Un métier qui traverse les temps… simplement

Par

Marie-Pierre Demarty

Le

Sachets de tisane de la marque Oxalis en rayon dans un magasin
Plantes aromatiques et médicinales 2/2 - Respect du vivant, savoirs locaux, alternative à la pharmacopée chimique… Les cueilleurs et producteurs de plantes médicinales et aromatiques du syndicat Simples cultivent un modèle hyper-résilient.

Le pourquoi et le comment   [cliquer pour dérouler]

Suite du témoignage de Dominique et de Véronique. Je ne les ai pas choisis par hasard. Mon intention première était d’entrer en contact avec des représentants du syndicat Simples, à la suite d’une conversation que j’avais eue avec le maître-composteur Pierre Feltz… sur le terreau qu’on achète en jardinerie et qui contient généralement de la tourbe – ce qui est assez destructeur de zones humides. « Tu devrais t’intéresser à Simples, qui a un cahier des charges très exigeant à ce sujet », m’avait-il dit en passant.

J’ai suivi le conseil…

Parce que c’est une chose de savoir faire sa tisane en cueillant un peu de tilleul par-ci et un peu de romarin par-là.

C’en est une autre de connaître la gigantesque pharmacopée que nous offre la nature, de respecter le vivant au point de vouloir y laisser le moins de traces, de perturbations et de pollutions possibles, et d’adopter des modes de vie qui permettent la cohabitation avec les écosystèmes sauvages en bonne intelligence.

Sur ce, Tikographie va faire sa petite pause de fin d’année et nous vous retrouvons dès janvier pour continuer l’exploration des belles initiatives dans le Puy-de-Dôme.

Je vous souhaite de belles fêtes, et n’oubliez pas qu’en la circonstance, « Detox », « Digestion », « Coup de froid » ou « Bien dormir » seront vous meilleures amies…

Marie-Pierre

Trois infos express   [cliquer pour dérouler]

  • Le syndicat Simples regroupe environ 900 producteurs de plantes aromatiques et médicinales en France (cueilleurs et cultivateurs), dont une douzaine en Auvergne, soit une petite minorité de ces professions. Mais il a acquis une réputation d’excellence grâce à son cahier des charges très strict, dans le sens d’un grand respect de la plante et de sa naturalité, et fédère autour de lui une plus large mouvance défendant une filière de qualité.
  • Né il y a une quarantaine d’année, ce syndicat travaille à la reconnaissance d’un métier reposant sur un savoir-faire ancestral mais qui s’appuie aussi sur la recherche scientifique. Il a notamment obtenu la reconnaissance officielle du métier de paysan-herboriste et, récemment, celle du diplôme correspondant.
  • Dans le Livradois, Dominique Guardiola-Falco et Véronique Vaudable témoignent de l’intérêt de préserver ces savoirs et ces métiers, qui préservent les écosystèmes naturels, constituent une alternative santé qui pourra s’avérer précieuse en cas de rupture d’approvisionnements en médicaments, et contribuent à garder vivants les territoires de montagne.
Lire aussi le premier volet : « Aux petits soins pour les plantes qui prennent soin de nous »

L’Auvergne est une des régions de France où les cueilleurs de plantes sauvages et les producteurs de leurs équivalents cultivés sont assez nombreux, et l’ont été depuis les temps immémoriaux. Ils résistent au « tout venant » de l’importation bon marché que vous pouvez trouver en petits sachets dans votre supermarché, ou pour d’autres usages bas de gamme. Et ils ont des profils très variés (sans parler des nombreux amateurs). Ils sont au minimum labellisés bio, comme les deux grandes coopératives du Puy-de-Dôme, implantées à Aubiat : la Sicarrapam et Plantes de Pays. Ils peuvent aussi être encore plus exigeants, indépendants qui doivent se démarquer dans un marché très saturé, mais qui offre toutefois une grande variété des débouchés.

Car les plantes de nos montagnes et de nos prairies sont réclamées pour les usages les plus divers : dans les laboratoires pharmaceutiques et cosmétiques, la savonnerie, les compléments alimentaires, l’herboristerie… Elles s’utilisent fraîches ou séchées, sont intégrées à des crèmes ou des médicaments, sont transformées en huiles essentielles ou en macérats, sont consommées en sirops, en limonades, en sucreries, en condiments et pestos et plus encore en tisanes. Tisanes composées d’un mélange ou d’une unique et simple plante.

Vue d'une prairie en fleur
Une prairie en fleur près de Vic-le-Comte l’été dernier. Les cueilleurs ont de tout temps été nombreux en Auvergne.

D’où leur appellation. « Simples » : c’est le nom qu’on donnait dans les temps anciens aux plantes médicinales, du moins lorsqu’une variété était utilisée seule, sans entrer dans une composition plus… compliquée. Simples est aussi le nom d’un syndicat qui, à l’échelle nationale, regroupe les cueilleurs et cultivateurs de ces plantes, ou en tout cas les plus exigeants. SIMPLES étant en l’occurrence l’acronyme de « Syndicat Inter-Massifs pour la Production et L’Économie des Simples ».

