Le pourquoi et le comment [cliquer pour dérouler]
Voici une très transparente et sincère déclaration de conflit d’intérêt : je suis vice-présidente de la Baie des Singes depuis plus de dix ans.
Cela explique en partie que notre soirée Tiko, cette année encore, soit accueillie dans cette belle salle cournonnaise à l’histoire si singulière. Disons que ça facilite les relations, et je remercie très chaleureusement l’équipe de nous mettre la salle à disposition gracieusement.
Mais ce n’est pas la seule raison !
Il y a aussi le fait que des salles pouvant nous accueillir dans les mêmes conditions et dans un décor aussi chaleureux ne sont pas légions dans l’agglomération clermontoise.
Et surtout, que malgré des conditions de travail, des finances et diverses contraintes dont je vous passerai l’historique, elle fait preuve d’une belle volonté de réduire son impact environnemental.
Finalement c’est assez logique, car je m’efforce d’être un minimum cohérente dans mes activités professionnelles et bénévoles.
Bref, je vous raconte ce chouette work in progress que j’observe de l’intérieur mais avec un peu de distance quand même. Et qui me semble bien plus exemplaire et inspirante que l’équipe opérationnelle ne veut l’admettre.
Tout ça pour vous dire que le 5 décembre, ce sera the place to be. Ne la manquez pas !
Marie-Pierre
Trois infos express [cliquer pour dérouler]
- La Baie des Singes, salle de spectacle historique de Cournon, dédiée à l’humour et au jazz, est un des rares lieux culturels de la région fonctionnant de manière associative et indépendante. Créée il y a 27 ans par l’humoriste Chraz, elle est un lieu à taille humaine, chaleureux et convivial, géré par une petite équipe fonctionnant sans hiérarchie mais avec beaucoup de conviction.
- Avec dans ses gènes de fortes habitudes de travailler avec des partenaires, fournisseurs et mêmes copains en proximité, la structure s’est glissée assez naturellement dans une démarche de responsabilité sociale et environnementale, sous l’impulsion de sa coordinatrice, puis d’autres membres de l’équipe.
- Accompagnée notamment par le Damier, mais avec des moyens humains et financiers limités, la salle se transforme peu à peu, a réalisé un premier bilan carbone et passe en revue les postes où des améliorations sont possibles : bâtiment, alimentation, matériel… Le plus important mais aussi le plus difficile à maîtriser est celui des modes de déplacement du public.
La Baie des Singes est une salle de spectacle. Ça, c’est ce que tout le monde sait, pour peu qu’on vive dans le Puy-de-Dôme ou au moins dans l’agglomération clermontoise. Vous pourrez peut-être ajouter qu’elle est dédiée à l’humour, voire, si vous suivez de près sa programmation, que la (bonne) musique y a toujours eu une place, de plus en plus marquante dans son identité. Vous ajouterez aussi qu’elle a été fondée par Chraz, le plus connu des humoristes auvergnats vivants (petite pensée à avoir ici pour Fernand Raynaud).
Mais si on vous demande en quoi cette salle est totalement singulière, peut-être allez-vous sécher. Voici quelques pistes : sachez d’abord qu’elle a été fondée il y a plus de 25 ans et fonctionne de façon indépendante dans un mode associatif. Entendez par là qu’elle est subventionnée – ce qui lui permet de programmer des spectacles exigeants à des prix raisonnables – mais que ses financeurs n’ont de rôle ni dans la gouvernance ni dans le choix des spectacles, artistes et autres actions menées. Dans une époque où la très grande majorité des lieux de spectacle sont gérés par des collectivités et la plupart des autres structurées de façon commerciale, c’est déjà un bel exploit.
À taille et ambiance très humaines
Ajoutez l’ambiance chaleureuse favorisée par quatre ingrédients : le décor de cette ancien corps de ferme (aujourd’hui en plein centre de la deuxième plus grande ville du département) ; la taille très humaine d’une salle pouvant accueillir 230 spectateurs maximum ; le bar inclus dans la salle elle-même, favorisant la convivialité et les contacts et échanges, y compris avec les artistes ; et enfin l’accueil par une équipe restreinte mais pour qui cette notion de chaleur humaine est plus qu’une évidence.
