Sophie Chiari invite à un pas de côté environnemental dans la littérature

Par

Marie-Pierre Demarty

Le

Sophie Chiari dans son bureau
Sophie Chiari, professeur de littérature à l’UCA, publie un petit livre très accessible sur l’écocritique, un champ de recherche proposant une relecture des œuvres au prisme des préoccupations écologiques. Une brassée de verdure pour vos lectures estivales !

Le pourquoi et le comment   [cliquer pour dérouler]

Pour cette dernière semaine avant notre pause estivale, j’ai le grand plaisir de vous présenter deux chercheuses de l’Université Clermont Auvergne, qui s’intéressent au même sujet – la nature – mais avec des approches totalement différentes, ce qui montre que le sujet est inépuisable… en tout cas en tant que sujet de recherche.

L’une comme l’autre ne parlent pas directement de notre territoire, mais leur travail et leurs publications peuvent nous amener à changer notre regard, à nous familiariser avec le vivant et, comme le dit Sophie Chiari, à faire en sorte qu’on soit “ouvert à une réflexion plus lente qui chemine en nous” et nous pousse à agir. Nous sommes donc preneurs !

Si vous êtes lecteur ou lectrice de littérature, même si c’est seulement en période estivale, vous allez adorer découvrir ses propos… avant de replonger à corps perdu dans votre bibliothèque pour en exhumer les petits coins de verdure, les scènes champêtres, les forêts que l’on décime, la faune sauvage ou domestique, le chêne, le roseau, la rose et le réséda.

Si vous n’êtes pas lectrice ou lecteur, méfiez-vous. Cet entretien pourrait bien vous faire devenir défenseur du vivant ET accro à la littérature.

Marie-Pierre

Trois infos express   [cliquer pour dérouler]

  • L’écocritique s’attache à relire les œuvres littéraires en considérant la nature et l’environnement qui entourent les personnages pour ce qu’ils nous apprennent du contexte et de ce qu’en perçoivent les auteurs. Par exemple, les œuvres de Shakespeare témoignent d’une époque où la nature est considérée de façon très utilitariste. La surexploitation du bois a pour conséquence le dépérissement de la forêt, le début de l’exploitation du charbon et la recherche de ressources lointaines par la colonisation.
  • Ce champ de recherche répond à des préoccupations contemporaines, mais il s’appuie sur des faits précis et une démarche scientifique. Interdisciplinaire, il permet de décentrer le regard et de s’interroger sur des problématiques très diverses. Y compris la place de la femme dans la société, par exemple dans l’image poétique très prégnante associant la femme à la nature, par opposition au binôme homme-culture. L’écocritique apporte des éléments pour déconstruire cette image.
  • Des conseils de Sophie Chiari pour vos lectures estivales avec les lunettes de l’écocritique : Le Vent dans les saules de Kenneth Grahame (à lire en famille !), Voyage avec un âne dans les Cévennes de Stevenson, Orlando de Virginia Woolf.

Sophie Chiari est professeur de littérature anglaise à l’Université Clermont Auvergne, spécialiste de Shakespeare et des auteurs de son temps. Elle est également directrice de la Maison des Sciences de l’Homme de Clermont-Ferrand, et traductrice d’œuvres anglophones plus récentes. Elle vient de publier aux Presses universitaires Blaise Pascal un livre intitulé L’écocritique et sous-titré « Repenser l’environnement au prisme de la littérature » dans la collection L’Opportune, qui développe des notions et concepts de recherche dans un petit format accessible au grand public.

De Shakespeare à Bruno Latour en passant par Virginia Woolf et Rosa Bonheur, notre conversation chemine à travers la (re)découverte d’œuvres littéraires et artistiques, en forme d’invitation à la lecture avec les lunettes de nos préoccupations très actuelles.

Comment en êtes-vous arrivée à vous intéresser au champ de recherche de l’écocritique, ce mouvement de relecture des œuvres dont vous retracez l’histoire et la grande diversité d’approches dans ce livre ?

Sophie Chiari : J’y suis arrivée en travaillant sur Shakespeare et ses contemporains. A leur lecture, on est frappé par le nombre d’images et de métaphores qui ont trait à la nature, issues du « monde vert ». Dans des comédies comme Le Songe d’une nuit d’été ou Comme il vous plaira, des personnages en quête de liberté trouvent refuge dans un monde vert, dans une forêt. La nature est présente aussi dans ses tragédies : Macbeth s’ouvre sur les landes écossaises ; les éléments déchaînés de l’orage accompagnent le désespoir du roi Lear.

