Escale en géonef, l’habitat résilient et autonome

Par

Damien Caillard

Le

Avec un mur souterrain à température constante, une serre pour apporter lumière et chaleur et une organisation pensée pour l’autonomie, la géonef (earthship) semble être un habitat écologique idéal pour vivre de manière éco-responsable.

Le pourquoi et le comment   [cliquer pour dérouler]

J’avoue, j’ai une raison secrète qui m’a poussé à réaliser ce reportage. Mais je sens qu’elle ne va pas rester secrète bien longtemps. Allez, je me lance : j’envisage de construire une géonef. J’ai acquis pour cela un terrain à Châteldon, et je vous en reparlerai prochainement (car je compte vous raconter en détail mes petites aventures là-bas).

En attendant, il m’a semblé judicieux d’aller visiter des géonefs existantes – elles ne courent pas les rues, même si elles ne se cachent pas non plus – et de rencontrer des personnes qui en ont construit. Chose faite avec la visite auprès de Grégoire, dans le Causse Méjean, et de Pauline, près de Périgueux.

Je vous en ai rapporté quelques belles photos, un résumé que j’espère clair, précis et inspirant. Et l’envie de “poursuivre l’aventure”, comme on dit à la télé, car c’est bien le lieu où l’on vit qui façonnera notre manière de vivre.

Damien

Trois infos express   [cliquer pour dérouler]

  • La géonef (de l’américain earthship) est une éco-habitation pensée pour être peu impactante sur l’environnement, autonome et résiliente climatiquement. Elle a été conçue dans le désert américain à la fin des années 1970 et a progressivement essaimé ailleurs dans le monde. Ici, Pauline d’une part, Grégoire de l’autre, sont deux acteurs importants de l’implantation des géonefs en France.
  • La caractéristique structurelle principale des géonefs est le mur nord enterré, apportant toute l’année une température stable, une serre au sud faisant entrer lumière et chaleur, et un système de ventilation naturelle fait de puits canadiens et de flux de convection. Sans chauffage ni climatisation, la géonef promet ainsi une température agréable toute l’année.
  • Construire ou faire construire une géonef reste encore une aventure. La plupart sont montées en chantier participatif. La clé est de bien embarquer les acteurs locaux et notamment les collectivités, qui peuvent – si l’on s’y prend bien – être intéressées par la dimension innovante et écologique de tels bâtiments. C’est le pari du projet “Paradigme” porté par Grégoire, sur le Causse Méjean.

Quand on creuse un peu, il existe une foule d’habitats écologiques. Kerterres, adobes, conteneurs aménagés, fustes, yourtes… sans parler des maisons en pisé, en bauge ou en paille porteuse, en sont des exemples trouvables en France (et dans ce livre que je vous recommande chaudement). Aujourd’hui, focus sur la géonef, traduction française et poétique de l’américain earthship puisque le concept nous vient du Nouveau-Mexique.

Pourquoi s’embêter avec un habitat écologique, pour commencer ? Allez, je suis un peu provoc’, mais c’est pour la bonne cause. Et il y a plusieurs raisons valables (la dernière va vous étonner). Bien sûr, l’impact environnemental, sur le sol, les matériaux, les déchets générés et l’énergie utilisée par le chantier. Ensuite, la consommation et les réseaux, puisqu’une maison écologique a tendance à être mieux conçue au départ – et potentiellement plus chère (quoique) – pour être bien plus efficace à l’usage. Enfin, la résilience climatique. Et notamment le confort thermique d’été, ou comment se sentir bien chez soi malgré les canicules à répétition. Et sans clim’, s’il vous plaît.

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Intéressé personnellement par le sujet (voir l’encadré introductif “Le pourquoi et le comment”), j’ai cherché à visiter un de ces habitats qui m’avaient tapé dans l’œil : la géonef. On en trouve quelques unes en France, mais pas non plus à chaque coin de rue. J’en ai repéré une très belle, plutôt pionnière et bien documentée (livres, vidéos…) près de Périgueux. Un petit tour en Dordogne, ça ne se refuse pas. J’y suis allé en complément d’une autre rencontre inspirante, cette fois sur le Causse Méjean près de Millau, pour parler d’un futur projet d’écovillage en géonefs.

