« Il faut un équilibre dans la nature » : démonstration en 3 territoires

Par

Marie-Pierre Demarty

Le

vue de la vallée de Chaudefour
Trois lieux pour voir comment ça change #1 – Dans cette nouvelle rubrique, nous sollicitons des experts pour vous montrer concrètement les enjeux de résilience. Ce qui se dégrade, ce qui s’améliore… Merci au chercheur Christian Amblard qui ouvre le bal !

Le pourquoi et le comment   [cliquer pour dérouler]

Parfois on désespère… En voyant se multiplier les climato-négationnistes et techno-solutionnistes, en constatant les résultats d’élections, en voyant le sujet des urgences écologiques redevenir inexistant dans les discours, voire dans les actes politiques…

Et pourtant… pourtant ! Il faut être bien mal informé, sourd aux avertissements des scientifiques les plus sérieux, à l’abri (provisoire) dans des zones aussi urbanisées que climatisées, pour ne pas se rendre compte que les changements climatiques, les perturbations des milieux naturels, la raréfaction des ressources sont déjà à l’œuvre et nous font subir les premières conséquences.

Même en Auvergne, région pourtant relativement préservée.

C’est ce que me disent les gens de terrain que je rencontre régulièrement : agriculteurs, chercheurs, naturalistes, jardiniers, météorologues, gestionnaires des eaux ou des forêts…

Tout cela m’a donné l’idée de cette nouvelle rubrique que vous verrez revenir de temps en temps : avec la complicité d’observateurs et spécialistes qui connaissent bien le Puy-de-Dôme, je voudrais peu à peu vous faire visualiser les changements, montrer les évidences, vous mettre le nez sur ce qui a lieu de nous inquiéter grandement et de nous faire agir ou réagir.

Pour ne pas aggraver la désespérance, je leur donne le choix : sur les trois lieux à nous montrer, ils peuvent pointer ce qui se dégrade ou ce qui s’améliore.

Toujours prompt à nous répondre, Christian Amblard (qui avait déjà ouvert notre série de cartes blanches) inaugure cette tentative de cartographie.

Pour que personne ne puisse dire qu’il ne savait pas…

Marie-Pierre

« Chaque espèce a son rôle ; il n’y a pas de nuisible », rappelle Christian Amblard. Chercheur émérite au CNRS, connu comme conférencier sur les questions liées à la ressource en eau et les écosystèmes aquatiques dont il est un spécialiste, il est aussi un fin connaisseur de la faune de notre région, sensible aux questions de biodiversité en général et, comme on va le voir, photographe animalier.

C’est pourquoi il a choisi, pour notre nouvelle rubrique, de repérer des lieux qui mettent en avant cette thématique « parce que le sujet de l’eau commence à être bien connu, mais les problèmes liés à la biodiversité le sont moins », explique-t-il. Les trois lieux qu’il a choisis concernent des zones assez vastes, mais évoquent des phénomènes qui peuvent tous se repérer dans des coins qu’il connaît bien, autour du Sancy et notamment dans la proximité de la vallée de Chaudefour.

1. Prairies de montagne : la pullulation des rats taupiers

Renard tenant dans sa gueule un campagnol
Le renard est un prédateur utile du campagnol terrestre. – Photo Christian Amblard

« Il faut un équilibre dans la nature », dit Christian Amblard, déplorant que l’on fasse la chasse au « fameux renard qui n’a rien d’un nuisible et qui ne mange pas tellement les poules : il se nourrit surtout de petits rongeurs », dit-il pour la défense de cet animal mal-aimé. Celui-ci est même classé par le Code de l’Environnement « espèce susceptible d’occasionner des dégâts », ce qui autorise à le chasser sans limite… alors qu’il est un prédateur du rat-taupier (ou campagnol terrestre).

Ce petit rongeur occasionne pourtant beaucoup plus de dégâts. Creusant des galeries à la manière des taupes, il grignote l’herbe par la racine avec voracité et fait fondre les volumes de fourrage à disposition des troupeaux.

