Le pourquoi et le comment [cliquer pour dérouler]
Nous aimons bien le Rendez-vous du Carnet de voyage, parce que c’est à Clermont, parce que c’est l’occasion d’y faire de belles rencontres et de belles découvertes, et… parce qu’on aime les voyages.
Mais comme il est entendu que nous devons nous adapter à un monde où les voyages en avion sont à proscrire, où les frontières se ferment et où on a intérêt en toutes choses à apprendre à faire autrement, j’ai entrepris de vous faire découvrir les aventures et sensations extraordinaires que me procurent le voyage en proximité.
Après mon périple en bus urbain l’an dernier, voici une autre odyssée incroyable.
Où l’on découvre la métropole sous un autre jour.
Et où l’on se rend compte qu’il n’y a pas que les gens qui voyagent…
Marie-Pierre
Trois infos express [cliquer pour dérouler]
- Une certaine difficulté à choisir le point de départ… quelque part entre Orcines, Chanat-la-Mouteyre, Sayat…
- Des moulins, des vergers, des jardins, des cultures maraîchères, des parcs, une mystérieuse traversée souterraine.
- Plein de copains qui se rejoignent après avoir opté pour des itinéraires différents, et un point de rendez-vous final, quelque part près de Maringues.
D’où partir ?
La question n’est pas simple. Selon les sources, le point de départ de cette randonnée diffère. Est-ce quelque part sur le territoire d’Orcines ou de Chanat-la-Mouteyre ? Plus bas dans la pente ? Plus loin vers le sud ?
Dans l’incertitude des cartes et des guides, nous avons résolu de nous séparer et d’explorer chacun un itinéraire. Le point de rendez-vous, de toute façon, sera en bas de la pente, là où se situe la version la plus en aval du départ : à Sayat.
Adrienne a très vite choisi son aire de lancement : un charmant petit vallon sous le village de Chanat, qui laisse le cimetière sur sa droite et est, sur sa gauche, surplombé par une imposante sculpture de Thierry Courtadon.
Valettes s’est laissé séduire par un chemin partant du village de Ternant, juste parce qu’il part d’un lieu appelé « le Domaine des Possibles ». Ça lui semblait de bon augure.
Moi, j’hésite. C’est sûr qu’il faut partir de ce rebord du plateau, d’où l’on a de superbes points de vue sur la ville en contrebas et sur la Limagne où se situe, quelque part tout là-bas, notre point d’arrivée.
À force d’errer sur ces belles petites routes que l’automne a commencé à tapisser d’un jaune-orangé lumineux, j’ai fini par choisir mon coin. Un peu plus haut, dans un pré charmant, où d’élégants chevaux viennent assister à mon départ. Pas très loin, la stature souveraine du Grand Sarcouy veille sur le début de mon périple. Je pars.
Étape 1 : d’Orcines à Sayat par les fortes pentes
Mon départ se situe encore sur le territoire d’Orcines, mais à la limite de la commune voisine. Le chemin est d’abord en pente douce et alterne des prairies, des pinceaux d’arbres, des forêts. Le ciel est couvert mais il ne fait vraiment pas froid pour un début novembre. Dire qu’il y a quelques décennies, on aurait certainement dû marcher dans la neige !
J’avance facilement, même si certains endroits sont broussailleux. Curieux, je passe près d’un sanatorium. Ça existe encore, ça ? Ah, « centre médical ». Il a dû légèrement changer de vocation, mais il est toujours en activité. Un de ces endroits où l’on récupère après de graves problèmes de santé ; cadre parfait pour ça, auquel j’aime l’idée d’apporter un peu de fraîcheur.
Peu après, je traverse L’Étang. Le village qui s’appelle L’Étang, parce que d’étang, je ne verrai point. Suis-je passé à côté ?
Juste après, la pente s’accentue. Ouaouh, c’est même vertigineux ! Mais ça, j’adore… ça me donne des envies de courir, bondir, serpenter. J’accélère, je creuse mon sillon dans l’épaisseur de la forêt qui a maintenant pris tout l’espace. Tu m’étonnes ! Dans une pente pareille, on ne risque pas d’aventurer un tracteur pour labourer un champ ou récolter les foins !
Je croise des promeneurs armés de paniers à champignons. D’autres, un peu plus bas, cherchent des châtaignes. Ça doit bien être un des seuls coins dans le Puy-de-Dôme où on a des chances d’en trouver.
Adrienne m’envoie un message. Elle part seulement maintenant. Dans son petit vallon, elle a trouvé des salamandres et elle a perdu du temps à les observer. Bien, nous l’attendrons à Sayat. « Comme toujours », suis-je tenté d’ajouter…
Allez, moi, je continue. En plus il commence à pleuvoir. Mais ce ne sont que quelques gouttes, pas de quoi s’en faire un torrent !