Il y a l’image de la forêt qui avance à la fin de Macbeth

S.C. : Précisément, dans Shakespeare, la nature agit ; elle est un acteur à part entière, qui joue un rôle dans la chute du tyran. Quant au roi Lear, il s’adresse aux forces de la nature pour dire « Frappez, vengez-moi ! ».

“Dans Shakespeare, la nature agit.”

C’est donc en m’intéressant à ces images que je suis arrivée à l’écocritique. Je trouvais dommage de n’y voir que des clichés poétiques et de ne pas rechercher à quelle réalité concrète elles renvoient.

Qu’y avez-vous trouvé ? Le rapport de Shakespeare et de ses contemporains à la nature est-il très différent du nôtre ?

S.C. : Il est différent et en même temps il y a des points d’accroche intéressants. Au XVIe siècle, la vision de la nature est extrêmement utilitariste. La période des romantiques nous a légué une image de Shakespeare liée à leur vision exaltée de la nature, mais l’environnement de la Renaissance est déjà anthropisé.

La nature n’est appréciée à cette époque que si elle génère des ressources. On voit en germe chez les auteurs anglais cette tension qui commence à naître entre utilitarisme et inquiétude sur la rupture des équilibres. Cela fait complètement écho aux préoccupations de notre époque.

Portrait de Shakespeare
Portrait de Shakespeare par le peintre Dante Gabriel Rossetti. Le XIXe siècle nous a laissé du dramaturge une image romantique, alors que ses œuvres renvoient plutôt à une vision utilitariste de la nature, nous apprend Sophie Chiari.

Mais comment cela se concrétise-t-il dans la littérature de cette époque ?

S.C. : On y perçoit une économie qui repose principalement sur le bois – pour construire les maisons, les bateaux, même les théâtres, ou pour se chauffer – à une époque où ce matériau est en crise, où la forêt est dans un état catastrophique. On assiste aussi au mouvement des enclosures qui réduit les communs, et même les cours d’eau se monnayent ; sans parler des débuts de la colonisation, qui poussent les Anglais à aller chercher au loin le bois qui commence à manquer chez eux.

Ainsi dans La Tempête, on perçoit une critique du colonialisme et de l’asservissement des populations dans l’attitude de Prospero qui arrive sur une île, se l’approprie et asservit les « indigènes » comme Caliban et Ariel. Cette œuvre de 1611 est une pièce marqueur du début de l’Anthropocène pour certains chercheurs.

“A l’époque de Shakespeare, la forêt est dans un état catastrophique.”

La thématique de l’extractivisme est elle aussi présente avec l’apparition de l’économie du charbon, qui se développe en raison du manque de bois ; économie qui transforme par ailleurs l’architecture anglaise, avec l’apparition de grandes cheminées nécessaires pour évacuer les fumées toxiques des feux au charbon.

Tout cela est perceptible dans les œuvres de Shakespeare mais a pu longtemps donner une simple impression de pittoresque. L’écocritique a ce rôle de connecter ces éléments disparates pour raconter une autre histoire. En tirant un petit fil, en allant creuser de plus en plus profondément dans les textes, on s’aperçoit de son bien-fondé. C’est aussi une manière de s’intéresser à ce qu’on vit aujourd’hui par le biais de la littérature.

Tikographie sera présent au forum associatif clermontois le samedi 7 septembre, de 10h à 17h – proche de l’entrée côté Comédie

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En quoi la littérature peut nous aider dans la crise écologique que nous vivons aujourd’hui ?

S.C. : Pour beaucoup de gens, la littérature est une échappatoire. C’est un voyage intérieur, hors du temps de l’information continue, qui permet de s’immerger dans des mondes qu’on croit connaître. Devant un livre, on est ouvert à une réflexion plus lente qui chemine en nous ; on peut alors intégrer de manière plus profonde les éléments qui font crise et les solutions mises en œuvre pour surmonter ces crises.

“Il me semble important d’avoir ce regard plus lucide sur le monde par le biais de la littérature.”