Ensuite, il y a l’organisation interne. Depuis le départ de son premier et historique directeur il y a une dizaine d’années, l’équipe des salariés, qui a compté au fil des ans entre trois et six salariés, s’est réparti les rôles sans hiérarchie. Pas de direction ; chacun est responsable de son domaine, avec un peu de polyvalence, de l’entraide, de la coordination. Un peu de tiraillements et de difficultés parfois, mais dans l’ensemble, ça fonctionne.
Le conseil d’administration, composé de bénévoles spectateurs ou sympathisants, dotés de compétences variées, les aide à prendre du recul, à faire les choix stratégiques, à passer les caps difficiles et désamorcer les crises (car il y en a !).
« Le projet était moins familial mais restait collectif. »
Enfin, la nouvelle organisation avait été pensée pour laisser un espace d’action aux adhérents : ils sont bon an mal an une quinzaine à assister l’équipe pour les petits travaux d’entretien et d’embellissement, pour mettre sous pli et distribuer les programmes de saison et plus régulièrement, pour compléter l’équipe d’accueil et de service au bar les soirs de spectacle.
Beau projet, mais il ne mériterait pas un article dans Tikographie s’il n’avait pas pris aussi, progressivement, une orientation environnementale aujourd’hui fortement affirmée.
Du local dans l’ADN
« Historiquement, il y avait une adhésion claire à l’idée de solliciter des fournisseurs en proximité, car il s’agissait, aussi bien sur scène que pour tout le reste – alimentaire, technique, communication – de faire travailler les copains », résume Claire, arrivée peu après le départ du premier directeur et du dernier noyau des fondateurs. C’est-à-dire à l’époque où il a fallu se réorganiser, y compris sur cette question des fournitures : « Que faire quand il n’y a plus de “copains” ? Il a fallu reconstruire notre identité, redéfinir notre projet. Nous nous sommes fait accompagner par un DLA [dispositif local d’accompagnement] et nous nous sommes rendu compte que la proximité était dans notre ADN. Le projet était moins familial mais restait collectif. »
« On s’est vite rendu compte que ça marchait bien auprès du public »
Entre autres, il a accueilli des bénévoles dans une association qui comptait jusque là des adhérents passifs, des salariés très actifs et un conseil d’administration qui intervenait peu. Et ce premier groupe de bénévoles s’est notamment intéressé aux approvisionnements.
« Le restaurant initial était arrêté depuis longtemps. Il restait les repas servis aux artistes : c’était toujours la même chose, pas très bon ; et de la petite restauration au bar. Les bénévoles ont constitué un « projet comptoir » pour rechercher des producteurs, faire des dégustations, créer un maillage de fournisseurs et encourager Jenny [la salariée en charge de l’intendance et du comptoir] à cuisiner maison. On s’est vite rendu compte que ça marchait bien auprès du public », poursuit Claire.
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Premiers pas
C’était le premier pas. Progressivement, les bières artisanales, vins locaux ou sirops du cru ont poussé vers la sortie quasiment toutes les boissons de grandes marques internationales. Aujourd’hui, inutile de commander au bar un Coca-Cola ou une bière avec un K dans le nom.
La suite, c’est Claire qui en a donné l’impulsion. En charge notamment de la programmation, des relations avec les institutions et financeurs, de la coordination de l’équipe et durant longtemps, de la médiation auprès du public, elle est arrivée avec déjà de fortes convictions écologiques et des envies de faire bouger les choses. Puis d’autres recrutements – que ce soit Alix (pour la compta puis l’administration), plus tard Sébastien (pour la communication et la production) – l’ont confortée dans cette idée, avec aussi des soutiens dans le Conseil d’administration (mais je ne nommerai personne…).
Claire siégeait aussi (et encore aujourd’hui) au conseil d’administration du Damier, l’association regroupant les entreprises du secteur culturel et créatif, qui évoluait aussi vers ces questionnements. Dès qu’un accompagnement a été proposé aux adhérents sur le sujet de la RSE, elle s’est portée volontaire et, en compagnie d’autres structures, a porté un premier regard circulaire sur les pratiques de la Baie des Singes.
