Le pourquoi et le comment [cliquer pour dérouler]
Changer nos modes de vie pour faire une plus grande place à la nature, ce n’est pas si simple. Certains le font individuellement, ou dans une activité particulière. Mais quand il faut confronter en plus grand les urbains et la nature sauvage, l’agriculture et l’accueil de biodiversité, la pêche et les jeunes de quartiers sensibles, les urbains et les ruraux, la culture des courges et les prairies à orchidées… bref, fondre l’humain avec ses gros sabots dans des écosystèmes fragilisés, c’est complexe.
C’est pourquoi un lieu comme l’Ecopôle est précieux : il expérimente avec patience, cherche des solutions qui ne fassent pas dans la facilité, accueille les incivilités comme faisant partie de l’équation.
Vu de l’extérieur, ça a l’air d’une vaste friche où la nature, comme on dit, reprend ses droits. Vu dans le détail, on se rend compte que les droits ici sont partagés, avec pas mal d’ingéniosité.
Il y a juste un petit truc qui cloche : alors que la fréquentation vient surtout de la très proche et très peuplée commune de Cournon, incluse dans la Métropole clermontoise, toute la gestion du lieu pèse sur les épaules de deux modestes communautés de communes rurales, avec les moyens qu’elle trouve tant bien que mal, les appels à projets, les alliances de partenaires. on se demande ce qui empêche la Métro d’y mettre “trois sous”…
Ah mais oui, bien sûr ! ce n’est pas sur son territoire qui s’arrête pile sur l’autre rive de l’Allier…
Marie-Pierre
Trois infos express [cliquer pour dérouler]
- Installé sur d’anciennes carrières de sable en bordure de l’Allier, l’Ecopôle est un lieu d’expérimentation qui tente de faire cohabiter la nature sauvage et les activités humaines : lieu de promenade et bain de verdure pour les citadins tout proches, de test pour des maraîchers en phase d’installation, d’invention de solutions pour un écolieu en accès libre, où l’on fait avec les incivilités… et avec pédagogie.
- Depuis la création de l’Ecopôle – et même avant sa rétrocession – le site est géré par un Syndicat d’études et d’aménagement touristique (SEAT) réunissant les deux collectivités propriétaires. Mais compte tenu de ses partenariats multiples, à commencer par la LPO qui a dès le début poussé à orienter vers une réhabilitation écologique plutôt qu’une base de loisirs classique, la gouvernance évolue vers une association intégrant toutes les parties prenantes : une autre forme d’expérimentation.
- Autre solution originale : pour réduire les incivilités sur la partie maraîchage, plutôt que des caméras de surveillance, une famille de gens du voyage a été installée sur le site pour assurer un gardiennage permanent. Un prototype d’habitat léger adapté à leurs besoins a été élaboré, construit en bois local et en matériaux de réemploi.
C’est un secret très mal gardé : depuis quelques années, en sortant de la métropole clermontoise, il suffit de passer le pont… pour se retrouver dans la jungle. Ou presque.
Une jungle un peu aménagée quand même, avec des allées, quelques panneaux pédagogiques, des postes d’observation qui permettent, au milieu d’une foisonnante verdure, de se mettre à l’affût des canards et des milans, des mouettes rieuses et des ragondins, de toutes sortes de libellules et autres insectes, oiseaux, mammifères… Vous vous perdrez autour d’un chapelet d’étangs, vous irez rêvasser devant les vestiges d’un manoir, vous vous heurterez à des quasi-lianes et des presque mangroves. Plus prosaïquement, en été, vous y apprécierez la fraîcheur pour faire un footing, et un peu moins le vrombissement des moustiques certains soirs.
Qui pourrait croire que nous sommes sur un ancien site industriel ?
Pourtant, ce vaste espace de 123 hectares en bord d’Allier, tout proche de la zone très urbanisée de Cournon, apparaissait tout pelé il y a moins de dix ans, lorsque les carrières de sable ont cessé d’être exploitées. Les lacs n’étaient encore que d’immenses trous creusés dans les alluvions de la rivière. La végétation ne trouvait pas sa place dans la poussière des chantiers, encore moins la faune.
