Et si les cimetières étaient plus accueillants pour le(s) vivant(s) ?

Par

Marie-Pierre Demarty

Le

Vue du cimetière paysager du Mont-Dore avec un banc et un arbre au premier plan
Zéro phyto, végétalisés, paysagers, naturels… À des degrés divers et très progressivement, les cimetières de nos villes et villages font leur mue. Petite enquête autour de cette discrète mutation.

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Le pourquoi et le comment   [cliquer pour dérouler]

Il y a des sujets qui me viennent d’une rencontre, de la connaissance d’une initiative, d’un projet qu’on me signale ou que je découvre par les réseaux sociaux… Et il y a ceux qui viennent d’une question que je me pose ou de mon vécu très intime, comme celui d’aujourd’hui.

Il se trouve que ma mère repose depuis l’an dernier dans le beau cimetière paysager d’un village de Corrèze. Et que je suis très sensible, à chaque fois que je m’y rends, à l’atmosphère incroyablement apaisante de cet espace de prairie où s’invitent la menthe, le serpolet et les pâquerettes, veillés par des charmes, des chênes et des châtaigniers. Il est pour moi une évidence qu’on se sent bien mieux là que dans l’autre moitié du même cimetière, où les tombes serrées les unes contre les autres s’étagent sur un parfait couvert de bitume, de béton et de pierre.

J’ai donc eu la curiosité de taper sur mon moteur de recherche quelque chose comme “cimetière paysager Puy-de-Dôme”, pour savoir si cette belle pratique était assez évidente pour se répandre largement… Et voilà que je suis tombée presque exclusivement sur des sites de rando !

C’était le point de départ de cette enquête de veille de Toussaint, qui ne prétend pas du tout faire le tour de la question, mais proposer quelques fils de réflexion.

Où il sera question, explicitement ou en filigrane, de biodiversité, d’artificialisation des sols, d’îlots de chaleur, de pratiques funéraires écologiques… mais aussi d’émotions pas du tout faciles à évoquer et à remuer. Même dans un article sur la résilience du territoire.

J’ai fait de mon mieux…

Marie-Pierre

Trois infos express   [cliquer pour dérouler]

  • Depuis le XIXe siècle en France, les cimetières offrent un environnement très minéralisé, peu propice à la biodiversité, favorisant les îlots de chaleur et pas très engageants pour les humains vivants. Mais les choses évoluent (lentement vu la délicatesse du sujet), notamment depuis l’obligation en 2021-2022 du zéro phyto et le souci croissant des collectivités de respecter la biodiversité et de préparer l’adaptation au dérèglement climatique.
  • Bien après le cimetière paysager du Mont-Dore créé dans les années 1970, quelques villes prennent des mesures pour débitumer les allées, développer la végétalisation, protéger la faune. Par exemple à Riom, Aubière ou Clermont-Ferrand. L’évolution est plus lente sur les pratiques funéraires écologiques.
  • Magalie Mathé a tenté de créer un bureau d’étude qui propose une mutation plus radicale de ces lieux qu’elle imagine plus naturels, accueillants, culturels, dédramatisant notre rapport à nos proches disparus. Elle a réalisé une étude sur le sujet en partenariat avec la municipalité de Saint-Amant-Tallende. La commune s’en inspire pour faire évoluer son cimetière, mais avec prudence sur ce sujet quasiment tabou, témoigne Aurélie Dousson, l’élue en charge du dossier.

Si comme beaucoup de Français vous allez ce week-end rendre visite à vos proches disparus, à cette occasion, regardez autour de vous. Il y a de bonnes chances pour que vous soyez environnés d’un univers extrêmement minéral, avec des rangées de tombes de granit sombre (ou de pierre de Volvic encore plus sombre) serrées les unes contre les autres, séparées par des allées bitumées et bétonnées.

Des lieux le plus souvent rejetés à la périphérie de l’agglomération et dissimulés par un grand mur, peu accueillants pour les vivants et même, pourrait-on dire, pour le vivant.

Alignement de tombes en granit le long d'une allée bitumée
Comme la plupart des cimetières en France, la partie “moderne” du cimetière des Carmes à Clermont présente un aspect froid et minéral.

Nos cimetières doivent-ils fatalement dégager cette atmosphère de tristesse et d’austérité ? Si le poids des traditions et la délicatesse du sujet font que les évolutions sont très lentes en ce domaine, on observe pourtant de timides nouvelles tendances. D’abord parce que ces traditions ne sont pas très anciennes, remontant au XIXe siècle, alors qu’auparavant les cimetières entouraient les églises et pouvaient donc se trouver au centre du village.