Marrant, cette ligne de train hyper-propre qui tranche tout à coup (au propre et au figuré !) dans le fouillis inextricable et la vie sauvage des bois dans la pente.
« J’ai fait des sauts complètement dingues ! »
Un peu plus bas encore, hop ! je passe la départementale et me voilà à Sayat. Je suis le premier. En fait je n’attends qu’Adrienne. Valettes m’a laissé un message comme quoi il s’est perdu en route et, après avoir dévié vers le sud, il a rejoint Saussade. On les retrouvera plus bas, du côté de Blanzat.
Hum, je ne comprends pas bien le point de rendez-vous. D’après le point GPS, il a l’air de se trouver derrière la fromagerie, quasiment dans les maisons. Bah, de toute façon on ne pourra pas se manquer ; ce n’est pas bien grand, ce haut de Sayat. D’ailleurs je vois Adrienne arriver depuis le nord, joyeuse, tout ébouriffée par sa course dans les ravins. « J’ai fait des sauts complètement dingues ! », s’excite-t-elle.
Tandis que le crépuscule enflamme le ciel, la pluie se remet à tomber et nous courons nous mettre à l’abri.
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Étape 2 : de Sayat à Cébazat, de moulins en vergers
Le soleil s’est décidé à illuminer notre étape et nous découvrons Sayat sous un autre jour. Cette petite cité pentue est le royaume des moulins. Grandes bâtisses plus ou moins délabrées, les pieds dans l’eau des biefs, elles ponctuent le village comme autant de sentinelles. Par endroit, Sayat a des allures de Venise des montagnes. Nous parcourons les ruelles en suivant la pente, en nous séparant parfois, en passant des ponts, des jardins, de hautes marches.
Puis nous continuons à dévaler, dévaler… Mais nous avons quitté la forêt touffue des hauteurs. Ici, alternent les vignes, les vergers, les bosquets. Face à nous, les Côtes de Clermont s’affichent comme sur un poster. Et derrière, toujours, la haute cassure de la faille.
Nous finissons par arriver en bas de la pente : notre point de rendez-vous avec les copains partis d’Orcines. C’est un chouette parc ombragé avec des tables de pique-nique, encerclant un petit lac. On s’est dit que ce serait l’endroit idéal pour s’attendre et pour pique-niquer.
Sauf que… pas de chance ! Cette vaste cuvette qui sert de bassin d’orage est vidée une fois tous les cinq ans et il faut que ça tombe maintenant ! Notre horizon de casse-croûte consiste en une vaste étendue boueuse. Pour un peu, on regretterait que notre maigrelette pluie d’hier n’ait pas tourné en furieux orage pour remplir notre paysage.
Faisant contre mauvaise fortune bon cours, nous nous étalons tout de même un peu en attendant Saussade et Valettes, qui ne se pressent pas trop pour nous rejoindre… Mais les voici qui arrivent.
Contournant le parc, notre petite troupe poursuit sa route par le bas de Blanzat. Dans cette zone plus urbaine mais encore pas trop, les vergers se transforment en zones de potagers, puis on croise les serres de notre premier maraîcher. Voilà qui est de bon augure : il est en bio… Dommage, il ne vend sur place que les mardis et les vendredis. Allons-nous devoir traverser la route pour nous rendre à l’inter-super-marché en face ?
Bah, autant tracer. Cébazat est en vue. Ça sent l’urbain. Nous longeons des pavillons avec jardin, et des pavillons, et encore des pavillons. À cette heure de l’après-midi, on n’y croise pas une âme. Les forêts de la faille, c’était plus drôle et plus vivant.
Tiens, mais quand même, on tombe sur un beau parc en arrivant vers le centre de Cébazat. Rien à voir avec celui de Blanzat, ou disons que c’est la version urbaine, avec des allées rectilignes, des jets d’eau, une belle collection d’arbres du monde entier avec leur étiquette botanique. On se disperse un peu pour aller flâner dans les fontaines et le (tout petit) lac, jouer avec la roue à aubes qu’ils ont conservée ici aussi sur un ancien moulin, admirer la sculpture moderne du monument du souvenir.
À la sortie, on décide de traverser le centre ancien de la ville. Mais le soir tombe. Demain, ce sera l’étape la plus éprouvante…
Étape 3 : de Cébazat à Gerzat, le parcours à obstacles
Traverser les milieux urbains n’est pas de tout repos… Mais puisque c’est l’itinéraire, on s’y jette. Au moins, on va essayer de passer le plus possible en périphérie. On verra comment s’en sortira Titi, qui doit nous rejoindre demain à Chappes, si tout va bien. Cette frondeuse qui s’est lancé le défi de traverser la métropole clermontoise en plein milieu !