Une coopération intelligente
Grâce à un intelligent projet mettant en discussion les collectivités locales (à l’époque les deux communes de Pérignat-ès-Allier et La Roche Noire), les carriers qui se retiraient après exploitation maximale, et la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO) – et plus tard bien d’autres partenaires – cette zone s’est métamorphosée en un refuge de biodiversité autant que de citadins en manque de nature : l’Écopôle du Val d’Allier.
On pourrait la décrire aussi comme un fabuleux terrain de jeu pour expérimenter le monde de demain. Pour inventer des rapports apaisés entre les humains turbulents et les milieux naturels vulnérables ; des complicités entre les écosystèmes naturels et les activités agricoles ; des points de rencontre entre urbains, ruraux et même gens du voyage ; des formes de gouvernance qui feraient fuir la très grosse majorité des collectivités.
Résumer tout ce qui se tricote dans cette zone d’entre-deux d’apparence si immuable tient de la gageure. Essayons…
Écolieu résilient
Que la plus grande part de ce vaste espace soit dédié à une renaturation à l’usage d’un large public n’a rien d’étonnant, au regard de son histoire.
C’est ce que raconte Anatole Gruzelle, coordinateur de l’Écopôle depuis cinq ans : « Le Syndicat d’études et d’aménagement touristique s’est constitué dès 1996 pour suivre le projet de réhabilitation des carrières et les premières pistes portaient sur l’idée d’une base touristique, avec jet ski, etc. Mais très vite, sont venus s’y raccrocher des sujets tels que la préservation des ressources, l’enjeu de l’eau, la biodiversité. La LPO a milité pour en faire un site protégé et est devenue un partenaire historique du projet. Cette entente entre collectivités, carriers et LPO a permis d’aller au-delà des obligations de réhabilitation du site sur le plan de la biodiversité. », explique-t-il.
« Les premières pistes portaient sur l’idée d’une base touristique, avec jet ski, etc. »
Sur cet aspect, il qualifie l’endroit d’« écolieu résilient », reconnu aujourd’hui par un label « Espace naturel sensible d’initiative locale » – ce qui signifie qu’il n’est pas directement géré par le Conseil départemental comme c’est généralement le cas, même si celui-ci finance sa gestion à hauteur de 40%. La LPO assure les inventaires et suivis de la faune et partage l’entretien des lieux avec la Régie de Territoire des Deux-Rives.
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Reconquête
Des petits coups de pouce ont été donnés à la nature pour l’aider à se réinstaller, tout en aménageant le site pour accueillir et sensibiliser le public. Certaines anciennes gravières ont ainsi été réunies pour former notamment un vaste lac au centre de la zone ; des bancs de galets ont été reconstitués pour accueillir les oiseaux marins. Mais les végétaux ont reconquis l’espace selon leur fantaisie. Le Conservatoire d’espaces naturels est aussi intervenu, pour expérimenter un désenrochement de l’Allier.
« L’idée est de passer progressivement d’une végétation post-industrielle à une végétation naturelle stable, mais on n’y est pas encore, poursuit Anatole. La forêt alluviale s’est bien reconstituée, avec des ormes lisses et des peupliers noirs caractéristiques. Mais on a encore beaucoup de plantes exotiques envahissantes, comme la renouée du Japon, le séneçon ou l’acacia. » Certaines zones accueillent cependant des pelouses à orchidées ou des espèces en danger comme la samole de valérand.
« L’idée est de passer progressivement d’une végétation post-industrielle à une végétation naturelle stable, mais on n’y est pas encore. »
Cette foisonnante verdure s’est repeuplée d’oiseaux : selon les comptages de la LPO, 230 espèces y ont repris leurs habitudes, nichant sur place ou non. Parmi celles-ci, des rapaces et notamment le milan, mais aussi des oiseaux d’eau – sternes, gravelots, mouettes rieuses.
Sont revenus également les amphibiens, insectes, chauves-souris et petits mammifères – vous pourriez même avoir la chance d’apercevoir une loutre…
Pour en savoir plus sur les écosystèmes des bords de l'Allier, lire aussi le reportage : « Mais pourquoi l’Allier est dite « rivière sauvage » ? »
Usages et mésusages
L’espèce humaine y a aussi trouvé sa place : Anatole annonce une fréquentation de 30 000 à 50 000 visiteurs par an, « avec une hausse significative depuis l’ouverture de la voie verte le long de l’Allier. » Il s’agit principalement d’une fréquentation familiale et de proximité, dont 70% de Cournonnais qui en ont fait leur parc public.