Mais surtout parce que d’autres considérations entrent en jeu de nos jours. Entre autres, au regard des enjeux écologiques et de la nécessité de laisser la plus grande place possible aux milieux naturels. Dans les contextes urbanisés notamment, ils sont de plus en plus regardés comme des espaces paisibles où peut circuler librement une petite faune à l’abri de la circulation, de la pollution, des agressions sonores ou lumineuses.

Le précurseur

Les évolutions étant guidées notamment par le développement de l’éco-sensibilité, les exemples d’initiatives remontant à plus loin que ces dernières années sont rares. Dans le Puy-de-Dôme, on en recense une, notable, dans la commune du Mont-Dore. Les amateurs de marche et de chutes d’eau la connaissent bien, car le cimetière paysager du faubourg de Prends-toi-Garde (c’est bien son nom !) constitue le point de départ de la fameuse randonnée des Cascades : un signe que la nature n’est de toute façon pas loin.

« Un lieu de recueillement reposant, dans un cadre de verdure apaisante et un paysage idyllique. »

C’est ce que confirme Damien Pair, directeur général des services de la mairie. Interrogé sur les motivations qui ont présidé à la création de ce lieu remontant aux années 1970 et encore insolite de nos jours, il explique : « L’ancien cimetière était presque complet. Les extensions éventuelles de part et d’autre ont été refusées par les services de l’État du fait de la proximité des habitations. Les élus de l’époque ont donc envisagé la création d’un nouveau cimetière. C’est assez naturellement qu’ils se sont tournés vers le choix d’un cimetière paysager tant la localisation du lieu inspirait ce type de projet. L’idée étant d’avoir un lieu de recueillement reposant, dans un cadre de verdure apaisante et un paysage idyllique. »

Vue du cimetière paysager du Mont-Dore avec des tombes au premier plan, de la pelouse et beaucoup d'arbres
Avec ses pelouses et son environnement forestier, le cimetière du Mont-Dore, créé dans les années 1970, fait figure de pionnier.

Le lieu a des allures de parc arboré, très vert, accueillant des bancs propices autant au recueillement qu’à une pause au calme, dans un environnement forestier agrémenté par le chant des oiseaux et celui d’un des bras qui constituent (ça ne s’invente pas !) le Ruisseau de l’Enfer, affluent de la Dordogne.

En dehors de la commune de Riom, qui a choisi aussi ce type d’aménagement en 1987 pour l’extension du cimetière des Charmettes, il est difficile de trouver dans notre département d’autres initiatives laissant plus de place à la nature jusqu’aux années les plus récentes.

Accueillir la biodiversité

Mais peu à peu, d’autres municipalités s’y mettent, plus ou moins timidement. La loi de 2021 imposant le zéro phyto aux derniers espaces communaux où ce n’était pas encore obligatoire – dont les cimetières – a sans doute accéléré les réflexions, parfois déjà en cours et notamment en ville.

Grands cèdres et pelouse dans les allées de ce cimetière
Dans l’environnement urbain de la commune d’Aubière, le cimetière aux allées enherbées a des allures de parc arboré.

Exemple à Clermont-Ferrand où la municipalité a intégré ces vastes espaces dans son schéma de verdissement et d’accueil de la biodiversité, sur laquelle elle a choisi de communiquer.

À Aubière, les allées ont été totalement enherbées et le cimetière, veillé par ses grands cèdres, semble un prolongement du square voisin.

« J’imaginais déjà quelque chose d’accueillant, vivant, qui donnerait envie de se rapprocher des proches disparus. »

« C’est déjà très bien, mais ce n’est pas suffisant », estime Magalie Mathé. Depuis la métropole clermontoise, elle a fondé (au moins sur le papier) Racines de Vie, un bureau d’étude qui propose d’accompagner les collectivités pour repenser complètement ces lieux dont l’aspect lui paraît peu engageant.

