Ecouter cet article en podcast :
Voir tous nos podcasts – lectures audio, Rencontres Tikographie… – sur Spotify
Le pourquoi et le comment [cliquer pour dérouler]
Suite et fin de mon entretien avec Olivier Bianchi… où l’on reste sur les thèmes écologiques, mais en élargissant la focale autant que possible en une petite heure : pour parler des risques systémiques et de la transition au-delà du réchauffement climatique, de ce qui enquiquine les Clermontois en ce moment (je vous laisse deviner…), des relations avec le voisinage… et même de Mad Max.
Une dernière précision : promis juré, je n’ai absolument rien dit ou fait pour orienter Monsieur le Maire dans sa réponse à ma dernière question.
Marie-Pierre
Trois infos express [cliquer pour dérouler]
- L’un des sujets qu’il reste à travailler dans la mutation de la métropole est celui d’une plus grande autonomie alimentaire. Mais les collectivités ne pourront pas mener à bien toutes les transformations nécessaires, alors que l’État n’augmente pas leurs moyens, déplore le maire.
- Le chantier Inspire, visant à adapter le réseau de transports en commun, doit apporter à terme à presque tous les habitants de la Métropole une solution de transport alternative à la voiture individuelle. Les Clermontois souffrent des travaux mais commencent à comprendre le bien-fondé du projet. Pour les pendulaires, qui viennent chaque jour travailler depuis l’extérieur de la métropole, cela restera compliqué si le Département et la Région n’engagent pas de projet équivalent à leur échelle… en attendant le « RER métropolitain », dossier qui sera long à faire avancer.
- Depuis 2020 environ, la métropole et ses habitants se sont mis en ordre de marche pour engager la transition, ce que le maire n’aurait pas parié en 2019, admet-il. L’exemple du vélo est parlant : inexistant en 2014, le sujet est devenu clivant lors des municipales de 2020 et incontournable aujourd’hui.
Dans la première partie de notre entretien, nous avons évoqué l’adaptation de Clermont-Ferrand au changement climatique, mais il existe d’autres enjeux écologiques. Quels sont selon vous les plus importants localement et comment sont-ils pris en compte ?
Olivier Bianchi : Nous travaillons beaucoup sur les questions d’eau, d’énergie, de mobilité, avec des dispositifs comme Inspire, ou le réseau de chaleur… Il nous reste beaucoup à faire sur les questions de santé et d’alimentation.
Nous avons travaillé sur un plan d’alimentation, en réduisant la part de l’urbanisation dans le zonage : la ville ne grandit plus ; elle se reconstruit sur elle-même et on essaie de ne pas « manger » les terres agricoles. Nous travaillons aussi sur les cantines, où aujourd’hui 71% des produits sont en circuit court et nous sommes conformes à la loi Egalim.
« Il nous reste beaucoup à faire sur les questions de santé et d’alimentation. »
Mais sur ces questions, il y a encore du travail. On a beaucoup fait dans le hard, c’est-à-dire l’investissement. Il va falloir qu’on travaille sur des politiques plus soft : sur les terres agricoles, l’alimentation en circuit court – pas seulement dans les cantines mais pour nourrir notre population.
On est effectivement très loin de tendre vers une autosuffisance, même relative, malgré le gros potentiel agricole local. Une métropole comme Clermont a-t-elle le pouvoir de réduire ce paradoxe ?
O.B. : On manque effectivement d’agriculture vivrière. Le problème, c’est qu’on est dans un contexte où les budgets des collectivités sont complètement assassinés par l’État. Nous avons perdu une grande partie de notre souveraineté fiscale. Nous touchons une subvention d’État qui est stabilisée, alors que plein de choses augmentent et qu’on nous annonce même que les collectivités vont participer au désendettement de l’État !
La fonction de maire devient schizophrénique. Je dois faire plus, mieux, entamer ces transitions coûteuses, alors qu’on m’enlève de l’argent. Comme le disent toutes les associations d’élus, il y a un moment où on ne saura plus faire.
« C’est une vision à la « Mad Max », qui n’est pas totalement à écarter. »
Ce qui m’inquiète, c’est qu’à ce moment-là, on va ajouter aux peurs et fractures écologiques des difficultés sociales. On pourrait alors entrer dans une ère de barbarie où chacun essaierait de survivre dans une petite communauté, au détriment de l’intérêt commun.
