Halt ô Stop repense la mobilité en mode low-tech

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Marie-Pierre Demarty

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L'équipe de Halt ô Stop, devant les panneaux de Billom Communauté prêts à être installés
Loan Momboisse a lancé à Billom un concept tout simple pour encourager et sécuriser l’autostop. Le système commence à séduire les collectivités, bien au-delà de la Toscane auvergnate…

Le pourquoi et le comment   [cliquer pour dérouler]

C’est une thématique qu’on retrouve à peu près partout dans les territoires ruraux : à l’heure où il faudrait réduire les déplacements en voiture pour des raisons écologiques – a fortiori en solo -, les solutions alternatives ne sont pas faciles à trouver.

Et puis le sujet de la mobilité est aussi une question sociale : vu de la ville on ne l’imagine pas vraiment, mais si on n’a pas les moyens de s’acheter une voiture, si on n’a pas le permis de conduire, si on a peur de circuler à vélo sur des routes où subsistent pas mal de chauffards lâchés en rase campagne, si on est trop jeune ou trop âgé pour prendre le volant, on n’a pas la solution d’attendre le bus en bas de chez soi pour aller faire ses courses, prendre un café avec les copains ou consulter un médecin, lequel se fait d’ailleurs de plus en plus lointain.

On a déjà découvert ici qu’il n’y a pas de solution unique adaptée à tout le monde. Mais parfois, une bonne idée surgit pour faciliter les choses. Elle peut mettre un peu de temps à émerger, à se faire repérer, à atteindre les bons interlocuteurs. Mais ça finit par attirer l’attention.

C’est le cas de l’idée toute bête, pas cher, low-tech de Loan. Elle aurait pu en rester à quatre panneaux que personne ne remarque plus dans le paysage, mais non : elle commence à avoir fait ses preuves.

Il lui reste juste à se déployer et se populariser suffisamment pour entrer dans les usages. Avis non dissimulé à Mesdames et Messieurs les élus du Conseil départemental notamment…

Marie-Pierre

Trois infos express   [cliquer pour dérouler]

  • Hâlt ô Stop est un service organisant l’autostop pour les petits trajets du quotidien, grâce à des panneaux dont le caractère institutionnel rassure les usagers et implantés dans des lieux où ont peut stationner en sécurité. Les pancartes incluses dans chaque panneau permettent à l’autostoppeur de pointer sa destination.
  • L’attrait du système tient aussi à son caractère low-tech qui le rend très simple d’utilisation et accessible à tous, sans intermédiaire numérique… et donc peu coûteux pour les collectivités comme pour les utilisateurs.
  • Après des débuts très empiriques, l’entreprise fondée par Loan Momboisse à la sortie de ses études se structure, se développe et commence à être repérée par les collectivités bien au-delà du Puy-de-Dôme, démontrant que les élus commencent à se préoccuper très sérieusement des problématiques de mobilité notamment en zones rurales.

« Quand j’étais au lycée, je loupais souvent mon bus, bizarrement chaque mercredi. Du coup, je faisais le trajet en stop », se souvient Loan Momboisse. L’expérience de ce jeune Billomois l’a rattrapé ensuite : d’abord en fac, où elle lui a inspiré l’un des onze projets pour sa commune qu’il a imaginés dans le cadre d’un cours optionnel sur « la responsabilité sociale et environnementale des administrations ». Puis dans son envie de pousser plus loin les idées en question : « Plutôt que de me lancer dans un Master, je suis allé voir les élus de Billom pour leur proposer de les développer. Ils m’ont dit “C’est super, mais concentre-toi sur un projet”. C’est celui du stop que j’ai choisi de développer. »

Au début, le projet s’est monté de façon très empirique. Loan a entraîné Méline, étudiante en design elle aussi Billomoise, pour fonder une association. Il s’est institué micro-entrepreneur, a récupéré des outils autour de lui, a bricolé en autodidacte, s’est fait aider par son père… Très impliqué dans le tiers-lieu de La Perm, le jeune entrepreneur y a installé son atelier dans des conditions pas spécialement adaptées, au premier étage du bâtiment historique de l’ancien collège. Mais l’aventure démarrait. « Nous avons créé les quatre premiers panneaux en huit mois. Ils étaient un peu expérimentaux, mais il y a eu un certain engouement du public et de la presse », poursuit Loan.