Sur la conversion du Damier aux questions sociales et environnementales, lire aussi l’entretien : “Sous la conduite de Nathalie Miel, le Damier porte un ambitieux projet de transformation de la filière culturelle” |
Des évidences
Sur le S de RSE – le volet social – les pratiques allaient largement dans le bon sens. Avec une équipe à parité ou majoritairement féminine selon les fluctuations de l’effectif, y compris dans la gouvernance, l’égalité hommes/femmes n’a jamais posé problème dans cette nouvelle ère. La structure a aussi suivi les obligations et les recommandations de vigilance en termes de violences sexistes et sexuelles. « Par le passé, certains comportements d’artistes ont pu être contestables, mais la féminisation de l’équipe a amené une vigilance et un nouvel état d’esprit », a pu constater Claire. Elle se préoccupe cependant de la difficulté à programmer des femmes notamment dans le domaine du jazz et des musiques improvisées « parce qu’elles sont très peu et parce que c’est d’abord de la responsabilité des écoles de musique », déplore-t-elle, tout en continuant à mettre en lumière autant que possible cette scène féminine.
Restait donc le E, c’est-à-dire la responsabilité environnementale. En dehors du bar, d’autres domaines de progression étaient d’ores et déjà envisageables. Par exemple concernant la technique – consoles de gestion du son et des lumières, projecteurs, etc. « Nous avons avancé autant qu’il nous était possible financièrement, notamment en termes de remplacement des lumières par des leds, et par l’investissement dans une console d’occasion et moins gourmande en énergie », souligne Claire.
« Ça a permis aussi de mieux formuler nos engagements. »
Le bilan de cet accompagnement a été, explique-t-elle, de vérifier que la Baie pouvait entrer dans le sujet RSE naturellement, comme une évidence. Mais aussi de pouvoir mieux se situer par rapport aux injonctions contradictoires qui demandent aux salles de spectacles, pour obtenir des financements, de faire toujours plus, de justifier par toujours plus d’exemplarité les subventions qu’on leur accorde, avec des conditions financières, techniques ou administratives toujours plus difficiles. « Ça a permis aussi de mieux formuler nos engagements », conclut-elle.
Des limites et des décisions
D’autres problématiques étaient aussi apparues dans cette première projection des progrès à réaliser. Claire cite « l’incapacité à œuvrer sur les déplacements du public et des artistes » ou encore la très invisible problématique du numérique et du stockage de données.
« Il faut garantir la cohérence du discours à tous les endroits, interroger chaque projet… C’est intéressant mais archi-chronophage. »
Une décision a été prise dans les habitudes (trop) bien ancrées : celle d’arrêter l’affichage dans les rues de l’agglomération. Trop de papier, de colle, de carburant… pour un résultat peu probant, car « la durée de vie moyenne d’une affiche avant recouvrement ou dégradation est de deux heures », souligne-t-elle, tout en constatant que cette décision contraint à renforcer la communication numérique.
Cependant, Claire s’interrogeait sur la nécessité de « ne pas être seule engagée sur ces questions, d’autant plus que je ne peux pas tout faire seule, dit-elle. Il faut garantir la cohérence du discours à tous les endroits, interroger chaque projet… C’est intéressant mais archi-chronophage. »
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Bilan carbone
C’est pourquoi elle a laissé deux autres salariés, Timothée (qui a quitté la structure entretemps) et Sébastien s’emparer de l’étape suivante, toujours proposée par le Damier. « Ça a pris tout de suite », se réjouit Claire.
« Nous devons affiner ce bilan car nous ne pouvions établir qu’une estimation, faute d’indicateurs précis. »
Cette étape consistait à intégrer la première « Promo Climat » lancée par le cluster, également en pleine accélération sur ces questions.
Sébastien prend le relais pour détailler : « Le cycle de travail s’est déroulé de janvier à juin dernier. Avec cinq autres structures, nous avons travaillé à établir notre bilan carbone de 2023. Nous avons été accompagnés pour parvenir à récolter les données les plus exactes possibles, en examinant tous les endroits où nous pouvons être émetteurs : le bâtiment, les fluides, le matériel, les déplacements, les consommations, les déchets… Le bilan fait apparaître que pour la Baie des Singes, le poste le plus compliqué, sur lequel nous avons le moins de prise, est celui du déplacement des spectateurs. Mais nous devons affiner ce bilan car nous ne pouvions établir qu’une estimation, faute d’indicateurs précis. »
Pour cette estimation, Sébastien a rassemblé toutes les données – forcément partielles – d’indications de code postal laissées par les spectateurs, puis a effectué des calculs de distance. Il a établi notamment une proportion d’environ 15% de personnes venant de Clermont et 14% de Cournon, ce qui permet d’entrevoir un potentiel d’amélioration du bilan carbone.