« J’ai eu cette idée il y a une dizaine d’années, explique-t-elle. A l’occasion de décès dans mon entourage ou de visites au cimetière, j’ai ressenti que le jour où ce serait mon tour, je ne voudrais pas être enterrée dans un lieu lugubre. Mais à l’époque, il n’existait rien d’autre. J’imaginais déjà quelque chose d’accueillant, vivant, qui donnerait envie de se rapprocher des proches disparus ; pourquoi pas reposer entre les racines d’un arbre où mes petits-enfants pourraient venir grimper… »

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Vision d’une mutation profonde

Depuis, elle a développé et précisé sa vision pour modifier l’allure et l’ambiance de ces lieux : « Je les envisage comme des lieux plus ouverts, qui ont une place dans la communauté du village ou du bourg, des lieux de mémoire vivante qui recréent du lien et donnent davantage envie d’accepter la mort. Plus proches des lieux de vie, harmonieux, culturels et écologiques, où on pourrait se retrouver, se rencontrer… Il s’agit de les repenser complètement », évoque-t-elle, s’inspirant de cultures et expériences plus ou moins lointaines : traditions d’Europe du Nord ou de Madagascar, cimetière fleuri de Hell-Bourg à la réunion ou forêts cinéraires à l’allemande.

« Plus proches des lieux de vie, harmonieux, culturels et écologiques… »

Dans sa forme la plus aboutie, elle propose une mutation profonde mettant en œuvre des évolutions à la fois sociales, patrimoniales et environnementales : « repenser l’accès pour les personnes à mobilité réduite qui est souvent compliqué ; imaginer le traitement des déchets et poser la question des fleurs en plastique, encore très présentes ; valoriser les tombes anciennes ou historiques… la liste est longue ! », dit-elle.

Alors que son projet Racines de Vie était accompagné dans l’incubateur de l’ESC Squarelab, Magalie a réalisé en 2021, comme preuve de concept, une étude sur le cimetière de Saint-Amant-Tallende, dont la municipalité s’est montrée réceptive à sa démarche.

Un vieux cimetière de campagne, entourant l'église clunisienne de Colamine
Magalie rêve de “remettre le cimetière au centre du village” comme autrefois. Avant le XIXe siècle, les cimetières entouraient les églises, pour être au plus proche du lieu sacré. La plupart ont disparu, happés par l’urbanisation. Mais on peut encore en trouver dans les campagnes, comme ici dans le hameau de Colamine-sous-Vodable.

Étude sur le terrain

« Elle est venue nous présenter son projet alors que nous avions déjà ouvert notre esprit à ces démarches, témoigne Aurélie Dousson, conseillère municipale qui s’est emparée du sujet. Nous n’avions pas encore en tête l’idée du cimetière naturel, mais nous étions déjà passés au zéro phyto et nous étions en réflexion sur la façon d’entretenir le cimetière, avec des idées de végétaliser, d’en faire un lieu plus agréable où se promener, se ressourcer et se recueillir. Cela entrait dans une démarche plus globale que nous menons à l’échelle du bourg pour végétaliser et atténuer les îlots de chaleur. »

« Cela entrait dans une démarche plus globale que nous menons à l’échelle du bourg. »

Magalie Mathé s’est, pour ce travail, entourée de différents professionnels : paysagiste, urbaniste, designer d’espace, gestionnaire forestier, et elle a proposé différents scénarios prenant en compte tous ces aspects, aussi bien sur la partie historique que sur la partie plus récente et l’espace encore libre de cette dernière.

Parmi les belles idées, retenons celle de végétaliser non seulement des îlots dans le cimetière, mais aussi les murs de son enceinte avec des plantes grimpantes. Ou celle de planter des arbres et arbustes sur les emplacements repris en fin de concession, éventuellement en proposant des concessions avec urne biodégradable sous la plantation.

La Tieretaine s'écoule entre deux digues de pierres, derrière lesquelles se dressent des tombes
Une des particularités du cimetière des Carmes, récemment labellisé “Cimetière remarquable d’Europe” : il est traversé par la Tiretaine, qui sépare la partie la plus ancienne de l’extension moderne.

Une végétalisation abondante, souligne-t-elle, permet aussi d’inscrire ces vastes espaces tranquilles dans les schémas de trame verte ou noire (sans éclairage nocturne pour accueillir chauves-souris et autre faune de la nuit)… Et pourquoi pas bleue, si l’on considère, comme elle le rappelle, que la Tiretaine traverse le cimetière des Carmes : un des rares endroits où on peut voir la rivière dans sa traversée quasi souterraine de Clermont.

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Sujet sensible

La vision « Racines de vie » propose aussi de valoriser les sépultures anciennes en s’appuyant sur les personnalités pour raconter l’histoire de la commune. « Les tombes nomment les gens mais disent rarement qui ils sont ou ce qu’ils ont accompli et c’est dommage. Par exemple à Saint-Amant-Tallende, peu de gens savent encore que la famille La Tour-Fondue a créé les premières fontaines du village. Cela pourrait être rappelé, près de leur caveau ou de fontaines réparties dans le cimetière », poursuit Magalie.