Si nous, chercheurs, parvenons à donner quelques clefs pour décrypter la littérature, nous pouvons provoquer une lecture plus engagée, une « lecture citoyenne ». Il me semble important d’avoir ce regard plus lucide sur le monde par le biais de la littérature. C’est quand les idées cheminent dans l’esprit du lecteur qu’il a envie d’entrer dans l’action.

Les auteurs des grandes œuvres littéraires ont-ils eu conscience de ce message, ou est-ce notre regard contemporain qui le construit ?

S.C. : Il y a plusieurs cas de figure. On voit des auteurs du temps de Shakespeare qui sont déjà très militants, comme Michael Drayton. Il montre dans ses textes qu’il a parfaitement conscience qu’on est en train de s’appauvrir, de détruire l’environnement naturel qui constitue une richesse pour l’homme.

Pour Shakespeare, c’est un peu différent. Il a clairement conscience de l’importance de la nature, d’autant qu’il n’est pas lui-même citadin : il naît dans une bourgade entourée de nature – mais une nature cultivée. Quand il arrive en ville, il perçoit le contraste. Pour autant, si les idées éco-critiques sont en germe dans son œuvre, il n’est pas militant.

“Il ne s’agit pas de réinventer l’histoire ; il s’agit de l’analyser avec un regard neuf.”

Il faut reconnaître que l’écocritique est une lecture du temps présent, ce qui n’empêche pas qu’elle se fonde sur des faits et des problématiques exacts, sur un contexte historique extrêmement précis. Il ne s’agit pas de réinventer l’histoire ; il s’agit de l’analyser avec un regard neuf.

Comment êtes-vous passée de l’étude de la nature dans la littérature anglaise des XVIe et XVIIe siècle à cet intérêt pour l’écocritique ?

S.C. : Il y a une part d’intérêt citoyen. La lecture de Shakespeare invite à s’ouvrir et j’ai toujours eu aussi de l’intérêt pour celles et ceux qu’il a influencés. En tant qu’enseignante-chercheuse, c’est une richesse d’aller au-delà de sa spécialité, de ne pas s’y enfermer. Je donne ainsi un cours en licence qui couvre la littérature anglaise du XVIe au XXIe siècle. Par ailleurs, en tant que traductrice, je m’intéresse à d’autres auteurs, notamment Virginia Woolf.

Par ces activités d’enseignante, de chercheuse et de traductrice, j’ai donc exploré différents textes, en gardant ce prisme de l’écocritique. De plus, en France, ce champ qui vient des États-Unis était peu exploré. Cela m’a amusée d’ouvrir cette voie avec d’autres chercheurs, d’autant que l’écocritique, cela ne se réduit pas à étudier la nature ; c’est décentrer son regard, comprendre qu’il n’y a pas que le personnage dans la littérature. Ce mouvement enrichit et renouvelle véritablement notre regard sur les œuvres.

Sophie Chiari
Sophie Chiari lors de notre entretien, dans son bureau de la Maison des Sciences de l’Homme. Devant elle, des ouvrages et revues, dont son petit livre à la couverture verte, L’écocritique paru en avril dernier. – Photo Marie-Pierre Demarty

De là à en faire un livre présentant ce champ de recherche… Comment est-il né ?

S.C. : Je donne un cours sur ce sujet en Master : les étudiants sont aujourd’hui sensibles aux rapports entre l’humain et le non-humain. Je m’efforce de leur faire aborder la littérature de manière moins traditionnelle qu’ils l’ont fait jusque-là, et de leur faire prendre conscience qu’un autre regard est possible. J’ai pensé que cette approche pourrait intéresser aussi d’autres lecteurs, au-delà de l’Université.

J’ai donc proposé de publier un ouvrage alliant les préoccupations littéraires et environnementales au sein de cette petite collection, “L’Opportune”, qui parle de sujets de fond, très actuels et sans jargon. L’idée a suscité l’enthousiasme de l’équipe des Presses universitaires Blaise Pascal.

J’y reviens sur certains auteurs très médiatisés, comme Bruno Latour qui a développé le concept de Gaïa, l’anthropologue Philippe Descola qui a montré que la nature était une construction culturelle, ou le philosophe Baptiste Morizot, qui explique comment tisser des relations avec le vivant.