C’est une vision très pessimiste…
O.B. : Oui, c’est une vision à la « Mad Max », qui n’est pas totalement à écarter. Peut-être pas à ce point, mais le délitement de l’intérêt général existe déjà ; les gens se communautarisent, pas seulement dans des communautés d’origine, mais aussi professionnelles, régionales, d’un village ou d’une vallée… On n’est pas à l’abri d’un « Mad Max soft » où chacun se replie dans son égoïsme et dans la survie à quelques-uns, autour de la famille élargie, de la tribu…
Mais n’y a-t-il pas des tendances qui vont en sens inverse, dans la société civile, le tissu associatif ou socio-économique, sur lesquelles on peut s’appuyer ?
O.B. : Absolument, et il faudrait qu’elles deviennent majoritaires. Mais aujourd’hui à l’échelle planétaire, les populismes me semblent majoritaires. On est plus dans une peur de l’autre que dans une fraternité et une générosité.
« Le maire peut être un fédérateur d’énergies. »
Mais bien sûr je m’efforce tous les jours d’aller contre tout cela et pas seul : d’abord avec l’ensemble des élus, mais aussi des associations. Je vois bien, par exemple dans le domaine de l’écologie, qu’il y a de plus en plus d’initiatives autour de ces sujets, de l’alimentaire, des jardins… Tout cela n’existait pas il y a vingt ans avec un tel foisonnement. Je ne suis pas seul à agir, mais le maire peut être un fédérateur d’énergies.
Il reste une centaine d’exemplaires du nouveau recueil “l’année tiko 2024” en pré-commande ! Sortie le jeudi 5 décembre pour notre Soirée Tiko 2024
Parmi les domaines où vous agissez, le plus visible en ce moment est celui de la mobilité. Alors que les travaux du projet Inspire sont bien entamés, comment ressentez-vous son avancement et sa réception par les habitants ?
O.B. : On en est effectivement aux deux-tiers ; il reste un an de travaux. J’y ai cru, donc je continue à y croire et je n’ai aucune raison d’avoir entamé un tel bouleversement pour ne pas produire des effets. La métropole était en retard sur l’offre de transports publics alternatifs aux véhicules individuels. Avec ce projet, 80% des habitants seront à moins de 300 à 500 mètres d’une ligne de bus, tramway ou bus à haut niveau de service. Donc pour presque tous dans la métropole, quel que soit le lieu où on habite et où on travaille, il y aura une alternative de transports publics.
Quand je vois que les gens étaient sceptiques du temps de mon prédécesseur sur le tramway et qu’aujourd’hui c’est 70 000 voyageurs par jour, je soupçonne que tout cela aura le même effet à terme.
Concernant le ressenti des habitants, percevez-vous une évolution ?
O.B. : Je vois bien que la période transitoire des travaux est absolument déstabilisante, inquiétante et produit toute une gamme de sentiments qui vont de la lassitude à l’énervement en passant par la détestation profonde du maire…
Mais j’ai une réponse essentielle : je ne travaille pas pour le temps présent ; je ne travaille pas pour être aimé. Je travaille pour les responsabilités qu’on m’a données et pour que dans dix ou vingt ans, les gens disent : « heureusement que ce maire a accepté d’affronter les détestations personnelles au bénéfice de nos avantages collectifs ».
« Je constate de plus en plus que les gens me disent « vous avez raison (…) il fallait en passer par là… »
Par ailleurs, la bonne nouvelle, c’est que depuis qu’on a sorti en avril-mai dernier la maquette 3D montrant les 27 km d’aménagements urbains tels qu’ils seront après les travaux, avec les mobiliers, les plantations, etc., j’ai senti l’ambiance dans la ville basculer. Il restera toujours des réfractaires irréductibles, mais je constate de plus en plus que les gens me disent « vous avez raison ; on a vu à quoi ça va ressembler ; il fallait en passer par là… », donc une sorte de compréhension et surtout, d’adhésion progressive.
Elle sera plus importante d’ici à six mois, quand tout le monde aura pris ses habitudes.
Mais c’est difficile actuellement de prendre des habitudes !
O.B. : Des gens me disent : « maintenant je mets une heure et demie pour aller au travail ». Quand je creuse, ils m’expliquent qu’ils prennent le même itinéraire qu’avant ! Mais si c’est bouclé, en chantier, c’est normal que ça avance lentement ; par contre, en prenant une appli comme Waze, en cherchant un autre itinéraire, y compris en passant par des endroits contre-intuitifs ou qu’on ne connaît pas, on peut regagner du temps. Je l’ai vécu dix fois, à titre personnel, mais aussi en discutant avec les gens.