« Il paraît qu’ils servent de la morue, ça nous changerait des poissons d’eau douce. »
Bon, au début, c’est rassurant. On croise un grand domaine arboré qui accueille, nous dit-on, des tas de réunions, expos, salons et séminaires. Aussi un complexe sportif… et là, on récupère quelques balles de tennis perdues. On trouve facilement un passage pour franchir en sécurité la quatre-voies… en se récupérant pas mal de pollution de bagnoles dans les bronches, mais bon…
Comme on est vendredi, certains sont tentés de faire halte au restaurant en bordure de la nationale. « Il paraît qu’ils servent de la morue, ça nous changerait des poissons d’eau douce », a plaidé Valettes. Mais je lui ai fait remarquer que d’une part, les truites, on n’en trouvait plus beaucoup, et que d’autre part, on n’était pas là en séjour gastronomique. On a continué par le chemin de la Varenne et on y a croisé pas mal de potagers et de champs. Certains se réjouissaient un peu vite de se retrouver à la campagne.
Parce qu’à un moment, même si on avait toujours l’impression d’être dans la nature, c’est devenu franchement cracra. Une vraie décharge sauvage, ce coin. Avec un joli contraste entre les jardins familiaux tirés au cordeau et les abords jonchés de sacs d’ordures, de rebuts, d’objets plus ou moins énormes tranquillement laissés à l’abandon. L’arrière-cour de la ville, quoi…
On avait les tours d’immeubles comme toile de fond, les grues de chantier du stade comme sentinelles, plein de petits (ou plus vastes) camps de gens du voyage le long du chemin. Mais on s’est bien gardé de faire des amalgames. Qui sait de quel coin sont venus – forcément en voiture – ceux qui ont déposé là discrètement ces machines à laver en train de rouiller en bord de route ?
Pas très à l’aise dans cette zone dépotoir, nous avons filé à travers les champs, pensant être plus tranquilles. Pourtant on n’était pas au bout de nos peines !
À peine plus loin, notre route s’est heurtée à un mur. En l’occurrence une voie ferrée… que dis-je ! une multitude de voies ferrées ! Un truc qui m’avait tout l’air d’une gare de triage. Du coup, on l’a longé un bon moment pour trouver un passage et là, on a bifurqué vers la droite. J’avais trop hâte d’arriver à Gerzat pour faire vivre aux copains une expérience un peu dingue que j’avais repérée avant : traverser tout un bourg en souterrain !
Je leur réservais la surprise. Quand je l’ai annoncé, certains ont un peu fait la grimace mais je leur ai promis que ça passait sans problème. Et on s’est immiscé sous les maisons, sous le goudron et les chapes de béton, sous le centre-ville, sous le théâtre…
Hum, je me suis assez vite rendu compte que ce n’était pas exactement une bonne idée, mais j’ai présenté ça comme une expédition en mode survie. Après tout, on sait tous que les conditions vont être de plus en plus difficiles et qu’il faut apprendre à s’y adapter.
« On va traîner ce parfum longtemps, vous croyez ? »
Le noir, c’était rien. Les rats, ça pouvait aller – après tout, c’est naturel. Mais les trucs qui nous tombaient dessus, parfois ! En fait on préférait ne pas trop savoir et finalement, le noir était plutôt bienvenu. Sauf que les odeurs… pouah ! Quand nous sommes ressortis de l’autre côté du bourg, nous en étions complètement imprégnés. Une vraie infection ! Adrienne a exprimé tout haut ce que nous ressentions tout bas : « On va traîner ce parfum longtemps, vous croyez ? » J’ai lâché en plaisantant (à moitié) : « Jusqu’à la mer ! »
Heureusement, juste après un dernier arrosage de nos bronches par les vapeurs d’hydrocarbures autoroutières, nous nous sommes retrouvés à cheminer dans les zones de maraîchage, plutôt bio. Et ça nous a nettoyés… au moins psychologiquement. D’autant plus que notre dernière étape promettait d’être plus tranquille.
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Étape 4 : de Gerzat à Saint-Laure, Limagne morne plaine
Ce matin, nous sommes tout excités. C’est notre dernier jour pour rallier le grand point de rendez-vous. Et entretemps, on va retrouver les derniers de la bande. Alors peu importe que le temps soit un peu plus gris et plus frais ; peu importe que le paysage soit plus morne, plat et sans surprise. Rien ne nous départira de notre humeur joyeuse et chamailleuse.