Une association de pêcheurs s’est constituée pour que les amateurs viennent taquiner notamment la carpe réintroduite dans les étangs – nécessaire concession à l’expérimentation des cohabitations.
Cependant, d’autres usages du lieu posent davantage problème, du fait que l’Écopôle a été délibérément laissé en accès libre et gratuit. Depuis les mégots et barbecues qui démultiplient les risques d’incendie, jusqu’à la baignade dans des zones qui peuvent s’avérer dangereuses, sans parler des amateurs d’escalade qui dérangent les nids de guêpiers ou d’hirondelles de rivage, ou des chiens non tenus en laisse qui perturbent d’autres nichées et stressent les moutons. Car le site est en partie entretenu par écopâturage, mais de façon limitée pour cette raison.
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L’autre côté de la D1
Le bilan de la renaturation apparaît donc « contrasté » selon le coordinateur, qui souligne l’aspect expérimental du projet. « Parfois ça marche, parfois c’est plus compliqué », admet-il, incluant dans cet aspect démonstrateur l’autre partie du site, qui prolonge l’Écopôle de l’autre côté de la départementale D1 menant vers Mirefleurs et Vic-le-Comte : il s’agit d’un espace plus modeste puisqu’il couvre moins de 10 ha, et davantage anthropisé.
Ce côté-ci est caractérisé par une végétation plus ouverte – à l’exception d’un creux laissé (expérimentalement aussi) en libre évolution – et un relief accentué par les aménagements.
Des parcelles ont été réservées à d’autres types d’expérimentation : elles accueillent des maraîchers bio en cours d’installation. En attendant de trouver des terrains ou des financements, ils peuvent tester leurs méthodes de culture, lancer une production, essayer des modes de distribution, confirmer (ou non) leur vocation, se faire connaître ou reconnaître…
« Parfois ça marche, parfois c’est plus compliqué. »
Le deal leur donne la possibilité d’y rester trois ans au maximum et leur demande de cultiver en bio, dans des conditions particulières où l’on trouve du bon et du moins bon. « Sans être pollué, le site était aride et anthropisé. Il y a eu des apports de terres en provenance des chantiers des lotissements d’Orcet et Le Cendre, mais il reste de grosses contraintes : une forte concentration de lapins de garenne et de plantes adventices, l’image d’un ancien site industriel qui peut rendre les consommateurs réticents », reconnaît Anatole.
Un enjeu alimentaire
Il souligne aussi les avantages venant compenser ces contraintes : la replantation de haies et l’installation de perchoirs à rapaces qui contribuent à attirer une biodiversité régulatrice, l’accompagnement des porteurs de projet accueillis, en partenariat avec Starter, couveuse d’entreprises spécialisée ; et surtout, « le site est particulièrement bien équipé en matériel mis à disposition », précise Anatole. Équipement qui a été récemment complété par un local de lavage et de vente.
Accueillis autant que possible deux par deux pour favoriser l’échange et le soutien, les porteurs de projet sont cinq à être passés par les terrains en bordure de Pérignat, en commençant par Marion et Guillaume, qui ont « essuyé les plâtres » mais s’en sont bien sortis, aujourd’hui installés en maraîchage respectivement à Chauriat et à Sugères. Arrivé un peu plus tard, Benoît a pu constater – et c’est le jeu – qu’il n’était pas prêt pour se lancer dans une exploitation indépendante. Patrice et Davy terminent leur parcours de test et peaufinent leur projet, le premier déjà installé à Issoire, alors que le second s’apprête à cultiver ses propres terres à Saint-Julien-de-Coppel.
Peu à peu, l’espace test contribue au développement du maraîchage que le Projet alimentaire territorial cherche à favoriser… Et ce n’est sans doute pas un hasard si le maire de Pérignat Jean-Pierre Buche, à l’origine de la fondation de l’Écopôle du Val d’Allier, a aussi été en charge du PAT en tant que vice-président du Grand Clermont jusqu’à fin 2022.