Loan Momboisse montrant les pancartes avec indications de destination
Loan Momboisse, fondateur de Halt ô Stop, explique le système des pancartes où l’on peut choisir et pointer sa destination à l’attention des automobilistes.

Les panneaux ?  Un imposant mobilier urbain en bois, à la fois esthétique et portant la marque officielle – et rassurante – de la collectivité, implanté aux principales sorties de la ville. Des pancartes énumérant les principales destinations possibles y sont accrochées, que l’on peut pointer pour signaler sa demande aux automobilistes. Une sorte de version très sophistiquée et institutionnalisée du bout de carton tendu à bout de bras par les autostoppeurs dans la forme traditionnelle de cette pratique.

Simple, sûr et durable

« Le service consiste surtout à lever les biais et les peurs ; nous voulons remoderniser le stop », reconnaît Loan, qui constate depuis quelques années une forte diminution du stop au bord des routes. Peurs véhiculées par les médias ? Tendance au repli sur soi qui rend les gens réticents à ces formes hasardeuses de rencontre ? Développement des plateformes de covoiturage ?…

« Le parti-pris était d’être low-tech, gratuit et en libre service pour être accessible à tous. »

Sur ce dernier point, Loan et Méline insistent sur la complémentarité entre les différents systèmes, le service Halt ô Stop étant plutôt dédié aux courtes et moyennes distances, aux déplacements du quotidien.

Le dispositif a d’autres vertus, que détaille son concepteur : « Quand on fait du stop, on a tendance à avancer, dans l’idée qu’on se rapproche un peu de sa destination. Mais c’est idiot : on finit par se retrouver dans des endroits où les voitures ne peuvent pas s’arrêter ; ça devient dangereux. Avec Halt ô Stop, les panneaux sont implantés dans des endroits sécurisés et l’autostoppeur n’est pas tenté de s’en éloigner. »

Les panneaux en attente d'installation
Les panneaux sont en chêne local et le nom de la communauté de communes est rassurant pour les usagers.

Ajoutez la simplicité du système, à laquelle Loan tient beaucoup : « Le parti-pris était d’être low-tech, gratuit et en libre service pour être accessible à tous. Pas besoin d’appli ou de téléphone ; c’est une invitation à retrouver le côté spontané des rencontres, à lever le nez des écrans, à arrêter de mettre des notes pour n’importe quel service rendu. »

Comme on peut s’y attendre, l’aspect responsable et durable est pris en compte, notamment dans les matériaux choisis : les panneaux sont en bois de chêne local, fourni par La Scie d’ici. « J’ai voulu le bois le plus durable possible ; le chêne peut rester en extérieur, traité seulement avec une huile naturelle. Les plaques sont aussi en matériaux raisonnés et locaux », explique-t-il.

Découvrir le reportage sur la scierie où s'approvisionne Halt ô Stop : « La Scie d’Ici invente une filière bois écologique et hyper locale »

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Premiers retours

Avec de tels atouts, la petite entreprise a pourtant pris son temps au démarrage. « Il y a eu dix mois de pause, d’abord parce que j’étais très impliqué dans le développement de La Perm, donc peu disponible. Ensuite parce que les collectivités ne voyaient pas encore trop l’utilité ; les élus me disaient “les gens ont leur voiture”… Ça a vraiment changé depuis un an environ. Et enfin, il fallait le temps qu’on ait un retour d’expérimentation de ces premiers panneaux. »

« Nous avons pu recenser environ 500 utilisations. »

Ce qui nécessitait d’autant plus de temps qu’en l’absence d’intermédiaire numérique, le dispositif ne bénéficie pas d’un comptage systématique des utilisateurs ; il apparaît donc plus difficile d’apporter aux collectivités des preuves par des données chiffrées imparables.