« Clermont est une ville moyenne de province, qui a du mal à changer ses habitudes. »
Je ne devrais pas le dire comme ça, mais Clermont est une ville moyenne de province, qui a du mal à changer ses habitudes – disons une petite métropole de province. Les gens ont « toujours fait comme ça » ; malheureusement le monde ne sera plus comme avant. On peut le déplorer, mais ça n’a pas de sens de dire « je veux faire comme avant ».
À Tikographie, nous essayons de penser au moins à l’échelle du Puy-de-Dôme ; ce qui m’amène à cette question : comment les très nombreux travailleurs pendulaires – ceux qui viennent chaque jour travailler à Clermont depuis l’extérieur de la Métropole – sont-ils pris en compte dans ce schéma de déplacement futur ?
O.B. : C’est une excellente question, car à l’échelle de Clermont, on refait ce qui s’est passé à l’échelle du Grand Paris avec sa banlieue ; la question se pose dans toutes les métropoles et elle a généré une part du mécontentement des Gilets Jaunes. Les métropoles, plutôt riches et plutôt écolo-sensibles, mettent en œuvre des politiques pour leurs habitants, car c’est leur compétence et leur territoire.
« Les questions de mobilité ne pourront pas être posées par la Métropole seule. »
Ainsi pour Clermont, les deux nouvelles lignes de bus à haut niveau de service sont internes à la Métropole. Je n’ai aucune compétence de mobilité sur le reste du département et même sur la région. Il est vrai que cela crée une inégalité. Les gens qui râlent sont ceux qui habitent ailleurs et qui n’ont aucune solution autre que leur voiture. Je le conçois.
Cela veut dire que, comme pour l’eau ou les terres agricoles, les questions de mobilité ne pourront pas être posées par la Métropole seule. Cette politique doit être conduite par le Département et, pour le ferroviaire en particulier, par la Région. Ce n’est pas parce que la Métropole fait sa politique pour ses habitants et que les autres collectivités ne le font pas que nous serions les coupables.
Mais le mouvement de ces pendulaires a aussi un fort impact sur la vie de vos administrés : ils viennent grossir les flux de circulation, ils participent à la vie économique du territoire, etc. À ce titre, n’est-il pas légitime pour la Métropole de le prendre en compte et de réfléchir à l’organisation de ces flux ?
O.B. : Oui, mais c’est d’abord au Département et à la Région d’exercer leur compétence. Je ne peux pas financer les trains régionaux !
« Le projet des RER métropolitains (…) est une première avancée, mais elle n’en est qu’aux balbutiements. »
Bien sûr, on va développer de façon importante les parkings-relais. Mais à eux seuls ils ne suffiront pas à tout résoudre. Il faudrait un schéma de déplacement départemental qui pose les mêmes questions que la Métropole, mais axé davantage sur le ferroviaire.
Y a-t-il tout de même des discussions qui avancent avec le Département et la Région sur ces questions ?
O.B. : Nous faisons partie des villes choisies par l’État pour le projet des RER métropolitains, qui ont pour but de renforcer les transports ferroviaires. C’est une première avancée, mais elle n’en est qu’aux balbutiements car cela nécessite de très gros moyens et l’État pour l’instant n’annonce rien. En termes de vitesse de mise en œuvre, pour prendre une métaphore dans le champ environnemental, cela tient plus de la tectonique des plaques que du changement climatique… Les trains, là où il y en a, commencent déjà à être bondés. Les changements sont bien là et il va bien falloir les prendre en compte.
La suite de votre article après une petite promo (pour Tikographie)
Pas assez de neige, pas assez d’eau, trop de chaleur… comment les acteurs touristiques locaux s’adaptent-ils aux conséquences du dérèglement climatique ?
Rencontre Tikographie du lundi 2 décembre à 17h (librairie des Volcans) – tous publics, accès libre !
Merci pour votre temps de cerveau disponible ! Le cours de votre article peut reprendre.
Plus généralement, comment considérez-vous le rapport avec les territoires ruraux environnants ?
O.B. : J’ai fait partie de ceux qui ont réconcilié la métropole avec son territoire rural. Quand je suis arrivé, c’était la guerre au sein du Valtom, avec le Conseil général, etc. J’étais de ceux qui ont dit que les débats opposant urbains, péri-urbains et ruraux sont de faux débats. Comme on vient de le dire, il y a beaucoup de pendulaires. Nous ne vivrions pas sans notre arrière-pays. Mais aussi, notre métropole avec ses hôpitaux, services et emplois à haute valeur ajoutée permet d’échapper à la situation d’autres territoires qui se trouvent dans la diagonale du vide absolument vide. La solidarité est nécessaire, aussi bien pour les urbains que pour les ruraux.
