait une sorte de préfiguration, “pour avoir un statut juridique nous permettant d’entreprendre des démarches, de recevoir des subventions, etc.”, explique Lucie. Cette association a notamment reçu un soutien financier du Conseil départemental pour les études préalables, qui sera complété par des aides à la construction.
« La SCI d’attribution est une société civile immobilière où nous sommes tous en propriété collective, mais avec des parts sociales fléchées sur un logement précis, avec des parties communes réparties au tantième. L’avantage est que nous pouvons contracter des prêts bancaires individuels. Et par ailleurs, les parts sociales sont transmissibles, mais les nouveaux entrants doivent être agréés par le collectif, qui peut vérifier leur compatibilité avec l’esprit de l’habitat partagé », décrypte Lucie.
Archis à l’écoute
Surtout, le groupe a assez vite ressenti le besoin de s’appuyer sur un cabinet d’architecte. « Nous avons organisé un mini concours, en demandant à huit architectes de nous proposer un pré-projet sur un lieu que nous avions repéré. Puis nous en avons sélectionné quelques-uns à qui nous avons fait passer un oral. C’était important car nous avons pu évaluer qui était dans l’écoute, dans l’échange, comment cela passait sur le plan humain. »
“Nous avons pu évaluer (…) comment cela passait sur le plan humain. »
C’est finalement l’Atelier du Rouget, dirigé par Simon Teyssou, que Fleur de Bitume a retenu. Point fort supplémentaire, celui-ci a une bonne connaissance de ce qu’est un habitat participatif, pour avoir accompagné précédemment la Semblada.
« Ça se passe super bien avec eux. Quand on visite un lieu, quand on a une question technique, ils nous donnent très rapidement un avis », poursuit Lucie Poullet.
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Concrétisation
C’est ainsi qu’après la dernière déconvenue survenue en décembre dernier, le groupe a pu très vite rebondir et trouver enfin le lieu qui va permettre la concrétisation du projet. De 1000 m² dans le projet précédent, ils passent à 5000 m², en proximité du centre de Riom, avec un vaste jardin traversé par un ruisseau, de grands arbres, un potager… « Le lieu nous a emballés. Il y a de la vie », s’enthousiasme Lucie. Les propriétaires vendeurs étaient aussi un atout, souligne-t-elle : « ils avaient suivi le projet par la médiatisation que nous avons faite pour recruter des habitants ; et ils avaient dans l’idée que leur propriété était faite pour nous.”
Très vite, l’Atelier du Rouget a esquissé un avant-projet sommaire et les futurs occupants ont commencé à s’y projeter.
« Le lieu nous a emballés. Il y a de la vie. »
Le seul gros compromis, c’est la nécessité de construire deux bâtiments, car la maison principale de cet ancien corps de ferme ne peut contenir que deux appartements, ainsi que les parties communes que le groupe a à peu près arrêtées et qui occuperont environ 100 m² : une grande pièce avec cuisine pour se réunir, organiser des activités et même plus tard ouvrir le lieu à des animations pour le quartier ; une chambre d’amis, une buanderie.
Des coins pour tous et pour chacun
La conception des deux futurs bâtiments est encore à affiner, mais ils devraient s’élever sur trois niveaux et accueillir onze logements. « Ils sont pour l’instant à ossature bois, mais il n’est pas exclu qu’on passe au béton pour des raisons de coût. Il est sûr qu’ils auront au moins un bardage de bois, et des toits à double pan pour se fondre dans le paysage », décrit Lucie. Les trois immeubles seront en vis-à-vis, enserrant un espace du jardin où les familles pourront se retrouver pour des activités communes.
Les enfants – ils sont six actuellement – auront aussi leur coin dans le jardin. Le groupe leur a d’ailleurs organisé un petit atelier pour imaginer cet espace, lors du dernier regroupement avec les amis de la Semblada.
Il faut encore signaler la présence d’une grande véranda attenant aux parties communes, et une belle grange où pourront se loger… « tout ce qu’on met individuellement à la cave ou au garage », mais aussi un atelier pour le bricolage, des outils et du matériel partagés, les vélos de chacun.
Nouvelle vie en construction
Désormais experts en gouvernance, en décisions et en écoute, les familles ont réussi assez facilement à s’attribuer les logements. « Chaque foyer a émis ses souhaits, en fonction de l’étage, de la taille des logements, de leur exposition, de leur emplacement par rapport aux coursives… Trois familles se sont trouvées en ‘concurrence’, mais elles ont trouvé un arrangement qui convient à tous », précise Lucie.
Le projet n’est pas bouclé pour autant. Il reste de la place pour accueillir deux foyers supplémentaires, qui pourraient occuper respectivement deux T2 de 50 m².
Un treizième appartement est inclus dans le projet pour pouvoir accueillir une famille supplémentaire en location, le groupe tenant à ce rôle social qui permettrait d’inclure une famille n’ayant pas les moyens d’investir dans l’achat du foncier. Des investisseurs solidaires ont été sollicités pour participer à cette pièce du puzzle Fleur de Bitume.
“Ce sera comme dans une résidence où on s’entend super bien avec ses voisins. »
Les architectes planchent désormais sur une proposition plus fine, qui doit aboutir rapidement. Car le groupe vise un dépôt du permis de construire dans l’été, et une installation probablement à la rentrée de septembre 2026.
« Ça devient plus concret », se réjouit Lucie. Chacun va pouvoir se projeter dans cette nouvelle vie, qui n’effraie pas vraiment l’initiatrice du projet : « ça ne va pas changer fondamentalement nos modes de vie, sinon dans de l’impalpable, dit-elle. Ce sera comme dans une résidence où on s’entend super bien avec ses voisins. »
Reportage Marie-Pierre Demarty, réalisé le jeudi 27 juin 2024. A la une : les futurs habitants de Fleur de Bitume avec leurs prédécesseurs de la Semblada, lors d’une des rencontres régulières entre les deux projets d’habitat participatif. – Photo Fleur de Bitume
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