Prendre le temps
Ce travail a débouché logiquement sur l’établissement d’une feuille de route qui consiste à mettre en place des mesures plus précises de ces déplacements. « Notre but est d’affiner les indicateurs, en demandant à nos stagiaires d’interroger le public, sur un panel de spectacles, sur quelques questions rapides : d’où ils viennent, à combien de personnes, par quel moyen de transport… Puis nous pourrons les sensibiliser en encourageant à covoiturer, à prendre les transports en commun. »
« C’est plus logique de commencer le plan d’action quand on pourra encourager les gens à changer de mode de déplacement. »
Le but est de calculer à nouveau le bilan carbone en 2026 à partir de chiffres précis, puis de s’efforcer de réduire l’empreinte carbone de 10% par an pour se conformer à la trajectoire des accords de Paris.
« Je préfère qu’on prenne le temps de bien mettre en place les indicateurs, d’autant plus que 2026 correspondra aussi à la fin des travaux dans le centre de Cournon et à l’arrivée des bus à haute fréquence avec des horaires tardifs. C’est plus logique de commencer le plan d’action quand on pourra encourager les gens à changer de mode de déplacement », estime-t-il.
D’autres gestes et orientations, plus ou moins anciens, plus ou moins évidents et plus ou moins impactant ajoutent de la cohérence dans l’activité quotidienne de la Baie. C’est par exemple la renaturation des abords de la salle avec l’apport des bénévoles ; l’accueil mensuel du Bar des Sciences qui aborde souvent ces thématiques, ou d’événements organisés par des structures telles que Bio63… ou Tikographie.
Pour un autre regard sur les impacts de la diffusion de spectacles, lire aussi le portrait : “Comment Rémi Bonin questionne l’impact des grands festivals” |
Être exemplaire
Autant que possible, en tant que producteur de collectifs musicaux associés, la Baie tente aussi de rationaliser leurs déplacements. « Mais c’est difficile car on ne peut pas imposer à des artistes en besoin de dates de concert d’en refuser une sous le prétexte que le déplacement ne s’inscrit pas dans une tournée géographiquement cohérente », souligne Claire, qui s’interroge sur les limites auxquelles se heurtent les actions environnementales : aussi bien financières que techniques, voire règlementaires.
« Il y a des endroits où il n’y a pas de solution », constate-t-elle. Que ce soit pour les tournées, mais aussi pour le bâtiment lui-même, que l’association a eu l’opportunité d’acquérir il y a deux ans après en avoir été locataire pendant 25 ans. Un audit thermique a été réalisé récemment, mais les possibilités sont limitées, car la salle se situe dans un périmètre de protection des Bâtiments historiques, et par ailleurs dans une copropriété. « Des panneaux solaires ne seront certainement pas autorisés. Le bâtiment n’est pas une passoire thermique mais on a des déperditions ; on nous recommande une isolation par l’extérieur mais ce n’est pas dans nos moyens… », précise Claire.
« Il y a des endroits où il n’y a pas de solution. »
Difficile aussi d’envisager des toilettes sèches dans ce contexte urbain, ou de progresser encore sur la petite restauration proposée au public, qui n’est pas aussi exemplaire que la carte des boissons, pour des raisons liées à l’organisation de la très petite équipe – notamment la nécessité de nombreux déplacements pour se fournir auprès de producteurs locaux dispersés.
« Être exemplaire » est l’horizon qu’aimerait atteindre l’équipe avant de se sentir légitime à communiquer sur cette facette environnementale d’un lieu culturel au tempérament bien trempé. On rêverait que toutes les entreprises, inscrites ou non dans le champ de l’économie sociale et solidaire, aient autant de scrupules et d’exigence !
Pour en savoir plus sur la Baie des Singes, consulter son site internet. Et sinon, une très belle occasion de découvrir le lieu est de venir participer à notre Soirée Tiko le 5 décembre. Pour les réservations, c’est ici. |
Reportage Marie-Pierre Demarty, réalisé le 22 novembre 2024. A la une, photo Marie-Pierre Demarty : L’enseigne de la Baie, sans néons, sans paillettes, mais avec trois singes malicieux jouant à chache-cache dans la treille.
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