Un vaisseau dans la terre

Si la géonef étonne de prime abord, c’est par son aspect paysager. Une large baie vitrée qui constitue la façade sud, le reste du bâtiment étant… quasiment enterré. Du moins voit-on le toit (ici, en bacacier), qui se fond très vite dans le sol. En effet, le mur nord de la géonef est complètement souterrain : c’est une des caractéristiques marquantes de ce type d’habitat. Pourquoi ? Vous l’aurez deviné, sagaces comme vous êtes : pour profiter de l’inertie thermique du sol. A deux mètres de profondeur, la température est à peu près constante, autour de 12 degrés, été comme hiver. A partir de cela, il est plus facile d’organiser le confort thermique de la maison.

Pauline devant sa maison de Biras. On voit bien le mur sud en baies vitrées, les panneaux solaires et les ouvertures sur le toit permettant à l’air de s’échapper par convection, au-dessus de la serre.

Pauline m’accueille en ce 7 juillet à Biras, au nord de Périgueux. Avec son compagnon Benjamin, elle a construit en 2018, via une forme de chantier participatif, sa géonef. Je me gare, je descends une allée de gravillons (le terrain est légèrement en pente) et je rentre par le côté, à une extrémité de la baie vitrée. Ou plutôt de la serre, puisqu’un long alignement de plantes s’étale au pied des fenêtres. “Il fait au minimum 15 degrés dans cet espace”, précise d’emblée Pauline, “et on peut même y faire pousser des bananes”. En effet, il y a quelques bananes. Pas beaucoup, car cette serre (il y a une seconde paroi de verre qui isole de la maison proprement dite) a d’autres fonctions que la production alimentaire. “La serre permet de capter la chaleur” me dit Pauline, “qui va ensuite être amassée dans le mur en pneus”.

Hé oui, il y a un mur en pneus ! En fait, on le voit très peu puisque les pneus – remplis d’un mélange terre-paille et empilés en quinconce – sont recouverts d’un enduit terre qui les invisibilise. Mais cette “masse thermique”, qui constitue le mur nord, peut stocker la chaleur transmise par la serre l’hiver, et à l’inverse diffuser la fraîcheur du sol l’été. Un vrai petit bijou d’inertie thermique. Et donc, “entre la serre et le mur du fond, il y a nos pièces de vie. Cela nous permet de bénéficier de la chaleur même quand il n’y a pas de soleil. C’est très efficace !” conclut Pauline en me faisant faire un tour du propriétaire.

Et en été ? “Bien sûr, on a besoin de fraîcheur à ce moment. L’idée n’est pas que la serre nous amène de la chaleur.” et Pauline de me montrer de curieux gros tuyaux qui émergent au pied du mur nord, directement dans les pièces à vivre. “On a un système d’aération naturelle et de puits canadiens, soit des tubes enterrés à l’arrière de la maison. L’air extérieur est appelé par l’ouverture des auvents au-dessus de la serre, et va venir se rafraîchir dans le sol, et nous amener de l’air conditionné de manière complètement naturelle.” Naturelle, et non mécanique : en ouvrant la serre par le haut, la convection se fait toute seule.

Vivre l’autonomie

On commence à comprendre les principes sous-jacents de la géonef. Parmi ceux-ci, l’utilisation optimisée des mécanismes naturels se combine à une vraie attente, de la part des promoteurs du concept : l’autonomie. Grégoire m’avait accueilli quelques semaines avant ma visite en Périgord, sur les magnifiques hauteurs du Causse Méjean. Là, pas (encore) de géonef, mais un beau projet d’écolieu à la fois à vocation d’habitat et de service.

Grégoire, co-organisateur du projet (baptisé “Paradigme”), est constructeur de géonefs – il a d’ailleurs participé au chantier de Pauline, à Biras. Selon lui, l’autonomie proposée par la géonef est à la fois pratique et philosophique : “Le fait d’avoir des limites tangibles, quotidiennes, à portée de main, ça change énormément nos comportements” , affirme-t-il. Les limites tangibles, ce sont les niveaux de stock d’eau et d’électricité produits sur place et constamment visibles par des indicateurs. “On change, parce qu’on va se retrouver dans la mouise si la cuve est vide !”  Alors que, dans un système raccordé aux réseaux, on peut avoir conscience des enjeux mais il n’y a jamais de risque de pénurie – pour l’instant. Dans ce cas, “le résultat, c’est de l’anxiété et de la dissonance cognitive.” poursuit Grégoire.