Une longue histoire

En Auvergne, ils sont une douzaine à y être affiliés, dont Dominique, producteur à Égliseneuve-des-Liards, et Véronique, cueilleuse à Brousse, que j’ai rencontrés (voir article précédent). Chacun à sa manière, complémentaires, ils résument l’histoire de ce métier à la fois ancestral et quand même « récent sous la forme où nous le pratiquons », reconnaît Véronique.

Parce qu’autrefois, explique-t-elle, « c’étaient les pharmaciens et les curés qui herborisaient. Mais les pharmaciens se sont détournés de la plante avec l’arrivée des médicaments chimiques. Quant aux tisanes, ça s’est industrialisé quand le sachet de thé individuel est arrivé… mais je ne sais pas à quand ça remonte. Ensuite, c’est revenu dans les années 1970, avec des gens qui ont voulu conserver la mémoire des bienfaits pour la santé. »

« Ces pionniers ont compris qu’ils devaient se mobiliser pour faire entendre leur point de vue. »

Dominique prend le relais pour raconter ce retour en grâce : « L’Auvergne est une région de cueillette, historiquement. Dans ces années 1970-80, c’est dans ces régions du Massif central, de l’Ariège, des Cévennes que des pionniers ont voulu reconquérir ces métiers du soin par les plantes. Ils étaient déjà convaincus par le bio mais voulaient souvent aller plus loin, du fait de leur proximité avec le vivant… d’autant plus qu’on est sur du médicinal ! La législation était – et est encore – très compliquée, avec un aspect politique sur la question de ‘comment on se soigne’. D’ailleurs le syndicat a été fondé à la suite d’un procès : ces pionniers ont compris qu’ils devaient se mobiliser pour faire entendre leur point de vue. »

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Réputation d’excellence

Aujourd’hui, on ne parle plus de « simples » mais de PAM, pour plantes aromatiques et médicinales, voire de PPAM en ajoutant les plantes à parfum. Elles constituent une filière agricole à part entière et le syndicat Simples est resté actif pour la faire reconnaître, comme l’explique Dominique, nouvellement affilié mais déjà très impliqué : « Simples a obtenu une réputation d’excellence grâce à son cahier des charges très strict, à la fois sur la culture et la cueillette, mais aussi sur la transformation, dans un milieu où c’est fréquent de trouver n’importe quoi, particulièrement dans ce qui est importé. Nous sommes 900 adhérents, c’est-à-dire une petite minorité de la profession, mais le syndicat a créé un réseau beaucoup plus large de personnes qui travaillent avec ces plantes, notamment par les stages, les formations, les systèmes de tutorat. Il y a des producteurs qui se reconnaissent dans ses valeurs même s’ils ne respectent pas l’entièreté du cahier des charges, des transformateurs, des revendeurs, même des naturopathes… Cette mouvance a permis d’obtenir des avancées dans la législation. »

Dominique cite la reconnaissance du métier de paysan-herboriste : « parce que quand tu vends en direct ou que tu fais de la transformation, tu proposes aux clients une démarche, tu les conseilles, tu fais la promotion de la phytothérapie ; c’est obligé. »

Dominique Guardiola-Falco et Véronique Vaudable
Dominique et Véronique, dans le contre-jour de l’atelier de cette dernière. Deux métiers différents, mais des valeurs en commun, dont le sens de la solidarité et de l’entraide.

Si lui n’a pas choisi cette voie, préférant fournir des laboratoires, Véronique témoigne de cette relation particulière avec le consommateur, qui tient à la connaissance fine des propriétés de chaque plante. Ses mélanges vendus en Amap et dans quelques magasins bio s’appellent « Jolis Rêves », « Atchoum », « Detox », « Sveltesse »… Des périphrases qui révèlent une législation encore rigide, quoiqu’un peu assouplie aujourd’hui, sur la notion d’exercice illégal de la médecine.

Science et conscience

Véronique comme Dominique revendiquent d’appartenir à une philosophie de maintien de savoir-faire anciens, ancrés dans leur territoire, utiles y compris pour une vraie résilience en cas de crise : « Pour l’instant la consommation de tisanes est surtout liée au bien-être, dit Véronique. Mais si demain nous étions confrontés à une grande rupture d’approvisionnements des médicaments pharmaceutiques, il peut être important de conserver la connaissance des propriétés thérapeutiques des plantes locales. »

Le plaidoyer de Simples a aussi abouti à la création du diplôme de paysan-herboriste depuis l’an dernier : les deux premières formations de cette filière ont été créées ; une troisième est en cours de validation à Marmilhat.

Fleurs de calendula
Une des récoltes de Dominique : les fleurs de calendula, très utilisées pour les cosmétiques et la pharmacie, ont des propriétés apaisantes, cicatrisantes, bonnes pour la peau. Le métier de paysan-herboriste, récemment reconnu, permet de perpétuer cette connaissance ancestrale.