Nous voilà en route à travers les champs, dont la terre est incroyablement noire. Saussade, qui connaît le sujet puisqu’il est né au pied du puy de Dôme, prétend qu’elle est imprégnée de cendres volcaniques et que c’est ce qui la rend très fertile.
Très vite, les champs de céréales remplacent les cultures maraîchères. L’horizon s’ouvre et les haies se font plus rares, à part celles qui encadrent notre itinéraire. L’avantage, c’est qu’on a de belles perspectives sur la chaîne des Puys dès qu’on se retourne.
Vers le village d’Epinet, notre chemin devient bien bétonné, encaissé, rectiligne et divisé en deux couloirs. Comme si on voulait au choix nous faire bosser dans les champs ou nous faire déguerpir au plus vite. « Ok, les habitants ! On ne fait que passer ! »
Tu parles, qu’on allait passer vite. Avant Chappes, les copains nous attendaient : Guelles, Ronzières, et notre intrépide Titi ! C’était un chouette moment. On s’est raconté nos aventures respectives mais c’est surtout le récit de Tiretaine qu’on voulait entendre. Il faut dire qu’elle avait mauvaise mine et qu’elle s’était bien déplumée depuis son départ. Ce qu’elle nous a raconté de sa traversée de Clermont nous a fait halluciner. Finalement, notre expédition dans les bas-fonds de Gerzat, c’était une promenade de santé !
Bon, ce n’est pas le tout ; nous ne sommes pas encore tout à fait arrivés et le chemin nous réserve encore quelques surprises – bonnes et mauvaises.
« Il ne faut pas croire : même ici en pleine Limagne, il y a des farfelus qui cultivent sans pesticides. »
Côté mauvaises surprises : on commence tous à ressentir des démangeaisons, des trucs qui grattent, qui font tousser. Certains dans le groupe soupçonnent les méthodes agricoles. La preuve : parfois au moment de longer une nouvelle parcelle, on se sent instantanément mieux, disent-ils. « Il ne faut pas croire : même ici en pleine Limagne, il y a des farfelus qui cultivent sans pesticides », souligne Ronzières, qui se sent quand même mieux ici que dans son pays natal, entre Clermont-nord et Aulnat.
La bonne surprise, on la trouve en arrivant à Chappes. Non, ce ne sont pas les hauts bâtiments rouge et blanc bien visibles de Limagrain. Mais à notre route de béton succède un parc urbain bien sympa, planté d’arbres, où a été aménagé un chemin tout sinueux, super-marrant, qui semble fait exprès pour nous. Un genre de parcours de santé où on s’amuse comme des petits fous à slalomer entre les talus. Bizarrement, on se sent tout à coup bienvenus, accueillis, invités à nous attarder. Et ça, c’est super agréable.
Allez, avançons quand même. Dernière ligne droite, derniers champs, dernière traversée d’un village – celui d’Entraigues. On retrouve un temps ce chemin étroit qui nous canalise. Peu avant le point de ralliement, du côté de Saint-Laure, nous rejoint encore Ambène. Encore quelques pas en direction de Maringues et… Voilà, nous y sommes ! Morge et sa troupe sont en vue !
Ce soir, ce sera la fête ; nous allons nous mêler au groupe. Et ensuite, le début d’une nouvelle aventure…
À l’heure de mettre le point final à ce carnet de voyage, je me rends compte que je ne me suis pas présenté. Je m’appelle Bédat. Je suis un petit cours d’eau de 26 km, un des trois qui traversent la métropole clermontoise – le plus au nord. Après avoir rejoint la Morge en compagnie de mes amis affluents, nous irons confluer avec l’Allier qui passe à une petite dizaine de kilomètres. Et on ira tous ensemble en vacances à l’océan !
Oh, une dernière chose avant d’aller rejoindre la fête des affluents : j’aimerais remercier tous ceux – collectivités, agences institutionnelles, législateurs européens, associations, agriculteurs bio, industriels et particuliers qui font des efforts (oui, seulement ceux qui font des efforts) pour nous garder propres, vivants et en bonne santé, nous les petits et grands cours d’eau qui irriguons vos territoires et apportons plein de bienfaits pourvu qu’on ait quelques égards pour nous. Avec un special thanks pour la commune de Chappes et ses partenaires pour les travaux de renaturation et de reméandrage qui m’ont fait tant de bien !
Reportage (texte et photos) Marie-Pierre Demarty, réalisé du 10 au 17 novembre 2024. A la une : le Bédat dans sa traversée du parc Pierre Montgroux à Cébazat
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