Le pourquoi et le comment [cliquer pour dérouler]
Les enjeux de mobilité sont multiples. Un atelier comme le Guidon dans la Tête en met en évidence un certain nombre, tout en s’efforçant d’y répondre. Car il popularise une pratique, apporte de l’autonomie aux personnes, rend les vélos plus abordables, tout en diffusant des principes d’entraide et d’accessibilité, et même en déconstruisant quelques idées reçues de genre ou de cultures.
Sans parler des vertus du réemploi et du déplacement en mode doux. Parce que c’est quasiment une évidence.
Il reste à ringardiser les SUV. Mais ça aussi ils s’y emploient. On a quand même meilleure allure sur un grand bi, non ?
Marie-Pierre
Trois infos express [cliquer pour dérouler]
- L’association Tous Deux Roues anime un atelier d’autoréparation de vélo, le Guidon dans la Tête, fréquenté par près de 500 adhérents par an. Il se situe dans le quartier de La Plaine à Clermont. Le but est de faire durer les vélos le plus longtemps possible en accompagnant les usagers sur leur entretien, et en récupérant des vieux vélos pour les remettre en l’état ou pour utiliser les pièces.
- Outre l’aspect écologique par le recyclage et le réemploi, l’association répond à des enjeux sociaux qui se sont développés notamment depuis son déménagement au cœur des quartiers nord. Il s’agit de rendre accessible à tous – financièrement et culturellement – un moyen de déplacement simple et bas-carbone.
- Si la grande majorité des adhérents viennent pour bénéficier de l’atelier, ses outils et ses conseils, les trois salariés animent d’autres activités qui apportent des ressources financières et développent l’autonomie des personnes et la “culture vélo” : ateliers pédagogiques dans les écoles et collèges, accueil de groupes issus de dispositifs d’insertion, d’IME, etc., ou ateliers mobiles dans les maisons de quartier.
Rassurez-vous, on ne va pas vous greffer un guidon dans la tête (sauf peut-être symboliquement). Mais à défaut, l’association Tous Deux Roues rêve d’en mettre un entre les mains d’usagers les plus nombreux possible, pour leurs déplacements du quotidien. Mais ce n’est pas gagné : pas parce que les gens ne savent pas faire du vélo, mais souvent parce qu’ils ne savent pas réparer leur bicyclette.
C’est pourquoi depuis dix ans, son activité phare est un atelier d’autoréparation. Dans les plages horaires des permanences, on vient utiliser des locaux et des outils, trouver des pièces dans le stock, se faire aider et guider, apprendre à entretenir le plus simple et économique des véhicules.
« Au départ les gens viennent parce qu’ils ne se sentent pas en sécurité, notamment pour des questions de freins ou de pneus. Ils apprennent à réparer, à changer des pièces. Ensuite, ils peuvent venir si le système de transmission ne fonctionne plus bien. D’autres vont utiliser l’atelier pour se monter un vélo particulier », décrit Léo, un des trois salariés, qui me sert de guide.
Assez de matière
Si individuellement la sécurité prime, à l’échelle de l’association, l’enjeu est plus large : à la fois écologique, social, économique et même politique. Le vélo y apparaît comme un moyen d’émancipation. Il offre la possibilité d’avoir un moyen de déplacement abordable, et encore plus si on s’approprie les techniques et savoir-faire pour l’entretenir.
Sur le plan écologique, l’enjeu est encore plus évident. Léo poursuit : « le but est de faire durer les vélos le plus longtemps possible, car il y a déjà assez de matière produite pour ne pas nécessiter des fabrications neuves. Le vélo est une machine assez simple et robuste pour qu’on puisse se permettre de rouler encore aujourd’hui sur un vélo des années 1950 ! »
« Nous tenons à ce que les vélos soient financièrement accessibles à tous. »
Assez de matière : dans la vieille grange de l’association, très insolite dans l’environnement typiquement « cité Michelin » de ce quartier de La Plaine, l’entassement des cycles à tous les stades de démontage ou remontage en atteste. L’association en récupère tellement qu’elle se permet désormais de choisir ce qu’elle accepte et d’orienter le reste vers les déchetteries.
« On nous en donne entre 25 et 45 par mois, dit mon guide. Nous les trions selon leur état : ceux qui peuvent être réparés sont vendus pour la plupart tels quels, à un prix minimum de 20 euros ou plus à prix libre, et les gens peuvent les remettre en état à l’atelier. Les autres sont démontés, lors de nos “apéros démontage” et nous récupérons le plus de pièces possibles. Nous avons de tout et c’est vendu aussi à prix libre. Car nous tenons à ce que les vélos soient financièrement accessibles à tous. »
Dans les différentes pièces annexes de la grange ou du local de l’atelier, les pièces sont soigneusement rangées par catégories : ici les pédaliers, là les roues, les chambres à air, les selles… Michelin fait don régulièrement de pneus neufs qui n’atteignent pas les critères de qualité pour être vendus… « mais ils sont bons quand même », précise Léo.