J’ai donc franchi une première étape qui a été de pacifier et relancer la coopération inter-territoriale. Elle est quelquefois saccadée, selon les interlocuteurs. Le projet Inspire a effectivement été un moment de cristallisation des oppositions entre rural et urbain.
Mais bon an, mal an, ma stratégie reste la même. Solidarité territoriale, entente et coopération sur les politiques publiques : c’est mon triptyque.
Pour finir, quelles sont vos plus fortes inquiétudes pour la Métropole et son avenir ?
O.B. : Je redis que ma plus forte inquiétude, c’est l’eau : sans eau, il n’y a pas de vie, pas de plantes, pas d’industries et – pour provoquer un peu – pas d’énergie nucléaire.
« Si demain on a des étés avec des pointes à 50°C et que les nuits restent à 40°C, il va y avoir des conséquences lourdes. »
Mon autre inquiétude, c’est la température. En ville, les températures sont invivables. On peut avoir un peu chaud dans la journée ; mais si demain on a des étés avec des pointes à 50°C et que les nuits restent à 40°C, il va y avoir des conséquences lourdes. Je ne sais pas vivre dans ce monde-là à titre personnel… Quant aux personnes âgées, en surpoids, asthmatiques, etc., ces populations vont souffrir le martyre.
L’eau et la chaleur sont donc mes plus grandes terreurs. Mais en étant plus rationnel, je devrais peut-être y inclure aussi les épidémies…
Et vos plus grandes satisfactions, concernant les sujets écologiques ?
O.B. : Globalement, grâce à l’engagement de beaucoup d’élus et de fonctionnaires de la ville, le territoire a pris la dimension de ce changement et s’est mis en ordre de marche.
« Aujourd’hui je peux affirmer que la transition est en marche à Clermont-Ferrand. »
Je ne l’aurais pas dit en 2019, avant la campagne des dernières élections municipales. Je n’aurais pas parié alors sur une prise de conscience et une accélération telles. Aujourd’hui je peux affirmer que la transition est en marche à Clermont-Ferrand. Il reste beaucoup de route, mais le consensus me semble être partagé par tous. Cela tient sans doute au covid, mais aussi à la mutation sociologique de la ville.
Le vélo en est un bon exemple. En 2014, la demande sociale pour développer les infrastructures cyclables n’existait pas. Le C.vélo a été une première décision qui a mis le pied à l’étrier, en l’absence de structures. La deuxième révolution a été le vélo électrique et sa démocratisation, surtout pour une ville comme Clermont.
Le résultat, c’est qu’un sujet inexistant aux municipales de 2014 devient un sujet clivant dans celles de 2020. Aujourd’hui, il y a de plus en plus d’aménagements et surtout de plus en plus de vélos… et on est loin d’avoir tout vu !
Un dernier mot en conclusion ?
O.B. : J’espère que l’œuvre de Tikographie va continuer. Je pense que vous êtes une des pierres de cette révolution copernicienne. Il faut des acteurs politiques, des associatifs militants, des intellectuels, des espaces de dialogue et de débat. Donc vous êtes un des acteurs de cette transition et vous nous aidez à réussir.
Entretien Marie-Pierre Demarty, réalisé le lundi 9 septembre 2024. Photos Marie-Pierre Demarty. A la une : le développement du vélo à Clermont – pratique et infrastructures – est un des motifs de satisfaction du maire.
Soutenez Tikographie, média engagé à but non lucratif
Tikographie est un média engagé localement, gratuit et sans publicité. Il est porté par une association dont l’objet social est à vocation d’intérêt général.
Pour continuer à vous proposer de l’information indépendante et de qualité sur les conséquences du dérèglement climatique, nous avons besoin de votre soutien : de l’adhésion à l’association à l’achat d’un recueil d’articles, il y a six façons d’aider à ce média à perdurer :
La Tikolettre : les infos de Tikographie dans votre mail
Envie de recevoir l’essentiel de Tikographie par mail ?
Vous pouvez vous inscrire gratuitement à notre newsletter en cliquant sur le bouton ci-dessous. Résumé des derniers articles publiés, événements à ne pas manquer, brèves exclusives (même pas publiées sur le site !) et aperçu des contenus à venir… la newsletter est une autre manière de lire Tikographie.