Car si les intéressés, à l’image de Dominique, peuvent se qualifier de « néo-druides et sorcières », les affiliés de Simples ne sont ni des charlatans new age, ni des anti-sciences. Au contraire : « Même si on a beaucoup moins de moyens que les grands laboratoires, le syndicat travaille avec la recherche, qui va par exemple pointer de nouvelles plantes ayant des principes actifs, confirmer l’efficacité de telle ou telle propriété que nous utilisons. Elle peut aussi nous apporter des préconisations sur les meilleures techniques de transformation des plantes pour obtenir le résultat optimal », explique Dominique.

« Il peut être important de conserver la connaissance des propriétés thérapeutiques des plantes locales. »

Il cite en exemple une étude qui a porté récemment sur les macérats huileux de plantes telles que l’arnica, la consoude, le plantain… « Chacune a son fonctionnement propre. Par exemple l’étude a montré que le millepertuis augmente ses capacités si la macération est exposée au soleil, ce qui lui donne une couleur rouge caractéristique », détaille-t-il.

Le respect du vivant

L’enjeu est aussi de prouver que les productions paysannes ont une valeur et une qualité supérieure – un peu comme en bio. Car les cueilleurs et cultivateurs qui se revendiquent de ce syndicat et respectent sa charte travaillent aussi dans le respect du vivant, au point de pratiquer des méthodes, même en culture, les plus proches possibles des conditions de vie de la plante sauvage.

« Mon principe, c’est : quand tu passes, tu passes inaperçue ou presque. »

« La charte impose des modes de culture qui visent à réaménager les endroits où nous travaillons pour recréer des oasis de biodiversité. Nous cultivons sur des sols vivants et respectons la plante : pas d’hydrocarbures sur les plantes (donc pas de tracteurs classiques), des terreaux sans tourbe pour ne pas contribuer à détruire les tourbières. Et pas non plus de culture sous serre, pour respecter la naturalité de la plante », énumère Dominique.

Dominique guide la visite devant ses parcelles
Visite guidée (en mode hivernal !) de l’exploitation de Dominique : pas de serre, des sols vivants, et un seul petit tracteur électrique, pour éviter les dépôts d’hydrocarbure sur les plantes.

Quant à la cueillette, en plus de se pratiquer, selon la charte, « dans des zones à l’écart des pollutions identifiables », elle doit être respectueuse de la ressource. Véronique en témoigne : « Mon principe, c’est : quand tu passes, tu passes inaperçue ou presque. Il faut qu’il en reste suffisamment et si on sent qu’il y en a trop peu, on laisse. Il faut avoir du métier pour avoir cette approche. Mais dans le secteur du Livradois, on n’est pas trop nombreux et la ressource est suffisante. »

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Faire vivre les montagnes

Autre particularité du syndicat Simples : il est organisé en massifs : Auvergne, Cévennes, Grands Causses, Cœur des Alpes ou des Pyrénées…  « parce que les cueilleurs depuis les années 1970 se sont installés dans des coins peu accessibles, en montagne, où la biodiversité est la plus riche. Aujourd’hui il y a débat en interne pour décider jusqu’à quel point le syndicat accepte des adhérents dans des zones plus fréquentées », poursuit Dominique, soulignant l’ironie de voir se créer un « massif Normandie ».

Mais le producteur et la cueilleuse du Livradois insistent sur cette autre vertu de leur métier : celui de contribuer à amener de la vie dans les zones rurales ayant connu la désertification.

« Nous faisons vivre le territoire, nous consommons ici, nous participons à l’économie circulaire. »

Véronique souligne l’importance de conserver des savoir-faire pour préserver l’autonomie des personnes et des territoires, et voudrait faire entendre l’intérêt de bien choisir ses tisanes, même si, dit-elle, « ça devient le gros bazar parce que les industriels se mettent à vendre en sachets vrac comme nous ; mais par rapport à l’importation, nous faisons vivre le territoire, nous consommons ici, nous participons à l’économie circulaire. »

Une boîte de CBD de la marque OLF!
Dominique commercialise du CBD sous sa marque OLF! C’est une des activités qui ont fait revivre le hameau de Fay, qui était désert il y a seulement quelques années.

Dominique l’illustre aussi à sa manière. Alors que nous traversons le hameau de Fay, à l’écart d’Egliseneuve, dont il occupe la dernière maison, il désigne les habitations de ses voisins : « Ici, c’est un Ch’ti qui s’installe pour faire des savons ; là, un Marseillais qui a le projet de créer une pépinière et veut essayer de faire pousser des agrumes… Nous sommes tous des néo-ruraux. Il y a quelques années, le hameau était vide. Aujourd’hui, nous sommes dix familles, avec huit enfants. »

Les simples, avec les fruitiers, auraient-elles aussi la vertu de soigner les territoires ?

Pour en savoir plus sur Simples, ses valeurs, son cahier des charges, la liste des producteurs dont ceux du massif d’Auvergne, consulter le site internet du syndicat.

Reportage (texte et photos) Marie-Pierre Demarty, réalisé lundi 9 décembre 2024. A la une : les sachets de tisane de Véronique Vaudable, en rayon dans un magasin bio.

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