« Ses prédateurs finissent par se multiplier aussi et par faire diminuer les populations. »

« Un autre prédateur efficace des rats-taupiers est l’hermine, car elle est si fine qu’elle peut entrer dans les terriers pour les attraper », poursuit Christian Amblard. Las ! La belle chasseuse au manteau blanc se fait rare elle aussi, entre autres parce que les paysans, à certaines époques, ont essayé d’éliminer les rongeurs en mettant du poison dans les terriers. Une belle méthode qui a aussi empoisonné les hermines.

Résultat : le campagnol terrestre prolifère. « Ça se produit par vagues, car lorsqu’il se met à pulluler, ses prédateurs finissent par se multiplier aussi et par faire diminuer les populations de leurs proies. Cela crée des cycles. » 

Morale de l’histoire : laissons faire les renards et arrêtons de les embêter !

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2. Bords de routes : massacre à l’épareuse

Un bord de route boisé après le passage de l'épareuse
Bord de route près de Billom, après le passage d’une épareuse. – Photo Marie-Pierre Demarty

Vous les avez sans doute vues – et doublées – le long des routes : les épareuses sont des engins munis d’un bras articulé qui agissent comme un rasoir géant sur les bords des routes, pour couper tout ce qui pourrait gêner la circulation. Herbes du fossé ou branches des arbres de lisière : l’épareuse tond et casse sans délicatesse, blessant les buissons et perturbant la vie qui y fourmille.

« En plus, c’est moche ! »

« Je comprends qu’il faille assurer la sécurité des routes, mais les engins vont souvent beaucoup plus loin que nécessaire, et en plus, c’est moche ! », s’agace Christian Amblard.

Il explique que partout, mais encore plus dans les zones où on a éliminé trop de haies, ces bords de route sont un refuge pour la biodiversité : insectes, reptiles, micromammifères, petits oiseaux et même certaines espèces végétales s’y établissent. « Il faut en laisser le plus possible », demande-t-il, à l’attention des services départementaux, principaux pourfendeurs des bords de route de campagne, mais aussi des services communaux ou intercommunaux qui ont la même vocation.

3. Monts du Sancy : le retour des « équarrisseurs »

Zoom sur un groupe de vautours dans une prairie
Un groupe de vautours observés et photographiés par Christian Amblard dans le Sancy.

« Ils ne nichent pas encore ici mais ils viennent souvent depuis les gorges de la Jonte : étant des planeurs hors pairs, ils sont ici en moins de deux heures. On peut donc les observer régulièrement autour du Sancy. La semaine dernière, j’en ai observé un groupe de 60 à 80 », indique Christian Amblard. C’est la bonne nouvelle qu’il nous livre : les vautours sont de retour.

« Quand on protège une espèce, elle revient facilement. Les rapaces sont protégés depuis 1976. J’aurais pu parler d’autres espèces comme le milan royal qu’on ne voyait plus beaucoup non plus, mais les vautours sont emblématiques », poursuit-il, se réjouissant du rôle d’équarrisseurs naturels que reprennent ces majestueux charognards.

« Quand on protège une espèce, elle revient facilement. »

Il y a d’ailleurs une information à faire passer dans notre région, avertit le chercheur : car les paysans pensent parfois, en voyant une nuée de vautours autour d’une dépouille, que ces rapaces tuent leurs vaches. « Mais c’est complètement faux, précise-t-il. Ils se nourrissent des bêtes déjà mortes. D’ailleurs du côté des gorges de la Jonte où on est plus familiarisé avec ces oiseaux, on aménage des “places d’équarrissage”. Les éleveurs viennent y déposer les bêtes mortes, évitant le coût de l’équarrissage, car les rapaces s’en occupent. On voit qu’ils rendent des services ! »

Propos recueillis par Marie-Pierre Demarty. A la une, photo Marie-Pierre Demarty : les environs de la vallée de Chaudefour, lieu de prédilection de Christian Amblard pour observer et photographier la faune.

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