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L’autonomie par l’utilisation de ses propres productions permet aussi de ne pas être trop dépendant de fluctuations du marché, de tensions d’approvisionnements, et d’être “conscients de la capacité de la nature à résoudre les problèmes” – Grégoire parle ici de la manière dont le respect des cycles naturels permet d’améliorer la vie en autonomie. A condition de ralentir son rythme. “Une grande variable dans l’équation, c’est tout de même le ralentissement”, confirme-t-il. 

L’emprise foncière du projet Paradigme, porté par Grégoire, se voit en partie sur cette photo. Certaines parcelles seront dédiées aux familles s’installant en géonefs, d’autres à l’agriculture ou à la partie “servicielle” (dont le Fablab). De l’hébergement touristique et des résidences d’artistes et d’innovateurs complèteront le modèle économique du projet.

Ralentissement et adaptation : deux semaines plus tard, je voyais Pauline profiter d’un rayon de soleil pour allumer sa bouilloire et produire de l’eau très chaude, immédiatement stockée dans des thermos pour le reste de l’après-midi. Un bon réflexe quand vous êtes reliés à des panneaux solaires. Et un exemple parmi d’autres de la manière dont nos rythmes de vie peuvent s’adapter aux cycles naturels, à condition d’adapter nos habitudes.

Récup’, beauté et chantier

On sent d’ailleurs la présence de la nature de mille façons dans la maison de Pauline et de Benjamin : murs arrondis faits d’enduits terre, couleurs ocrées et douces, des plantes un peu partout, et ces parois – côté soleil levant – dans lesquelles ont été enchâssées des bouteilles de verre multicolores. Résultat (que je n’ai pas observé personnellement, mais on peut se l’imaginer) : un kaléidoscope de couleurs à l’aube.

Pour Pauline, l’utilisation des bouteilles “fait partie de l’identité du Earthship”. Pour la beauté de l’effet lumineux et chromatique, mais aussi pour l’illustration du processus : dans la fabrication d’une géonef comme dans son utilisation, l’impact environnemental est censé être pensé, conscientisé et minimisé. D’où le réemploi, ou la récupération, de nombreux objets autrement destinés à la décharge : pneus pour le mur, canettes écrasées, bouteilles en verre… Dans son livre intitulé La Maison Magique (éditions Massot), Pauline et Benjamin racontent comment ils se sont trimbalés des caisses et des caisses de bouteilles vides, en écumant bars et boîtes de nuit de la région.

Un des murs latéraux de la géonef de Pauline (est et ouest), dans lequel sont enchâssés les culots de bouteille.

Car le chantier d’une géonef n’est pas forcément de tout repos. Etant donné que très peu d’architectes connaissent la maîtrise d’œuvre de ce type de bâtiment, les rares compétents et expérimentés en la matière sont sur-sollicités. Une solution consiste à récupérer les plans (payants mais accessibles) des earthship d’origine, proposés par la société américaine Earthship Biotecture, et de les adapter. C’est le principe des Earthship inspirés, développés notamment par Mathieu Guyomard. Beaucoup (sans être des milliers non plus) se lancent même dans un joyeux mais prenant chantier participatif, rameutant famille, copains, militants du coin et même parfaits inconnus pour travailler sur leur bâtiment, le temps d’un été.

Pauline et Benjamin, eux, ont fait appel directement à la société Earthship Biotecture, qui a débarqué à une centaine (dont soixante-dix “étudiants”) pour un chantier-école de 24 jours. Oui, 24 jours pour construire une géonef hors d’eau et hors d’air, à partir d’un trou dans le sol et des matériaux empilés à côté. L’histoire de ce chantier un peu fou (ou complètement barré, selon le point de vue) est bien racontée dans le livre de Pauline, je ne vais pas revenir dessus car je ne l’ai pas vécu. Elle éclaire également d’un autre jour le doux rêve d’une maison éco-responsable : si la géonef l’est certainement bien plus que d’autre, les contraintes liées à un chantier aussi pressuré, l’état d’esprit de l’équipe américaine plus survivaliste qu’écolo, et les arbitrages à faire entre efficacité et naturalité des matériaux font de ce type d’habitat une solution très poussée, à la fois imparfaite et inspirante.