Néanmoins, les témoignages spontanés reçus en dix mois ont été plus qu’encourageants : « Nous avons pu recenser environ 500 utilisations par ce biais », rapporte Loan.

Panneaux Halt ô Stop à la sortie de Billom
L’un des quatre premiers panneaux, installés aux sorties de Billom, avec leur look encore sommaire. Celui-ci, sur la route de Saint-Dier, s’est montré le plus efficace en termes de temps d’attente car cette route est moins fréquentée, ce qui incite les conducteurs à s’arrêter.

Ces retours ont permis aussi de valoriser d’autres atouts du système. Par exemple, la variété des profils d’utilisateurs : des jeunes sans voiture, des 30-40 ans par souci écologique, des 55-65 ans qui rencontrent des problèmes financiers… L’aspect « rassurant » du panneau institutionnel semble aussi fonctionner sur certains automobilistes.

Et l’équipe a été surprise de constater que le panneau où le stop s’avère le plus efficace se situe sur la route la moins fréquentée – celle de Saint-Dier – prouvant que l’esprit de solidarité joue d’autant plus que les chances du passager sont faibles.

Accélération

Les choses se sont donc accélérées à partir de 2022-23, avec trois grosses commandes successives : la première de la communauté de communes du Massif du Sancy, pour 24 panneaux, qui a été réalisée pour l’été 2023 ; la deuxième pour le pôle métropolitain du Genevois Français, pour 17 panneaux dans cette région frontière autour d’Annemasse et Thonon-les-Bains, livrés en mai 2024 ; et enfin une commande de Billom Communauté, pour 13 panneaux complémentaires à déployer plus largement sur le territoire, y compris à des points stratégiques comme la gare de Vertaizon. Ce dernier lot étant prêt à être livré et installé.

« Nous sommes en train de monter en gamme. »

On se doute que pour un tel développement, il a fallu un peu structurer les choses… mais tranquillement, car la priorité était donnée à la réalisation des commandes. En avril 2024, Halt ô Stop déménage dans des locaux plus appropriés, sur l’ancien site industriel de la Sicba… qui restent encore à aménager.

L’équipe s’est également structurée. Loan et Méline ont abandonné leur statut de micro-entreprise pour se constituer en SARL de l’économie solidaire, qui leur a semblé plus simple à mettre en place qu’une coopérative, en gardant un esprit équivalent. Une troisième personne – Chloé Deviras – vient tout juste d’étoffer l’équipe. Et la jeune entreprise a fini par intégrer un parcours d’accompagnement, avec l’incubateur CoCoShaker.

Panneau à la sortie de Picherande
L’un des panneaux déployés dans le Sancy, ici à Picherande. On remarque l’évolution du design, grâce notamment au travail de Méline.

Enfin, grâce notamment à l’apport de Méline, la conception des panneaux s’est affinée. Les nouveaux modèles ont été relookés de façon plus professionnelle. Ils ont été dotés d’une petite toiture et d’une assise plus solide. Et un deuxième modèle est apparu, plus sommaire, constitué d’un seul pilier, pour des « haltes secondaires » à l’image de celles qu’on trouve sur les lignes de bus. « Nous sommes en train de monter en gamme », résume Loan.

Sensibiliser

Parallèlement, l’association initiale – dénommée Actionne-toi – a été conservée et va être réactivée pour pouvoir développer une animation des territoires où sont implantés les dispositifs, au moins dans le Puy-de-Dôme. « Il est essentiel de sensibiliser aux enjeux de la transition et du covoiturage, de proposer des événements, de communiquer sur le service, de rencontrer les gens. C’est le nerf de la guerre pour faire changer les pratiques », insistent les fondateurs.