Son concept pousse très loin le potentiel de mutation des lieux dédiés aux personnes décédées : il franchit le pas qui sépare le cimetière végétalisé ou paysager du cimetière naturel, ce dernier incluant les nouveaux modes de sépulture écologiques, tels que l’humusation et autres inhumations sans soins sur le corps, sans caveau ni cercueil en dur.

« Les tombes nomment les gens mais disent rarement qui ils sont ou ce qu’ils ont accompli. »

Aurélie Dousson explique que la commune s’inspire de l’étude de Racines de vie pour faire évoluer le cimetière, mais à petits pas, car le sujet s’avère délicat jusque dans le conseil municipal. Elle avance à peu près seule sur ce dossier, soutenue et encouragée par certains élus convaincus, mais elle sent aussi la réticence d’une partie du conseil. « Je le comprends, car beaucoup de gens ont vécu des deuils ou se sentent peu à l’aise avec ce sujet. Le fait que je n’ai aucune famille inhumée à Saint-Amant me facilite les choses », reconnaît-elle.

Même du réemploi

Le projet ira donc au rythme où il s’avère acceptable. « Nous avançons par étapes, et nous avons commencé par entreprendre la reprise des concessions échues, détaille l’élue. Et par la végétalisation des allées de la partie ancienne, assez simple car elles étaient en gravillon, mais pas facile à faire accepter au moins sur la phase de transition. Par ailleurs, nous avons accueilli une stagiaire en Master de gestion de l’environnement, qui a travaillé sur une étude des variétés d’arbres à planter. Car elles doivent répondre aux contraintes du lieu, où l’espace est restreint, où on souhaite de l’ombre, et du feuillage persistant pour faciliter l’entretien. »

« La végétalisation des allées de la partie ancienne, assez simple car elles étaient en gravillon, mais pas facile à faire accepter. »

Du travail de Magalie Mathé et de ses partenaires, la commune a commencé à mettre en œuvre quelques idées : l’installation de cavurnes – petits caveaux pouvant accueillir des urnes –, mais aussi une pratique assez inattendue du réemploi : « Pour orner le jardin du souvenir que nous avons créé, nous avons récupéré une stèle magnifique provenant de la reprise d’une concession très ancienne. Nous avons eu la chance de pouvoir la confier à une entreprise qui est sensible à ces questions et a fait un très beau travail », précise l’élue.

Alignement de petites sépultures carrées : les cavurnes
Moins radicales que les pratiques telles que l’humusation, les cavurnes se développent, offrant un lieu de recueillement pour les proches des personnes incinérées. Ici au cimetière des Carmes.

Un projet citoyen ?

Enfin, celle-ci se dit attentive à communiquer le plus possible auprès des habitants sur chaque étape de cette transformation, aussi douce soit-elle. Ce qui ressemble à un premier pas vers une autre recommandation de Magalie Mathé : celle de faire de la question un projet citoyen, dans lequel les habitants pourraient échanger, former communauté et décider ensemble quelle place et quelle relation faire à cette part de nous-mêmes que sont nos ancêtres.

Mais la fondatrice de Racines de vie a conscience de la difficulté à avancer sur ces questions à la fois douloureuses et taboues, que personne n’aborde facilement, et qui est laissée à un monde professionnel à la logique plus commerciale que ce qu’elle-même a en tête. Un peu trop décalée dans son expérience, elle a mis son projet en demi-sommeil, tout en se disant prête à collaborer avec toute collectivité qui partage cette vision.

Un panneau informant sur la biodiversité, à l'entrée du cimetière des Carmes
La Ville de Clermont communique sur la biodiversité dans ses cimetières (ici aux Carmes) et proposera même en cette période de Toussaint des balades sur ce thème, animées par le CPIE.

En attendant, elle est davantage active dans son autre métier d’agent immobilier – où elle se dit tout aussi décalée ! Et les cimetières vont redevenir très vivants le temps de ce week-end de Toussaint. Avec même à Clermont – c’est une première – des animations proposées sur les thèmes de la biodiversité et du tri des déchets.

Votre visite sera d’abord l’occasion de penser à ceux qui vous manquent et vous sont chers. Peut-être ferez-vous tout de même une petite place dans vos pensées pour tous ceux qui disparaissent à bas bruit et ont peut-être trouvé refuge tout près : les hérissons, les oiseaux, les insectes, les écureuils…

Enquête réalisée par Marie-Pierre Demarty (texte et photos), entre le 15 et le 28 octobre 2024. A la une : le cimetière paysager de Prends-Toi-Garde au Mont-Dore.

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