Réception de bottes de paille pour le lancement des premières constructions légères (avant les géonefs, qui nécessitent des permis de construire) pour Paradigme / Photo Grégoire Durrens

Un habitat encore expérimental et innovant

Là aussi, tout est question de point de vue. Le concept des earthship a vu le jour à la fin des années 1970 dans le désert du Nouveau-Mexique. Son inventeur, Michael Reynolds – fondateur de la société Earthship Biotecture – voulait surtout développer une maison adaptée au climat local (plutôt désertique) et le moins possible dépendante de l’extérieur. D’où les capteurs solaires, la récupération d’eau, le potager sous serre ou encore la phyto-épuration, des éléments que l’on retrouve dans beaucoup de géonefs aujourd’hui. Mais son état d’esprit était plus “autonomiste” qu’écologique.

Néanmoins, ces maisons ont essaimé un peu partout dans le monde, que ce soit pour de l’habitat permanent ou en réponse à des catastrophes naturelles (une des missions de Earthship Biotecture étant l’aide humanitaire). Il n’est plus vraiment innovant ni expérimental, beaucoup de gens vivant dans de tels habitats depuis des décennies. Et aucune technologie avancée n’est, logiquement, utilisée dans une géonef (on est plutôt sur de la low-tech, ou au moins sur des choses réparables facilement).

Mais du point de vue des collectivités locales françaises, le concept garde une certaine fraîcheur. C’est l’expérience qu’est en train de faire, en ce moment-même, Grégoire : son projet d’écolieu Paradigme commence à prendre racine dans le village de la Parade, sur le Causse Méjean. Ce qui est intéressant, ce sont les arguments déployés pour convaincre les acteurs publics locaux d’accueillir le projet. Pour la commune, c’est la dimension du Fablab (laboratoire de fabrication), partie intégrante de l’écolieu, qui a séduit. Pour autant, “il fallait rassurer sur la partie écologique. Éthiquement, c’était bien, mais on ne voulait pas ‘des hippies pieds nus qui ne font rien de leur journée’. Je décris juste un cliché, sans porter de jugement de valeur !” précise Grégoire.

Grégoire me montre l’emplacement du futur Fablab, coeur “serviciel” de l’écolieu Paradigme. Le bâtiment sera lui-même construit sous forme de géonef. Derrière lui, quelques pneus qui seront utilisés pour la construction.

A l’inverse, si j’ose dire, la préfecture et le PETR [Pôle d’Equilibre Territorial et Rural] Causses et Cévennes ont été convaincus par le projet environnemental autour des géonefs. “C’était la dimension projet de territoire et transition écologique qui était plus importante pour eux”, d’autant plus qu’ils connaissaient déjà les Fablabs. Avec un PETR souhaitant développer “un territoire qui accueille les projets de transition écologique et d’innovation, on s’alignait parfaitement” résume Grégoire.

C’est donc la combinaison innovation portée par le Fablab / écologie portée par les géonefs qui a porté ses fruits. Et ce bien que les permis soient en cours de dépôt, mais Grégoire et son collectif ne se font pas trop de soucis à ce sujet. Comme quoi, les géonefs restent un concept innovant et attractif pour beaucoup de collectivités, qu’il est capital d’embarquer en amont dans ce type de projet – autant Grégoire que Pauline et Benjamin en savent quelque chose. 

Et c’est bien Grégoire qui résume la dimension holistique de la construction d’une géonef, que ce soit pour ses habitants, pour son environnement ou pour les acteurs locaux : “on fait des expériences, on en rassemble le meilleur, on en fait un tout cohérent. Et ce projet est un réceptacle qui permet d’amener le plus de cohérence et d’impact sur un territoire. On a des choses à offrir. Et c’est, je pense, le meilleur outil pour le faire.”

Reportage Damien Caillard, réalisé les 25 juin et 11 juillet 2024. Photos Damien Caillard. A la une : la serre de la maison de Pauline, à Biras

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