« Nous souhaitons rester un service léger, simple à mettre en place, avec des coûts limités. »

Pour les territoires plus éloignés qui commencent à s’y intéresser, l’association n’interviendra pas dans l’animation, mais la nécessité de celle-ci sera mise en avant, dans une relation avec les collectivités commanditaires qui se veut partenariale et intelligente. « Pour l’implantation des panneaux, nous travaillons avec les élus, qui connaissent bien leur territoire. On n’est pas un bureau d’études mais on essaie d’être intelligent et en général, on est bon. Pour l’animation, on pourra s’appuyer sur les acteurs locaux ; c’est plus logique et il y en a partout. Car nous souhaitons rester un service léger, simple à mettre en place, avec des coûts limités. »

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Territoire idéal

Les implantations, les directions à afficher sont à la fois les plus courantes – les petits trajets du quotidien – mais aussi destinées à d’autres usages. Dans le Sancy, les premiers panneaux commandés (car d’autres doivent suivre) ont concerné les lieux de tourisme, de Murol à Super-Besse en passant par le lac Chambon ou la vallée de Chaudefour. Dans le Genevois, le choix s’est orienté aussi vers des lieux de loisirs ou de culture, tels que des stades ou cinémas.

« Aujourd’hui à Billom, on a des pancartes qui pointent vers Clermont ou Thiers, mais vous n’avez pas le même système pour le retour. »

« Notre service est complémentaire à celui des plateformes de covoiturage, qui fonctionnent plutôt sur des trajets longue distance », poursuit Loan. Des rapprochements sont d’ailleurs en vue avec la plateforme régionale Mov’ici, en cours de refonte, « pour un pack global d’offres complémentaires », précise-t-il. Et l’entreprise travaille avec l’association Covoiturage Auvergne.

Loan rêve d’un développement plus important, par exemple à l’échelle d’un département comme le Puy-de-Dôme : « Cela deviendra efficace quand on aura des panneaux un peu partout. Par exemple aujourd’hui à Billom, on a des pancartes qui pointent vers Clermont ou Thiers, mais vous n’avez pas le même système pour le retour », déplore-t-il. Pour Loan, le Puy-de-Dôme est le territoire idéal pour développer le dispositif : « il est fait de plein de petits territoires, avec de la ruralité où les transports en commun sont insuffisants, et de la montagne qui n’encourage pas à se déplacer à vélo. »

Décollage

Mais si le Conseil départemental ne semble pas encore avoir entendu le message, les choses avancent tout de même, car les intercommunalités commencent à être nombreuses à s’intéresser à cette simplissime innovation, dans notre département ou bien plus loin : que ce soit dans le Périgord, en Bourgogne ou dans l’Ain. Signal positif : les trois intercommunalités qui ont expérimenté Halt ô Stop souhaitent développer davantage le système sur leur territoire.

« On aimerait devenir la solution de référence. »

« Le low-tech et l’accompagnement par une animation auprès des citoyens sont les critères les plus déterminants pour les collectivités », souligne encore Loan Momboisse, qui mesure à la fois la réussite du projet et l’humilité à conserver : « On commence à être identifiés à l’échelle de la France, mais nous restons tout petits par rapport aux grands opérateurs. On aimerait devenir la solution de référence. »

Les 13 panneaux à livrer à Billom Communauté
Dans le hangar-atelier qui reste à aménager, la dernière commande prête à être livrée : ces 13 panneaux, dont trois “petits modèles” pour des haltes secondaires, vont compléter l’équipement sur le territoire de Billom Communauté.

Une trajectoire joliment amorcée. Mais à plus court terme, il y a quelques priorités : après la livraison des 13 panneaux du Billomois, il s’agira d’aménager le grand hangar destiné à devenir l’atelier, ainsi que le petit bureau « pour le confort de l’équipe », d’investir dans du matériel plus professionnel, d’engager un menuisier…

Pas de quoi se tourner les pouces… ni même les lever pour se signaler aux automobilistes !

Reportage Marie-Pierre Demarty, réalisé le mercredi 4 septembre 2024. Photos Marie-Pierre Demarty. A la une : la jeune équipe de Halt ô Stop composée de Chloé (dernière recrue en date), Méline et Loan.

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