La présence de ces auteurs dans votre ouvrage est d’ailleurs étonnante, car ils n’appartiennent pas exactement au champ de la littérature…

S.C. : Ces auteurs qui pensent le rapport à la nature ont été importants pour moi. Par ailleurs, je suis angliciste et ma vision n’est pas purement française. Dans les pays anglo-saxons, on ne sépare pas l’aspect littéraire et l’aspect politique, plus engagé. En France, quand on fait de la littérature, on privilégie l’esthétique ; on s’intéresse à la langue, aux images, au rythme.

“Un regard scientifique et éclairé peut mener à un engagement éclairé.”

C’est la différence, que je souligne dans le livre, entre « ecocriticism », issu d’une tradition américaine, et « éco-poétique » à la française. J’essaie de prendre ce qui me semble intéressant dans ces deux traditions, car je pense qu’elles ne sont pas incompatibles. Un regard scientifique et éclairé peut mener à un engagement éclairé.

Vous montrez d’ailleurs dans le livre que l’écocritique fait appel à d’autres champs scientifiques. Avez-vous engagé un dialogue avec d’autres chercheurs sur ces sujets ?

S.C. : De par ma position à la Maison des Sciences de l’Homme, je vois passer des projets de recherche fascinants dans de multiples domaines des sciences humaines, qui me nourrissent : en géographie, en philosophie, en littérature… Nous sommes dans une institution qui prône le dialogue entre les disciplines et cela me rend perméable à l’interdisciplinarité !

La suite de votre article après une petite promo (pour Tikographie)

Les bons matériaux biosourcés pour éco-construire dans le Puy-de-Dôme : on fait le point sur la situation

Rencontre Tikographie du jeudi 10 octobre à 17htous publics, accès libre !

Merci pour votre temps de cerveau disponible ! Le cours de votre article peut reprendre.

Dans cette exploration, avez-vous eu des surprises ?

S.C. : Je pense à Kenneth Grahame, auteur d’un très joli livre catalogué “jeunesse” et que les adultes feraient bien de relire, Le Vent dans les saules paru en 1908… un grand classique en Angleterre. On m’a demandé de le traduire pour le Livre de Poche et j’ai trouvé que ce formidable texte permettait d’appréhender le monde du vivant, de manière extrêmement détaillée. Les personnages sont des animaux qui parlent, et on a une profusion de sons, de détails précis. La nature est vraiment au centre de ce roman.

“J’ai trouvé que ce formidable texte permettait d’appréhender le monde du vivant.”

Pour l’époque, cela témoigne d’une conception très moderne de la nature. Ça a été une découverte. Sans mes perspectives écocritiques, j’aurais peut-être considéré ce livre comme un ouvrage pour le jeune public mais pas davantage.

Cela fait penser à Jean de La Fontaine. On sait que ses fables sont des manières de parler de la société humaine, mais elles témoignent aussi d’une fine observation de la nature…

S.C. : Exactement. Dans ces fables, on s’est beaucoup focalisé sur les morales, le côté vertueux ou scélérat des personnages. Mais on peut aussi les lire avec un regard écocritique. Évidemment on peut pointer l’anthropomorphisme de La Fontaine, qui ne met pas l’humain et le non-humain à égalité. Mais il ne faut pas négliger cette perspective, et il ne faut pas non plus la mépriser, parce que c’est un premier pas vers la nature. L’animal est déjà doué d’une sensibilité chez La Fontaine. Quelle modernité !

Tableau représentant un renard
Étude de renard, par Rosa Bonheur. – Crédit Nono314, CC BY-SA 4.0, via Wikimedia Commons

Et puis, il est difficile de concevoir le non-humain sans projeter des grilles de pensée qu’on a construites. On rencontre plus facilement le biocentrisme dans les formes courtes, les poèmes, les arts visuels au périmètre plus restreint. Je pense à Rosa Bonheur, peintre du XIXe siècle, qui a vraiment mis l’animal au centre de ses toiles et qui pense clairement que les animaux ont une âme.

Au-delà de ces découvertes d’auteurs ou d’artistes, de façon plus globale, qu’avez-vous appris ?

S.C. : J’ai pris conscience que l’écocritique permet d’aborder de manière scientifique et lucide d’autres problématiques actuelles, par exemple la place de la femme dans la société.