Sur les enjeux du projet alimentaire territorial, lire aussi l'entretien : « Comment le PAT Grand Clermont et Livradois-Forez développe la résilience alimentaire du territoire, selon Moïra Ango »
Gardiennage et habitat
Un espace naturel sensible, un espace test agricole… Jusque-là, vous trouvez peut-être que le projet est assez banal, si ce n’est qu’il n’est pas si fréquent de réunir ces deux formes d’expérimentation. « Elles ont pour point commun de tenter de retrouver un équilibre écologique sur un ancien site de carrières, mais aussi d’avoir pour enjeu une gestion raisonnée de la ressource en eau, explique à ce sujet Anatole Gruzelle. La combinaison de l’espace naturel et de l’espace agricole a aussi du sens pour réfléchir à la compatibilité des activités humaines et de la préservation de l’environnement. »
Mais d’autres petits projets inclus dans le grand révèlent une certaine audace dans la recherche de solutions novatrices. Par exemple dans la façon dont s’est résolue la question des vols de légumes et dégradations qui étaient constatés dans l’espace maraîcher.
La facilité aurait été d’installer des caméras de surveillance. Mais à l’Écopôle, on a préféré opter pour une présence permanente en habitat léger. Il suffisait (presque) d’y penser : par l’intermédiaire du maire de Mur-sur-Allier et d’une association, une famille de gens du voyage a été accueillie sur le site, occupant de fait une fonction de gardiennage.
« C’est une sorte de maison avec toutes ses fonctions, sauf les chambres. »
Pour leur confort, une construction elle aussi expérimentale, constituée de deux blocs hexagonaux, a été réalisée par un architecte travaillant sur le sujet, en collaboration avec la famille accueillie pour répondre à ses besoins. « C’est une sorte de maison avec toutes ses fonctions, sauf les chambres car les occupants souhaitaient passer les nuits dans leur caravane, qui est installée sur le terrain, détaille Anatole. Démontable et modulable, elle a été élaborée à partir de bois local et de matériaux de réemploi. »
Une façon de répondre à des enjeux sociaux et architecturaux en même temps qu’à celui des incivilités, exemplaire de ce qui a bien réussi dans les expérimentations de l’Écopôle selon le coordinateur.
Ouvrir la gouvernance
Certaines tâtonnent encore, comme le projet de développer un élevage de poules pour limiter les ravageurs, fertiliser les parcelles et tant qu’à faire, produire des œufs. Et d’autres projets sont encore dans les cartons, comme celui d’installer un jour un exploitant agricole pérenne, qui aurait aussi vocation à accueillir un porteur de projet en test et lui servir de tuteur.
« Cela complique un peu les choses, mais ça donne davantage de sens. »
Le site évolue aussi dans sa gouvernance, jusque-là pilotée par le SEAT, syndicat de collectivités. Mais une association est en train de prendre le relais « afin de faciliter la coopération entre les différents acteurs, grâce à une gouvernance plus transversale et participative où toutes les parties prenantes pourront prendre part aux décisions », explique Anatole. Pourront ainsi y entrer les associations comme la LPO ou la Fédération des pêcheurs, la régie de territoire, les maraîchers, les financeurs, pourquoi pas les habitants qui fréquentent le lieu ou viennent s’approvisionner en légumes, et bien sûr le SEAT, membre de droit, qui reste propriétaire et gestionnaire du site.
« Cela complique un peu les choses, mais ça donne davantage de sens au projet et permettra d’assurer sa pérennité », poursuit le coordinateur – sait-on jamais, si de nouveaux élus devaient se désintéresser un jour du projet ou être tentés de lui donner une autre orientation…
Pour sécuriser encore plus cette nouvelle organisation, une série de réunions et séminaires a permis de coconstruire un cadre pour la gestion du projet fondé sur les valeurs communes : un travail en profondeur, financé par la Fondation de France et animé avec la contribution de Cécile Favé, spécialiste des techniques de coopération.
La nouvelle Association de l’Écopôle du Val d’Allier est aujourd’hui en train de se structurer. Prenons le pari qu’elle saura démultiplier les idées, pour poursuivre l’activité pionnière de ce bel outil d’expérimentation.
Reportage Marie-Pierre Demarty, réalisé le mercredi 11 septembre 2024. Photos Marie-Pierre Demarty, sauf mention contraire. A la une : vue de l’Ecopôle et notamment de son plan d’eau principal, à travers une ouverture d’un des observatoires.
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