Dans la grange elle-même, près de 200 vélos jugés réparables attendent un nouveau propriétaire. De toutes tailles, tous modèles, toutes couleurs… « Nous en sélectionnons aussi quelques-uns qui sont remis en état par les bénévoles pour être vendus à prix fixes à des personnes qui en ont besoin », poursuit mon guide.
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Bricolage et pédagogie
Pendant ce temps, des adhérents vont et viennent dans la partie atelier, s’activent, choisissent leurs outils sur des présentoirs où ils sont minutieusement rangés et répertoriés. Ils échangent aussi, se conseillent. Au moins une personne formée – salarié ou bénévole – est en poste pour aider ceux qui en ont besoin. Mais on peut aussi s’appuyer sur les nombreuses fiches d’aide, les schémas, les instructions affichés un peu partout.
Cet atelier, précise Léo, draine 90% des adhérents. Une belle ruche, quand on sait que l’association dénombre entre 400 et 500 membres chaque année et a concerné au total quelque 4500 personnes en 10 ans. Mais l’autoréparation ne recouvre qu’une partie de l’activité de l’association et environ un tiers de ses revenus.
Le reste est assuré principalement par les salariés. Il consiste surtout en ateliers du même type, sous une forme plus pédagogique et incitative, auprès de publics divers, dans leur environnement ou sur place dans les locaux de la rue Louise-Michel.
Ces sessions peuvent concerner des jeunes en insertion, des écoles et des collèges, des établissements spécialisés tels que les instituts médico-éducatifs. Tous Deux Roues intervient aussi chaque mois dans les maisons de quartier de la ville – en complémentarité avec sa « petite sœur » l’association La Roue Tourne – avec un atelier mobile, qui déplace dans une remorque les outils, les pièces… et les conseils.
Sur les problématiques de mobilité dans un autre contexte, lire aussi le reportage : “Les Monts qui pétillent s’attèlent au casse-tête de la mobilité dans le monde rural” |
Démocratiser le vélo
Dans chacun de ces contextes, l’association se veut une « méca-école ». « Nous n’enseignons pas la pratique du vélo, comme le font d’autres structures. Mais notre principe est de rendre les personnes autonomes de bout en bout dans leurs besoins de déplacement. On leur apprend à entretenir le vélo, mais aussi dans certains cas à établir un itinéraire ou même à utiliser les transports en commun… », poursuit Léo, qui insiste sur la philosophie de l’association : « Il s’agit de diffuser la culture vélo, de faire en sorte que cela devienne un réflexe de penser à se déplacer à vélo. C’est pourquoi on intervient dans les écoles : pour l’ancrer dès le plus jeune âge. »
« Notre principe est de les rendre autonomes de bout en bout dans leurs besoins de déplacement.
Cette volonté de démocratiser l’usage de la bicyclette est devenue encore plus prégnante depuis que l’association, après avoir occupé successivement deux ateliers en centre-ville, s’est installée en 2021 au cœur des quartiers nord. Initialement, cet emplacement était juste une opportunité d’occuper des locaux adéquats, que la Ville a accepté d’acquérir pour le louer à ses occupants – Tous Deux Roues les partage avec une autre association, Co-Cooking.
Mais c’est assez vite devenu une opportunité de se confronter à des réalités différentes. Sans prosélytisme : « On est là, on n’impose rien et on ne veut pas être des donneurs de leçons », explique Léo. « D’ailleurs, les gens ici ont beaucoup à nous apprendre : c’est le principe des vases communicants, car ils ont une culture de la débrouille et du bricolage, même si c’est plus pour des raisons économiques que dans des intentions écologiques », souligne Yazen, membre du conseil d’administration, qui se joint à la conversation après avoir passé un temps à tenir la permanence dans l’atelier.