On s’aperçoit que dans la littérature, on retrouve de façon très prégnante le binôme femme-nature opposé au binôme homme-culture. L’écocritique permet de décortiquer cela. Des philosophes comme l’Australienne Val Plumwood ont développé des analyses approfondies à ce sujet. Nous avons intégré ces paradigmes de manière inconsciente et l’écocritique aide à en démonter les mécanismes, y compris au regard du vocabulaire employé : quand on met en évidence que la nature est une construction culturelle, quand on tend à remplacer ce terme par ceux d’environnement ou de non-humain, le binôme ne tient plus. L’écocritique permet d’émanciper notre discours très normatif de ses carcans.

“Dans la littérature, on retrouve de façon très prégnante le binôme femme-nature opposé au binôme homme-culture.”

J’aime aussi retenir l’idée que le lien entre féminisme et écologie est parti de la France, à l’origine, grâce au livre de Françoise d’Eaubonne, Le féminisme ou la mort paru en 1974. Aujourd’hui, on ne se rend toujours pas compte de la portée de cet ouvrage : il fait le lien entre la violence faite aux femmes et la violence faite au vivant, qui sont, selon l’écrivaine, une seule et même oppression. Elle est donc vraiment à la source de l’écoféminisme, même si celui-ci nous est revenu par les États-Unis.

Sur les liens entre féminisme et écologie, lire l'entretien : « Anne-Lise Rias pointe les « angles morts de l’écologie » quant à la condition des femmes »

Votre livre montre la richesse et l’étendue des approches de l’écocritique, avec le regard de la littérature américaine sur les grands espaces sauvages opposé à la nature domestiquée présente dans les œuvres européennes, les approches intersectionnelles, etc. Quels aspects aimeriez-vous souligner ?

S.C. : Je citerais l’apport du chercheur américain Lawrence Buell, le premier à développer une pensée écocritique, avec son livre pionnier L’Imagination environnementale. Nous sommes en 1995, et Buell place l’environnement au centre. Avant lui, le regard sur les grands espaces était marginalisé, parfois même méprisé.

Je soulignerais aussi le caractère prismatique de l’écologie que la littérature met en relief. Dans l’esprit des gens, le vert c’est la nature, mais on trouve bien d’autres couleurs liées au vivant : le bleu des mers, le marron du sol, le noir du charbon… Nous avons une vision idéalisée, esthétique de la nature, qui est un concept culturel. L’idée de ce petit ouvrage est aussi de défaire ce binôme vert-nature… Il ne faut pas préserver que ce qui est vert !

Pour conclure, à l’heure où beaucoup de gens profitent des vacances pour se remettre à la lecture, quelles œuvres recommanderiez-vous de découvrir ou redécouvrir avec une attention portée au prisme environnemental ?

S.C. : Je vais reparler du Vent dans les saules, une ode à la solidarité qui est un joli roman d’aventure aussi bien pour les enfants que pour les adultes, à lire en famille. C’est charmant, plein de poésie et de parodie ; c’est une fable qui réaffirme le pouvoir de la nature à l’heure où l’Angleterre s’industrialise. Une belle lecture d’été.

J’ajouterais Voyage avec un âne dans les Cévennes de Stevenson, publié en 1879, qui se prête bien à une lecture éco-critique et qui se lit facilement.

“L’environnement ne concerne pas seulement les champs ou les forêts ; le non-humain est partout.”

Personnellement, je relis en ce moment Orlando de Virginia Woolf, qui donne aussi une vision intéressante de la nature. Woolf dépeint un personnage extrêmement moderne, qui traverse les siècles et qui, à un moment, change de genre. Or, ce personnage est très attaché à la nature ; il s’y ressource. Le roman s’ouvre d’ailleurs sur un chapitre qui nous ramène au XVIe siècle et qui décrit les affres du Petit Âge glaciaire de manière saisissante.

Cet attachement au non-humain transparaît dans toute l’œuvre de Virginia Woolf, même si ses œuvres se déroulent souvent dans un environnement urbain. Car il faut avoir à l’esprit qu’on peut aller chercher une réflexion sur la nature même dans les ouvrages qui en sont en apparence très éloignés, et pas seulement là où c’est une évidence. L’environnement ne concerne pas seulement les champs ou les forêts ; le non-humain est partout…

Entretien Marie-Pierre Demarty, réalisé le lundi 8 juillet 2024. A la une, photo Marie-Pierre demarty : Sophie Chiari dans son bureau, à la Maison des Sciences de l’Homme à Clermont-Ferrand.

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