Lire aussi notre petite enquête : “Rouler à vélo dans Clermont vous fait peur ? Pas de panique !” |
Enjeux sociaux
Ce qui n’empêche pas certains de ces « néo-adhérents », une fois devenus habitués, de se poser d’autres questions et de modifier des comportements. Yazen cite ainsi un jeune Albanais, arrivé sur un atelier dans un dispositif pour décrocheurs scolaires. « Aujourd’hui il est majeur, il est un “grand frère” dans une famille compliquée, et il est revenu nous voir. Il vient maintenant régulièrement, avec le réflexe de réparer plutôt que remplacer. »
« On accepte tout le monde et on s’efforce de faire en sorte que tout le monde se sente en sécurité. »
L’association constate aussi des enjeux plus prégnants qu’en centre-ville liés à la nature de cette activité de mécanique « encore très genrée ». Il ne s’agit pas seulement de mettre ou non les mains dans le cambouis, mais de disposer d’un mode de déplacement accessible. « Les enfants font tous du vélo pour le côté ludique, mais arrivés au collège, les garçons le conservent comme moyen de déplacement, avant de passer au scooter ou à la voiture. Ici plus que dans d’autres milieux sociaux, les filles ne prolongent pas cette pratique… et se déplacent moins », constate Léo, pour qui les ateliers sont un moyen d’encourager une émancipation.
Tous Deux Roues doit aussi veiller à la cohabitation d’adhérents aux profils très divers, venant d’un peu toute la métropole clermontoise. Si certains n’ont pas suivi l’association lors de son déménagement, d’autres sont restés fidèles, continuent à venir de loin pour bénéficier des outils, des conseils et de la philosophie de la structure ; et la population des quartiers plus proches classés prioritaires, auparavant peu présente, s’y intègre peu à peu. « C’est un lieu de mélange où on avance doucement, dit Yazen. Je l’apprécie aussi pour cela : on accepte tout le monde et on s’efforce de faire en sorte que tout le monde se sente en sécurité, même si on ne sait pas toujours comment faire… L’intégration est un gros challenge. »
De fait, les adhérents et bénévoles que nous croisons dans la visite sont manifestement de tous âges, de toutes cultures, de tous milieux sociaux. Et Léo confirme qu’un tiers des adhérents sont des adhérentes. « C’est la moyenne pour ce type d’activités », précise-t-il.
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Faire réseau
Plus largement, le propos de Tous Deux Roues, éminemment engagé et politique mais non partisan, insistent-ils, est de « créer d’autres imaginaires, qui valorisent autre chose que les biens de consommation. » C’est à la fois, dit Yazen, « comme un credo de réparer le plus possible et de se positionner en artisan sur un objet issu de l’industrie. » Mais c’est aussi un enjeu de rendre la mobilité accessible à tous et à toutes, y compris dans ces quartiers qui, comme le fait remarquer Léo, « restent à l’écart des travaux de développement du schéma cyclable ».
Cet engagement se prolonge aussi dans la façon qu’a l’association de s’inscrire dans des réseaux : qu’ils soient informels avec de nombreuses associations locales, ou plus formels. L’association, notamment, est membre du réseau national L’Heureux Cyclage, qui apporte des ressources et porte le plaidoyer en faveur du vélo et du réemploi. Sans compter les réseaux à venir, comme le projet de fonder une « clavette », comme on appelle dans ce milieu de la réparation un petit réseau local, avec les copains de La Roue Tourne, de Billom et autres ateliers de la proche région.
Les salariés de l’association s’impliquent aussi localement, avec l’approbation bienveillante du conseil d’administration, dans la fondation d’un syndicat des salariés d’associations, qui exercent souvent des « métiers-passions » où ils comptent peu leur temps mais où les moyens pour les rémunérer à la hauteur de leur implication font souvent défaut. « Il en va de la résilience des associations, dans une période où le recrutement de bénévoles est difficile », souligne Léo.
Dans la bataille des imaginaires
Enfin, les imaginaires évoluent aussi par les images fortes, les événements joyeux et la libération de la créativité et de la fantaisie. Les occasions de réunir et de souder la communauté ne manquent pas, des apéros-démontages ou apéros-rangement jusqu’à la grande fête des dix ans de l’association le mois dernier, et autres moments de convivialité.
Et un espace a été réservé au fond de la grange pour les travaux de « création », d’où sont sortis quelques engins étranges : voici par exemple un élégant grand bi, et son voisin l’improbable vélo-échelle. Ces « vélos rigolos » et quelques autres, créés par les bénévoles, peuvent être loués pour des festivités.
Le plus étonnant étant cette interminable machine, dominant le quartier du haut de ses 8 mètres, qui a battu le record du plus grand vélo du monde en parcourant 111 mètres sur la place de Jaude en mai 2022.
C’est dire si au moins dans la bataille des imaginaires, la communauté du Guidon dans la Tête est bien armée. Car c’est certain : un vélo pareil et son guidon perché tout là-haut vous restent pour longtemps dans la tête…
Pour en savoir plus sur l’association Tous Deux Roues et sur l’atelier d’autoréparation Un Guidon dans la Tête, consulter le site internet. |
Reportage (texte et photos) Marie-Pierre Demarty, réalisé le 27 novembre 2024. A la une : Une partie des bénévoles et salariés, dans l’atelier Un Guidon dans la Tête.
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